Je risque de spoiler tout et n'importe quoi sur LIS 2, éventuellement sur LIS et peut être sur d'autres trucs que vous aurez aimé découvrir par vous même. Soyez prévenus, et soyez vigilants si vous lisez en diagonal.
Soyons clair d'entrée de jeu, LIS 2 est bien mieux maitrisé sur la narration et l'aspect "choices matter" que son aîné, mais du côté des mécaniques de jeu c'est un grand bon en arrière.
Le gameplay :
C'est simple, on est sur du Telltales premières générations, càd un scénario linéaire avec peu de choix déterminants et une grande part d'exploration que personnellement j'ai toujours trouvé chiante dans les jeux narratifs.
C'est juste un héritage du point & click, ancêtre du genre, qui à mon sens n'a pas vraiment d'utilité dans ce type de jeux. La différence très concrète entre les deux touche aux questions de l'open-world et de la découverte qui ne sont pas présents, ou très rarement dans un jeu narratif (rare contrexemple : LA Noire), ce qui enlève tout le fun de l'exploration où il faut juste cocher toutes les cases sur son chemin.
Dans LIS premier du nom, il y avait aussi de l'exploration, et ce n'était pas toujours justifié, mais ça pouvait l'être par leur idée centrale de scénario et de gameplay, le rewind. On pouvait se retrouver en face de quelques casse-têtes, ce qui légitimait son usage.
C'était aussi le gros apport de LIS qui lui donnait son originalité parmi les autres jeux narratifs. LIS 2 est beaucoup plus classique de ce côté là.
En même temps, s'ils ne voulait pas parler de voyage dans le temps, il y avait très peu de chance de créer un gameplay original basé sur le pouvoir qu'ils voulaient mettre en avant.
Ils auraient pu d'avantage mettre l'accent sur la coopération entre les frères cela dit, même si ça a déjà été fait, je ne crois pas que ça aie été le cas dans un jeu narratif, et ça aurait pu justifier les mécaniques d'exploration.
Ce qui est intéressant, mais relativement binaire, c'est la mécanique d'éducation de Daniel, vous pouvez le diriger vers un archétype de D&D "loyal" ou "chaotique". Ça ajoute de la couleur aux conséquences des choix, basée sur la moralité du petiot.
Cela dit, j'y vois encore là une faiblesse, les joueurs ont tendance à suivre l'archétype qui leur est proposé, et très souvent le good guy.
C'est une question basique de cohérence, mais à moins de jouer un lunatique on ne va pas prendre des décisions diamétralement opposées sur une question équivalente, car c'est ça LIS 2 : on ne te demande pas ton avis sur tout une série de sujets qui n'ont pas grand chose à voir ensemble plus ou moins importants selon ta hiérarchisation axiologique personnelle (ex : racisme, capitalisme, égocentrisme, la place du 4ème pouvoir etc...), on va te poser la même question à divers degrés d'amplitude (qui vole un œuf vole un bœuf).
D'ailleurs les stats me donnent raison et quand on a 2 choix en général ça se finit sur un 75/25 pour l’archétype "loyal" dans une majorité de cas et quand on est à 4 choix on se retrouve principalement avec des choix majoritaires au dessus de 40. Il y en a aussi un paquet à plus de 90, qui ne sont donc pas vraiment des choix pertinents. Je me trompe peut être, mais il me semble que dans LIS et dans les jeux de Telletale en général, ces choix unanimes sont très rares.
Concernant les pouvoirs de Daniel, ça aurait été intéressant d'avoir le choix de les utiliser ou non dans les phases d'exploration "libres", là en général on est obligé d'en passer par là pour avancer. D'autant que lorsqu'on peut freiner son frère dans leur utilisation pendant les phases de dialogue, ça n'a techniquement aucune conséquence sur la suite de l'aventure, ça ne fait que l'orienter vers l’archétype "loyal". Là aussi donc, je dirais essais manqué.
