Je défends un peu mon bout de gras en disant ça, mais la littérature latine c'est quand même beaucoup plus que ça. De manière générale, c'est assez difficile de mettre Plaute, Cicéron, Virgile, Catulle, Ovide et Juvénal dans un même sac qu'on jetterait comme ça. Il y a dans leurs textes des traits de civilisation (je te laisse la liberté de sa caractérisation), mais faut pas caricaturer. C'est dommage quand on aime les lettres, et surtout quand on les étudie, de se mettre dos à un pan de la littérature si riche et si fécond en regard de notre propre littérature.
Pour ce qui est de la version, je t'accorde que quand tu regardes le déroulement d'une épreuve de version latine, tu verras des gens chercher dans le dictionnaire pendant quatre heures. Mais c'est pas ça qui fait la note. La bonne version, c'est celle qui a su pénétrer le génie du texte puis qui a su retranscrire le plus fidèlement possible son génie dans un français qui doit en même temps rendre compte de l'analyse de la grammaire latine. Bon... l'exercice accouche de textes bizarroïdes, le génie du latin n'étant pas le génie du français, mais même si ça sent à plein nez la traduction, il doit y avoir un peu de l'âme de Salluste dans ta version sur Salluste... Je parle de lui parce que je planche dessus en ce moment : je me demande sans cesse "Est-ce qu'il est ironique là ? Comment je retranscris cette ironie dans un français qui ne tomberait pas à plat ? Comment le faire sans briser la période ?"
Puis le latin c'est aussi Saint Augustin (qui peut tomber au concours en plus), c'est le latin médiéval et aux éléments bibliques...
Ce qui fait le sel de la poétique latine, c'est la tonicité de la langue. Le français accentue tous ses mots sans exception de la même manière. A partir de là, dans le domaine qui m'intéresse, il n'y a strictement aucun contact entre les deux systèmes linguistiques. Pour la syntaxe c'est pareil. Pour la morphologie, c'est encore pareil. Le contact latin - français maintenant c'est un fond lexical étymologique et rien d'autre de plus. Jamais le latin et le français ne peuvent être comparés du point de vue de la création de sens par la grammaire, et c'est la définition minimale du style pour moi.
J'interdis à personne de l'étudier mais je m'en bats les couilles - comme je m'en branle du coréen et du turc - et ça n'a objectivement rien à foutre dans un programme de lettres modernes qui portent, je le rappelle, sur tout le français, sur la traduction, et sur les langues étrangères contemporaines. D'autant que même le boulot auquel le concours est censé préparer ne réclame aucune compétence linguistique latine. Tu peux être garagiste et peintre en carrosserie si ça t'amuse mais personne ne viendra te dire que parce que tu ne sais pas peindre une portière tu es incapable de démonter un carbu.
Ça n'a rien de dommage par conséquent, de la même manière que quand t'ouvres un livre tu exclus de fait l'intégralité infinie des autres ouvrages existant. J'aspire personnellement plus à la spécialisation qu'à la connaissance superficielle sur tout, dans un idéal de médiocrité humaniste par exemple.
(évidemment les avertissements de rigueur tout cela n'engage que moi c'est mon avis c'est pas la production d'un savoir mais une saillie d'humeur etc etc)
Je comprends ton point de vue, mais comment ne pas éprouver de frustration quand, pour lire les influences de Montaigne, de Rabelais ou de Racine, tu t'es contenté de traductions des auteurs latins et grecs, forcément mauvaises (à des égards ou à d'autres) ? Ou bien l'intertexte ne t'intéresse pas ?
Je suis d'accord sur la Bible en latin dans le fond, même si je perçois pas le scandale comme toi (je ne suis pas chrétien). Je faisais plus référence au latin qui s'est enrichi durant le Moyen-Age, notamment par des éléments bibliques, et qui n'est pas resté figé dans une cicéromanie (contrairement à ce qu'on nous demande en thème, mais ça c'est l'objet d'un autre coup de gueule...) Les Carmina Burana, qui illustrent parfaitement ce que j'essaie de dire, sont sublimissimes, et ce sont des textes religieux.
