Salut !
Voici une courte nouvelle écrite à l'occasion du concours d'écriture inter-forum.
J'aimerais que vous me donniez vos avis.
Merci d'avance !
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1870
La vapeur brûlante éjectée des locomotives, les chaudières bourdonnantes, les chauds Austru -si semblables aux vents du Midi qui soufflent sur les côtes Nicoises- ou tout simplement le passage effrené des voyageurs tendait à rendre l'atmosphère de la Gare de Vitebsk difficilement supportable. Le climat russe était traître, Jean l'apprit au cours de ses voyages : glacial et terrible en hiver, et parfois d'une suffocante chaleur en été. N'étant pas un homme de science, Jean s'était pourtant surpris à se retrouver captivé par un taité de météorologie publié dans le Bulletin de l'Académie impériale des sciences de Saint-Petersbourg et décrivant ce phénomène. Dévalant les marches de son wagon avec entrain, Jean tamponna légèrement son front suant d'un mouchoir en soie. La gare ne semblait pas bien vaste mais affichait une grande magnificence. Son architecture classique et le ton jaune ocre et blanc de ses murs suffisaient à manifester chez lui une certaine fascination.
Dans ses lettres, Ekaterina vantait la beauté et l'allégresse de la capitale impériale. C'est cette relation epistolaire qui poussa l'artiste à faire ses bagages et à quitter son appartement moscovite. Les lignes adroites et la qualité de verbe de sa correspondante petersbourgeoise suffirent à séduire l'expatrié.
On disait que la beauté d'Ekaterina Anatolievna Koukarina n'égalait que son amour de l'art. Jean qui recherchait à la foi une muse et un mecenat n'en demeura que plus excité à l'idée de rencontrer cette aristocrate. Pendant des mois, il s'efforcat à peindre et à publier quelques nouvelles, tantôt parues dans le Télégraphe de Mouscou tantôt dans Le Contemporain. Jean s'était par ailleurs exalté de se voir attribuer l'honneur d'être publié dans la revue qui avait autrefois imprimé les textes de génies littéraire : Tolstoï, Pouchkine, Gogol et tant d'autres. Dès qu'il reçut l'argent que ses acheteurs lui devaient, il s'était empressé de se payer un billet de train et emporta toutes ses affaires dans son voyage.
Et le voici désormais en plein coeur de l'Empire Russe, dans sa dimension la plus noble et la plus palpable. Un cocher attendait Jean à la sortie de la gare. Dans un russe absolument limpide, il pria le voyageur de s'installer et le prépara à une visite conventionnelle de la cité. Tandis que les sabots des chevaux claquaient sur les pavés, s'accordant dans une agréable mélodie, Jean restait béa devant les beautés de Saint-Petersbourg. Né à Nice il y a 25 ans, il avait passé une vie de bohème, à voyager partout en Europe. Il avait vu des choses magnifiques et inspirantes, mais ce à quoi il assistait dorénavant semblait véritablement indescriptible. Longtemps charmé par la beauté du pays, la capitale impériale symbolisait le coeur de toutes les Russies, pure et magnifique, distillée de toute misère. La calèche traversa le fameux Pont des Baisers pour traverser la Moïka. Une fois la rivière franchie, Jean ne se souvînt plus de rien. Il s'était assoupi durant le trajet. A son réveil, il fut frappé par une étrange sensation : Le cocher semblait avoir une voix complétement différente, s'en était presque amusant. Probablement une simple illusion provoquée par la fatigue. En tout cas, la voiture hippomobile s'était arrêtée au milieu d'une large place au bout de laquelle trônait une magnifique batîsse baroque à la façade bleue givrée. Une jeune femme attendait devant la calèche. Elle avait des cheveux de miel, coiffés en plusieurs tresses qui, tel Raiponce, lui descendaient harmonieusement le long de l'échine. Jean baisa la main qu'elle lui tendît. Une douce odeur de lilas parfumait sa peau. Parée de bijoux et d'étoffes, la comptesse portait une simple mais néanmoins élégante robe bleue majorelle. Un pendentif orné de lapis-lazuli s'accordait avec ses yeux de la plus merveilleuse façon.
"Je crains d'être indigne de m'adresser à une grâce telle que vous lorsque je peine moi même à être présentable.
-Ne soyez pas sôt. Votre petit costume, votre air negligé et votre accent -Seigneur !- vous donnent un air irrésistible.
-Il me tardait de vous rencontrer. Vos verbes m'ont inssuflé une grande passion, et si il y ai quelque chose de bien plus charmant encore que votre tenue, il s'agit bien de votre éloquence.
-Que n'ai-je pu avoir le loisir de vous rencontrer plus tôt. Aimez-vous mon parfum ?
-Madame, je peux sentir l'été m'étreindre à votre approche. Il vous sied à merveille.
-La Tsarine se fournit auprès d'un de vos compatriotes, Henri Brocard. La Cour importe ses flacons depuis Moscou."
Ekaterina sourit. Elle proposa son bras à Jean. Ils avancèrent d'un pas nonchalant vers le Palais.
