CHAPITRE 84
L’île de Poni, à l’image de son principal village, n’avait strictement rien à voir avec les autres îles d’Alola, grouillantes d’activités. Ici, j’avais l’impression de quitter la civilisation pour me retrouver dans un cadre champêtre, dépourvu de constructions humaines, abandonné à la nature. Une immense plaine, couverte d’hautes herbes et de rangées d’arbres, s’étendait au nord du village flottant, et nous conduisit vers l’est de l’île en longeant la côte.
Au début, les routes en terre battue et plates furent une promenade de santé mais, comme nous pouvions nous y attendre, les difficultés n’allaient pas tarder à arriver. Plus nous nous enfoncions dans des terres reculées, plus il fut difficile d’avancer et bientôt, il n’y eut plus la moindre trace de civilisation, ni même le moindre passage d’un être humain.
- « Pff… Voilà la forêt, » soupirai-je.
La plaine en terre sur laquelle nous marchions prit fin à l’entrée d’une dense forêt dont les arbres recouvraient le ciel. Quoique le ciel de Poni était déjà couvert, sans même parler du crépuscule qui commençait à tomber, donc cela n’y changeait pas grand-chose. Toujours est-il qu’il n’y avait plus le moindre chemin praticable désormais.
- « Oh là là… gémit Lilie en voyant ses bottines s’enfoncer dans une boue putride. Quelle misère… Mais je dois le faire, pour Doudou et pour ma mère…
- Faites attention où vous mettez les pieds, conseilla Oléa. Il peut s’y cacher des Pokémon agressifs dans les herbes ou les marécages.
- Des Pokémon ? Comme quoi, par exemple ? m’enquis-je en arquant les sourcils.
- Eh bien, des joyeusetés comme des Arboks, des Migalos, des Crapustules ou des Limondes. »
On ne pouvait pas dire qu’il s’agissait de Pokémon que nous avions réellement envie de croiser, songeai-je, alors que Lilie fut aussitôt prise d’un frisson à l’évocation de ces créatures d’épouvante.
- « Ça va aller, Lilie ? s’inquiéta Tili.
- Oui, et puis, je dois me forger le caractère. Devenir plus forte, répondit-elle, plus déterminée. Si de la simple boue suffit à le faire rebrousser chemin, je n’arriverai à rien dans la vie. »
Le soir était tombé quand nous sortîmes enfin de ces marécages. Marcher dans la boue, les racines et les épais branchages n’avait pas été de tout repos. Heureusement, le Phyllali de Tili et son attaque Lame-Feuille s’était chargé de trancher une bonne partie de ces maudits feuillages qui entravaient notre progression. Nous ne tardâmes pas à remettre pied sur un sol plus meuble et plus ferme, en terre, à notre grand soulagement.
- « Tiens, on dirait que quelqu’un habite, dans le coin, fis-je remarquer en voyant une colonne de fumée s’échapper d’une cheminée, au loin.
- C’est le cas, confirma Oléa. Nous nous trouvons au ranch du doyen de Poni… ou devrais-je dire, l’ancien doyen, puisqu’il est mort récemment de vieillesse, paix à son âme. »
Décidément, cette île ne faisait absolument rien comme les trois autres. Outre son décor et ses paysages, voilà que la hiérarchie n’y était même pas établie.
- « En gros, tu es en train de dire que Poni n’a, en ce moment, ni de doyen, ni de Capitaine ?
- C’est un peu ça, en effet. »
Tout à coup, nous fûmes interrompus par un bruit de sabots qui claquaient sur le sol. En nous retournant, nous vîmes un immense Bourrinos, ses pattes couvertes de boue après avoir franchi les marécages, s’avancer vers nous tout en hennissant, avant de se placer devant Lilie. Ce cheval de terre ne me sembla pas étranger, et j’avais le pressentiment que sa dresseuse de devait pas être bien loin, alors qu’il lécha affectueusement le visage de Lilie.
- « Par mes sourcils, ne s’rait-ce pas là, la p’tite Lilie ? Bourrinos a d’vues sur toi, à c’que j’vois ! »
Avec son accent campagnard et sa voix plutôt forte, difficile de ne pas entendre Paulie arriver à moins d’un kilomètre, m’amusai-je. La baroudeuse que j’avais croisée sur Akala et Ula-Ula nous fit signe de la main, alors qu’elle était en train de franchir un dernier marécage de boue.
- « Tiens, Luna ? Et Oléa ? J’savais point que vous vous connaissiez, ça pour une surprise. Quel bon vent vous emmène chez moi ?