Mais qu'entends-tu par "fondement linguistique", tu veux dire que le massacre de la Parole est lié à la langue latine même ? Si c'est le cas, je serais curieux de comprendre... Pour moi, le scandale dont tu parles est plus la responsabilité d'hommes que d'une langue.
N'allons pas trop vite.
Il faut faire attention d'une part à ne pas vouloir coller le terme intertextualité partout. L'intertextualité ce n'est pas le pastiche, l'imitation, l'écrire à la manière de. Quand De Gaulle dans ses mémoires se souvient de sa vieille éducation jésuite pour construire un discours, il ne fait pas pour autant de l'intertextualité cicéronienne - exemple de merde mais c'est le premier qui me vient spontanément à l'esprit -. De fait, l'intertextualité est pour cette raison assez rare dans son sens strict présente comme liant entre modernes et antiques, et quand elle advient, si ce n'est pas chez un auteur que je maîtrise assez pour la détecter, le cas le plus fréquent donc, il y a toute une communauté scientifique derrière qui fait des éditions adaptées et qui est là pour me backer.
Je parlais ici de systèmes linguistiques. Je lis très mal le latin, ça ne veut pas pour autant dire que je suis dépourvu d'une culture ne serait-ce que scolaire minimale sur ses thématiques comme sur ses formes. Un type qui n'a jamais touché à une grammaire méthodique du latin peut parfaitement comprendre la manière dont Calvino s'amuse avec les pénates et les lares. Parce que derrière les emprunts langagiers, on a encore plus souvent de l'emprunt thématique qui ne nécessite aucune maîtrise technique.
Et d'ailleurs l'encyclopédisme est parfois un frein à la rencontre avec l'intentionnalité de l'auteur. Tu évoques Rabelais dont on ne cessera jamais de rappeler les emprunts à d’innombrables pages de l'Antiquité...mais il faut aussi dire que Rabelais fabule et utilise une figure de narrateur - Alcofribas - pensée pour être considéré comme un maître scolastique sophiste qu'on ne comprend pas, et au milieu de son fatras de références inventées ou tordues il est infiniment plus intéressant à mon avis pour lire correctement Rabelais de se perdre dans le texte que dans l'annotation savante que l'on voudrait coller par-dessus. L'encyclopédisme contre la lecture, si on veut.
Racine on ne le lit pas pour savoir qu'il a pris tel sujet à Euripide en rajoutant un personnage ou tel autre à Sénèque en en retranchant un, pas moi tout du moins. D'ailleurs ce travail intervient plutôt au moment de la création du canevas en prose qu'au moment de la mise en vers. Et c'est ça qui m'intéresse personnellement, c'est le ciselage de son verbe. Qui obéit à des règles de prosodies et à des idiosyncrasies presque intégralement françaises, évidemment.
Ou bien l'intertexte ne t'intéresse pas ?
Il m'intéresse dans une relative synchronie, parce que c'est le cas le plus général des intertextualités probantes. L'intertextualité dès lors que tu rajoutes des millénaires entre deux œuvres...il y en a - je parle pas des triviales type le connard de base qui va dire "je chante les armes etc" en se prenant pour un érudit -, mais moins.
tu veux dire que le massacre de la Parole est lié à la langue latine même ?
Je crois que le synthétisme profond du latin à quelque chose d'assez intimement lié, comme moyen efficace, à cette entreprise de perversion. Mais il faudrait creuser.
L'intertexte antique chez les auteurs des XVIème et XVIIème est quand même assez présent... Chez les postérieurs aussi, mais moins effectivement. Et c'est pas parce que je dis ça que je me prends forcément la tête à lire Rabelais en essayant d'analyser toutes les références qu'il nous lance à la gueule. Je suis même assez d'accord avec toi sur le fait qu'il ne faut pas le faire. En analysant Aurélien d'Aragon en classe l'année dernière (pour le programme d'Ulm), on avait une prof qui s'intéressait patiemment à toutes les références là où j'y voyais une invitation justement à "se perdre" comme tu dis dans l'univers un peu cuistre du Paris bourgeois. Pour ça je suis pas un névrosé.