"Magnifique, n'est-ce pas ? J'espère que la visite de la ville vous a plu. Cela doit vous être bien différent de l'austérité et de la froideur moscovite.
-Qui du Seigneur ou de votre grâcieuse personne devrais-je remercier de m'avoir donné l'opportunité de m'installer ici.
-Saviez vous que le Palais d'Hiver, en plus de servir de résidence hivernale à la famille impériale et à la Cour, est un grand musé d'art ? La collection comporte plusieurs centaines d'oeuvres.
-Je ne savais pas que la noblesse entretenait une relation si intimiste avec l'art. Vous avez dit une résidence hivernale ?"
La jeune femme se contenta simplement de sourire.
A leur approche, les portes du palais s'ouvrirent. Jean fut étonné de ne voir aucun garde à l'intérieur. Il fut néanmoins ébloui, littéralement, par toute la lumière qui se dégageait des nombreux lustres en cristal. Ekaterina conduisit son ami dans une grande salle, si vaste qu'elle aurait pu y accueuillir des centaines de convives. Sans qu'il ne s'en explique la raison, une mélodie parvînt jusqu'aux oreilles de Jean. La comptesse lui proposa une dance. Bientôt, les deux jeunes gens tournoillaient, virvoltaient au milieu de ce palais mystérieusement vide, dansaient gracieusement sur la musique de cet orchestre fantomatique. Seuls, seulement entourés des illustres spectres qui avaient un jour dansé en ce lieu, leurs corps ne semblaient faire plus qu'un tant la symbiose entre les deux êtres semblait surréaliste. La robe bleue majorelle s'animait parallèlement aux pas de dance d'Ekaterina. L'aristocrate faillit perdre son collier, mais l'emeraude tint finalement bon. Essouflés, aveuglés par les éclats coruscents émanant des lustres, leur valse se transforma en un grotesque ballet et ils rièrent aux éclats jusqu'à en perdre l'équilibre et à tomber l'un sur l'autre.
L'instant d'après, Jean se retrouvait assit sur un tabouret, une palette pleine de peinture dans la main gauche et un pinceau à poils fins dans la main droit. Ekaterina était allongée nue sur un divan. Elle posait langoureusement pour le peintre. Aucun homme n'aurait pu résister à l'appel d'une si belle créature. Et, bien que tombé amoureux de la comptesse, Jean se contenta simplement de peindre. Acteurs d'un amour platonique, metaphysique, leurs âmes n'en formait plus qu'une, unie lors de cet instant si onirique. Jean s'appliquait à transposer parfaitement chaque détail. Chaque courbe du corps féminin était soigneusement dessinée, chaque détail de la coiffure retranscrit à merveille, de sorte que l'enchanteresse se trouva bientôt représentée dans la plus grande perfection. Jean s'attela sur l'ultime élément de sa toile. Il choisit le pinceau le plus adapté et commenca à donner couleur à la pierre précieuse ornant le cou de la comptesse. Le rubis était flamboyant, étincelant. Ses tons rouges s'accordaient avec harmonie. Jean se recula pour admirer son travail. Après réflexion, quelque chose lui paraissait étrange. La pierre du pendentif d'Ekaterina n'était pas rouge lors de leur dance.Ce n'était pas un rubis mais une émeraude. Et lorsqu'il marchait avec elle avant d'entrer dans le palais, la comptesse était parée d'un lapis-lazuli. En relevant la tête, Jean fut stupéfé de voir que la comptesse s'était volatilisée. Il regarda sa toile et se rendit compte que les traits qu'il avait peint se gondolaient. En un instant, toute la pièce se mit à se déformer, à tourner dans tous les sens. Les boiseries changeaient de couleur, les lumières devenaient de plus en plus étincelantes. Jean ressentit des picotements dans ses doigts qui se mirent bientôt à saigner.
Jean ouvrit les yeux. Le plafond était sombre et l'air humide. Un rat était en train de lui grignotter l'index. Il dégagea légèrement sa main pour faire fuir la bestiole puis laissa échapper un terrible soupire. En face de lui, un barbu lui asséna un sourire édenté.
"Tu es pénible quand tu rêve. Le même cauchemar ?
-Le rêve ne prend cette tournure cauchemardesque qu'à la fin. Tout semble normal, très réaliste. Et plus le rêve se déroule, plus il est incohérent. A la fin, je me rend compte que cela n'est pas réel et je me réveille.
-Tu devrais l'oublier. C'est à cause de cette histoire que tu pourris ici. Les hommes mariés apprécient rarement que leur femmes prennent un amant.
-Si seulement nous ne nous étions pas fait prendre cette nuit-là.
-Si seulement. Réjouis-toi. Le bagne de Sibérie reste moins terrible que si l'on t'avait chatré.
-J'en doute.
-Essaies de te rendormir. Moi aussi j'aimerais avoir un peu de sommeil."
Jean se repositionna dans sa couche, ferma les yeux, et retomba endormi.