SAISON 8 https://docs.google.com/document/d/1bPvF2aD5YsK_fK3k_Zg4C0gZm0by7p0CRLGPtagG5_4/edit?usp=sharing
2025 (S8), Chapitre 43 (n°354) : Celui qui part…
Dans le tour de formation, George Russell place sa McLaren à ma hauteur dans la montée vers Ferradura et lève son pouce pour féliciter. En réponse, je l’applaudis depuis mon cockpit, et nous décidons de passer le reste du tour de formation côte à côte. Alors que le protocole voudrait que nous nous arrêtions dans le parc fermé, George esquive l’entrée de la pitlane et se rend sur la ligne de départ où il effectue des donuts. Pour ma part, je me gare à l’emplacement numéro 2, ma place lors de cette course mais également ma place au championnat. Les plus mesquins diront que ça a toujours été ma place mais, aujourd’hui, j’avais le sentiment d’être le numéro 1. Je m’extrais de mon cockpit et, sans réelles effusions de joie, je m’en vais voir les mécaniciens, qui ont des mots et des gestes de réconfort pour moi. Après ça, je congratule rapidement Esteban, détenteur de son second succès en F1 auprès d’une course accomplie même si, aujourd’hui, il est celui qui me prive du titre. Toujours en attendant l’arrivée de la troisième voiture dans le parc fermé, je suis interpellé par des gars de chez McLaren qui souhaitent me féliciter pour ce combat livré face à leur poulain.
Finalement, la McLaren numéro 5 nous rejoint, George ayant terminé ses donuts de célébration. Aussitôt sa voiture immobilisée, je m’approche de lui pour être le premier à le féliciter. D’abord une tape sur le casque et une poignée de main alors qu’il est en train de retirer ses ceintures et son volant, ensuite une accolade alors qu’il s’extrait de sa voiture.
Niki : Bravo, champion.
George : Putain de putain de putain...Wow. Quel finish, quelle saison !
Niki : Yep. Tu le mérites, profites-en.
George : Ne dis pas ça, tu mérites au moins autant. T’es un guerrier Niki, je ne serai pas en train de me retenir de pleurer si je n’avais pas eu un adversaire comme ça en face. Tu sors par la très grande porte, même si ce n’est pas le résultat que tu voulais, et tu es définitivement un grand.
Niki : Merci.
George : J’espère que tu finiras par te rendre compte que ta place est ici, Niki. Tout le monde va y perdre l’an prochain sans des gars comme toi. La compétition sera moins fun, on sera moins motivés.
Niki : Je serai de retour, un jour ou un autre. Et j’ai bien l’intention de finir par te botter le cul.
George : J’espère bien.
Ayant laissé l’anglais célébrer avec ses collègues, je prend la direction de la cool-room avec Esteban, George nous rejoignant une bonne minute plus tard. Ensuite, le speaker nous appelle pour le podium, un podium à la saveur particulière. C’est mon seizième de la saison, mon trente-huitième en carrière et pour l’instant le dernier, mais je n’arrive pas à m’en satisfaire. Une fois les hymnes passés et les trophées remis, Rubens Barrichello fait son apparition sur le podium pour nous interviewer. Les questions sont globalement peu intéressantes et il faut attendre la conférence de presse post-course pour trouver réellement des questions de fond.
Journaliste : Niki...Course difficile aujourd’hui avec un verdict qui ne vous satisfait pas on imagine...Êtes-vous déçu ?
Niki : Un peu, oui, parce que j’aurai bien aimé remporté ce titre évidemment. Il m’a manqué un petit quelque chose, c’est comme ça. J’ai du mal à être déçu en voyant l’adversité, ce n’est pas comme si j’avais affronté des bras cassés et que j’avais jeté par la fenêtre une avance de cent points...Tous ces gars sont extrêmement rapides, surtout George évidemment. J’ai le sentiment que je méritais de gagner mais je ne trouve pas scandaleux qu’il soit titré à ma place.
Journaliste : C’est la première fois de l'Histoire que deux pilotes terminent ex-aequo au championnat et il faut que ça tombe sur vous, c’est quand même incroyable !
