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Sujet : Le mythe républicain désincarné ou la vaine publicité de la Laïcité
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Zech
Niveau 22
30 novembre 2020 à 21:54:22

Face à une laïcité de plus en plus confuse, reniant ses propres origines, face aux injonctions de plus en plus pressantes des religions, face à une jeunesse pour la première fois promotrice des cultes, nombreux sont ceux clamant haut et fort l'urgence de raviver celle-ci dans l'esprit de certains français.
Mais le peut-on réellement ? Du moins, les propositions prônées ont-elles une chance d'aboutir ?
J'en doute personnellement à cause d'un mythe républicain désincarné. Suite à l'évolution toujours plus rapide de la société et au temps qui passe, les premières luttes pour imposer une société laïque sont devenues étrangères. Seuls quelques centenaires pourraient encore probablement se sentir familiers de ces événements. La République et la laïcité ont finalement perdu ce corps sensible.

On entend beaucoup de gens proposer de réaffirmer, de réenseigner la laïcité. Cependant, est-ce vraiment possible à l'heure actuelle. Cela ne peut certes pas faire de mal, mais c'est avant tout une solution de prévention. On ne peut pas convaincre les opposants à la laïcité à la française de devenir laïque en se contentant de leur dire "la laïcité, c'est bien, la laïcité, c'est nous".

Je caricature, mais finalement, on se contente malheureusement d'assimiler la laïcité aux valeurs républicaines, or ces fameuses valeurs sont finalement très abstraites et, telles que professées, ne se fondent sur aucune connaissance déterminée et sur aucune réalité tangible. Comment faire aimer la laïcité et la France sans en faire ressentir, physiquement ou émotionnellement, la réalité historique qui s'y cache. Faire aimer une idée pure, cela s'appelle de la propagande. Cette idée de la France, pour la faire aimer réellement, il faut rappeler son histoire, ses histoires.

Mais l'histoire est désormais enseignée sans histoires, les cours d'histoires, de géographies, sont dorénavant des exercices d'analyse de documents. Sous prétexte qu'elles caricaturent l'Histoire, qu'elles sont partiales et partielles, on a banni les anecdotes, les grandes figures, celles qui s'incarnaient dans l'imagination, celles que l'on pouvait aussi virtuellement que cela soit "ressentir". On a finalement banni l'Histoire que l'on pouvait aimer pour mieux la remplacer par une Histoire vide que l'on peut juger. Les jeunes générations sont dans leur généralité incapable de résumer l'évolution de la France, même de manière grossière, ils peuvent au mieux mentionner quelques événements n'ayant rien à voir avec les autres, pourtant, elles sont promptes à juger des périodes qu'ils ne connaissent pas. C'est ici le paradoxe humain. Il est très facile de juger ce que l'on ne connaît pas mais très difficile d'aimer ce que l'on ne connaît pas.

Ce problème est bien évidemment beaucoup plus large que celui de la laïcité mais la notion étant d'actualité, elle met en valeur cette faille de la France contemporaine.

En répétant systématiquement que la laïcité est une valeur "républicaine" n'a-t-on pas tué cette valeur française ancestrale ?
Bien entendu, la République a joué un rôle majeur dans l'imposition définitivement temporaire de cette valeur que ce soit la fameuse loi de séparation de l'Eglise et de l'État ou l'école républicaine de Pagnol au début du XXème siècle. Mais celle-ci n'aurait jamais émergé de cette manière sans cette longue tradition française.

