Partie 1 : Du Royaume de sable à la République des fumées.
Un mois plus tard, ça clignote et ça scintille de partout. A quelques mètres de là. Il y a eu le désert et ses hommes bleus, des kilomètres de sable rouge et d'aurores gigantesques. Et puis, il a fallu partir, à quelques jours de la nouvelle ère.
« On ferait mieux de repartir. » Là-haut il y a des cercles de lumière à côté des fenêtres, des énormes ronds qui pétillent. Ils chevauchent des nuages de fumées grises. C'est elle là-bas qui me fait signe d'approcher. Candide, j'y vais.
« C'est un temps idéal pour monter » On y est allé. Des marches, des milliers de marches et puis des échelles aussi ; et encore quelques marches, une porte noire à franchir, une ruelle...des montagnes de détritus aussi. J'arrive, petite fumée... je viens avec des amis jaunes.
« Pas à droite, il y a des morceaux d'humain ». Il paraît bien clair ce corridor. Avec la musique et tout, c'est d'ailleurs fort cocasse cette petite forteresse de sable tout au bout.
« Pas à gauche, il y a des monceaux de mains ». Il sonnera bientôt le cor d'Igor. Voilà les jeunes amis...deux colosses poilus encadrant le Duc - superbe lui, une aura lumineuse - un agent de police et une dinde maigrichonne. Et puis Igor, comme toujours en tête de sa troupe.
« -Peuple jaune, irons-nous dès ce soir plier le genoux ?
-Il eût fallu que la fumée soit grise, mon ami, s'exclama Igor. »
Il faut lui expliquer, il ne comprendra pas sinon...fumée, petite fumée, tiens bon, je cours... le ciel semble si bleu et les étoiles si brillantes. Désastres au sein des astres ! Quand je pense que l'horizon aurait dû être gris... reviens...on ne s'est pas compris, mon cœur n'a jamais été une rose pour toi !
« -Où iras-tu te cacher sinon chez les autres boules enflammées ? Igor, seras-tu rouge demain ?
-Je saurais colorier mes membres les moins poilus, admet-t-il à demi-voix
-Nous serions ravis de décorer ta poitrine avec l'Espagne et l'Italie, intervient nonchalamment le Duc Théodore, un sourire sarcastique en coin.
-Comme tu y vas, dis donc ! Tu t'engages à beaucoup ! L'Italie, je la chausserais, j'ai toujours eu besoin de bottes.
L'agent de police se met soudain au garde à vous devant le Duc. C'est étrange, les autres n'ont rien remarqué. Le Duc poursuivit, point perturbé :
-Je me demande ce qu'il y a pour dîner.
-M'accompagneras-tu dans ma quête, Duc ? Il s'agit d'un pays au parfum du pétrole. Nous irons dîner plus tard.
- Au plus tard ?
-L'année prochaine. Deux ans maximum. Je promets et je crache.
-Conséquemment à ton vœux, je suppose.
Une grande fille jaune pâle nous accoste. D'aspect banal, elle a un foulard sur les yeux, des images sur les seins et un soleil rouge pâle dans ses cheveux. Son visage est très doux, un menton un peu prononcé. Je souhaiterais tant voir ses yeux.
-Lauren !, s'exclama Igor.
Il enlève brusquement ses bottes et se met à plat ventre. Le fille monte sur ses épaules en gloussant. Elle met ses mains devant les yeux d'Igor qui commence à chanter :
« Il était un matin, un taureau d'Arabie,
Ah, petite fumée, ne vois-tu pas le gris ?
Il fut peu probable que l'animal s'éprit,
Pourtant, sans nul doute, son cœur était acquis.
Ont passé les heures, ont trépassé les nuits,
Qui sait combien de têtes auront cette fois fleuries ?
De l'union cocasse du taureau et du gris,
Chantent les poètes, les hôtes sont ravis. »
Le Russe s'interrompt. Il nous toise de ses yeux cachés puis part dans un grand rire. Lauren se met à pleurer un peu puis s'éloigne pour uriner.
-Où est passé l'agent de police ?, demande soudain le Duc
-Voilà bientôt une heure qu'il a disparu, se lamente Lauren en revenant, les mains sur la tête.
-Il est parti à la recherche d'un souterrain qu'il ne trouvera jamais, explique Igor, en mâchonnant un ersatz de tabac.
-Il faut aller le retrouver.
-D'abord, ma fumée. Tu l'as promis ! Conséquemment...tu te souviens ?
-Très bien. Nous ne pourrons pas rester là de toute façon, les soldats vont venir cueillir les champignons tantôt.
-Pas ceux-là, leur texture est si singulière, ajoute Igor en montrant un amas de cèpes semblable à une gelée de matière fécale. Je décide d'intervenir :
-Moi je sais dompter certains taureaux. Après tout, il s'agit de l'emblème de ma famille.
