Me voilà à nouveau, seul dans cette pièce éclairée d’une seule bougie hésitante. Je contemple un instant les ombres créées par cette flamme sur le point de s’éteindre, des ombres se mouvant au rythme de la lugubre danse de la flammèche. Ces ombres, qui ne sont que des esquisses des objets qui m’entourent, des fantômes de leur véritable nature. Je revois là la photo de mon père, jaunie par le temps, il souriait sur cette photo, c’était chose rare. Ici, le trophée que j’avais remporté durant une compétition de football, la gravure sur le pied était effacée, j’avais moi-même oublié ce qu’il y était inscrit. A côté de ça, je peux apercevoir le diplôme universitaire qui m’a demandé tant d’effort, des années de durs labeurs pour ce fichu bout de papier chiffonné. D’autres souvenirs m’entourent, la peluche de mon enfance, mutilée ; le cadeau de mon dix-huitième anniversaire, un magnifique appareil photo à l’objectif brisé ; la bouteille de whiskey de ma première cuite, recouverte de poussière.
Me remémorant chacun de ces instants disparus, j’attrape mon stylo, la main tremblante, et j’appose la mine sur la feuille vierge. Le crissement du stylo tournoyant sur la page joue sa douce mélodie, laissant derrière lui la trace de son passage. Des lettres, des phrases, des idées apparaissent sur le blanc immaculé de la feuille de papier. J’écris alors, sans but, déversant ce qui me vient à l’esprit. Je n’écris pas pour être lu, à quoi bon, les mots qui s’inscrivent disparaîtront comme ils ont apparut. Non, j’écris pour m’évader, j’écris pour moi, espérant trouver l’espoir.
L’espoir, un bien grand mot. Que peut-on espérer qui perdure à jamais ? Rien ne se conserve, tout se meurt. Les souvenirs, les rêves, les valeurs. L’espoir même finit par disparaître un jour ou l’autre en chacun de nous. Tout ce que l’on peut construire, tout ce que l’on peut vivre, tout finit par s’écrouler d’une manière ou d’une autre. Alors, on m’a dit de vivre l’instant présent, de profiter du moment. Une seconde plus tard, il était déjà terminé. J’ai essayé, j’ai tout tenté. J’ai feinté de vivre heureux, de faire des rencontres, des sorties, d’entretenir des relations pour vivre toujours et encore ces instants de bonheur. Mais ils s’effaçaient, comme un simple dessin que l’on gommerait.
Au final, que restera-t-il de chacun de nous lorsque nous disparaîtrons, à notre tour ? Des souvenirs, des vestiges de notre présence, tous aussi éphémères que nous le sommes. On m’a dit de faire quelque chose de ma vie, de marquer le monde de mon empreinte afin que l’on se souvienne de moi des années après ma mort. J’ai cherché, essayé de trouver ce qui pourrait bien faire perdurer ma mémoire une fois passé de l’autre côté. Rien. Rien ne vit pour toujours. Ces artistes du passé, ces Mozart et Van Gogh, ces grands scientifiques ayant révolutionné le monde, ces Einstein et Newton, ces héros des temps perdus, ces Moulin et Don Quichotte. Tous disparaîtront, un jour arrivera où l’on ne parlera plus de ces gens, un jour arrivera où leur nom s’effacera comme tous les autres.
J’ai donc encore réfléchit, essayant de trouver ce qui pourrait me redonner l’envie de continuer. Comme tout le monde, j’ai eu envie de fonder une famille, de rencontrer une femme qui me comblerait et avec qui je donnerais naissance à une nouvelle génération. Alors je repense à mon père, aujourd’hui disparut. Il souhaitait certainement laisser une trace de sa présence en me donnant la vie, mais que restera-t-il de sa mémoire lorsque je disparaitrais à mon tour ? Les enfants que l’on fait sont voués à mourir, tout autant que nous. Tout n’est qu’un éternel recommencement, un cycle sans fin. Quoique je dise, quoique je fasse, je disparaitrais, et tout ce à quoi j’ai pu contribuer également.
Je me retrouverais dans cette solitude qui m’a toujours suivit depuis le début. Cette solitude qui s’est immiscée en moi le jour de ma naissance, qui n’a jamais cessé de me ronger. Je sais aujourd’hui que rien ne vaut la peine d’être vécut, puisque tout s’effacera.
Alors j’écris, j’inscris ces mots qui se suivent et s’enchaînent sans aucun but. Peut-être que je me trompe, peut-être que je pourrais trouver la réponse à toute mes questions. Peut-être avons-nous tous une raison d’être. J’écris. Comme une dernière tentative, dans un dernier élan, de trouver l’envie de continuer. Ma main glisse sur le papier, j’écris tout ce que je ressens, si l’on peut encore dire que je ressens quelque chose. Je suis une coquille vide, un être sans intérêt, tentant vainement de comprendre la raison de son existence. J’écris. J’écris de plus en plus vite. Les mots se déforment, deviennent méconnaissables. Soudain, la mine de mon stylo se brise et laisse se déverser une encre noire sur chacun des mots que je venais d’écrire.
En quelques secondes, tout fut recouvert d’une couleur noirâtre, les mots s’effaçaient et se rassemblaient pour former cette flaque d’encre informe. Une larme glissa sur ma joue, et chuta dans la flaque d’encre, ne faisant plus qu’un avec ces derniers mots. Tient, cela fait bien longtemps que je n’ai pas pleuré. Serait-ce de la peur ? Ou seulement de la nervosité ? Un sentiment indescriptible parcouru mon corps, et tout devint trouble dans mon esprit. J’observai une dernière fois cette pièce dans laquelle se trouvaient mes souvenirs les plus précieux. Mon regard se figea sur le portrait de mon père. Son sourire me fit frissonner.
Sans quitter la photo du regard, je saisis le revolver qui se trouvait dans le tiroir de mon bureau. Je souris une dernière fois, tandis que de nouvelles larmes roulèrent sur mon visage. Je collai l’arme sur ma tempe, tremblant. Le regard plongé dans les yeux de mon père, j’appuyai sur la détente.
La bougie s’éteignit, faisant s’évaporer les ombres de mon passé.