Salutations
En ces temps où les prix de l’immobiliers explosent, l’une des mesures les plus populaire est de mettre en place un contrôle des loyers. Rien qu’en France, on compte 24 communes l’ayant mis en place dont Paris, Lyon, Lille ou Montpellier. On peut donc légitiment se demander si cela est efficace et si non, pourquoi est-ce aussi populaire ?
Tout d’abord d’un point de vue théorique très basique, lorsqu’on entend contrôle des prix, c’est plutôt une mauvaise nouvelle en économie. Plafonner les prix, au mieux cela n’a aucun effet car au-dessus du prix de marché, au pire cela réduit l’offre en éjectant du marché les offreurs non rentables. Ce qui réduit le bien-être global, tout en augmentant un peu le bien être de la demande au détriment de celui de l’offre.
Par rapport à la situation d’équilibre, le prix diminue de P* à Pp. La quantité diminue également, passant de Q* à Qo. Le surplus des consommateurs (leur bien-être), en bleu, augmente passant du niveau de P* à celui de Pp. Cela se fait au détriment du surplus des producteurs, en rouge, qui diminuent d’autant. En plus de cette variation, il y a une diminution du surplus global, en jaune, la perte sèche. Cela est du à la réduction de la quantité Q, et touche producteurs et consommateurs.
Mais ceci, c’est la base de la base et repose sur un marché en concurrence pure et parfaite, ce qui n’est pas réaliste. Dans la réalité, les producteurs ont souvent un pouvoir de marché ou autrement dit ils sont suffisamment gros pour influencer les prix en leurs faveurs, le cas extrême étant le monopole / monopsone. Sur le marché immobilier, on peut penser aux grandes entreprises comme Nexity. Dans un cas pareil, contrôler les loyers permettraient de forcer ces entreprises à perdre leur pouvoir de marché (elles ne peuvent plus augmenter autant que ce qu’elles pourraient extorquer aux locataires).
On a donc deux raisonnements simples (simplistes ?) argumentant soit contre soit pour le contrôle des loyers. Comment trancher ?
Par chance, le contrôle des loyers est une politique mise en place à de très nombreuses reprises à travers le monde. On peut donc étudier les dizaines (centaines ?) de tentatives et connaitre les effets. C’est ce qu’à fait cette récente méta-analyse https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1051137724000020 en récupérant les données de plus d’une centaine de papiers empiriques sur le sujet (il y a également une partie sur la théorie, mais cela ne m’intéresse pas).
Le premier effet décelé, et en soit le plus étudié avec 60 études le traitant, est l’effet sur le niveau des loyers. :
Bonne nouvelle, le contrôle des loyers diminue les loyers, l’effet est trouvé par 53 études sur 60, il y a clairement un fort consensus. Fin du topic ? Fichtre non. Il y a plus de 26 effets remarqués dans la littérature théorique, dont 8 fortement étudiés en empirique.
Le premier, comme on l’a dit est la réduction des loyers contrôlés.
Le second est sur la réduction de la mobilité. L’effet est là aussi très clair avec pratiquement toutes les études allant dans le sens de la diminution. Cela est couteux pour la société, vu que cela réduit la liquidité sur le marché du travail. Deux raisons à la diminution de la mobilité selon la méta-analyse :
- Les locataires payant un loyer bas, ils sont désincités à chercher ailleurs, il est difficile de trouver un logement du même coût.
- Le contrôle des loyers s’accompagne parfois d’une législation protégeant les locataires contre les expulsions.
A titre personnel, je pense que c’est aussi lié aux trois points suivants.
La réduction des constructions. L’effet est moins clair cette fois ci, mais il est quand même présent avec les deux tiers des études trouvant un effet négatif sur la construction de nouveaux logements. La raison est plutôt logique, les promoteurs immobiliers voyant la rentabilité diminuer, ils cessent de construire.