Pour la question du latin, je conçois que la langue ait certains outils pour tromper l'esprit des autres langues. Je le perçois assez bien notamment pour le passage du grec au latin, beaucoup moins pour l'hébreu. Mais d'autre part, je conçois aussi que l'on puisse fournir une bonne traduction en latin d'un texte spirituel, pour peu qu'on l'on ait assez de bonne foi, sans mauvais jeu de mot. Mais oui ce qu'il faudrait pour appuyer ta thèse, c'est une bonne analyse déjà du texte hébreu et grec et une analyse linguistique du latin qui montrerait ses faiblesses fondamentales pour exprimer la Parole.
Après il faut bien constater aussi qu'historiquement le latin en Occident a servi de sociolecte pour exclure de la pratique herméneutique à peu près tout individu non clerc.
Et ça aussi c'est de la linguistique.
J'ai lu La Muse du département hier, une envie de me remettre à Balzac comme souvent et en grand amateur des Illusions un livre qui laisse une place de premier plan à Lousteau ne pouvait que m'intéresser.
Le plus intéressant dans le roman, c'est d'abord que c'est un des rares épisodes de la Comédie Humaine à tenter de proposer une réelle dialectique entre Paris et la Province et pas juste de la définition en creux, de la définition négative ou du rejet de la représentation. Ça opère également d'une manière différente des Illusions qui, entre sa première et sa seconde partie, maintient à peu près les mêmes schéma entre les personnages mais en créant son décalage sur un rapport d'échelles différentes.
Loin des lectures faciles et autres clichés que l'on voudrait accoler à Balzac, sa manière d'esquisser la lutte entre Paris et la Province est astucieuse. Ultimement, c'est la seconde qui gagne grâce à sa capacité de résilience presque surhumaine...mais si elle gagne c'est en s'hybridant des caractères de la capitale au milieu du processus.
Ce rapport de fusion / altérité est sympa parce qu'il a des échos assez directs dans la forme même du texte, qui est à la fois un anti-feuilleton et en même temps une oeuvre très composite avec ses incises de poèmes inventés, de feuilleton parodié. Le tout est soutenu par une composition un peu anarchique, qui gomme fréquemment ses ellipses.
C'est un des romans de Balzac que j'ai pu lire où la caractérisation des personnages se fait la plus évolutive au sein de la même oeuvre, c'est si l'on peut dire l'un de ses romans les plus psychologiques, pour reprendre cette étiquette en usage dans la seconde partie du siècle, et les moins typiques - surtout dans l'évolution croisée de ses deux héros -, malgré la présence excellente et pour le coup monolithique du mari, qui rappelle exactement le Mortsauf du Lys dans la vallée en encore plus terrible.
Le souci c'est qu'en fait avec ses nombreux décrochages, sa forme parodique assumée et même monstrée, ses évolutions nombreuses et ses idées en parallèles à dresser, le roman a beaucoup à disposer et se repose pour ça sur des procédés techniques qui le privent de toute viscéralité, de toute illusion, parce qu'il flaire de partout la fabrication. C'est un roman que j'ai adoré mais presque uniquement pour la manière dont il sait dialoguer avec le reste de l'oeuvre balzacienne.
Je suis personnellement toujours un peu emmerdé du coup, dans ce genre de cas, lorsque je me trouve dans la nécessité d'essentialiser ma lecture en une opinion positive ou pas et surtout de conseiller la lecture.
Et le topic, manifestement, est buggé.
https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/DISCEPOLO/58012
Le fameux article. Je partage parce que c'est vraiment trop drôle
Le 27 octobre 2017 à 10:21:47 Mousse-Boule a écrit :
Après il faut bien constater aussi qu'historiquement le latin en Occident a servi de sociolecte pour exclure de la pratique herméneutique à peu près tout individu non clerc.Et ça aussi c'est de la linguistique.