- Salut, Paulie, lui souris-je. Oh, ce ranch t’appartient ?
- S’il m’appartient ? C’est un grand mot, pardi. Disons qu’il appartient à ma famille, et plus précisément, mon grand-père, avant qu’il ne passe l’arme à gauche.
- Le grand-père de Paulie était le doyen dont je t’avais parlé, ajouta Oléa.
- Du coup, qu’est-ce qui vous fait v’nir jusqu’ici, y a pas grand-monde qui aime s’balader à travers la forêt, dans l’coin ? »
Lilie semblait au moins être aussi déçue que moi en apprenant l’absence de doyen à Poni. En temps normal, il s’agissait des Dresseurs les plus sages et les plus expérimentés, choisis par les gardiens eux-mêmes. Ils étaient donc les plus aptes à répondre aux questions concernant les vieux mythes de la région, notamment ceux qui concernaient le Pokémon Légendaire.
- « Euh… Je souhaitais passer aux ruines de l’au-delà, répondit Lilie. Peut-être que le gardien pourrait m’aider, il est mon dernier espoir pour retrouver ma mère et la ramener à la raison…
- Tokopisco, tu dis ? Ma foi, v’là une idée saugrenue, mais pourquoi pas… Venez, j’vais vous accompagner, moi. Ça fait longtemps que je m’étais promise de lui rendre visite, en mémoire d’mon grand-père. »
Paulie nous emmena à l’écurie de son ranch, afin de nous prêter, à tous, un de ses Bourrinos, au grand dam de Lilie qui avait un peu du mal à monter le sien, elle qui n’était pas très habituée avec les Pokémon. Après une leçon d’équitation basique de la part de Paulie, et nous voici, de nouveau, en train de longer le récif.
Bourrinos n’était pas connu pour être la plus rapide des montures, loin de là. Se mouvant comme un poids lourd, il était même extrêmement lent, comparé à des Pokémon comme Galopa. Cependant, son principal avantage était son endurance et sa force physique herculéenne. Marcher dans de la boue gluante, des rochers escarpés ou tranchants ou bien des passages impraticables à pied, ne lui faisait pas peur, loin de là.
- « Les Bourrinos sont la principale monture à Poni, expliqua Paulie. Ils sont pas les plus rapides, mais avec eux, aucun risque de s’faire coincer dans des sables mouvants ou s'casser la figure sur des rochers. »
Impossible de lui donner tort. Sans nos montures, nous n’aurions quasiment aucune chance de traverser ces marécages, de plus en plus touffus et épais. J’avais l’impression que les sabots des Bourrinos pouvaient écraser des tessons tranchants de verre, sans qu’ils ne sentent quoi que ce soit, tellement ils étaient épais et résistants.
- « V’là les ruines, nous indiqua Paulie. Si ça n’vous dérange pas, je souhaiterai faire ma prière au gardien avant. Ça fait longtemps que j’ai promis à mon grand-père de venir ici…
- Pas de soucis, » acquiesça Lilie.
Comme les autres sanctuaires, un calme solennel et un silence de cathédrale nous accueillit à l’intérieur, comme si l’endroit n’avait pas été conçu pour que des êtres humains viennent le perturber. Instinctivement, plus aucun d’entre nous n’ouvrit la bouche, afin de respecter ce lieu de culte sacré.
Telle une forteresse, deux murs de pierres empêchait tout élément extérieur, comme le vent, la poussière ou les Pokémon sauvages, d’entrer en son sein. Au fond des ruines, était entreposé, sur une grande estrade de pierre, un autel sur lequel une statue de pierre trônait, au milieu de bouquets de fleurs. Sans doute des offrandes humaines, en l’honneur du gardien de l’île. Nous restâmes un moment à distance afin de laisser Paulie faire sa prière. Elle monta les marches en bois avant de s’agenouiller devant l’autel et de joindre ses mains entre elles.
Alors qu’elle était en train de prier, une lueur jaune se mit alors à éclairer son corps, comme si un rayon de soleil s’était infiltré jusqu’ici, pour la baigner dans son éclat doré. Or, ce fut tout simplement impossible puisqu’il faisait déjà nuit noire, à l’extérieur, et que la seule source de lumière était celle de la lune.
- « Oh, serait-ce… murmurai-je, incrédule.