La hausse des loyers non contrôlés. Sur les 17 études recensées, 14 vont dans le sens d’une augmentation. Deux logiques sont à l’œuvre. La première est que les multipropriétaires disposant à la fois de logement contrôlés et non-contrôlés vont chercher à compenser leur perte sur le non contrôlé (voir étude sur San Francisco). La seconde, avancée par la méta-analyse, est que les locataires devant déménager rapidement n’ont pas le luxe d’attendre qu’un logement à loyer contrôlé se libèrent (comme on l’a vu plus haut, la mobilité est réduite). Ils vont donc là où il y a de l’offre, donc dans le non-contrôlé, augmentant ainsi la demande et donc les prix.
La diminution de l’offre. Avec 13 études sur 16 trouvant un effet négatif sur l’offre, l’effet semble clair. Les raisons à cela semblent aussi assez simples : les logements sont moins rentables, donc on en construit moins et on retire ceux qui sont sur le marché : soit on les fait monter en gamme pour échapper au contrôle (voir étude sur San Francisco) soit on les vend.
La hausse du nombre de propriétaires. Suite logique du point précédent, si on retire du marché des logements à louer, c’est en les vendant. Il y a donc plus de propriétaires. Néanmoins l’effet est moins clair que d’autres avec seulement 13 études sur 22 trouvant cet effet (5 trouvant une réduction du nombre de propriétaires ?).
La dégradation des logements. Avec 14 études sur 20 et aucune ne trouvant l’effet inverse, la dégradation de la qualité des logements est également un effet plutôt certains. C’est la même logique que les points précédents : la rentabilité diminuant, les propriétaires investissement moins pour maintenir en état leurs biens.
Et enfin, dernier effet, résultats des précédents, la mauvaise allocation des logements augmente. L’effet est certain avec 100% des études recensés le trouvant. La « misallocation » correspond au fait que la demande n’arrive pas à obtenir les logements qu’elle désire, ce qui peut conduire à une hausse des inégalités. Par exemple, du fait de la distorsion du signal prix, classes populaire, moyennes et aisées vont se retrouver en concurrence pour les mêmes biens. Les classes aisées vont donc avoir facilement accès aux logements et économiser, alors en situation de non-contrôle ils auraient du payer plus cher / se seraient orientés sur d’autres biens. Un autre effet peut être l’impossibilité pour un jeune adulte de quitter le foyer de ses parents, faute de logement disponible.
Voici donc les huit effets trouvés par la littérature économique empirique et ils sont tous plutôt consensuels.
Parmi les 200 études utilisées dans la meta-analyse, environ 70 datent d’avant 2000. On avait donc une idée des effets avant de mettre en place les politiques actuelles de contrôle des loyers. Alors pourquoi est ce que l’on continue à les mettre en place ?
Il s’agit de là de mon avis et non pas celui de l’article qui ne s’exprime pas sur le sujet. A mes yeux la réponse est simple : calcul électoral. Les effets négatifs d’un contrôle des loyers vont être diffus dans le temps et la société. Aussi, ils vont impacter principalement les nouveaux arrivants. Or s’ils sont nouveaux, ils ne sont donc pas encore électeurs. Les électeurs locataires, eux en revanche ont vu leur loyer diminuer ou au pire augmenter plus lentement que ce qu’il aurait dû, ce qui est satisfaisant. Une telle mesure augmente donc la popularité des politiciens, et cela est renforcé par la méconnaissance économique des citoyens.
Pour conclure, la situation est bien plus proche du modèle théorique basique que d’une situation avec pouvoir de marché. Il semble donc clair que le contrôle des loyers n’est qu’une mesure clientéliste, favorisant ceux qui sont déjà locataires, au détriment de tout le reste de la société. Toute personne sensée devrait s’y opposer.
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Bonus :
Si vous voulez une étude de cas, il y a celle de San Francisco qui est bien faite. Elle explore de nombreux effets dont la dégradation des logements, la diminution des constructions, la hausse des loyers et la montée en gamme pour échapper au contrôle.
En français : https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/qui-profite-du-controle-des-loyers-chronique-de-san-francisco/
L’original : https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20181289