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2023 (S6), Chapitre 50 (n°258) : Plus bas que terre
Je suis un loser. Tout le monde sait ça. Ma carrière repose sur des défaites, ces défaites d'hier qui font ce que je suis aujourd'hui. Mais celle-ci fait plus mal que les autres. Les mots peuvent difficilement décrire ce que je ressens. A l’échelle de mon sport, je ne suis qu’un gamin. Je n’ai que vingt-cinq ans et tout laisse penser que j’aurai d'autres chances de remporter un titre de champion du monde mais je ne peux pas m’empêcher de penser que c’était peut-être la seule. Des mecs qui n’ont eu qu’une chance, je peux vous en citer un paquet mais l’exemple le plus parlant reste Felipe Massa et, aujourd’hui, j’ai vraiment le sale sentiment d’avoir dressé un parallèle avec lui.
J’ai fait de mon mieux pour combler ce trou de neuf points mais ça n’a pas suffi. J’ai piloté sans faille aujourd’hui et j’ai réalisé un week-end quasi parfait qui m’a permis d’y croire mais ça n’a pas suffi. Ces vingt-cinq points et ce trophée de vainqueur ont un goût amer, c’est certain. Parce que je me suis battu jusqu'à la dernière seconde et que, pendant un moment, ça suffisait.
Comme si cette saison et son résultat n’étaient pas assez fous, il faut que les trois hommes providentiels de cette année 2023 se retrouvent sur un même podium lors de la dernière manche. Une partie de moi voudrait juste rentrer à l’hôtel et faire ses valises rapidement pour quitter le circuit mais je ne peux pas. J’ai perdu et je dois l’assumer. Je le sais, dans les prochaines semaines, les prochains mois et peut-être même jusqu’à la fin de mes jours, on me reparlera de mes trous d’air qui auraient changé l’issue de ce championnat alors jouer les mauvais perdants n’est pas vraiment une alternative. Après tout, si j’avais eu envie d’être heureux aujourd’hui, je n’avais qu’à être meilleur à Austin, d’abord. Comme Fuji et Shanghai définissent respectivement Alonso et Hamilton en 2007, Austin définira Kofler en 2023. Je ne pourrais pas m’en détacher ; même s’il y a des points qui auraient pu me revenir dans d’autres occasions - Montmelo, Monaco ou Suzuka - c’est d’Austin qu’on me parlera.
Devant la situation exceptionnelle et la déception de deux des trois protagonistes du podium, la FIA a aménagé la cérémonie et ne procèdera qu’aux hymnes et à la remise des trophées. Pas d’interview et c’est très bien ainsi.
En arrivant dans le parc fermé, je gare mon Audi au centre, cette numéro 8 qui aurait pu devenir une voiture championne du monde mais qui ne l’est pas devenue. Je prend un moment pour poser les choses à plat dans mon baquet et je finis par sortir, sans effusion de joie. Les bras joints et implorant la pitié des cieux, je n’ai pas vraiment la tête à célébrer mon huitième succès en F1.
Je me dirige rapidement vers les gars qui n’ont pas un mais deux pilotes à consoler. Ils nous donnent des tapes amicales, nous étreignent et nous parlent mais ça ne change malheureusement pas grand-chose. Je finis par aller donner une accolade à Seb, qui fait pour une fois preuve de classe en me retournant le compliment que je lui adresse à propos de sa saison. A force de se préoccuper de la lutte interne, on a laissé filer George et on n’a plus semblé capables de le récupérer depuis la trêve. Finalement, je finis par aller voir GR, tout fraîchement redescendu après avoir été littéralement soulevé du sol par les hommes de McLaren, qui retrouvent la gloire quinze ans après Hamilton.
Niki : Bravo, mec. Tu le mérites.
George : Je crois qu’on le méritait tous les trois. Tu t’es vaillamment battu, il n’y a pas de quoi avoir honte.
Niki : J’imagine…
George : J’en ai sué pour arriver jusque là avec un concurrent pareil, surtout qu’il y avait aussi Seb. J’imagine que je dois te remercier de m’avoir poussé jusqu’au bout de moi-même.
Niki : Profite du moment.
George : Je vais en profiter, oui. Je te souhaite simplement de pouvoir connaître ça plus tard. Tu seras là l’an prochain, il faudra à nouveau compter sur toi pour aller chercher tous les points disponibles et il faudra de grosses performances pour t’empêcher d’y arriver. Je sais que tu vas rebondir plus fort l’an prochain et ça finira par te sourire. Ne t’en fais pas.
Niki : Merci George.
