La Dernier Voyage ?
Et enfin, j’émergeai. Pour la première fois je pouvais reprendre mon souffle. Un souffle qui, maintenant, me semblait indispensable. Comment avais-je pu vivre sans lui jusqu’ici ? En un court instant, il avait effacé les innombrables souffrances qui m’avaient toujours poursuivi. Les blessures gravées au plus profond de moi disparaissaient, ne laissant derrière elle qu’une étendue vierge et immaculée. La douleur interminable qui avait façonné mon existence brulait de sa propre malice, ses cendres s’évaporant autour de moi. Une indescriptible sensation m’envahissait, plus rien ne semblait pouvoir m’atteindre. J’étais intouchable… invulnérable… invincible. La longue et dure éternité que j’avais endurée prenait enfin un sens. L’errance sans but se terminait, coupée par ce sentiment de bien-être indéfinissable qui, à lui seul, justifiait tout.
Peu à peu, le liquide, ou plutôt l’ectoplasme parfaitement transparent qui m’entourait, disparut, emportant avec lui toutes formes de malheurs. Dès l’instant où il s’éloigna de moi, la légère caresse du fluide sur ma peau me parût alors indispensable, si bien que je fus tenté de la retenir. Mais soudainement, il n’y avait plus rien autour de moi, la mer irréelle qui s’étendait à perte de vue un instant auparavant s’était volatilisée pour ne laisser qu’une brume blanchâtre. Une imperceptible fumée qui flottait avec moi. Comme porté par les nuages, j’observais cette espace sans bordures, libéré de toute matière. J’étais comme figé au milieu d’un vide infini.
Puis le décor changea, et je fus englouti par une nuit si noire que, l’espace d’un instant, je cru avoir disparu. Ce n’est qu’en sentant une vague de chaleur agréable s’abattre sur moi, que je repris conscience de mon corps. Le silence sembla redoubler d’intensité, sans toutefois devenir oppressant. Un premier point apparut, si peu lumineux que je le distinguais à peine. Puis un second, suivi d’un autre et encore d’un autre, rapidement d’innombrables points clairs m’entouraient. La multitude d’astres qui continuaient de m’envelopper m’éclairait de plus en plus. Brusquement, ébloui par la luminosité croissante, je me sentis vibrer. L’effet se propageant, tous mes membres ne tardèrent pas à frémir, comme s’ils n’arrivaient pas à supporter l’énergie infinie qui m’atteignait. L’effet s’accentua de plus en plus à mesure que ces millions d’étoiles se multipliaient. L’onde descendait et remontait le long de mon corps, laissant sur son passage une trace de chaleur électrique. Et c’est dans un état proche de la transe que mes pieds rentrèrent subitement en contact avec une surface tangible, mettant immédiatement fin au phénomène mystique qui m’avait saisi pendant de longues secondes. Surpris pas le choc, je m’écroulai au sol.
En ouvrant les yeux à nouveau, je crus tomber en voyant le sol transparent sur lequel j’étais allongé. En esquissant un geste de recul, je sentis sous mes mains une matière glacée, parfaitement lisse et extrêmement dure. Encore secoué de petit tremblements, je me relevai en prenant appui sur cette surface invisible. En regardant autour de moi, je ne pus que constater que les milliards d’étoiles qui m’entouraient s’étaient transformées en d’innombrables fils argentés. Ces cordes métalliques ridiculement fines semblaient n’avoir ni début ni fin, mais elles n’étaient pourtant pas infinies. Les brins paraissaient si délicats, qu’il aurait suffi de les effleurer pour qu’ils se brisent en mille morceaux.
Fasciné par le spectacle fantastique qui s’étalait sous mes yeux, je ne me rendis compte que tardivement que l’on m’observait. Regardant de toutes parts, je ne vis personne, mais il y avait néanmoins une présence. Je la sentais, presque effrayante ; l’être qui m’observait ne pouvait pas être loin.
« Qui est là ? », je m’entendis prononcer. Comme je m’y attendais, il n’y eut aucune réponse.
« Ou sommes-nous ? » essayais-je à nouveau. Mais comme la première fois, aucun signe ne se manifesta.
Malgré la menace qui semblait planer sur moi, la sensation de bien-être ne m’avait pas quitté. Et c’est étrangement serein que je fis un premier pas en direction du fil le plus proche. Aussi vite que la décision que j’avais prise, une femme encapuchonnée apparu devant moi. A peine avais-je levé le regard sur elle, qu’il ne restait plus que du vide. Je fis alors un second pas et cette fois elle se matérialisa à quelque centimètre, j’aurais pu la toucher si j’en avais eu le temps, mais elle avait de nouveau disparu. Je pu juste apercevoir une étoffe blanche qui semblait lui recouvrir le corps.
« Pourquoi vous cachez vous ? » osais-je dire.
« Je n’ai pas le droit de me montrer aux mortels » répondit une voix de femme très stricte.
Je sentais soudainement qu’il y avait urgence, je n’avais plus beaucoup de temps. Comme une évidence, je savais que je ne pourrais plus rester très longtemps.
« Ou-suis-je ? Qu’est-ce que je fais ici ? » Continuais-je rapidement, j’avais besoin de réponses sur cet endroit merveilleux et inquiétant.
« Entouré de tous les autres êtres vivants, mais en restant parfaitement seul, c’est dans ce royaume où chacun fini par atterrir, et bien que tout le monde y ait déjà voyagé, il arrive un temps où personne ne peut s’en réchapper. » A peine terminé, la voix monotone qui avait débité ce discours fut aspirée en avec moi, mettant fin à ce dialogue surnaturel.
…
Le néant. Un son. Puis deux. Une sirène. Un vacarme. Un poids sur mon front. Une main sur mon bras. Un long cri qui résonne. J’ouvre les yeux. Je vois un toit blanc, un appareil qui siffle à côté de moi, j’entends le mot « miracle » plusieurs fois. Je suis dans une ambulance, je m’en rappelle maintenant ; la voiture grise qui m’a percuté. Et je me rendors.
Plus tard, on m’a demandé ce qui c’était passé, je n’ai jamais su quoi répondre. Mais j’étais convaincu d’une chose ; quoi que l’on fasse, quelle que soit la manière dont on termine, personne ne quitte son corps, ou plus précisément : sa tête. Et j’étais aussi certain que c’était là que j’avais voyagé pour rencontrer la mort.