- J’vous promets de faire honneur à la fonction dont vous m’avez jugée digne, ô Tokopisco, gardien de Poni… En tant que doyenne, je me ferai votre voix et celle des habitants de l’île… »
Incroyable, Paulie venait d’être, sous nos yeux, couronnée doyenne de l’île par la bénédiction de Tokopisco. Jamais je n’aurais pensé avoir la chance d’assister à une telle cérémonie en direct et en fut émerveillée. Elle se courba trois fois devant la statuette pour achever sa prière avant de se relever et de revenir vers nous.
- « Quand mon grand-père nous a quittés, je ne m’étais pas sentie encore prête pour assumer cette fonction, nous avoua-t-elle. Tokopisco lui-même avait du l’ressentir, aussi. C’est pourquoi j’ai pris un peu de recul et j’ai voyagé avec Bourrinos, afin de me forger plus d’expérience, avant de r’venir prendre ce rôle de doyenne.
- Waouh, extraordinaire ! s’enthousiasma Tili. C’est trop génial, Paulie !
- Je pense que tu es, de loin, la plus jeune doyenne de toute l’histoire de la région d’Alola, fit remarquer Oléa. Bon, on n’a toujours pas de Capitaine mais au moins, on a de nouveau une doyenne…
- À qui la faute ? fit Paulie. Personne ne sait qui elle est. Mon grand-père le savait mais, selon lui, elle ne voulait pas rendre sa profession publique… Le secret est mort avec lui… »
Oléa sembla tiquer un instant mais se contenta de hausser les épaules d’un air indifférent.
- « Peut-être bien… Vu que tu es doyenne désormais, il va falloir peut-être songer à recruter…
- Moué, t’as peut-être raison… Bref, tu voulais poser une question à la doyenne, Lilie ? Eh ben, vas-y, elle est juste devant toi ! »
Lilie se racla la gorge, jeta un œil dans son sac pour constater que son Doudou, sous sa nouvelle forme, était toujours aussi immobile qu’un rocher sans vie, avant de commencer.
- « Oui. Paulie, est-ce que tu saurais quelque chose, au sujet des Pokémon Légendaires d’Alola ?
- Hein ? Tu parles de Lunala et de Solgaleo ? Ma foi, je sais qu’il y a le temple de la Lune, au nord de Poni, où on y vénère Lunala. Celui du Soleil de Solgaleo se trouve à Ula-Ula. Pourquoi cette question ?
- Ma mère s’est fait entraîner dans l’Ultra-Dimension, expliqua Lilie. Bien que cela soit sa faute, je ne peux pas l’abandonner ainsi… J’aurais besoin d’emprunter la force d’un Pokémon Légendaire car ils sont les seuls à pouvoir ouvrir les Ultra-Brèches. »
La jeune doyenne demeura un moment perplexe, ne s’attendant sans doute pas à une question aussi complexe et à un récit qui dépassait, à ce point, l’entendement avec cette histoire d’Ultra-Dimension. Elle se gratta un moment la tête avant de répondre.
- « Ouh-là, désolée, mais la Paulie, elle n’y connait pas grand-chose, là-dessus, fit la nouvelle doyenne. Je sais juste qu’un air, joué avec la Flûte du Soleil et de la Lune, en même temps, pourra réveiller un des Légendaires.
- Hmm… Nous avons déjà la Flûte du Soleil, lui indiquai-je. Saurais-tu où se trouverait celle de la Lune ?
- Je crois que c’est sur l’île Noadkoko, pas très loin de Poni… répondit Paulie. Oui, c’est bien ça. Il y a un autel là-bas. Ne me demandez pas pourquoi à cet endroit. »
Lilie se tourna vers Tili, les yeux remplis d’espoir devant la nouvelle, comprenant que tout n’était pas encore perdu.
- « Il faut qu’on aille sur l’île Noadkoko, récupérer cette flûte, annonça-t-elle. Demandons au timonier du village flottant s’il connaît quelqu’un qui peut nous y conduire. »
Lilie et Tili allaient devoir faire ce voyage, afin de récupérer la seconde flûte, seuls, sans ma compagnie, puisqu’au moment où nous reprîmes nos montures pour quitter le sanctuaire de Tokopisco, Paulie me proposa autre chose.
- « T’as quasiment fini ton tour des îles, Luna ? Il ne te reste plus que Poni comme île ? Vu qu’on n’a pas de Capitaine, passons directement à la Grande Épreuve.
- Tu veux dire… un combat contre toi, Paulie ? m’étonnai-je.
- Oui, ce sera mon baptême et mon premier combat, en tant que doyenne, à moi aussi. »