George est un sacré personnage et probablement l’un des plus fairplays qui soient. Depuis qu’on s’est croisés pour la première fois en 2013, je n’ai pas souvenir d’un seul instant où George a manqué de fairplay. En karting, même s’il courait en seniors et moi en juniors - question d’argent - je me souviens qu’on me parlait de lui comme d’un exemple. Les Verstappen, Leclerc, Norris, Ticktum, Sette Câmara ou Schumacher étaient impulsifs, comme n’importe qui d’autre, mais George épatait déjà de par sa maturité. Plus qu'un pilote, c'est un personnage qui a remporté le titre aujourd'hui et je m'estime chanceux de faire partie de ceux que le champion craint. “Dis-moi qui t’a battu et je te dirai qui tu es”, j’imagine que c’est ce qui résume mon état d’esprit. J’ai perdu contre George et, même si j’en ai la gorge serrée, je préfère perdre face à quelqu’un comme lui que face à un type sans pitié. Après ces quelques mots et cette cérémonie du podium très particulière - la pire de mon existence - qui a requis de moi une amabilité sans défaut, je redescend vers les stands et, aussitôt arrivé au garage Audi, je m’isole. Je fais brièvement signe à mes proches que j’ai besoin d’être seul et je prend la direction de la pièce qui m’est réservée pour le week-end, où Stefan et moi avons effectué les échauffements avant chaque séance et où sont rangés mes effets personnels.
Une fois seul dans cette pièce, je m’effondre. J’ai fait front devant les caméras, question de bienséance, mais une fois seul, je relâche tout. Toutes ces émotions, ce sentiment d’avoir laissé passer une chance en or, ce sentiment d’avoir raté l’inratable, c’est tout ça qui me hante depuis le drapeau à damiers. Je ne suis pas quelqu’un qui a des regrets, je n’aime pas employer le conditionnel présent et encore moins le conditionnel passé, pourtant cette fois je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aurai pu gagner ce titre. J’ai la sensation que mon CV était suffisant pour gagner ce titre. En dix-huit courses, je suis parti sept fois en pole, j’ai signé six succès et je suis monté douze fois sur le podium : ce ne sont pas des statistiques de vice-champion du monde. Sauf quand on s’appelle Niki Kofler.
Il y a des courses où j’étais destiné à m’extraire de la masse comme au Canada ou en Belgique, deux courses héroïques, parts de la légende de notre sport mais qui n’ont pas suffi. J’ai bien sûr mes torts et cette bataille perdue à Austin me hantera pendant longtemps, mais j’estime aussi que la chance ne m’a pas aidé par moments. L’Espagne notamment me reste en travers de la gorge pour des raisons que j’exposerai certainement une fois que je serai à la retraite. Je n’aime pas imaginer des scénarios alternatifs avec des résultats différents de la réalité mais je vous assure que, quand vous êtes dedans, c’est dur de penser à autre chose qu’à ces opportunités : tous mes abandons ont été coûteux et ils étaient évitables, pour ainsi dire, ce qui fait d’autant plus mal quand on sait que George n’a abandonné qu’une fois dans la saison et qu’il triomphe pour deux petites unités. Et puis deux unités, justement...Plus petite marge depuis l’instauration du barème actuel. Première lutte à trois depuis Abu Dhabi 2010. Malgré la rapidité apparente de notre Audi, rien n’était jamais scellé dans le marbre et le fait que nous ayons été trois jusqu’au bout illustre bien cela.
En revenant du podium, j’ai passé une bonne demie-heure à pleurer seul dans cette pièce d’une dizaine de mètres carré, avant que mon père ne vienne me voir.
Johann : Ca ne vaut pas le coup de t’infliger ça, mon grand.
Niki : Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
Johann : Tu ne mérites pas ça. Tu as tout fait comme il fallait, c’est juste que ça ne devait pas être pour cette année.
Niki : J’ai tout sacrifié pour cette putain de saison...Tout. J’ai fait un grand ménage dans ma vie, j’ai oublié des gens en cours de route, tout ça pour ça...Je me dégoûte. Je n’ai pas été foutu d’être meilleur quand il le fallait. J’ai envie de tout arrêter, je sacrifie tout et n’importe quoi pour ma carrière et je finis toujours second...
Johann : Ne dis pas ça. Ne dis pas aujourd'hui ce que tu regretteras demain. C’est l’émotion qui parle, ça ne sert à rien de te rabâcher des trucs pareils. Tu m’aurais cru si je t’avais dit, il y a cinq ou dix ans, que tu lutterais pour le titre en 2023 ?
Niki : Non.
Johann : Alors considère que cette opportunité que tu as eu est une chance. A force de travail, la porte s’ouvrira un jour et tu l’auras.
Niki : Échouer n’était pas permis. J’avais les cartes en main.
Johann : Souviens-toi, Niki..."Gagner est une chose mais, dans la défaite, j'apprenais toujours plus.".
Niki : Ce n’est pas le moment de me ressortir les discours de Lauda, Papa.
