Mieux vaut tard que jamais.
Mardi 29 novembre
C’est raté pour ma grasse matinée. En fait, sur mon ticket de train, il est écrit que je suis parti à 10h58 hier et que je devais arriver aujourd’hui à 6h50. 10h58 heure de Moscou, mais 06h50, heure locale, ils m’auront rendu fou avec leurs horaires. Je viens de me faire réveiller, nous arrivons dans vingt minutes, mais le responsable de la chambre d’hôte ne vient me récupérer qu’à 11h50. Soit je tente de les appeler en arrivant, soit j’essaye d’y parvenir par mes propres moyens, ce qui nécessitera du wifi et une banque. Car je n’ai pas un seul tugrik en poche, je n’ai que des roubles. Enfin bref, je sens que je vais apprécier la matinée. Fais chier.
Mais quelle merde… Bon, j’ai une très mauvaise première impression de la Mongolie. Arrivé à la gare avec cinq heures d’avance, j’ai essayé d’appeler le téléphone dont je disposais, rien, on me dit que le numéro n’est pas attribué. Les mongols eux-mêmes ont essayé de le contacter, rien non plus. À la gare, ce fut assez tendu, enfin pas tendu, mais je n’ai pas aimé du tout. J’ai été littéralement assailli par les gens. Entre ceux qui voulaient m’offrir leurs excursions, ceux qui voulaient m’héberger, les taxis, et tous les autres curieux, j’étais au centre d’une foule hallucinante. Je n’ai pas du tout aimé cette impression, car ils ne souhaitaient pas m’aider, ils voulaient juste mon argent. Le point info de la gare ne m’a fourni aucune info utile, ils ne savaient même pas où était la rue de mon hébergement sur leur plan, c’est dire. J’ai réussi à retirer quelques tugriks dans un distributeur et je me suis finalement assis pour éviter toute cette agitation. Mais ils n’en avaient pas fini avec moi. L’un d’entre eux, bien décidé, m’a montré qu’il avait trouvé sur Google Maps où était ma guesthouse et, comme par hasard, il était taxi. Je l’ai suivi, il m’a déposé. Il m’a même ouvert la porte, je ne sais pas où il a trouvé le code. Sauf qu’il n’y a personne, c’est fermé. Et toujours rien au téléphone. Il est huit heures moins le quart, je suis crevé, je suis assis dans une cage d’escalier miteuse, j’ai été délesté de vingt mille tugriks par le taxi, aucune idée de combien d’euros cela représente. Enfin bref, je pense que j’ai pris la mauvaise décision, et il me faut réfléchir à la suivante. Soit je reste ici, en espérant que la personne qui s’occupe de la chambre d’hôtes se pointe, soit je retourne à la gare et j’attends là-bas. Ou sinon, je tente de trouver un autre hébergement. Mais je crois avoir fourni mes coordonnées bancaires sur le site. Changer d’hostel sans me faire couilloner va donc être difficile. Je suis très insatisfait, je pense que je ne vais pas rester sept nuits d’affilée. À voir comment est l’établissement en lui-même. Mais là, porte fermée, personne au téléphone, j’ai vu mieux. J’en sais rien, je n’ai pas internet, je n’ai presque plus de batterie, c’est la grosse merde.
Me revoici à la gare. J’ai pris un taxi. Et là je n’ai pas payé vingt mille, mais quatre mille tugriks, l’autre m’a donc bien enflé. En me référant au prix des hébergements, vingt mille tugriks doit faire quelque chose comme huit euros. Bâtard va. Je viens d’avoir un coup de fil du gars de l’hostel, enfin ! Et avec le numéro que j’avais enregistré. Alors pourquoi cela n’a t-il pas fonctionné lorsque c’est moi qui l’ai appelé ? Bonne question. Il passe me prendre, peut-être la fin des galères pour aujourd’hui. Je suis déjà délesté de vingt-quatre mille tugriks, je suis heureux…
Celui qui dirige la maison d’hôte s’appelle Erka. Il vit avec sa femme et sa fille dans un petit appartement du centre. Ce n’est pas vraiment un hostel, c’est ce qu’ils appellent une guesthouse. Ils ont aménagé leur salon en y mettant des lits superposés afin de pouvoir accueillir les touristes. Ce genre d’établissements se multiplie, il a ouvert le sien l’été dernier. Il m’a l’air très sympa, très souriant, il est aux petits soins, mais j’ai peur que ce ne soit qu’une façade afin de me proposer des excursions au meilleur prix. Je reste donc prudent, vigilant face à toutes ces bonnes attentions. Car après le coup de ce matin, je ne peux qu’accepter la réalité. Ici, je ne suis pas un être humain, je suis un porte-monnaie sur pattes. Et c’est malheureusement triste.