Pourquoi ne rappelle-t-on pas qu'avant d'aboutir à la radicalité républicaine, la laïcité, c'est l'histoire d'un royaume de France qui, depuis quasiment l'apparition de la langue française, depuis Philippe Le Bel n'a cessé de vouloir séparer la religion et le politique. C'est le développement d'un christianisme français, le gallicanisme qui, tout en laissant finalement la pensée religieuse, les dogmes à la religion et au pape, affirme son indépendance et son autorité sur les prétentions catholiques à influer la politique française. C'est l'excommunication de Philippe IV, c'est l'influence du politique sur la religion (et non l'inverse) avec la papauté d'Avignon. C'est La Renaissance et le concordat de Bologne, la lutte à nouveau du roi de France, François Ier contre la papauté, et sa domination imposant à l'État le choix des chefs religieux, sans avoir à demander l'autorisation à quiconque. C'est Henri IV qui renonce à ses croyances religieuses pour servir le pays, et qui impose par la force la paix entre les religions. C'est Richelieu qui écarte définitivement la religion comme possible cause de rébellion, ou prétexte à ne pas respecter quelques décisions de l'état, ou pire à remettre en cause l'état. C'est Louis XIV qui affirme définitivement l'innocuité du Pape en déclarant son pouvoir purement spirituel, soutenu dans sa démarche par les évêques français, laïcards avant l'heure.
La République n'a même peut-être pas tant apporté que ça à la laïcité, elle lui a permis au début du XXème siècle de s'adapter à une société dans laquelle le catholicisme n'était plus une norme indépassable car oui avant la république, le catholicisme n'était pas en soi remis en cause en tant que religion, mais en tant qu'influence politique, c'était finalement une guerre déjà gagné par l'état. La laïcité politique n'est pas spécialement républicaine, la promotion de l'athéisme le fut. Les hussards noirs de la République n'avaient pas de mots assez durs contre les grenouilles de bénitiers et les curetons.
N'est-ce pas finalement le problème quand on promeut à l'heure actuelle la laïcité républicaine, c'est qu'on se fonde sur la promotion d'un athéisme qui semble avoir perdu le combat du XXIème siècle, que personne ne cherche plus à promouvoir d'ailleurs. (malheureusement ? heureusement ?)

Promouvoir la laïcité à la française est-il seulement possible quand on se refuse à enseigner l'histoire de l'Histoire de France ?

Par précaution, je voudrais juste préciser que je ne juge pas inutile, ces réaffirmations du principe laïque, les minutes de silence en mémoire de Samuel Paty, les rappels sur la laïcité etc... Tout cela permet d'affirmer sa volonté de ne pas abandonner cette valeur, de résister. Seulement, déclarer résister, sans résister derrière, je me demande si ce n'est pas contre-productif.

cazadalle
Niveau 8
01 décembre 2020 à 09:56:21

Donc tu te plains que la laïcité disparaisse en France, ce qui reste à prouver. Et ta solution c'est qu'il faudrait enseigner la véritable histoire de France aux enfants à l'école ? Parce qu'on n'enseignerais pas assez bien l'histoire et/ou la laïcité actuellement ? :hap:

El-Tigrou
Niveau 10
01 décembre 2020 à 13:58:01

Il y a quelque chose avec quoi je suis bien d'accord dans ce post, c'est que la laïcité ne se réduit pas à la séparation des Églises et de l’État par la loi de 1905 comme on l'entend trop souvent dire. La laïcité c'est la séparation du religieux et du politique, le rejet de la religion hors du débat public et des lois.

Et dans ce sens, le principe de laïcité n'est pas forcément incompatible avec un régime concordataire. La constitution civile du clergé, le service public du culte ou le concordat bonapartiste étaient des régimes laïques. Et ils étaient en effet dans la lignée du gallicanisme d'ancien régime.

Ceci dit, je ne suis pas convaincu qu'on puisse donner l’ancien régime comme modèle de séparation du religieux et du politique. Ca reste un régime où des arguments divins sont utilisés pour légitimer le pouvoir politique, ou la loi intègre le sacré plutôt que de défendre la liberté de conscience (voir la punition du blasphème) et où les membres de religion différentes de la religion d'Etat sont discriminés. La France n'est pas laïque de manière "ancestrale".

On ferait déjà bien d’enseigner correctement la part "théorique" de la laïcité tant il est atterrant de voir la proportion de gens incapables de définir ce terme ou bien en donnant des contresens du style "la laïcité c'est respecter toutes les religions donc Charlie n'est pas laique", "la laïcité ça veut dire que l'Etat ne s'occupe pas de religion" ou encore qua "la laïcité doit traiter différemment le catholicisme du fait des racines chrétiennes de la France". Et si il est besoin de rajouter du "sensible", de "l'incarnation", la lute pour la liberté de conscience ne manque pas d'épisode historique fameux voire de martyrs :(

Pseudo supprimé
Niveau 8
01 décembre 2020 à 15:11:11

C'est plutôt le fait que la France soit profondément laïque qui est un mythe, la France est la fille aînée de l'église, le pays fut à majorité catholique pendant 1500 ans, et il y a 150 ans à peine, 99,9 % de la population française etait batisé.
Donc clairement dire que la France est profondément laïque c'est faux, factuellement, si elle est profondément quelque chose, c'est catholique

Pseudo supprimé
Niveau 8
01 décembre 2020 à 15:16:48

Et justement tes exemples ou le roi se detourne du pape,c'est parce que le roi de France se considérait comme plus légitime que le pape lui même, ce n'est pas un rejet de la religion au contraire.