Johann : Tu sais aussi bien que moi qu’il dit vrai. Qu’est-ce que tu serais devenu si tu avais gagné aujourd’hui ? Tu en as vu d’autres, des défaites. Dans ta carrière, tu as toujours fini second, pourtant tu ne t’es jamais dit que l’échec était interdit. Tous les échecs t’ont amené ici. Tu ne serais pas ici si tu avais gagné en karting, en GP3 ou en F2. Tu es arrivé à ce niveau à cause de Norris, à cause de Ticktum, à cause de tous ceux qui t’ont battu par le passé et qui t’ont rendu plus fort. Et je met ma main à couper que Russell est en train de faire de toi un meilleur pilote. Tu n’aurais pas eu envie de le remettre à sa place si tu l’avais battu alors que, maintenant, je crois que tu ne rêves que d’une chose, c’est de pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce.
Niki : Je n’ai plus la force. Je suis allé puiser au bout de moi-même, j’ai tout optimisé mais ça n’a pas suffi…
Johann : Il va te falloir du temps pour accepter ça, je le sais. Mais n’oublie pas que cette expérience te servira dès que tu seras de nouveau dans cette position de gagner un titre.
Niki : Et si c’était la seule ?
Johann : Niki...Sors d’ici, l'air est en train de t'étouffer. Il fait cinquante degrés dans ce merdier, je t'assure que tu devrais sortir. Sors, va rejoindre ta mère, Karl, tes enfants. Ils vont t’aider à comprendre que tout n’est pas perdu. Tu as encore plein de belles choses devant toi, ne regarde pas dans le rétro en te remémorant ce que tu as raté mais pense plutôt à ce que tu vas réussir à l’avenir.
Alors que nous sortons des bureaux alloués à Audi par les organisateurs du GP, nous tombons sur Steven.
Steven : Je n'aurai jamais pensé avoir autant de compassion pour un loser...Je suis dégoûté pour toi, Niki. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis dégoûté.
Niki : Loser un jour, loser toujours...
Steven : Sale journée. Tu pars et en plus tu pars sans couronne. Je me sens horriblement mal que tu ne l’aies pas eue. J'ai la sensation d'avoir merdé alors qu'on a tous fait de notre mieux, toi y compris.
Niki : J’imagine que tu sais comment ça se passe, on a déjà été dans cette situation avant.
Steven : Ouais mais la première fois j’étais heureux que tu partes car je savais que tu allais poursuivre ton ascension. Cette fois, je me dis qu’on est presque tout en haut et qu’on aurait pu faire ça dans la même équipe. Mais c’est comme ça. J’espère juste que Richard ne te criera pas trop dessus l’an prochain et qu'il te sera utile pour ton sacre l'an prochain.
Niki : Merci, Steven.
Alors que je reviens au rez-de-chaussée où sont situés les garages de l’équipe et le paddock, j’échange avec ceux qui sont venus pour moi ce week-end et qui tentent bien que mal de me changer les idées. C’est une tâche difficile, presque impossible, à laquelle Karl s’attelle sans grand succès. Alors que je discute juste à l’extérieur du garage Audi et que je sais qu’une caméra est focalisée sur mes faits et gestes depuis plusieurs minutes, j’aperçois Seb au loin et décide d’aller le voir.
Sebastian : On m’a dit que tu n’avais pas l’air en grande forme depuis la fin de la course…
Niki : C’est plutôt exact.
Sebastian : Je ne me fais pas de souci pour toi. Tu as montré quelque belles choses, surtout à la toute fin quand il ne restait plus beaucoup d’espoir. Ca ne me surprendrait pas que tu finisses par y arriver. Je n’aime pas la personne que tu es mais je suis obligé de m’incliner devant le pilote ; tu as prouvé que m’avoir dans ton équipe n’était pas synonyme de se faire marcher sur les pieds, tu as réussi à m’emmerder et même à finir devant moi. Je reconnais ma défaite mais je me dis qu’elle paraît moins absurde quand on sait ce que tu es devenu. Je garde le souvenir du gamin insolent qui cherchait à attirer l’attention mais, maintenant, je crois que tu n’es plus tout à fait ce genre de mec, même si tu n’es pas encore champion du monde...Maintenant, tu vas être redouté et c’est là que tu vas devoir prouver que cette année n’était pas un accident. Les gens t’attendront au tournant dès mars.
Niki : Et toi, tu m’y attendras ?
Sebastian : Certainement...
Dans la semaine qui suit, alors que je voyage à travers l’Europe - Londres, Paris, Vienne - pour donner des interviews à différents médias, une nouvelle choc s’abat sur le paddock : Sebastian Vettel a décidé de prendre sa retraite avec effet immédiat. En voilà, un gros scoop…