Pour ce qui est du choix final, il est binaire comme dans LIS mais avec toujours cette coloration qui offre 2 variantes par choix. C'est un peu plus diversifié que chez son aîné donc, et ça tient compte de ta manière de jouer, ce qui est appréciable, au moins dans la tentative, je reviendrai plus tard sur le fond.
L'intrigue :
Là où LIS était directement inspiré de l'Effet Papillon (le film), en axant presque tout son scénario sur le fatalisme et la dangerosité de jouer avec la théorie du chaos, thèmes très présents dans cette fiction, LIS 2 a pour moi des gros airs de Midnight Special pour le côté road trip solitaire et traqué avec un gamin surpuissant. Ce qui est marrant au passage, c'est que LIS m'évoquait déjà un peu Take Shelter. Les dév seraient ils fans de Jeff Nichols ou j'extrapole ?
En terme d'originalité donc, on est sur du kif-kif je dirais, peut être avec quelques points en moins pour LIS 2 qui reprend le gimmick du personnage principal adolescent artiste un peu torturé, qui n'a pas vraiment de parents : ils ne sont pas présents dans LIS, et dans LIS 2 le père part vite et la mère arrive tard.
Cela dit ils dépeignent tout de même un protagoniste un poil différent dans le sens où il n'est pas fils unique et qu'il souffre de son statut de minorité ethnique ce qui leur permettent de camper un portrait très stéréotypé de la société américaine. Les quelques personnages racistes que l'on rencontre étant tous extrêmes dans leur approche de la question. Cela étant dit, je ne connais pas les USA personnellement donc c'est peut être comme ça mais je refuse de croire, au nom de ma foi en l'humanité, qu'un tiers des américains organisent des chasses à l'homme contre les gens légèrement plus foncés de peau. Sans déconner il faut le faire pour voir que quelqu'un a des origines hispaniques. A l'extrême limite sur le plan de l'apparence culturelle (coupe de cheveux/barbe, style vestimentaire etc...) on peut distinguer un immigré de première génération et éventuellement de seconde mais ça s’arrête là.
Heureusement les autres personnages ont un rapport beaucoup plus sain à mon sens à la question de l'origine culturelle et s'en foutent royalement, à part peut être Brody qui est sympathisant antiraciste.
De manière générale il y a des personnages très bien écrits, la mère par exemple ou Finn qui son assez troubles, mais d'autres bien plus monolithiques, et pas que parmi les les bad guys qui sont presque tous manichéens, mais aussi les grands-parents par exemple ou encore Brody qui sont justes des putains de bons samaritains, cathos pour les premiers, athée (je crois) pour le second, et ce genre d'exemple il y en a plein. En fait je dirais qu'il doit y avoir une bonne moitié au moins qui est archétypale.
Pour rentrer plus en détail dans le contenu, il y a parfois des incohérences à la fois dans le scénario et à la fois dans le développement des personnages, tout ça simplement pour facilité l'écriture ce qui était je trouve moins présent dans LIS. Cela dit, dans ce dernier, comme on traite de voyage dans le temps et d'univers parallèles, c'est beaucoup plus simple de justifier le n'importe quoi.
Pour prendre ici aussi des exemples, question scénar : à la toute fin, lorsque nos héros doivent franchir la frontière, pourquoi Daniel ne fait il pas tout simplement passé la bagnole au dessus du mur ? Il en est techniquement capable on l'a vu faire bien plus impressionnant plus tôt dans l'intrigue. Au début du jeu, lorsque le père se fait tuer, ok c'est un latino et le racisme joue souvent dans ce genre de situation, mais comment les flics peuvent ils croire honnêtement qu'un gamin qui pèse moins de 60 kilos peut envoyer balader une voiture de police ? Ou encore, dernier exemple sur le scénar, les épilogues, qui sont tous incohérents pour une raison plus ou moins similaire, personne ne s'intéresse de près aux capacités de Daniel. En vrai, il deviendrait le cobaye numéro 1 de tous les labo du monde.