Niki : Ouais...Des fois il faut être bon mais des fois vous n’avez juste pas la chance. Perdre le titre sur un tiebreaker, ce n’est pas une question de talent ou question de quoi que ce soit, pour moi c’est limite un facteur chance. Ca rend les choses difficiles à avaler mais c’est la vie.
Journaliste : Avez-vous des regrets ?
Niki : Des regrets ? Aucun. J’ai fait la saison qu’il fallait. Je suis allé puiser dans mes réserves, j’ai surpassé mes propres attentes, j’ai gagné mon Grand Prix national, j’ai gagné Monaco et j’ai vécu des moments incroyables, il n’y a pas de regrets à avoir. Je suis là, je me tiens devant vous et je n’ai pas peur de garder la tête haute parce que je suis fier d’être arrivé jusque là. Je me suis fait une place dans l’Histoire, j’ai passé quatre mois sur le podium, j’ai emmené une voiture pas taillée pour le titre jusqu’à la seconde place finale, pourquoi est-ce que je devrais avoir des regrets ? Si je parle à la première personne je dirai que je suis satisfait de ma saison, mais si je parle à la troisième personne je n’ai aucune hésitation au moment de dire que j’ai fait l’une des meilleures saisons de ces dernières années en F1 tous pilotes confondus.
Journaliste : Mais est-ce que vous vous dites “Ah, si j’avais été meilleur ce jour-là, je serai champion…” ?
Niki : Non, pas du tout. J’ai terminé dix-huit courses cette saison, seize sur le podium. Dans une saison normale ça ne serait rien d’autre que le titre, cette année je suis tombé sur un George Russell très fort et c’est comme ça, mais je ne ressasse pas le passé en me disant que je serai champion si j’avais gagné en Australie devant George ou en Belgique devant Max. Si je me regarde dans le miroir, ça ne me traversera pas l’esprit de me dire “Tu aurais dû être meilleur si tu voulais gagner” car la vérité c’est que j’ai été au meilleur de moi-même toute l’année et que je n’aurai rien pu faire de plus. Aujourd’hui je ne me considère pas comme responsable de l’échec, même si ça peut paraître lâche pour certains j’ai l’intime conviction que d’autres personnes en sont responsables.
Journaliste : Qui ?
Niki : Je sais que c’est un sujet controversé et Esteban à côté de moi prétendra le contraire, mais le verdict en Russie...En fonction du sens de la décision, je pourrai être champion. Je ne dis pas que j’aurai voulu gagner le titre de cette façon, d’ailleurs en un sens ça m’enlève un poids de savoir que je ne suis pas champion à cause de cette décision, mais ça fait sept points en plus en fonction du sens de la décision. J’ai entendu et compris les explications de la FIA mais eux-même ont concédé que le code sportif n’était pas clair sur ce point, donc en théorie j’aurai moi aussi pu prétendre à cette victoire et le résultat à la fin serait différent.
Journaliste : Vous pensez que cette victoire aurait dû vous revenir ?
Niki : Franchement je ne sais pas. Mais le problème c’est que ça a créé une zone grise. L’idéal aurait été que je perde le titre tout en étant déclaré vainqueur en Russie ou que je le gagne tout en étant déclaré deuxième en Russie, mais là si on n’a pas envie de réfléchir on peut dire que George est champion grâce à cette décision et je n’ai pas envie de ça. Il a été très bon toute la saison, je disais que j’avais été au maximum toute l’année mais c’est parce que c’était le seul moyen de contrer George qui était lui aussi au maximum toute l’année. Il est un grand pilote et un grand compétiteur et c’est dommage d’être départagé par une décision obscure comme celle-ci.
Journaliste : Comment ne pas évoquer vos déboires en Asie aussi, avec ces deux casses moteur en Chine et au Japon…
Niki : Je n’ai pas de regrets là-dessus. Je suis frustré, c’est certain, mais la fiabilité est une composante essentielle en F1, beaucoup de pilotes l’ont expérimenté au cours de leur carrière. Si vous êtes incapable de vous donner les moyens de construire une voiture fiable, il ne faut pas vous attendre à exister dans ce sport.
Journaliste : Est-ce que votre sentiment est altéré par votre départ ?
