Après une saison 1954 plutôt calme, Mercedes lance la nouvelle version monoplace de sa W196, tandis que Lancia veut se battre pour le championnat avec sa D50 futuriste mais finalement peu fiable. Conçue par Vittorio Jano et pilotée par Alberto Ascari, accompagné de Gigi Villoresi et du nouveau venu Eugenio Castellotti, la Lancia D50 est une machine racée, équipée d'un puissant moteur V8 Jano. Beaucoup n'hésitent pas à dire que ces deux équipes vont prendre le large et laisser tout le monde dans la poussière. Ferrari, avec une voiture de 3 ans, semble vouée à une saison décevante. Leur meilleur homme, José Froilan Gonzalez, était absent, le taureau des Pampas argentin préférant courir à temps partiel, tandis que Mike Hawthorn partait piloter pour la nouvelle équipe Vanwall, avec Tony Vandervell injectant de l'argent dans le projet. Mais pour l'instant, Vanwall se contentait d'aligner des Ferrari datées mais modifiées, tandis que Maserati perdait son champion Juan Manuel Fangio au profit de Mercedes, et que son jeune espoir Stirling Moss partait également chez les Flèches d'Argent. Ainsi, l'équipe italienne devait désormais compter sur le jeune Luigi Musso et le meilleur de Gordini - Jean Behra.
L'ouverture de la saison en Argentine fut folle dès le début, la course étant la plus chaude de ces dernières années. Le climat sud-américain de janvier signifiait que les températures étaient élevées, mais Fangio réussit à la remporter avec une marge d'une minute, tandis que tous ceux qui le suivaient devaient changer de voiture à cause de la chaleur ridicule. Ferrari a obtenu un podium improbable après l'accident de la Lancia, et la course suivante a vu la chance du cheval cabré atteindre son apogée avec la victoire de Maurice Trintignant après l'abandon des deux Mercedes. Mais ce qui rend vraiment cette course célèbre, c'est le spectaculaire accident d'Alberto Ascari qui a vu sa Lancia s'envoler du port vers la mer. Miraculeusement, "Il Ciccio" était vivant et en bonne santé, mais sa D50 était maintenant au fond de la Méditerranée. Eugenio Castellotti a cependant réussi à ramener la voiture à la maison, marquant ainsi son premier podium, tandis que Louis Chiron a effectué ses derniers tours en tant que pilote de Grand Prix pour Lancia.
La troisième manche semblait enfin tourner en faveur de Lancia, Eugenio Castelotti signant une superbe pole dans des conditions torrentielles, mais ses espoirs de bons résultats s'envolèrent en fumée lorsque sa D50 eut une casse de boîte de vitesses, tandis qu'Ascari eut des problèmes avec son embrayage. Les Mercedes dominèrent le reste de la course, tandis que Ferrari s'adjugea un autre podium tranquille avec Nino Farina. Jusqu'à présent, 1955 semblait être une année de domination de Mercedes, et beaucoup attendaient déjà la saison suivante. Mais, seulement quatre jours après la course de Belgique, le sport automobile en Europe allait changer à jamais.