-Ignores-tu la domestication des Funji ?
-Je ne répondrais pas à cette question !
Un silence oppressant s'installe progressivement. Ma dernière réplique les a laissé sans voix. Le silence finit par se briser...des bruits de bottes. Les soldats ! Vers l'Ouest...vite !
Partie 2 : Les cieux du profit.
Comme tout est gigantesque dans cette patrie. Les routes, les champs, les habitations...les gens eux-mêmes sont plutôt grands et costaux.
Un vieux noir nous aborde, la tronche démolie, avec des verres de boue pétillante.
Le Duc sourit :
-Nous ne sommes pas au milieu de nulle part !
-En tout cas, moi je ne bois pas leur eau sucrée, ronchonne Lauren. Elle trempe un doigt dans un verre et enlève soudain le foulard qui masque ses yeux. La jeune fille n'a qu'un œil vert et immense. Et pourtant, quel regard cristallin.
Les richesses de cette contrée sont immenses. Quantité de chien chaud, de porc grillé, et du gras, encore du gras, partout, toujours, sur les murs, dans les caniveaux, sur les peaux, il suinte le gras.
Nous, on a voulu leur donner la dinde ! Trop maigre, ont-t-il dit.
-Mais tout, mais tout, mais tout, mais tout, mais tout !, s'exclame Igor ravi, la bouche pleine de chien rôti, mais tout ! Il faut absolument aller partout.
Et on est parti vers le Grand Ouest. A cheval ou à dos de chien, on dévale les collines vert pâle et les torrents bleu nuit. Quelques fois, des montagnes. Petite fumée, j'arrive, derrière chaque montagne, j'espère te découvrir !
Avec l'aridité, la végétation se fait plus rare. Les montagnes aussi. Devant nous, émerge le pays des plaines. J'aperçois là-bas des cousins à moi, comme des taureaux mais le poil plus touffu. Je les salue :
-Hé là, poil hirsute !
-Ne sais-tu pas qu'il faut un chapeau pour pouvoir traverser nos contrées sain et sauf ?, me répond le plus gros d'entre-eux.
-Comment ça ?, demande Igor
-Oui, le soleil déchire tout par ici.
-Comment ça ?
-Il a tout cramé de toute façon. Il n'y a rien à voir, passe ton chemin, mon gros.
-Comment ça ?
-J'explique. Avant, il y a avait des animaux marins par ici. Puis le cycle des saisons, les rayons ultraviolets, tout ça quoi. Même les arc-en-ciels sont fourbes. Moi je te dis, méfie toi des arc-en-ciels !
Il s'interrompt soudain. Il lorgne son regard pervers vers Lauren qu'il désigne aux autres poilus.
-Avez-vous déjà vu une chose aussi abjecte ?
-Tu as raison, confirme Igor, une chose aussi laide n'apparaîtrait que dans mes pires cauchemars !
Lauren sourit, gênée. En toute modestie, elle réplique d'une petite voix :
-Je suis née ainsi, vous savez.
-Assez !
Je désigne le chef des poilus :
-As-tu vu passer une petite fumée grise, même dans un courant d'air ?
-Je ne répondrais pas à cette question !
-Alors, garde le silence, ou sois turquoise pour une fois !
On continue notre route. Nous avons quitté le désert en Afrique, nous le retrouvons à l'Ouest. Curieusement celui-ci est fort différent. Pas de charme, pas de mystère, point de vent aussi. Partout par contre, des pylônes de béton, des pipe-lines. Après une journée de voyage, on est arrivé au domaine céleste.
Les cieux du profit reposent là après des kilomètres de vide et de rédemption. Il y a des lumières criardes, des bruits de mécanique et surtout des fumées de toutes sortes. Ma tête commence à tourner, tant d'êtres chers réunis en ce lieu ! Je range ma tête dans ma poche et continue la visite. Au bout d'un long moment, paraît, splendide, le Dieu de ces cieux.
Il est tout vert, drapé de S barré en tout sens, et de sa voix nasillarde, il nous pousse à le rejoindre.
Je sors ma tête, la remet à sa place. Je demande encore :
-Dieu du Profit, as-tu quelque mignonne fumée venue des métropoles européennes ?
-J'ai tant de maîtresses et tant de fumées vois-tu !
-Des européennes ? D'Afrique du Nord ?
-Hélas non ! J'ai bien eu une fumée venue de la savane africaine. Une flatulence l'a chassé. Je peux pourtant de proposer de l'indienne ou de la latino.
-Je continuerai ma quête. Saches-le.
Nous avons fui précipitamment ces cieux indignes. Direction, le pays où le soleil se lève !