F / Un Dieu aux manettes ? Les arguments téléologiques
Il faut d'abord se mettre d'accord sur ce dont on parle. C'est qui, Dieu? Il est traditionnellement dépeint comme un Être spirituel (c'est un esprit), éternel, transcendant (Il nous dépasse infiniment), omniscient (Il sait tout), omnipotent (Il peut tout faire, Il est tout-puissant), omniprésent (vu qu'Il a pas de corps, Il est partout!), personnel (on Le pense comme une personne avec qui on peut discuter, à qui on peut demander des trucs ... ). C'est la vision des religions monothéistes classiques, qui ajoute que Dieu est le Créateur parfaitement bon de l'univers et qu'il jugera les hommes selon le bien qu'ils auront fait.
La vision philosophique est plus « rationnel ». Par Dieu, on entend simplement quelque chose, un Être immatériel et invisible qui aurait non seulement crée tout le reste mais qui aurait ensuite organisé ce reste de manière à ce qu'on puisse nous, humains, apparaître. En somme, l'Univers, pensé comme le Tout, la totalité de ce qui est, se confond à l'origine avec Dieu, qui ajoute ensuite Sa Création. Bien sûr, on pourra dès lors s'interroger sur la pertinence de la notion d'Univers : peut-on penser faire un ensemble avec Dieu et Sa Création ? Ne sont-ils pas radicalement différents ? Le mot « Univers » n'aurait dès lors aucun sens et il faudrait bien davantage parler de la Création. Pour notre exposé, nous donnerons donc au mot « Univers » un sens synonyme à celui de Création : l'Univers, c'est ce qui est crée par Dieu, si tant est qu'il existe. Le fait de penser que ce scénario est le bon s'appelle « théisme » (ou déisme, selon qu'on attribue ou non des qualités à ce Dieu).
Trois types de preuves ont été avancé quant à la question de prouver l'existence d'un tel Être. Nous en verrons ici deux, qui partent de l'existence de l'Univers : la troisième sera abordée dans une autre leçon,car elle part de l'idée même de Dieu, de la définition du concept.
Le premier type de preuve part de l'ordre apparent du monde pour en conclure à l'existence de Dieu. On les appelle « arguments téléologiques », ou « physico-théologiques » , et on peut résumer cette vision par ce mot de Voltaire : « l'Univers m'embarrasse, et je ne puis songer / Que cette Horloge existe et n'ait point d'Horloger ». William Paley, dans sa Théologie naturelle (début du XIXème siècle) résume cette preuve dans sa version dite « analogique » : si en vous promenant vous tombez sur une montre, vous n'allez pas vous dire qu'elle est apparue par hasard. L'Univers, bien plus complexe qu'une montre, ne peut pas non plus être apparu par hasard. Une autre version part de l'existence de lois physiques, de règles qui semblent s'appliquer à l'ensemble de la réalité visible : le partisan le plus en vue de ce type de raisonnement à l'heure actuelle est un professeur d'Oxford, Richard Swinburne, qui je pense est le plus grand défenseur du théisme aujourd'hui, le plus coriace. Pour lui, l'hypothèse d'un Dieu, pensé comme un Être absolument unique, donc simple, est à privilégier quant à l'existence des lois de la nature. Bien sûr, on peut s'interroger sur le passage d'une réflexion scientifique à une réflexion métaphysique, mais il développe tout un raisonnement dessus. Enfin, dernier grand type de preuves téléologiques, l'argument dit du « bon réglage » : soyons honnêtes, il n'y avait que peu de probabilité que l'Homme, ou même la vie, apparaisse. Donc, on en conclue à l'existence d'un Organisateur.
G / Les arguments cosmologiques
D'un Organisateur, et pas d'un Créateur, comme l'a relevé Kant. Pour le Créateur, on doit passer à l'autre type de preuve, les arguments cosmologiques, pour lesquels l'Univers aurait pu ne pas être ou être différent (en philosophie, on appelle cela la contingence) : on doit donc poser un Être nécessaire, qui est en quelque sorte le fondement de la réalité. C'est la vision de Leibniz, d'après ce qu'il appelle le « principe de raison suffisante » : l'Univers ne suffit pas à s'expliquer, on doit donc chercher un Être qui se suffit à lui-même. Pour Aristote, le mouvement (pas seulement physique, le changement plus globalement en fait) provient d'un Premier Moteur, lui-même immobile, qui le communique aux autres sphères de la réalité.
Les arguments cosmologiques peuvent se diviser, là encore, en trois grands groupes. Nous avons présenté le premier, avec le principe de raison suffisante. Le second pose un Univers ayant un commencement dans le temps : c'est l'argument dit du kalam, développé dans le monde musulman au Moyen-Âge et repris par le penseur chrétien William Lane Craig de nos jours. Vu que tout ce qui a un commencement a une cause, car rien ne peut sortir du néant (il faudrait en effet que quelque chose, dans le néant, ait provoqué l'apparition de l'être, ce qui n'a aucun sens!), l'Univers ayant un commencement, il a une Cause, Dieu. Le dernier type est illustré par le raisonnement de Thomas d'Aquin, pour qui l'idée d'une chaîne de cause à conséquence sans début n'a aucun sens : on doit donc poser un départ, Dieu.
H / Critiques de ces arguments
Commençons par critiquer la preuve téléologique. Celle-ci tient à ce que l'Univers semble être ordonné : c'est en effet ce qui ressort de nos observations. Il faudrait donc savoir si c'est le cas, car le désordre ou le hasard ont leurs défenseurs, au premier chef Richard Dawkins, pour qui Dieu est une hypothèse ridicule : l'être divin serait, pour contrer Swinburne, infiniment complexe, et très loin d'être simple. Leibniz a tenté en son temps d'expliquer l'apparent désordre que nous pouvons parfois constater : quand on regarde un tableau dans son ensemble, c'est beau. Quand on n'observe qu'un carré d'un centimètre sur un centimètre, on voit un gribouillis de couleur. N'ayant pas de vision d'ensemble, nous concluons au désordre.
Une autre critique possible est plus forte : en quoi un Être nécessaire devrait-il être Dieu ? Pourquoi ne pas poser l'Univers, dans sa globalité, comme l'Être nécessaire ? Il y aurait contingence à l'intérieur de lui et pas dans son être-même. De plus, ce n'est pas parce que la raison pose un système de cause à conséquence qui nous amène à postuler une cause première que c'est le cas : pourquoi serait-il plus absurde de poser un Univers sans commencement plutôt qu'un Dieu ? Il faut en même temps souligner que le principe de cause à conséquence fonctionne pour nos expériences, et pas pour qualifier la réalité en dehors de celles-ci. Enfin, comme le montre Kant, on n'a aucune preuve que la réalité en soi fonctionne comme cela : l'esprit humain analyserait l'Univers selon ce principe, inhérent à sa nature (on ne peut pas imaginer un Univers sans causalité), mais n'est-ce pas pousser les choses un peu loin que de tenter d'en dresser une origine et de l'affirmer ?
Travail à faire pour la prochaine leçon
J'aimerai que les plus courageux d'entre-vous, s'ils le désirent, fassent un petit travail de présentation de l'argument ontologique (allez, 10 / 15 lignes maximum). J'ai constaté qu'il y a ici des gens de très haut niveau ; je suis persuadé que vous allez faire des merveilles !