El-Tigrou
Niveau 10
01 décembre 2020 à 15:31:45

En effet, on peut le formuler comme ça: lutter contre la subordination de l'Etat au pape ne s'accompagnait pas pour autant d'une séparation du politique et du religieux.

Taubira2022Yes
Niveau 30
01 décembre 2020 à 22:16:27

Le 01 décembre 2020 à 15:11:11 Masterx89 a écrit :
C'est plutôt le fait que la France soit profondément laïque qui est un mythe, la France est la fille aînée de l'église, le pays fut à majorité catholique pendant 1500 ans, et il y a 150 ans à peine, 99,9 % de la population française etait batisé.
Donc clairement dire que la France est profondément laïque c'est faux, factuellement, si elle est profondément quelque chose, c'est catholique

Non, elle est maintenant profondément incroyante, de là découle un soutien assidu à la laicité. D'ailleurs, ceux qui se définissent comme Catho, s'il l'on en croit les sondages, sont en grande majorité pro Laicisme.

Zech
Niveau 22
01 décembre 2020 à 22:33:07

Bon faut que je répondre à plusieurs choses.
D'abord à Cazadelle, je ne dis pas que la laïcité disparait en France, les sondages sont certes toujours à prendre avec du recul mais semblent montrer un attachement profond à la notion par la majorité. Je commençais par affirmer à la fois qu'elle devenait confuse même auprès de ceux la prônant et qu'elle était mise à l'épreuve.

Pour répondre par la suite à El Tigrou, je n'instaure pas l'ancien régime comme modèle, car pour moi, c'est une longue lutte et prise d'indépendance progressive. Elle intègre le sacré mais pour se l'approprier et usait de la religion de manière politique mais ans que sa politique soit influencé par la pensée religieuse, au contraire, c'était la politique qui manipulait le religieux et non l'inverse. Et si parfois "l'état" soutenait clairement le religieux, c'est parce que le religieux assumait le rôle de fondation d'un royaume uni entre autre. Bien entendu, la catholicité de la France ou du moins son christianisme n'ont jamais alors fait de doute ou été remise en question. ( l'influence protestante fut tout de même profonde malgré leur défaite politique et militaire. Mais c'est un autre sujet.)

Et si je suis d'accord avec toi sur le fait que la part théorique, la notion abstraite est mal comprise, je ne crois pas que ce soit en l'enseignant directement qu'on arrivera à mieux la faire comprendre. Certains essaient de faire prendre conscience de sa théorie, mais ils entrent dans des polémiques, des contradictions aussi ignares que malhonnêtes, qui finalement ne permettent pas une meilleure compréhension. C'est peut-être malheureux, mais c'est ainsi. L'idée d'une vérité qui s'imposerait par sa nature me semble illusoire.

Au contraire, l'enseigner par l'histoire, permet déjà de lui donner des faits qui seront indubitables mais permettrait surtout d'aborder la théorie de la notion en ayant en tête ses implications concrètes via des exemples qui ne pousseraient pas "instinctivement" à la polémique comme des sujets d'actualité qui favorisent les jugements à l'emporte-pièce.

Quand aux affirmations de masterx, je ne sais quoi répondre. Mon message tend bien à montrer que catholicisme et laïcité ne s'oppose pas, que le second est même issue du gallicanisme donc du catholicisme français. Je ne vois pas en quoi, j'ai pu sous-entendre que la France n'était pas dans presque toute son histoire catholique. Tu sembles me contredire sur des points sur lesquels, je ne suis pas en désaccord....

Pour la troisième remarque, c'est totalement faux. Jamais le roi ne s'est placé comme une autorité théologique, la sacralité de leur rôle n'a jamais poussé les rois de France à se considérer comme supérieur au pape en tant qu'autorité sur le christianisme, simplement comme autorité sur le royaume. La sacralité du titre de Roi de France poussait à reprocher les ambitions politiques, d'ingérences du pape qui outrepassait alors son rôle selon eux. Toutes les causes d'excommunication sont fondés purement sur la politique et nullement sur la théologie. Même quand les rois remettent en cause les prérogatives théologiques du pape, c'est parce qu'elles juges que ces prérogatives relèvent du politique. Il n'y avait pas séparation avec l'autorité religieuse sous l'ancien régime, mais il y avait régulièrement des prises de distance avec l'autorité religieuse comme autorité religieuse.

Zech
Niveau 22
02 décembre 2020 à 06:52:09

Au passage, je précise quand même un élément de ma pensée qui me semble important.
S'il est évident que la séparation de la religion et du politique n'était pas possible sous l'ancien régime, bien que le politique usait du religieux et non l'inverse, et que donc la laïcité ne s'opposait pas au catholicisme et se fondait même sur elle, et notamment sur l'aspect sacré du roi, il ne faut pas pour autant croire selon moi que la laïcité d'aujourd'hui peut fonctionner de la même manière.

