CHAPITRE 137
La tête courbée, nous n’osâmes pas imaginer quelle pouvait être la déception de Kiawe en ce moment. Sur ce combat, il avait pourtant réussi à bousculer Blue, à faire parfois jeu égal avec lui, voire même à le faire douter par moment, mais cela n’avait pas suffi… L’ancien champion de Ligue avait été prenable, les regrets de Kiawe seront éternels…
Des applaudissements s’élevèrent dans le public pour féliciter la performance des deux combattants, qui avaient fait honneur à leur rang et à leur réputation en offrant un match relevé et intense. Pas sûr néanmoins que cela puisse consoler Kiawe et atténuer sa déception lorsqu’il s’avança pour serrer la main de Blue.
- « Beau combat ! Je me suis inscrit à cette Ligue pour affronter ce qui se fait de mieux à Alola et ce match ne m’a pas déçu, le remercia Blue.
- Oui… Même si je suis forcément déçu, il n’y a rien de honteux à s’incliner devant plus fort que soi… » finit par philosopher le Capitaine du feu.
Effectivement, se faire éliminer par une véritable légende, en la personne de Blue, n’avait rien de déshonorant, surtout après avoir crânement défendu ses chances, même si cela était toujours frustrant de voir son tournoi s’arrêter brutalement, alors qu’on nourrissait des ambitions.
Il quitta l’arène, sans un regard derrière lui, tel un acteur qui en aurait fini avec son rôle. Néphie se leva pour aller s’enquérir de l’état de son collègue et ami mais Barbara la retint du bras, tout en secouant la tête, jugeant qu’il valait mieux le laisser seul, pour le moment.
La victoire de Blue marqua la fin des huitièmes de finale et on nous apprit à tous, que le tirage au sort pour les quarts de finale aura lieu demain, en fin de journée, et que les combats se dérouleront à cheval sur deux jours, pour des raisons d’audimat. En effet, à partir de ce stade de la compétition, toutes les caméras du monde entier ainsi que des commentateurs pour les chaînes de télévisions avaient fait le déplacement, pour retransmettre l’intégralité des combats en prime-time, afin d’en faire profiter un maximum de téléspectateurs, à travers le monde.
Après cette longue journée extrêmement chargée en émotions en tout genre, je n’avais plus qu’une seule envie, me détendre et souffler un bon coup, loin de toute cette activité et de cette ambiance de compétition, presque maladive. Et je ne devais pas être la seule. À peine le combat terminé que nous nous levâmes, comme un seul homme, pour quitter la zone des stades et des matchs, pour retourner au village de la Ligue et à notre hôtel.
- « Je vais aller me noyer dans le jacuzzi, j’ai les muscles tirés de partout à cause de la tension de vos combats, » fit Barbara.
Je devais bien admettre que cela était tentant et n’hésitai pas lorsqu’elle me proposa de la rejoindre. Juste le temps pour moi de passer dans ma chambre pour me changer et prendre quelques serviettes, et je redescendis au spa de l’hôtel. Barbara, quant à elle, n’avais pas perdu de temps et avait plongé directement dans le grand jacuzzi.
- « Tu aurais quand même pu prendre ton maillot de bain avant ! lui fis-je remarquer.
- La flemme de remonter… marmonna-t-elle, à moitié endormie dans les bulles. Et puis… ce n’est pas comme si tu ne m’avais jamais vue nue… »
Le bain chaud décontracta mes muscles et ce fut à ce moment que je réalisai à quel point j’avais été tendue durant toute cette journée. Regarder des combats aussi intenses était également éprouvant, même lorsque nous étions dans le public, qui passait par toutes les émotions, songeai-je.
- « Alors ? Tu as une préférence pour ton adversaire de demain ? lui demandai-je.
- Non… Enfin, si… Dans l’idéal Saubohne, je n’aurai pas de scrupules à lui botter les fesses hors de cette Ligue… Mais bon, il n’y a plus que huit participants, ce sera obligé qu’on devra s’affronter entre nous… »
Elle avait raison. Si nous avions eu de la chance en nous évitant tous en huitièmes de finale, cette probabilité ne se reproduira plus en quarts, ce fut une certitude. Autrement dit, je devrais peut-être déjà me préparer à affronter quelqu’un comme Margie, Chrys, Néphie ou même Barbara.
- « Bah, c’est la compétition, à la fin, il n’en restera qu’un ou une… reprit Barbara.
- Oui, et de toute façon, à ce stade de la compétition, il n’y a pas d’adversaire facile, ajoutai-je. Même Saubohne, j’ai beau ne pas le porter dans mon cœur, force est à constater qu’il a fait une bonne impression contre Gladio.
