L'article du Parisien :
Ils étaient unis comme les cinq doigts de la main : Marine, Céline, Pauline, David et Théo. Cinq jeunes adultes qui formaient une petite bande. Aussi soudée qu’elle peut l’être quand on a vécu ensemble ces années d’adolescence qui comptent double, en Franche-Comté comme ailleurs. Quand Théo n’a plus donné signe de vie, à partir du mardi 30 novembre au matin, les quatre autres se sont rapidement inquiétés. « C’était vraiment pas son genre de disparaître comme ça », lâche David, qui s’est alors mobilisé « jour et nuit » pour retrouver son « meilleur ami ». Avec, au fond de lui, ce « mauvais pressentiment » qu’il ne le reverrait pas vivant.
Les jours qui ont suivi, un avis de recherche a été rédigé et placardé dans le secteur. Les derniers lambeaux qui tapissaient les arrêts de bus ont été balayés par les intempéries. Il n’y a que sur les réseaux sociaux qu’on peut encore le lire distinctement. Par exemple sur la page Facebook de Camille Anguenot, 18 ans, une récente connaissance du disparu, qui a partagé l’avis le 3 décembre. On y voit un selfie de Théo Decouchant, la bouille encore enfantine malgré ses 23 ans. Sous le logo « police nationale », il est décrit de « corpulence fine », pour une taille d’1,68 m.
Théo, un garçon timide et serviable
De l’avis de tous ceux qui le connaissaient, Théo ne compensait pas son poids plume par une langue acérée, comme c’est parfois le cas. Au contraire, « il était hyper réservé, évoque David. Un vrai timide qui parlait peu et n’était pas à l’aise avec les filles. » Ça n’empêchait pas ce peintre en bâtiment, passionné de photo, d’avoir une vie sociale bien remplie. Depuis la réouverture des discothèques, il avait ainsi repris le chemin du « Teasing ». Dans la zone industrielle de Chalezeule, en banlieue de Besançon, ce bâtiment sans âme à la façade bardée de tôles est le dernier né des « clubs » du secteur. Chaque week-end, il draine une population à peine majeure. Le samedi précédent sa disparition, Théo y avait passé sa soirée. Ludivine (le prénom a été modifié), 20 ans, y était aussi.
Avec sa copine Amel (le prénom a été modifié), elles avaient fait la connaissance de Théo au début de l’automne. Une fin de soirée, elles avaient vu dans ce jeune homme un peu gauche toutes les raisons de lui faire confiance, et lui avaient demandé s’il pouvait les déposer. Serviable comme il était, Théo s’était exécuté. Un début d’amitié était né. Avec les deux copines, et surtout Amel, Théo avait partagé ces dernières semaines une séance de karting ou un repas au restaurant chinois. Sans jamais se départir de cette timidité quasi maladive. « Chez Amel, c’est à peine s’il osait poser son manteau, se souvient Ludivine. Il parlait très peu de lui. »
Autant dire que ce samedi 27 novembre au soir, au « Teasing », c’est un Théo mal à l’aise que croise Ludivine. Camille, qui a également fait la connaissance de Théo en octobre, via l’appli Hoop, est l’exact opposé du garçon en termes de caractère. Elle semble s’être entichée de lui, et prend un malin plaisir à flirter en public avec ce grand introverti. Aux dires de Ludivine, Théo en rougit, et se laisse faire. Depuis plusieurs semaines, David avait compris que son ami avait « un crush » pour Camille. David lui-même connaît la jeune fille, à laquelle il donne des cours d’équitation depuis deux ans. « Je sentais mal tout ça, relève David. Camille est une fille qui attire vite les garçons. Théo, lui, était naïf et gentil. Il l’aidait financièrement… »
« Personne dans le village ne la connaissait vraiment »
Le lundi 29 novembre, c’est avec des papillons dans le ventre que Théo roule jusqu’à Oiselay-et-Grachaux (Haute-Saône), à 30 km de Besançon, là où Camille loue depuis deux mois un petit appartement dans une maison rustique. Comme elle n’a pas le permis, c’est à scooter que les voisins la voient partir jusqu’à l’Intermarché où elle a été embauchée à la même période comme caissière. « Juste bonjour bonsoir, dit une voisine. Personne dans le village ne la connaissait vraiment. Son emménagement était trop récent. »
C’est la première fois que Théo se retrouve chez elle en tête à tête. Ce soir-là, il confie par SMS à ses amis ses angoisses du premier « date ». Son dernier message est envoyé à 23 heures. D’abord interrogée de manière informelle, Camille assure que Théo est reparti de chez elle au petit matin. À 7h06, elle lui a envoyé un message sur son téléphone : « Travaille bien, merci pour hier, c’était vraiment bon. » Lorsque David, à la recherche de Théo, la contacte quelques jours plus tard, Camille présente une autre version. Elle fond en larmes, disant craindre que Théo, par dépit amoureux, ait commis l’irréparable en mettant fin à ses jours.