Comme je disais, on a aussi de grosses incohérences sur le développement des personnages, même s'il y a quelques ellipses. Celui de Daniel je le mets un peu à part en considérant son jeune age et sa condition, mais prenons par exemple le rapport entre Sean et sa mère, si on décide de se rapprocher d'elle il fait un virage à 540° sans sourciller en quelques semaines. On a aussi du père de Chris qui, si on le confronte, nous gamin de 18 ans, accepte immédiatement de reconnaitre qu'il exerce mal son rôle de père. Je peux tout de suite vous dire que des alcooliques j'en ai connu et aucun n'a jamais réagi comme ça. Prenons enfin celui de la chef de secte qui est sensée être une grande manipulatrice mais qui perd tout son self-control après 2, 3 répliques de ce même gamin, scène dans laquelle d'ailleurs il y a une double incohérence c'est que si on y va avec sa mère et qu'on se fait tabasser devant elle, elle ne nous aide pas vraiment mais nous encourage à continuer de s'en prendre plein la gueule. Qui fait ça sérieusement ?
A part ces maladresses d'écriture cela dit, comme je le disais en préambule, je trouve que la narration est mieux maitrisée que dans LIS. Elle s'éparpille beaucoup moins, va à l'essentiel tout en étant riche dans ce qu'elle cherche à nous faire passer comme message, le genre du road trip étant très efficace pour ça. Il y a plus de personnages mais ils ont tous leur place (même si je trouve qu'ils ont vite dégagé Lyla du récit ce qui n'est pas très sympa n'est-il pas ?). Dans LIS c'étaient principalement des personnages fonctions, là encore une fois, comme on est sur un road trip, ils sont tous ou presque des rencontres le long de la route, ce qui permet d'éviter de les cantonner à cette place.
Il y a aussi le cas de la fin, qui comme je le disais est plus liée à tes choix tout au long du jeu, et on sort un peu du fatalisme de LIS parce que même si on connait la destination des héros, ils ne sont pas sûr du tout d'y arriver.
Cela étant dit, si dans LIS, et on en avait beaucoup parlé sur le forum de jvc, je trouvais la fin juste mais décevante, ici je la trouve décevante mais sans qu'elle soit vraiment juste.
Je la trouvait décevante parce que nos choix n'avait pas d'impact, mais juste précisément en ce qu'elle se base sur la fatalité, je vous envoie vers ladite discussion si ça vous intéresse : https://m.jeuxvideo.com/forums/42-33583-49980450-1-0-1-0-spoil-massif-le-jeu-est-genial-mais.htm.
Dans LIS 2, ma déception vient d'autre part, je trouve que la meilleure fin, même s'il n'y a pas vraiment de good ending, arrive si on décide de jouer au connard du début à la fin, la fin dite "Bloody Brothers". C'est la seule qui te permette de rester avec ton frère, dans toutes les autres vous êtes séparés. C'est aussi la seule qui vous permet d'atteindre votre objectif initial.
A contrario la fin la plus tragique c'est celle ou tu décide d'éduquer ton frère du mieux possible et que tu lui épargnes le massacre à la frontière, le good path donc, tu finis en tôle, tu ressors 15 ans plus tard brisé et tu repars seul sur les routes.
Je trouve ça extrêmement frustrant, et il y a certes une logique, toujours un peu de fatalité (question du premier mauvais choix qui te poursuivra toute ta vie et question du racisme duquel tu ne peux pas t'extraire peu importe à quel point tu es intégré), mais ça va surtout à l'encontre de toutes les logiques de récit un peu moralisatrices qui disent que le crime ne paie pas et qu'il faut rester bon. C'est la logique quasi exclusive qu'on retrouve dans les histoires interactives sous toutes formes (jeux narratifs, VN, LDVELH etc...).
Vous pouvez ajouter à ça que l'intrigue nous fait miroiter une sortie du début à la fin et ne pose la question de la reddition qu'au dernier tiers du chapitre 5.