- C’est ça. Quel que soit le tirage, il sera forcément compliqué. Alors je préfère ne pas me prendre la tête en y songeant plus que ça. »
Je pris une profonde inspiration et plongeai ma tête sous l’eau durant de longues secondes, comme une tentative de m’isoler un moment dans une bulle, pour ne plus penser à rien. Ce qui fut un échec cuisant puisqu’en me mettant ainsi en immersion, j’eus une vue directe sur les parties intimes de ma copine.
- « Pff… Tu fais vraiment tout pour me déconcentrer, hmm ? lui souris-je en remontant à la surface.
- Hé, ce n’est pas ma faute si tu ne parvenais pas à détacher ton regard, même sous l’eau ! » ricana-t-elle.
Je fis une brasse pour la rejoindre et lui déposai un baiser sur les lèvres, avant de me lever et de sortir du jacuzzi. Mine de rien, nous avions flâné plus d’une heure dans l’eau chaude et je tombai de sommeil alors que mes paupières me paraissaient presque aussi lourdes que du béton.
En passant par le hall d’entrée de l’hôtel, nous découvrîmes que même après une journée aussi chargée et éreintante que celle-ci, Margie trouva toujours l’énergie pour faire n’importe quoi, alors qu’elle s’excitait toute seule devant une table de ping-pong, pour mettre la pâtée à un touriste de passage, qui devait amèrement regretter de lui avoir proposé une partie. La lunatique marginale bondit carrément à pieds joints sur la table avant de smasher sa balle et de renverser le meuble par la même occasion, ce qui provoqua l’ire de la réceptionniste, qui lui ordonna d’arrêter de détériorer le matériel.
- « Margie, va te coucher ! lui invectivai-je. Faudra être en forme pour demain ! »
Revenue dans ma chambre individuelle, je déposai mes six Pokéballs sur ma table de chevet, et les examinèrent attentivement, comme pour vérifier que tout était dans l’ordre. Je ne le montrai pas, mais j’étais réellement stressée et angoissée à l’approche de ces quarts de finale. Parce que j’étais consciente que le plus dur restait à faire. Il me restait trois combats qui me séparaient du titre suprême et ils étaient, de loin, les plus difficiles… Je passai en revue mentalement le nom de mes concurrents restants… Blue, Euphorbe, Néphie, Barbara, Saubohne, Margie et Chrys… Que du lourd, voire même du très lourd… Je me laissai tomber sur le lit, complètement fourbue, tentai de faire le vide dans mon esprit et ne tardai pas à sombrer dans un profond sommeil sans rêve.
Le lendemain, je retrouvai tous mes amis et désormais concurrents au réfectoire de l’hôtel. Aujourd’hui, pas de matchs en prévision où les huit derniers prétendants au titre pouvaient s’accorder une journée de pause, mais avec le très attendu tirage au sort, prévu en fin de journée. Tous assis à notre table habituelle, Barbara était en train de préparer des œufs brouillés et des sandwichs au bacon pour tout le monde, alors qu’Oléa se chargea de faire bouillir l’eau pour les cafés.
Kiawe, quant à lui, tenta de faire contre mauvaise fortune, bon cœur, en se persuadant qu’il avait vendu chèrement sa peau la veille contre un des meilleurs Dresseurs au monde. Mais il était évident qu’il était plus que déçu, surtout de nous voir tous continuer notre tournoi et en quarts de finale, sans lui.
Les discussions tournèrent, comme attendu, autour de ce fameux tirage au sort. Tous tentaient de pronostiquer les résultats, tout en songeant à la question suivante : qui serait le meilleur tirage ? Et la réponse était aussi simple : personne. En quarts de finale d’une Ligue, il n’y a tout simplement pas de tirage facile.
Désormais, il fut également difficile pour nous de passer inaperçus. Les nombreux touristes ou autres Dresseurs, venus exprès pour assister aux phases finales de la Ligue, ne nous lâchaient pas du regard, après l’impression que nous avions laissé contre le Conseil 4, et lors de nos huitièmes de finale. Tous se disaient la même chose : le premier Maître d’Alola se trouvait, peut-être, parmi nous.
- « En tout cas, je suis content, fit Chrys. Avec la qualité de nos combats, le monde entier peut voir qu’à Alola, il y a du très haut niveau en Dresseurs Pokémon.
- Vous imaginez si Blue gagne la Ligue ? Sans vouloir faire de chauvinisme stupide, ce serait un peu humiliant pour la région, fit remarquer Néphie.