Niki : Un peu. J’aurai aimé l’emporter avec moi en partant, ç’aurait été une belle manière de fermer la parenthèse pour le moment. Je me bat pour être champion de F1 depuis que j’ai commencé à faire du karting alors le fait d’encore le rater est décevant, mais ça ne m’empêchera pas de dormir.
Journaliste : Ce départ, justement : quelle est votre destination ?
Niki : L’Italie, je vais prendre une semaine de vacances pour me reposer (rires).
Journaliste : Et professionnellement ?
Niki : Je ne suis pas tout à fait certain de ce que je ferai. J’ai encore du temps pour décider, je veux me couper un peu de ce monde sportif pour souffler, je verrai après quelles seront les opportunités. Je n’ai rien arrêté pour le moment. Je me dis simplement que je suis en vacances pour une durée indéterminée, je vais profiter un peu de ma famille et de mes amis, recharger les batteries, faire le point après cette saison. Je ne veux pas parler de pilotage pour le moment.
Interviewé juste après moi, George me dédie une tirade sur mes qualités, sur ce que j’apporte à la F1, il parle de moi comme l’adversaire le plus redoutable de notre génération malgré les noms de Leclerc ou de Verstappen : voilà le genre de reconnaissance qui vous fait prendre compte de la portée de ce que vous avez réalisé.
Finalement, après tout ça, j’effectue mon retour dans le garage. Je prend le temps de m’arrêter pour discuter avec mes proches. Tous pensaient me trouver complètement abattu, comme quoi je suis encore capable de les surprendre même à vingt-sept ans ! Les visages abattus de Lena, Karl ou de mon père m’ont à peine affecté et je trouve presque ça étrange d’être incapable de ressentir de la déception alors que je viens de passer à côté d’un titre de champion du monde...Enfin, puisque mon contrat chez Red Bull se termine et que ma présence à l’usine n’est plus nécessaire à compter de maintenant conformément aux décisions de Yamamoto et sa clique, j’en profite pour dire au revoir à certains gars qui m’ont accompagné ; Rocky, Christian Horner, Andrew, Mike, Dimitriu, Josh, mais surtout Richard. Ce bon vieux Richie, venu dans mes bagages il y a deux ans, va retrouver des visages familiers avec le retour de Honda, pour qui il avait travaillé en 2006. Même si j’aurai apprécié que notre collaboration soit plus fructueuse, je crois que notre duo pilote-ingénieur s’est bien débrouillé, même dans les moments plus...chaotiques de ces deux années. On a gagné quelques courses, partagé quelques podiums, bu quelques verres, raconté quelques blagues assez british mais surtout on a établi une réelle amitié.
Alors que je quitte le paddock pauliste accompagné de ma garde rapprochée, j’établis un constat édifiant et qui m’attriste presque ; cette F1 m’a tellement repoussé au cours des derniers mois que n’ai pas de déception face au titre perdu malgré mon esprit compétiteur. George est un champion méritant bien sûr, mais je ne peux pas m’empêcher que j’aurai dû l’emporter, c’est certain. Seize podiums en dix-huit arrivées, c’est une statistique affolante : hormis les dix-sept d’Hamilton en 2016, personne n’a raté le titre en signant autant de podiums. Si on prend en compte la différence de performance entre nos voitures, les séries de résultats que j’ai obtenu et certains événements comme ceux de Sochi, Shanghai ou Suzuka, j’ai des raisons de penser que j’aurai dû l’emporter.
Pour autant, je ne vais pas aller crier sur tous les toits que la victoire de George Russell est un scandale, car tout ce qui m’importe ce soir c’est que je me suis libéré des chaînes de la Formule 1. Je ne vais pas faire la fête pour autant, mais la disparition de Mateschitz, la vente de l’écurie, le nouveau calendrier de la F1, la décision de la FIA à Sochi, la gestion de Honda, les problèmes de fiabilité : il y a trop de choses qui m’ont dégoûté ces six derniers mois pour que je sois vraiment triste de perdre et de quitter ce sport. C’est une sensation étrange, bien évidemment, mais ça me donne encore plus d’espoir pour mes prochains challenges.