Ces derniers jours peut-être avec plus de virulence que ces dernières années, la thématique de l'insécurité prend une place très importante dans le débat public.
J'aimerais donc traiter de ce sujet de façon approfondie afin de dépasser les habituelles bassesses rhétoriques que nous impose le cadre médiatique habituel.
Tout d'abord, sachez qu'il existe deux sources principales de statistiques sur les violences : les enquêtes de victimation, qui sont des enquêtes par sondage où l'on demande aux gens s'ils ont été victimes de violence ; et les statistiques policières.
Les statistiques policières sont généralement les plus utilisées dans le débat public. Pourtant ce sont les statistiques les plus biaisées.
En effet, la plupart des actes de délinquance ne font pas l'objet d'un dépôt de plainte et par conséquent ne sont pas enregistrés dans les statistiques de police.
Ce premier biais est très important. La proportion de personnes désirant déposer plainte peut en effet fluctuer selon l'évolution des mœurs et une dégradation apparente dans les statistiques policières peut en fait traduire un phénomène positif. Ce peut par exemple être le cas en ce qui concerne les violences sexuelles. L'augmentation du taux de plaintes peut traduire un simple recul du sentiment de honte ou de culpabilité des victimes amenées à déposer plainte plus fréquemment,
mais apparaître faussement comme une augmentation réelle du nombre de violences sexuelles.
D'autre part les statistiques policières n'enregistrent pas les infractions qui font l'objet d'une sanction administrative. À cet égard un nombre très conséquent d'infractions économiques et financières y échappent. En effet, comme le théorisait Michel Foucault les infractions des classes dominantes échappent le plus souvent à la qualification pénale. À ce titre on peut penser à la capacité d'un certain nombre d'administrations publiques de recourir à des sanctions administratives venant se substituer aux sanctions pénales.
Sous l’empire du code pénal de 1810, le juge pénal était seul compétent pour réprimer les atteintes à la concurrence et au marché boursier. En droit de la concurrence, c’est principalement l’ordonnance du 1er décembre 1986 qui a procédé à une dépénalisation importante du droit des pratiques anticoncurrentielles et a confié l’essentiel du contentieux au Conseil de la concurrence. C’est ensuite la loi du 2 août 1989 qui est venue octroyer à la Commission des opérations de bourse le pouvoir de sanctionner les manquements à ses propres règlements. Il n’en va pas différemment en matière de fraude fiscale, puisque l’administration fiscale dispose de la possibilité d’imposer des sanctions administratives exprimées en pourcentage des droits éludés.
Voici un schéma du champ d'enregistrement des statistiques policières :
Par ailleurs il convient également de souligner que les modifications législatives ainsi que les doctrines en matière de politique intérieure impactent très fortement et biaisent également ces statistiques.
Voici comment ont évolué les statistiques policières ces dernières décennies :
On peut voir que le taux de criminalité semble avoir atteint un pic pour se stabiliser entre 5 et 6 pour 1000 habitants.
On voit également qu'une hausse très significative est intervenue dans les années 60 et 70. Cette hausse s'explique en grande partie par la hausse des vols.
On peut également se rendre compte, grâce à l'outil google NGram Viewer, que le thématique de la délinquance a également connu un bon important dans la littérature durant cette même période, avant de chuter.
Outre les biais de la statistique policière évoqués plus haut, l'accroissement des biens et des marchandises intervenu durant ces années a favorisé la déprédation matérielle. Par ailleurs l'essor des contrats d'assurance a pu agir sur les taux de plainte en incitant à ouvrir un contentieux comme condition de remboursement.
Enfin, l'urbanisation et l'effritement des normes et des institutions traditionnelles qui en a résulté a également participé d'une anomie favorable à une augmentation des comportement illicites.
Il semblerait cependant que le taux de déprédation matérielle ait sensiblement diminué depuis les années 2000.
Plus récemment toutefois, depuis les années 80, le taux de criminalité est stimulé par une politique axée sur la répression des traffics de drogue. L'essentiel des contentieux sont par ailleurs ciblés sur un simple "usage" de cannabis.
Enfin, les violences contre les personnes semblent également augmenter selon les statistiques policières depuis les années 90.
Si les homicides restent stables comme l'illustre le graphique suivant :
C'est surtout le taux de coup et blessures et de viols qui auraient augmentés dans les statistiques policières :
Enfin, une collaboration unique en France a permis à l'INSEE de travailler avec l'administration pénitentiaire en 1999. Cette étude a permis de dresser un portrait sociologique des détenus et ainsi de mieux comprendre quelles variables macrosociologiques pouvaient impacter le taux de délinquance. Sans surprise, la jeunesse est un facteur très significatif d'un risque de délinquance accru. Par conséquent l'évolution de la structure par âge de la population entretien également des liens étroits avec le taux de délinquance. Criminologie et démographie vont de paire.
Par ailleurs la scolarisation joue un rôle très important également. Les jeunes sortant tôt du système scolaire ont des risques significatifs de contribuer aux statistiques pénales.
Enfin, l'orignie géographique joue également un rôle important. Les étrangers ont davantage tendance à être écroués. Cette dernière affirmation est d'autant plus vraie pour les immigrés d'Europe centrale.
A la question posée par le titre de ce topic, nous répondrons donc, au vu des statistiques policières, que nous vivons bien dans une société qui semble plus violente.
Toutefois la violence ne saurait se juxtaposer toujours parfaitement à la délinquance. Nombre de comportements délictuels ne peuvent en réalité pas s'assimiler à des comportements violents. Il en va ainsi des délits sans victime comme l'usage de stupéfiants.
En outre, ce dernier peut s'interpréter comme la résultante d'une autre forme de violence, licite celle ci, et qui par voie de conséquence échappe également à la qualification délictuelle. Il s'agit de la violence économique et des violences symboliques.
L'accroissement de la consommation ostentatoire qui a accompagné le capitalisme des trente glorieuses s'est traduit par une augmentation des inégalités de conditions de vie matérielle, et par conséquent par une augmentation de la violence symbolique. La massification scolaire a quant a elle également contribué à cette dernière. L'école se voulant le vecteur de la seule culture légitime, reléguant au statut de culture illégitime la plupart des pratiques culturelles populaires, la généralisation du taux de scolarisation à certainement accru la part de la population soumise à la violence symbolique que cette institution véhicule.
Enfin, l'accroissement conjoint des discours xénophobes et du taux d'immigrés, là encore a contribuer à exposer à toujours plus de violence symbolique tout un pan de la population.
Et pour finir, l'essor des nouvelles techniques de management postfordistes, l'intensification des rythmes de production ; ainsi que la hausse de la part des emplois précaires et la réduction des droits salariaux, ont également exposé les salariés à davantage de violence économique.
J'aimerais revenir demain, car il se fait tard, sur la mesure de la délinquance par les enquêtes de victimation, et voir dans quelles mesures les constats qui s'appuient sur ces enquêtes diffèrent des observations qui ressortent des statistiques policières.