- Ouais, ça voudrait alors dire qu’il aura réussi à tous nous déglinguer. Mais, pas de panique, je serai là pour le renvoyer à Kanto par le premier avion, avec une défaite dans la valise ! ricana Margie.
- Margie, elle est tellement concentrée sur Blue qu’elle risque de manger la porte en quarts si elle tombe sur quelqu’un d’autre… » soupira Barbara.
La journée se passa sans encombre. En l’absence de matchs, on aurait pu presque croire à un camp de vacances géant avec tous ces touristes présents, s’il n’y avait pas cette atmosphère si particulière aux Ligues et aux compétitions qui planait dans les airs. Mais, au fur et à mesure que la pendule tournait, l’appréhension refit son apparition parmi les Dresseurs restants et, en début d’après-midi, nous étions déjà tous impatients d’être au moment du tirage au sort.
Cela nous obnubilait et nous empêcha même de nous adonner à d’autres activités. Pour passer le temps, j’avais décidé de regarder un film à la salle audiovisuelle mais ne parvins pas à me concentrer une seule seconde dessus, au point de ne rien retenir à ma sortie et de ne rien comprendre à l’intrigue du film. Margie essaya de nous faire rire en détendant l’atmosphère alors qu’Oléa nous montra des dessins burlesques, ce qui nous arracha parfois un sourire crispé, mais impossible de sortir cette heure fatidique de nos esprits.
Puis, enfin, le moment que nous attendions tous fut enfin arrivé, après une longue attente qui avait duré la journée entière et qui ressemblait presque à un supplice. Le haut-parleur se mit alors à résonner, demandant à tous le silence pour annoncer ce que tout le monde, que ce soit les gens d’ici où les téléspectateurs devant leur poste, attendait avec impatience.
- « Mesdames et messieurs, je vais vous demander à tous de garder le silence pendant l’annonce des matchs des quarts de finale, qui auront lieu demain et après-demain au stade principal… Je vous rappelle, par ailleurs, que le format sera du six contre six, et cela jusqu’à la finale. »
Nous retînmes tous notre souffle, alors que nous cœurs à tous battaient la chamade. Je jetai un regard rapide vers mes amis pour constater qu’ils étaient dans le même état de nervosité que moi, avant d’ouvrir en grand mes oreilles.
- « Premier tirage… Néphie contre Euphorbe ! »
La Capitaine de l’eau resta de marbre, le visage dépourvu d’expression particulière, alors qu’elle acquiesça lentement devant la tâche qui lui avait été confiée. Pour elle, la route vers les demi-finales passerait par le Professeur Euphorbe en personne.
- « Deuxième tirage… Blue contre Luna ! »
Je manquai de m’étouffer alors que mes yeux s’écarquillèrent. Autour de moi, un « oooooh ! » général retentit, comme si tout le monde avait été estomaqué par cette affiche, qui valait assurément son pesant d’or, entre deux très gros favoris à la victoire finale, dont l’un restera sur le carreau dès les quarts.
- « Waouh… Blue… » murmurai-je, presque incrédule.
Je me frottai le visage, tentant de digérer l’information que je venais d’apprendre. Si je voulais poursuivre mon tournoi et continuer à rêver de devenir Maître d’Alola, j’allais devoir réaliser un authentique exploit : éliminer Blue dans un combat total, à six contre six !
- « Troisième tirage… Barbara contre Chrys ! Et donc, par élimination, quatrième et dernier tirage, Margie contre Saubohne ! »
Barbara et Chrys s’entreregardèrent aussitôt, sans pouvoir cacher leur surprise. Le voilà donc, le premier combat qui opposera deux d’entre nous… Mais ce fut cela, les règles du tournoi, et nous en étions conscients.
- « Que le meilleur gagne… murmura Chrys.
- Oui. Ne me fais pas de cadeau, parce que je ne t’en ferai aucun, » acquiesça Barbara.
Margie, de son côté, demeurait stoïque tout en se tapotant le menton, l’air visiblement affairée, après l’annonce de son quart de finale.
- « Je ne sais pas si je dois me réjouir ou m’inquiéter de tomber sur Saubohne, » avoua-t-elle.
Mais nous n’eûmes pas le loisir de nous pencher plus longtemps sur la question puisque le haut-parleur reprit la parole pour ajouter quelques détails capitaux supplémentaires.
- « Les combats de demain opposeront Blue à Luna, et Margie à Saubohne. Les deux autres rencontres auront lieu le surlendemain. Bonne soirée et bonne chance à tous ! »