Ce rapport particulier de la laïcité au religieux n'est possible que dans un état, où il n'y a véritablement qu'une religion ultra dominante et fortement ancrée. Etablir un lien entre une religion et la laïcité n'est plus possible. Aucune religion n'est dans une telle position de domination. Certes la religion catholique est officiellement majoritaire, mais la religion catholique pratiquée et fondée est très minoritaire, bien que difficile à évaluer. Enfin, je ne sais pas si c'est difficile à évaluer, mais il ne me semble pas qu'on ait accès à des chiffres sérieux sur le sujet.

BALAVO8483
Niveau 4
02 décembre 2020 à 07:33:15

Marianne = Marie mais creuse à l'intérieur comme une statue inexistante
Même les républicains savent qu'elle n'existe pas vraiment
Tout ce délire collectif deniel sera bientôt finit

backstabber75
Niveau 7
03 décembre 2020 à 23:59:36

Post initial intéressant (peut-être un peu trop pour le forum? lol) venant d'un esprit mature, mais je me permettrais de nuancer un peu.

Déjà je pense que c'est une erreur de prétendre que ce que tu dis est typiquement français. Il est vrai que les sources de la laïcité française remonte à bien avant les "Lumières" et c'est important de le rappeler comme tu le fais: les gallicans contre les ultramontains, la raison d'Etat contre les Habsbourg, les traumatismes des guerres de religion avec ses drames qui ont marqué l'inconscient français.

Mais tout ça n'est qu'une particularité française d'un ensemble général qui est européen: chez les Anglais c'est pareil avec la naissance de l'anglicanisme, les princes allemands avec le protestantisme tout comme les Provinces-Unis contre les Pays-Bas espagnols des Habsbourgs, Machiavel est antérieur à Richelieu, les guerres de religion en général est un phénomène européen.

Ce qui est unique d'après moi chez les Français qui nous différencie des autres Européens, c'est l'idée de raison. C'est notre héritage de Descartes et notre esprit cartésien, qui est une deuxième origine des Lumières françaises (la première étant d'origine libérale causée par les guerres de religion que nous partageons en commun avec les Anglais) qui fait que nous sommes différents, que la laïcité à la française est différente.

Par ce mélange particulier, la France a été tout particulièrement orientée vers le déïsme ou l'athéïsme, ce penchant particulier sur le doute, de Rabelais à Diderot, par ces provocateurs comme le fut Sade, à la différence des réformes anglaises et de sa révolution de Cromwell, la Révolution française, bien plus qu'une révolution libérale et républicaine, nous avons ajouté l'extermination des prêtres et la démolition des églises. La Science, la raison, qu'elle soit dans le doute ou d'Etat, les Grandes Ecoles scientifiques colbertiennes contre les universités ecclésiastiques, le théâtre de la satire, bref, la France.

Les études le montrent d'ailleurs très bien, sur les 200 pays que comptent le monde la France est dans le top 5 des pays les plus athées de la planète, avec la Chine, le Vietnam et la République Tchèque. La France, "fille aînée de l'Eglise", n'est qu'un message de propagande des intégristes religieux du XIXe siècle. Cette base athée, réelle, est une composante et un moteur majeure de la laïcité à la française, ce n'est pas simplement la liberté de croire ou de ne pas croire. Enseigner aux enfants qu'on ne peut pas transformer par la pensée l'eau en vin, qu'on ne peut pas couper la mer en deux avec un bâton, que c'est l'ombre de la Terre qui cache une partie de la Lune et non de la volonté d'un mythomane du désert.

Voilà comment doit être défendu la laïcité à la française. Chacun doit avoir le droit de croire ou de ne pas croire, ok pas de problème, mais avant ça faut apprendre quelques fondamentaux, merci.

Pseudo supprimé
Niveau 10
04 décembre 2020 à 03:57:56

Le 30 novembre 2020 à 21:54:22 Zech a écrit :

N'est-ce pas finalement le problème quand on promeut à l'heure actuelle la laïcité républicaine, c'est qu'on se fonde sur la promotion d'un athéisme qui semble avoir perdu le combat du XXIème siècle, que personne ne cherche plus à promouvoir d'ailleurs. (malheureusement ? heureusement ?)

Au contraire, l'athéisme progresse très bien en France et commence un peu partout dans le reste du monde.

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