Présentation du tableau
L’ordonnance de 1945 est un texte de police et marqué par le caractère colonial de la France de cette époque ( l’empire français compte encore plus de 200 millions d’âmes). La France a un intense besoin de main-d’oeuvre au sortir de la guerre, il faut donc planifier l’immigration, mais celle-ci est placée sous surveillance de la police, l’étranger a un statut précaire ( pour une analyse plus complète et précise nous renvoyons au numéro 29/30 de la revue Plein Droit du GISTI de Novembre 95). Il est alors facile de comprendre pourquoi nous ne souhaitons pas un retour à ce texte.
La fermeture de frontières de 1974 se veut une réponse à la crise conjoncturelle et à la montée du chômage, il faut modifier le texte de 45 qui encourageait l’arrivée de main-d’oeuvre étrangère. Dès cette époque on entend Giscard parler de “ bloquer toutes les nouvelles arrivées et d’intégrer ceux qui sont là ”. Ainsi posé le débat portera sur la fermeture réelle ou supposée des frontières, ce qui entraînera l’évolution ultérieure jusqu’à ce qu’on connaît aujourd’hui puisqu’il s’agit toujours de renforcer le même dispositif. Jospin, comme Rocard avant lui, ont appris à leur dépends que l’immigration continuait. En effet des personnes d’origine étrangère continuent de rentrer légalement en France pour s’y installer, et ces deux politiciens ont eu du mal à l’accepter alors que la loi ne peut pas interdire le l’entrée et le séjour pour les diplomates, les hommes d’affaires et les échanges culturels ou sportifs, de même il très difficile d’interdire le regroupement familial dans un pays dit démocratique, alors au fil du temps le législateur s’est ingénié à limiter ce droit sans le supprimer, ce que le Pen, lui, veut faire.
La période de 79 / 81 a été une période noire pour les expulsions ( plusieurs dizaines milliers de personnes dont des mineurs et des réfugiés politiques). Le débat de cette époque s’est focalisé sur la loi “ sécurité liberté ” de Pierrefitte, ceci a donné lieu à de nombreuses mobilisations.
En 81 la gauche organise une régularisation, le débat sur le droit de vote est évacué au nom de l’état de l’opinion. Mitterrand prend le risque d’aller à contre courant de ce même opinion pour la peine de mort et sa légende le présente comme un grand humaniste à cause de cette avancée, mais personne ne cite son caractère timoré sur la question du droit de vote aux étrangers. Les associations elles-mêmes centrées sur la régularisation n’ont pas vu l’importance de l’enjeu. Si en 81 l’égalité des droits avait été acquise la situation politique aurait été fondamentalement changé pour longtemps en France. Il se serait produit le même phénomène que pour la Loi Veil sur l’IVG, un fait acquis difficile à remettre en cause. Les partis politiques auraient courtisé les immigrés pour qu’ils votent pour eux et Le Pen n’aurait pas eu autant de facilités.
Rapidement la gauche s’aligne sur la droite avec la création des centres de rétention et en 83 la limitation du regroupement familial.
En 86 le débat sur “ sécurité liberté ” rebondit, mais entre temps Le Pen a obtenu 15% des suffrages et profondément marqué l’opinion française. Il est déjà question de remettre en cause le droit du sol. La première loi Pasqua est justifiée de la même façon que les textes précédents : intégrer et protéger les étrangers déjà installés en France tout en bloquant les frontières.
Entre 86 et 93 une série d’énonciations politiques désastreuses vont être prononcées : le seuil de tolérance par Mitterrand, les bonnes questions mais les mauvaises réponses par Fabius, les charters de Giscard et de Cresson, toute la misère du monde qu’on ne peut accueillir par Rocard, le bruit et l’odeur par Chirac, etc... Ces paroles sont importantes parce qu’elles ont été prononcées par des personnes en situation de pouvoir et ont légitimé le discours du FN. Sur ce point la gauche n’a rien à envier à la droite, la contamination idéologique touche toute la majorité de la société française. La notion de contrôle des flux migratoires sera proposée par Rocard, la liquidation du droit d’asile sera effective dès les années 90 / 91. Mais il faut insister sur l’importance de l’Europe dans les évolutions législatives et réglementaires ; en fait c’est la construction européenne qui donne la cohérence politique à la fermeture de frontières avec la création de l’espace Schengen même si en France le débat prend une tournure spéciale vu le rôle de Le Pen dans l’espace idéologique. L’Europe libérale comme solution de survie et de fuite en avant pour les dominants dans cette région du monde implique bien la construction de la forteresse. La gauche en aura été le moteur en utilisant les arguments du modernisme pour le vote des accords de Maastricht.
En 93 c’est la notion d’immigration zéro qui justifie les évolutions réglementaires et législatives diligentées par le méchant Pasqua. La réalité montre qu’en fait il s’agit plutôt d’une immigration négative qui est visée par la suspicion généralisée et la précarisation du statut de tous les étrangers. La liaison entre l’octroi des droits sociaux et la régularité du séjour est signée dès 93 par Balladur le gentil, c’est une évolution qui va dans le sens de la préférence nationale et qui transforme les organismes sociaux en auxiliaires du Ministère de l’Intérieur. Le droit du sol est remis en cause pour la première fois depuis les lois de 1851 et de 1889.
En 95 la lutte contre le terrorisme permet de revenir sur le lien entre immigration et terrorisme, Vigipirate installe la surveillance généralisée des étrangers. Les expulsions se multiplient. Beaucoup d’étrangers se retrouvent en situation de “ sans-droits ”.
En 96 il est question de durcir les dispositifs légaux et divers rapports vont dans le sens du renforcement de la xénophobie ( rapport Philibert, rapport sur la précarité, rapport Cuq sur les foyers). Le projet Debré continue cette voie et vise à adapter les procédures administratives et judiciaires à la volonté politique de la xénophobie au pouvoir pour mettre en oeuvre les expulsions sans entraves. Dans le même temps Le Pen continue de déplacer les bornes de l’acceptable démocratique et l’antiracisme s’affiche par le spectacle. Les étrangers font évidement les frais de ce ballet subtil de la démocratie française qui ne peut pas avouer ouvertement son racisme d’Etat. La gauche essaie de présenter une façade respectable : bonne gestionnaire mais humaine.
En acceptant la notion de quota et en affirmant sa volonté de continuer à expulser la gauche montre à l’opinion sa responsabilité, en chemin elle a abandonné ses convictions et s’est suicidée politiquement en étant incapable d’attaquer le capitalisme et de contrer Le Pen, de défendre la démocratie contre la fascisation en étant fidèle à ses référents antiracistes et antifascistes issus de la lutte contre le nazisme. La gauche est morte, nous en prenons acte !
Ph. C. Nantes le 15/12/96