Face à une laïcité de plus en plus confuse, reniant ses propres origines, face aux injonctions de plus en plus pressantes des religions, face à une jeunesse pour la première fois promotrice des cultes, nombreux sont ceux clamant haut et fort l'urgence de raviver celle-ci dans l'esprit de certains français.
Mais le peut-on réellement ? Du moins, les propositions prônées ont-elles une chance d'aboutir ?
J'en doute personnellement à cause d'un mythe républicain désincarné. Suite à l'évolution toujours plus rapide de la société et au temps qui passe, les premières luttes pour imposer une société laïque sont devenues étrangères. Seuls quelques centenaires pourraient encore probablement se sentir familiers de ces événements. La République et la laïcité ont finalement perdu ce corps sensible.
On entend beaucoup de gens proposer de réaffirmer, de réenseigner la laïcité. Cependant, est-ce vraiment possible à l'heure actuelle. Cela ne peut certes pas faire de mal, mais c'est avant tout une solution de prévention. On ne peut pas convaincre les opposants à la laïcité à la française de devenir laïque en se contentant de leur dire "la laïcité, c'est bien, la laïcité, c'est nous".
Je caricature, mais finalement, on se contente malheureusement d'assimiler la laïcité aux valeurs républicaines, or ces fameuses valeurs sont finalement très abstraites et, telles que professées, ne se fondent sur aucune connaissance déterminée et sur aucune réalité tangible. Comment faire aimer la laïcité et la France sans en faire ressentir, physiquement ou émotionnellement, la réalité historique qui s'y cache. Faire aimer une idée pure, cela s'appelle de la propagande. Cette idée de la France, pour la faire aimer réellement, il faut rappeler son histoire, ses histoires.
Mais l'histoire est désormais enseignée sans histoires, les cours d'histoires, de géographies, sont dorénavant des exercices d'analyse de documents. Sous prétexte qu'elles caricaturent l'Histoire, qu'elles sont partiales et partielles, on a banni les anecdotes, les grandes figures, celles qui s'incarnaient dans l'imagination, celles que l'on pouvait aussi virtuellement que cela soit "ressentir". On a finalement banni l'Histoire que l'on pouvait aimer pour mieux la remplacer par une Histoire vide que l'on peut juger. Les jeunes générations sont dans leur généralité incapable de résumer l'évolution de la France, même de manière grossière, ils peuvent au mieux mentionner quelques événements n'ayant rien à voir avec les autres, pourtant, elles sont promptes à juger des périodes qu'ils ne connaissent pas. C'est ici le paradoxe humain. Il est très facile de juger ce que l'on ne connaît pas mais très difficile d'aimer ce que l'on ne connaît pas.
Ce problème est bien évidemment beaucoup plus large que celui de la laïcité mais la notion étant d'actualité, elle met en valeur cette faille de la France contemporaine.
En répétant systématiquement que la laïcité est une valeur "républicaine" n'a-t-on pas tué cette valeur française ancestrale ?
Bien entendu, la République a joué un rôle majeur dans l'imposition définitivement temporaire de cette valeur que ce soit la fameuse loi de séparation de l'Eglise et de l'État ou l'école républicaine de Pagnol au début du XXème siècle. Mais celle-ci n'aurait jamais émergé de cette manière sans cette longue tradition française.
Pourquoi ne rappelle-t-on pas qu'avant d'aboutir à la radicalité républicaine, la laïcité, c'est l'histoire d'un royaume de France qui, depuis quasiment l'apparition de la langue française, depuis Philippe Le Bel n'a cessé de vouloir séparer la religion et le politique. C'est le développement d'un christianisme français, le gallicanisme qui, tout en laissant finalement la pensée religieuse, les dogmes à la religion et au pape, affirme son indépendance et son autorité sur les prétentions catholiques à influer la politique française. C'est l'excommunication de Philippe IV, c'est l'influence du politique sur la religion (et non l'inverse) avec la papauté d'Avignon. C'est La Renaissance et le concordat de Bologne, la lutte à nouveau du roi de France, François Ier contre la papauté, et sa domination imposant à l'État le choix des chefs religieux, sans avoir à demander l'autorisation à quiconque. C'est Henri IV qui renonce à ses croyances religieuses pour servir le pays, et qui impose par la force la paix entre les religions. C'est Richelieu qui écarte définitivement la religion comme possible cause de rébellion, ou prétexte à ne pas respecter quelques décisions de l'état, ou pire à remettre en cause l'état. C'est Louis XIV qui affirme définitivement l'innocuité du Pape en déclarant son pouvoir purement spirituel, soutenu dans sa démarche par les évêques français, laïcards avant l'heure.
La République n'a même peut-être pas tant apporté que ça à la laïcité, elle lui a permis au début du XXème siècle de s'adapter à une société dans laquelle le catholicisme n'était plus une norme indépassable car oui avant la république, le catholicisme n'était pas en soi remis en cause en tant que religion, mais en tant qu'influence politique, c'était finalement une guerre déjà gagné par l'état. La laïcité politique n'est pas spécialement républicaine, la promotion de l'athéisme le fut. Les hussards noirs de la République n'avaient pas de mots assez durs contre les grenouilles de bénitiers et les curetons.
N'est-ce pas finalement le problème quand on promeut à l'heure actuelle la laïcité républicaine, c'est qu'on se fonde sur la promotion d'un athéisme qui semble avoir perdu le combat du XXIème siècle, que personne ne cherche plus à promouvoir d'ailleurs. (malheureusement ? heureusement ?)
Promouvoir la laïcité à la française est-il seulement possible quand on se refuse à enseigner l'histoire de l'Histoire de France ?
Par précaution, je voudrais juste préciser que je ne juge pas inutile, ces réaffirmations du principe laïque, les minutes de silence en mémoire de Samuel Paty, les rappels sur la laïcité etc... Tout cela permet d'affirmer sa volonté de ne pas abandonner cette valeur, de résister. Seulement, déclarer résister, sans résister derrière, je me demande si ce n'est pas contre-productif.