Dès le départ, les enquêteurs de Besançon acquièrent la conviction que ce scénario ne tient pas. Car l’analyse des comptes bancaires du disparu montre de nombreux mouvements. Le mardi 1er décembre, à 8h06, sa carte a été utilisée pour faire un plein d’essence à la station du Super U de Devecey, entre Oiselay et Besançon. À 14h50, le même jour, c’est dans une zone commerciale bisontine qu’elle sert à régler un achat de bijoux. Le lendemain, un retrait de 600 euros est effectué à Dole (Jura). Lorsque David est auditionné, il identifie immédiatement Camille sur certaines des images de vidéosurveillance qui lui sont soumises. Sur celles du distributeur de billets de Dole, alors que la personne effectuant le retrait se dissimule, la sœur de Théo constate que l’inconnu(e) porte les baskets de son frère…
Deux versions différentes aux enquêteurs
Lundi 6 décembre, une semaine après la disparition du jeune homme, une perquisition est effectuée à Oiselay. Les hommes de la PJ de Besançon montent l’escalier borgne et délabré qui conduit à un palier desservant trois appartements. À droite, la mince porte ouvrant celui de Camille est désormais condamnée par des scellés judiciaires. C’est dans un placard que les policiers ont rapidement fait la macabre découverte : celle du corps de Théo, emballé dans des sacs-poubelles, les mains attachées dans le dos. L’autopsie a révélé qu’il avait d’abord été frappé d’un coup de couteau, non mortel, au niveau du foie, puis qu’il a succombé à un étranglement.
Placée en garde à vue, Camille reconnaît les faits, faisant montre d’une froideur qui frappe jusqu’aux enquêteurs. Après avoir envisagé l’hypothèse d’un complice, ceux-ci doivent se résoudre au fait qu’elle a tué seule. Une première fois, elle évoque en Théo un « pigeon » qu’elle aurait plumé, avant de développer un autre récit, plus propice à sa défense. Selon cette nouvelle version, elle n’a fait que se protéger d’une agression sexuelle. Si Théo et elle se sont effectivement retrouvés le 29 au soir à Oiselay, selon la version de Camille, ils se seraient alors « couchés dans le même lit, habillés, sans qu’il y ait de rapport sexuel », a détaillé Étienne Manteaux, le procureur de la République de Besançon (Doubs), en conférence de presse.
À quatre heures du matin, Camille dit avoir été réveillée par des attouchements sexuels. Elle aurait repoussé Théo en lui donnant un coup au visage. Sortant du lit, elle aurait été suivie par le jeune homme qui aurait encore tenté de l’agresser. Se munissant d’un couteau, elle lui aurait alors porté un premier coup, ce qui n’aurait pas empêché Théo de la menacer verbalement. Camille lui aurait ensuite enroulé le cordon d’une de ses robes autour du cou, provoquant sa mort par strangulation. Elle l’aurait quand même attaché dans la foulée, « de peur qu’il se réveille. »
Une recherche compulsive d’un véhicule
Pour les proches de Théo, c’est une fable. « Jamais il n’a eu un geste déplacé ou ambigu avec moi, soutient par exemple Ludivine. Et pourtant, je mesure 1,57 m pour 50 kg, et ça lui est déjà arrivé de me ramener alors que j’avais beaucoup bu… » « Comment Camille a-t-elle pu obtenir le code de sa carte bancaire si elle ne l’a pas menacé ? », interroge un autre copain de Théo. Le comportement de la jeune fille, dans la foulée du meurtre, ne plaide pas non plus en sa faveur. Une fois le compte en banque de Théo vidé, c’est en effet au volant de sa voiture qu’elle a pris la route de Bordeaux pour y retrouver… Philippe.
Sur Facebook, la photo de profil de Camille s’accompagne de ce prénom masculin, avec un cœur et une date : « 20 novembre 2021 ». À compter de ce moment-là, il semblerait que Camille n’ait plus eu comme seule obsession que de disposer d’une voiture – malgré son absence de permis – pour aller rendre visite à ce Bordelais de 27 ans rencontré lui aussi via une application.