Désolé pour mon absence, j'avais plus coeur à rien ces temps-ci...
Mais je déterre le message. En quoi c'est linguistique ?
C'est de la sociolinguistique.
Déjà je préfère. Soit.... mais je vois toujours pas en quoi le latin a privé l'individu non clerc de faire de l'herméneutique... éclairez ma lanterne...
Déjà je préfère.
"le latin en Occident a servi de sociolecte". C'était clair et mentionné dès mon post.
mais je vois toujours pas en quoi le latin a privé l'individu non clerc de faire de l'herméneutique
Quand la maîtrise d'une langue est circonscrite au sein d'une classe particulière, surtout à partir du IXe siècle - si on veut bien excepter les cas numériquement marginaux des notaires, des quelques scientifiques complètement étranger à cette classe et d'une poignée de grands nobles - et que la classe en question fonde sa légitimité temporelle dessus, quand elle s'occupe de l'enseignement et quand elle a le privilège d'empêcher la publication des bouquins qui la contestent, c'est pas bien savant de voir comment le non-usage courant d'une langue empêche toute contestation herméneutique sérieuse hors de cette même classe.
"D'une classe particulière" t'es gentil, quasi tous ceux qui avaient une instruction en Europe parlaient le latin. Point. On peut même aller jusqu'en Scandinavie.
Y a pas un herméneute en puissance qui s'est retrouvé bloqué à cause de la non maîtrise du latin.
Le problème, il a été politique. Déjà a priori, quand on a traduit d'une certaine manière les textes hébreux et grecs en latin et que les gens cultivés du Moyen-Âge ne connaissaient QUE le latin... à partir de là, les herméneutes rebelles avaient du mal.
Tu évoques le XIème siècle, et il y a aussi un fait politique à évoquer. La volonté de Charlemagne d'unifier son royaume en proposant une version des textes commune à tout l'empire. Pas de linguistique là-dedans. Tu parles brièvement des ces choix politiques quand tu parles du "privilège de d'empêcher la publication des bouquins qui la contestent", mais c'est le point le plus fort de ton argumentaire, et il n'est pas linguistique.
Déjà tu vas baisser d'un ton, j'essaie de rester cordial mais ton agressivité commence à sérieusement me casser les couilles avec tes petites apostrophes à la P2.
quasi tous ceux qui avaient une instruction en Europe parlaient le latin. Point.
Ok arrêtons-la. Si tu crois sincèrement à ce genre de bêtises ça ne vaut même pas la peine de pousser plus loin.
Et croire que la linguistique n'est pas politique c'est d'une sottise absolument abyssale. "Politique linguistique" c'est littéralement le nom d'une discipline scientifique mon grand.
Sors-toi tes fiches de cours sur le formalisme du cul, la planification ça existe.
Sèche ta sueur frangin.
Depuis le début de cette conversation t'es le seul à stresser en pucelle effarouchée, comme si un commentaire négatif sur la langue latine - dont un licencié ne m'apprendra malheureusement rien - t'impliquait personnellement.
Je sais pas si t'as des problèmes ou quoi dans ta vie perso à casser les pieds comme ça mais c'est pas notre bizgo.
Quand t'auras fini d'aller à l'école tu lâcheras ton gaffiot et tu te rendras compte - peut-être - que la langue c'est autre chose qu'une reconstruction artificielle de grammairien dont la moitié des formes ne sont jamais attestées
En attendant calme-toi y a pas de problème à part ceux que tu te crées.
Ah, et oui. Comme les gens comme toi m'énervent vraiment physiquement et que je préfère les fuir : tu peux répondre. Je ne te lirai jamais, comme je ne reviendrai pas (j'ai l'impression qu'il n'y a que toi qui hante ce forum...) ça, c'est pour ton petit cul de frustré.