Allez, zou, j'ai un peu de temps devant moi. Ce que je pense du "Maître de la littérature française" ? Je me rappelle avoir dû lire le dernier jour d'un condamné, en quatrième, et ça ne m'a fait ni chaud ni froid. La peine de mort n'existait plus dans mon pays, dans aucun des pays voisins, le livre me semblait daté, le personnage bien trop geignard. Meurs, soit, meurs innocent, même, mais meurs debout, meurs en homme, songeais-je. Cesse dont de geindre.
A dix-sept ans, je m'attaque aux Misérables, par défi. J'ai pleuré tout au long du premier livre, on est jeune, on est naïf, on est célibataire et on découvre la littérature : c'est arrivé aux meilleurs. Ce Monseigneur Muriel, "un homme selon mon cœur". Par la suite, à travers cette vaste épopée, je me suis tour-à-tour ennuyé, amusé, ricané,... Ce qui m'a le plus marqué ? Javert, bien sur. C'est un homme, c'est une machine, c'est un monstre, c'est un dieu (j'anticipe sur le fil chronologique de ma découverte du père Hugo pour, préciser, tant que j'y pense, que Javert est le seul personnage conforme à l'esthétique du colosse tel qu'il l'a revendiqué à de nombreuses reprises : le personnage "Eschyléen", monolithe broyé par le destin ennemi. Un personnage pleinement réussi, c'est peu dans une galerie aussi vaste). Aux cotés de Javert : Fantine, la creuse potiche, Cosette, gosse niaise, adolescente capricieuse, l'éclosion de sa féminité en fera une gourgandine, Marius, le fat, et, pire de tous, Valjean, qui aurait pu être un grand personnage si Hugo connaissait l'outil de base de tout écrivain : la litote. Laisser deviner les pensées augustes plutôt que de les énumérer, les psychanalyser dans leurs fades détails. Il y avait la bataille de Waterloo, qui m'avait saoulé parce qu'elle durait, qu'alors Napoléon, c'est à peine si je savais qui c'était. Aujourd'hui, je crois, que si je devais relire les misérables - sous la menace d'un couteau - , c'est ce passage que j'aimerais le plus du livre. Il y avait cent autres épisodes, parfois réussi, souvent ratés... Dans l'ensemble, à dix-sept ans n'ayant presque rien lu de valable, c'était le plus grand roman que j'aie jamais lu.
Et puis, la légende Hugo, quand on regarde de loin, ça impressionne : la masse de livres, d’alexandrins célèbres, la légende du poète, brisé par la vie et qui par la voie des mots combat l'Empereur et l'Usurpateur rassemblés - et qui finit par vaincre.
Alors, voilà quelque temps plus tard, je lis un de ses livres de jeunesse, Han d'Islande, cousu de fil blanc, parsemé des personnages les plus fades qu'on puisse imaginer mais somme toute assez jubilatoire quand on est encore en train de découvrir l'esthétique romantique.
Après ça, je me dis : si on voyait un peu l'homme ? Savais-je dans quoi je m'embarquais ? Non, assurément. Car qui veut connaitre l'Homme qui s'est prit pour l'Histoire doit comprendre son temps : embrasser le XIXe siècle. Je m'embarquais dans un long périple, d'innombrables livres historiques, romans, poèmes d'auteurs de cette époque m'occuprent l'esprit deux grandes années. Très vite, je me rendis compte que la phrase d'Hugo qui m'avait tant impressionné, n'était que du vent :""Il possédait comme tout le monde sa terminaison en '-iste', sans laquelle personne n'aurait pu vivre en ce temps-là, mais il n'était ni royaliste, ni bonapartiste, ni chartiste, ni orléaniste, ni anarchiste". Quelle vision incomplète, combien tout manque, combien ces divisions qui semblent labyrinthiques au profane ne sont que les divisions internes de la petite-bourgeoisie. Où sont les anglais, où sont les allemands, où sont les socialistes, où sont les prolétaires, où sont les aristocrates, où sont-ils, tous ? Où est la profondeur ? Et comment peut-on décemment vouer Napoléon III aux gémonies, lui qui a donné à la France ces chemins de fer, a été le seul à gérer à peu près humainement les colonies et - soyons honnêtes - a empêché la France de recommencer à sombrer dans la guerre civile, tout en s'ébahissant du génie de Napoléon le grand, que l'histoire nous révèle aujourd'hui comme étant l’ancêtre du fascisme ?
Mais attention, à ce moment, j'avais compris que Hugo était un politicien incapable, ses discours à la chambre avaient achevé de m'en convaincre mais je le tenais toujours pour un grand écrivain. Les Châtiments m'apparaissaient ridicules, certes, mais combien grandiose : "Il entendit la voix qui lui répondait : non!".