Au cours des 24 heures du Mans, qui ont vu Mike Hawthorn (Jaguar), Fangio et Moss (Mercedes) et Ascari (Lancia), se battre pour la victoire, Pierre Levegh a commis une erreur de jugement et a percuté Lance Macklin, qui effectuait une manœuvre d'évitement alors que Hawthorn rentrait aux stands. La Mercedes de Levegh s'est envolée dans le ciel, où elle s'est rapidement retrouvée à foncer dans les tribunes. La Mercedes était à ce moment-là une giullotine, et l'incendie qui s'est déclaré quelques instants après l'accident a fait 84 morts. Un tel incident n'avait jamais eu lieu auparavant. Bien sûr, des gens ont perdu la vie en course. Le champion de 1934, Guy Moll, a perdu la sienne lors du Grand Prix de Tripoli de 1938, et Varzi et Wimille ont tous deux péri dans les championnats d'après-guerre, mais c'était la première fois que les fans étaient impliqués dans un accident de cette ampleur, et l'onde de choc qu'il a provoquée a retenti dans toute l'Europe. La Suisse a interdit toute course automobile, les Suisses ne respectant que le contrat avec la FIA qui prévoyait d'organiser le dernier Grand Prix de Suisse. La France et l'Espagne ont retardé leurs courses pour essayer d'améliorer la sécurité de toutes les manières possibles, tandis qu'une sérieuse question se posait de savoir si la Nordschleiffe en Allemagne devait même accueillir le Grand Prix. Mais, la seule alternative pour le Grand Prix d'Allemagne serait alors AVUS, et beaucoup s'accordaient à dire qu'un accident isolé dans les arbres était une bien meilleure option qu'un accident à 300 km/h près des fans, sur ce qui était à l'époque le plus grand virage d'Europe. La sécurité a été pour la première fois remise en question, mais la FIA a fait marche arrière. Le spectacle doit continuer, même lorsque les acteurs sont partis. Peut-être plus important encore, Mercedes a supprimé toutes ses activités de course, et elle se retirerait des courses de Grand Prix une fois l'année terminée.
Une autre leçon de pluie attendait les Mercedes en Hollande, qui était de retour en Formule 1 après des années d'absence, mais personne n'a pris la peine de célébrer, vu ce qui s'est passé juste une semaine avant. Puis en France, Mercedes était de retour avec sa machine profilée. Mais Lancia a répondu à cette voiture avec une D50S. Incroyable, Alberto Ascari a gagné devant Fangio avec seulement 0,6 seconde d'avance, dans ce qui était une véritable course d'accélération vers la ligne d'arrivée. Lancia a finalement remporté sa première course et Ascari, pour la première fois depuis des mois, a pu être vu souriant.
Il était évident que Lancia n'était pas seulement une équipe italienne courageuse avec une voiture rapide. Ces gars, avec le financement de FIAT, essayaient constamment d'améliorer leur machine, dans le but de l'amener aux Flèches d'Argent. Bien que ce soit probablement la seule année où ils pouvaient les défier, Lancia et Ascari voulaient donner un sacré défi à l'équipe Mercedes. Mais, un mauvais Grand Prix de Grande-Bretagne a vu les voitures rouges ne terminer qu'à la 6ème place, tandis que Fangio roulait derrière Moss dans ce qui serait la première fois qu'un Britannique gagnait le Grand Prix de Grande-Bretagne. Son triomphe britannique a été suivi par une autre victoire en Allemagne, où il a devancé les deux Lancia, tandis que Fangio a subi son deuxième abandon de la saison. El Maestro a rapidement riposté dans les deux courses suivantes, et l'abandon de Moss dans le Grand Prix d'Italie a sonné le glas du championnat, Fangio remportant son troisième titre mondial. Mais ce qui est peut-être encore plus étrange, c'est le retrait des Lancia en Italie. L'édition 1955 du Grand Prix d'Italie a vu la première utilisation des Monza Banking depuis 1933, et ils ont déchiré les pneus Pirelli de Lancia, et les Tifosi n'ont pu que regarder leur seul espoir abandonner la course, laissant une démonstration de Mercedes. La seule chose que les fans italiens pouvaient applaudir était Nino Farina, qui a obtenu son dernier podium. Le Grand Prix d'Espagne serait la dernière course du champion italien, dans ce qui allait être une carrière qui a duré 18 ans. Ascari a remporté cette course devant les voitures Mercedes, et il espérait que sans les voitures argentés, l'année suivante serait la sienne, sinon tout cela n'aurait servi à rien.
Malgré la tragédie qui a eu lieu, cette année restera dans l'histoire comme la seule fois où Lancia et Mercedes se sont affrontés en championnat de F1. Et même si les résultats sont unilatéraux, il est indéniable que Lancia était le seul véritable challenger cette année-là. Mercedes se retirant du sport automobile, l'année suivante verra une domination entièrement italienne, où Ascari et Fangio s'affronteront une dernière fois.