« Sur l’analyse de ses réseaux sociaux, il apparaît clairement qu’elle est dans une recherche compulsive d’un véhicule les 28 et 29 novembre », développe Étienne Manteaux. Parvenue à ses fins en disposant de la 307 de Théo, Camille se rend dans un logement Airbnb qu’elle a loué en Gironde. 48 heures durant, elle y rencontre celui pour lequel elle a traversé la France. Entendu, ce dernier confirme qu’ils ont eu des relations sexuelles. Il explique que Camille n’a jamais évoqué avec lui l’existence de Théo, et encore moins sa mort.
Toujours au volant de la voiture de sa victime, Camille reprend ensuite la route de Besançon. Un à un, elle continue de semer des indices tout au long de cette traversée de la France. Sur le chemin du retour, elle est « flashée » à Angoulême. Le vendredi 3 au soir, elle se rend finalement à Dijon, où elle sollicite un de ses ex pour changer les plaques de la voiture de Théo. Il s’exécute. Camille et lui ont un rapport sexuel. Le lendemain, elle achète du ruban adhésif et des sacs-poubelles de 130 litres. Le soir, elle va au bal. Une amie qui l’y croise la décrit comme « normale ».
Une lucidité et un sang-froid désarmants
Comme le développe l’Est Républicain, le dimanche 5, Camille se rend cette fois en Haute-Marne. Au petit matin, elle s’endort au volant de la Peugeot, et finit dans le talus. Pour se sortir de cet accident sans gravité, elle appelle un ami, et passe la nuit avec lui. Elle est interpellée le lendemain. Mise en examen pour meurtre, quand le parquet demandait que la préméditation soit retenue et qu’elle le soit pour assassinat, Camille Anguenot a été placée en détention provisoire à la maison d’arrêt de Lutterbach, près de Mulhouse.
Ce sera désormais aux experts judiciaires de se pencher sur sa personnalité, de déterminer comment, en dépit de son très jeune âge, elle a pu faire preuve d’un tel sang-froid, et passer une semaine avec le corps de Théo dissimulé chez elle. Camille a également eu la lucidité de se débarrasser de l’arme du crime ainsi que des draps souillés, en les jetant à la poubelle. Dans son entourage, c’est la stupeur qui domine. « Je suis sous le choc. Je ne comprends rien à tout ça, souffle Sébastien, son papa. Je la voyais tous les jours. Elle semblait normale. Il n’y a que son procès qui pourra nous éclairer sur ce qu’il s’est passé. »
« Une jeune femme très claire dans ses idées, pas du tout délirante »
À la séparation de ses parents, cette deuxième enfant d’une fratrie de cinq avait fait le choix d’habiter avec son père plutôt que sa mère, assistante maternelle. Camille et Sébastien résidaient à Cussey-sur-l’Ognon (Haute-Saône) dans l’appartement situé au-dessus de la boulangerie-épicerie exploitée depuis 2017 par le papa, jusqu’à sa faillite il y a deux mois. Après une scolarité en lycée agricole, Camille avait travaillé un an comme vendeuse dans le commerce familial. « Franchement, autant je ne m’entendais pas avec son père, autant elle, il n’y avait rien à lui reprocher, décrit une voisine. Elle était serviable, aidait les personnes âgées à charger leurs courses. » À peine une autre riveraine glisse-t-elle que Sébastien s’était une fois plaint d’un vol dans sa caisse, dont il avait soupçonné sa fille…
Passionnée d’équitation, Camille avait acquis un cheval, Volcan d’or, dont elle s’est fait tatouer le nom sur son avant-bras. Sur Facebook, elle déroulait le quotidien de son cheval à travers des dizaines de photos. Toujours ouverte au public, la page est désormais le réceptacle d’une avalanche de messages haineux et de menaces de mort. « Je ne comprends pas comment elle en est arrivée à ça, soupire Maxime, un copain de la meurtrière. Quand j’ai découvert ce qui lui était reproché, je n’y ai pas cru. Elle faisait sa petite vie. Elle était plutôt calme. »
« C’est une fille normale », appuie le propriétaire de l’écurie où Volcan est toujours en pension. Le procureur de la République de Besançon évoque pour sa part « une jeune femme très claire dans ses idées, pas du tout délirante », à propos de laquelle « la question centrale, désormais, va être de comprendre qui elle était. » « Lors des cours d’équitation, elle était à l’écoute, pas impulsive », développe David, habité désormais par l’idée que Théo a été piégé, faute d’avoir cédé à ses exigences. « Je me dis aussi que j’aurais pu être à sa place… », s’angoisse-t-il rétrospectivement.
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