Nous sommes en 1987, le football roumain est alors porté par deux locomotives.
D'un côté, le Steaua Bucuresti, club de l'armée mais également de Valentin Ceausescu, fils du couple présidentiel.
De l'autre, le Dinamo Bucuresti, club du Ministère de l'Intérieur et donc de la Milice, la Securitate.
Les années 1980 sont l'apogée sportive du football roumain, même si son pic international arrivera avec la performance de l'équipe nationale à la Coupe du Monde 1994. Le Dinamo n'est pas passé loin de la finale de la Coupe des clubs champions en 1984 alors que le Steaua remporte la compétition à la surprise générale en 1986, après avoir épuisé mentalement le Barca en finale.
Le système communiste étant ce qu'il est, l'état contrôle tout et cela se ressent évidemment dans le sport également. Quiconque avec un peu de talent ne jouant pas dans l'un des deux clubs majeurs de la capitale est rapidement transféré dans l'un ou l'autre, en fonction des machinations politiques en cours.
C'est dans ce contexte politico-sportif particulier qu'arrive l'histoire qui nous intéresse aujourd'hui.
Nous sommes en seconde partie de saison de Divizia A, la première division roumaine. Le Steaua a quasiment assuré le titre en restant invaincu depuis le début de saison alors que le Dinamo devrait logiquement terminer deuxième avec une énorme avance sur le reste du championnat.
Mais après l'énorme prestige sportif qu'on étaient les performances européennes du Dinamo et du Steaua, il faut trouver quelque chose du même acabit, et le Soulier d'or est regardé avec conviction vers Bucarest...
Dudu Georgescu l'avait remporté deux fois en 1975 et 1977 avec le Dinamo mais cela date maintenant d'une décennie.
L'opération Rodion Camataru est alors lancée.
Le buteur du Dinamo, qui a marqué 17 buts en 17 matchs, ne marque plus qu'un but entre la 18ème et 24ème journée.
Arrive alors le tournant de la 25ème journée.
Le Dinamo fait match nul 4-4 face au Victoria Bucuresti et Camataru claque un triplé. Cela le lance alors dans une série folle. Si ce n'est pour le choc face au Steaua, le buteur du Dinamo marque à chaque match dans des scénarii souvent ridicules. Le Dinamo fait match nul 3-3 sur sa pelouse face au modeste Corvinul Hunedoara et malgré tout Camataru mets un triplé. Même chose face à l'Otelul Galati, 3-3 et triplé de Camataru.
Le Dinamo se permets même de perdre chez lui contre le quinzième du championnat, sans importance puisque Camataru mets un doublé.
32ème journée, le Dinamo perds 5-4 et Camataru mets un quadruplé, tout les fans de football en Roumanie comprennent alors que le championnat est manipulé pour offrir le Soulier d'or au buteur du Dinamo.
L'avant-dernière journée du championnat voit Jiul Petrosani être déjà mathématiquement maintenu, le club peut donc perdre 6-2 face au Dinamo, avec un improbable quintuplé de Camataru.
La dernière journée conclue ce spectacle tragi-comique, le Rapid bat le Dinamo 4-3 mais en échange de quoi, Camataru marque 3 buts, lui assurant le soulier d'or.
Le match restera dans la légende roumaine pour les réactions en tribunes.
Dès le premier but de Camataru, les spectateurs du Rapid se mettent à chanter, et lorsque arrive enfin le troisième but du Dinamo, les spectateurs de la tribune latérale se déchaussent, agitent leurs chaussures et scandent « Camataru Rodion, t’as pas le soulier, t’as le chausson ! » avant de les jeter sur le terrain.
Le coup de sifflet final officialise la victoire arrangée en faveur du Rapid, mais ses supporters affichent leur rejet face à ce spectacle pathétique en scandant le nom du grand rival du Roumain pour le Soulier d'or : « Toni Polster, où es-tu, vois le cirque de Giulesti ?! »
Les prestations de l’attaquant du Dinamo lui apportent au final le convoité Soulier d’or mais France Football offre alors deux trophées : le premier à Camataru et le second, l'officiel, à Toni Polster, qui refusera de venir à la cérémonie de remise du trophée au vu du ridicule affiché par les roumains.