Tout ça fait que je trouve ces fins gratuites et presque injustes en fait. Je crois qu'ils ont voulu pousser à fond leur message sur le racisme dans la police et la justice et que ça les amené ici, et je ne crois pas que ça aie vraiment ça place dans une fin, mais après tout le monde est juge, ça n'est que mon avis.
En fait très concrètement voilà la morale du jeu : le monde est injuste et violent, si vous voulez vous en sortir soyez aussi injuste et violent que lui (petits airs de Clockwork Orange non ?).
Cela étant dit, le jeu m'a tout de même pas mal touché. D'aucuns ont pu dire qu'il était plus facile de s'identifier à Max mais je ne suis pas d'accord, c'est très subjectif je pense. En dehors de toute considération de genre ou d'origine culturelle, mon histoire personnelle et familiale est beaucoup plus proche de celle de Sean que de Max.
La relation entre les frères est très belle. Même si c'était un peu cliché j'ai aussi été ému par la tentative de rapprochement avec la mère. Il y a encore les personnages qui aident les héros qui même s'ils sont trop manichéens, sont très touchants en ce qu'ils leur offre leur main de manière inconditionnelle.
Je trouve ça aussi sympa qu'on étoffe de lore de LIS, ça me fait un un peu penser à l'apparition des mutants dans X-Men qui arrivent un peu comme un cheveux sur la soupe, enfin il me semble à vrai dire je n'ai pour référence que les films et ça fait bien longtemps qu'ils ont cessé de m'intéresser et que je n'en ai pas vu un. Par contre je prédis un télépathe si il y a un LIS 3.
Bref, tout ça, ça marche bien sûr moi, donc je serais hypocrite de dire que je n'ai pas apprécié le jeu, mais je ne peux pas non plus rester aveugle et l'intrigue est bourrée de défaut.
L'esthétique :
Pour revenir sur quelque chose d'un peu trivial je vais parler rapidement de la DA et des moyens techniques du jeu.
Pour la faire courte, et parce que ça m'intéresse moins d'en parler même si ça pèse sur mon jugement, le jeu est très beau, la DA est fantastique et magnifie l'aspect road trip en nous en mettant plein les yeux sur ses paysages. Niveau technique c'est bien plus impressionnant que LIS premier du nom avec des environnements parfois photoréalistes (excellente utilisation du DOF et gestion des lumières dynamiques), les modèles 3D et l'animation des personnages a fait un bond fabuleux qui les rend crédible la plupart du temps. Le seul problème, qui peut ne pas en être un selon votre conception du truc, c'est que sur tout ça on applique des textures franchement pas terribles voire plates, on dirait presque des sims parfois, ce qui donne son cachet au jeu mais que franchement je n'aime pas vraiment. Le pire je pense se sont les cheveux, certaines coupes sont pas mal mais d'autres font vraiment beaucoup trop plastique.
La musique est toujours sympa, la bande son de LIS était cool, celle là est dans la même lignée, et sans que ça soit non plus les meilleurs bo que j'ai entendu (pour moi c'est Tales from the Borderlands qui gagne la palme d'or), je trouve que c'est toujours un point point d'avoir des chansons et pas juste de l'ambiant dans un jeu qu'on ne repère que lorsqu'elle est excellente (comme dans les productions d'Amplitude Studios). On peut aussi souligner le flou entre musiques diégétiques et extradiégétiques qui est très intéressant et qu'il y avait déjà dans LIS aussi.
C'est peut être un peu long pour ceux qui n'ont pas l'habitude de mes posts, alors pour résumer, les mécaniques de gameplay sont ultra basiques pour un jeu du genre surtout comparé à LIS. L'intrigue manque un peu d'originalité et il y a pas mal d'incohérence, mais globalement la narration est plus intense que son aîné. La fin m'a autant déçu que celle de LIS mais pour des raisons différentes.
J'ai bien aimé LIS 2 mais moins que le premier je pense, et que, finalement, presque l'intégralité des productions de Telltale, même si le tragique marche bien sûr moi et m'a tiré quelques larmes.