Je me disais que c'était un grand écrivain au regard d'aigle et, pour m'en convaincre, je lus son fameux essai théorique "William Shakespeare". Et comment détester un homme qui commence son deuxième chapitre par "il y a des homme-océan, en effet" ? On voit bien que cet homme c'est Hugo lui-même, paie ton ego boursoufflé mais, n'importe, ça a de la gueule. Et puis on lit le livre. On se demande quand il va commencer à expliquer en quoi, pourquoi Shakespeare est grand. 400 pages nous apprendront que la différence entre un écrivaillon et un génie "c'est l'infini, c'est l'abime", et cent autres âneries sorties du même panier. Une définition un tant soit peu exacte, ou qu'au moins tu nous dises ce qui te séduit ? Mais non, jamais. Il préfère cracher pendant dix pages, vingt pages, sur ceux qui ne comprennent le comique infiniment populaire et, par là, Grand de la vanne de Fallstaff "Empthy the Jourdain". Si vous n'aimez pas vous êtes bourgeois, vous haïssez le peuple... A ce stade, vous voyez à peu près à quel degré d'indigestion de déception j'étais parvenu en fermant cet "essai critique" (quoique je ne vous aie pas dit comme le fameux style hugolien enkyste le "raisonnement", comme une idée qui pourrait être dite en trois mots se voit offrir un, voire deux paragraphes d'enjolivements).
A ce stade, je m'étais juré de ne plus jamais toucher à Hugo : c'était un cul, pire un cul, avec du style, comme disait l'autre. Il est plus excusable d’être un mauvais écrivain quand on torche les mots comme Nothomb que quand on écrit comme Hugo. J'ai dit !
Hélas, je fus candide, je lui redonnai sa chance. Je n'avais encore jamais lu aucune des pièces du monstre, je pris Hernani, je pris Cromwell. Je passe sur la fameuse préface dudit Cromwell dont on nous a tant parlé en cours de littérature, c'est la même chose que WS, si ce n'est que c'est plus court, dieu merci. Contrairement aux romans, dont je peux comprendre qu'on s'invente mille excuses pour les aimer, si on n'y réfléchit pas trop - ni avant, ni pendant, ni après la lecture -, les pièces de Hugo sont daubées de A à Z. Je veux dire, Hernani, c'est un mauvais téléfilm et qui n'a même pas l'excuser d'innover. Pendant la lecture, je jouais à repérer d'où venaient les formulations : ça, ça sonne Molière, ça c'est Racine, le dénouement, c'est un mauvais copier-coller de Roméo et Juliette,...
Oh je dis pas qu'il n'y aie rien à sauver : deux trois alexandrins par-ci, quelques répliques vraiment fendardes par là et la scène des Tableaux est à la hauteur de sa légende. Mais fouiller la merde pour trouver des pépites, ça n'a aucun intérêt quand les rayonnages des bibliothèques débordent d''or vingt-quatre carras.
Bref, j'étais cette fois fermement décidé à ne jamais plus ouvrir un bouquin de ce tâcheron et j'aurais tenu parole, sans se connard de Marx. Ouais, ce vachlard a écrit Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, alors, moi, je lis, c'est très intéressant, etc. J'avais à peine refermé le livre qu'une voix me le susurre à l'oreille : "Tu ne pourras pas résister, tu voudras comparer". J'ai effectivement assez vite craqué, j'ai acheté une vieille édition de Napoléon le Petit et, roulant des yeux d'avance, j 'ai commencé à lire les conneries qu'il allait balancer.
Et là : miracle. Non pas que Hugo soit soudain devenu un politicien brillant, non, non, rassurez-vous. Le pamphlet est plutôt du niveau "il est moche, il est avare, c'est même pas le vrai neveu de Napoléon, c'est un bâtard". C'est moins élevé que Marx, c'est sûr. MAIS c'est bien plus fendart. Je veux dire, hilarant d'un bout à l'autre, une verve, une imagination dans l'insulte, dans les coups bas : une mauvaise foi délectable, un talent de calomnie unique.
Et c'est alors qu'on se rappelle de tous les moments drôles qui sèment sa production et, tristement, on ferme le livre en songeant que celui qui tire les ficelles a donné au vieil Hugo le talent pour être Molière, qu'il voulût être Racine et Robespierre, à la fois, et qu'il s'y est brûlé les ailes.
Ah, j'oubliais. Je ne lui pardonnerai jamais de n'avoir pas eu le courage de se regarder en face et d'écrire la tragédie qu'il avait vraiment dans les tripes, relisez demain dés l'aube pour voir de laquelle je veux parler.