J’ai passé ma matinée sur Internet, cela faisait trois jours que je n’en avais pas capté la moindre onde. J’ai également feuilleté le Lonely Planet, je sais désormais ce que je veux voir à Oulan-Bator. Essentiellement des musées, quelques monastères, et un palais d’hiver qui a miraculeusement survécu aux communistes. Car la Mongolie fut longtemps sous le joug de l’URSS. Même si elle en était indépendante, elle était l’un de ses états satellites. L’architecture s’en ressent, du béton, des gros blocs et de larges avenues qui, malheureusement, ne suffisent pas à endiguer le trafic.
J’arrive sur la place centrale, auparavant nommé Sukhbaatar, elle est aujourd’hui appelée Genghis Khan. Cinq cents mètres de côté, entièrement pavée, elle accueille en son centre une statue de Sukhbaatar lui-même, à cheval, tandis qu’un Genghis bedonnant trône en haut des escaliers des bâtiments gouvernementaux. De l’autre côté, des tours perdues dans le flou de la pollution. L’air est tellement saturé en gaz et en je ne sais quoi, que les édifices situés à cinq cents mètres à peine sont dans le brouillard. Je vais faire un petit tour autour de la place, puis retour à la chambre d’hôte. L’on m’a déjà abordé en pleine rue, pour me vendre des excursions ou des dessins… Le look touriste sans doute... Je n’ai pas trop la tête à me promener, je suis bien naze, je ne tarderai donc pas trop.
Je me suis arrêté dans un magasin de souvenirs, non pas que je désirais remplir mon sac à dos de babioles mongoles, mais il me fallait un portefeuille, plus adapté à la monnaie locale. Ce matin, je suis allé à la banque avec Erka, et ai retiré un million de Tugriks, environ trois cent quatre-vingt euros, j’espère que cela me suffira pour le mois. Mais vu que les tugriks se comptent par centaines de milliers, il n’y pas de pièces, ce ne sont que des billets. Mon petit porte-monnaie équatorien ne suffit plus. Ce n’était déjà pas simple en Russie, là j’ai abandonné l’idée en voyant les liasses. J’ai déniché un truc sympa comme tout, plat, vert, en cuir, dans lequel je vais pouvoir mettre mes billets, que j’espère ne pas dilapider trop rapidement. J’ai également fait étape au musée des beaux-arts, qui comporte certaines des plus belles pièces d’art mongol. Peintures, sculptures, tissages, dessins, c’était joli à voir. Le musée porte le nom de Zanabazar. Cela ne vous dit rien, et pourtant, il est, avec le Khan Genghis et Sukhbaatar, chef de l’armée mongole lors de la guerre de 1921 avec la Chine, l’un des symboles de ce pays en quête de héros. Né en 1635, Zanabazar est vite destiné à une carrière religieuse. Le bouddhisme est déjà très répandu en Mongolie, il part faire ses études au Tibet. Il y est proclamé comme la réincarnation du leader bouddhiste mongol. Fort d’une position dominante, il s’impliquera en politique, aidant à l’alliance avec le peuple mandchou, qui mènera à la création de la séculaire dynastie Qing. Mais Zanabazar n’est pas qu’un homme religieux et politique, c’est aussi un artiste. Peintre et sculpteur, il laissera de nombreuses traces, comme le Soyombo, aujourd’hui symbole national de la Mongolie ou en réformant le système d’écriture. Le Michel-Ange des steppes aura laissé son empreinte sur le patrimoine artistique de son peuple avant de s’éteindre à Pékin en 1723.
Ma visite achevée, j’ai cherché une supérette, en vain. J’ai donc fini au marché à tenter de trouver dans l’infinité de rayonnages ce que je désirais : des pâtes, des œufs et de l’eau. Mais ce n’est pas très pratique, rien n’est accessible, je ne pouvais lire aucune étiquette. Je suis déjà de retour à la chambre d’hôte, posé tranquillement.
Alors, beaucoup de choses. J’ai profité d’un moment de détente en regardant Koh-Lanta, avant d’avoir une bonne discussion avec Erka autour du dîner. Je lui ai parlé de ce que je voulais voir, notamment dans l’est et dans le désert de Gobi. Il m’a dit que l’est était difficilement accessible à cause de la neige avant de me donner ses prix. Cinquante-cinq dollars par jour pour son salaire et sa nourriture. Autrement dit, tout ce qui est hébergement, ma propre bouffe, les entrées des parcs nationaux, des musées et l’essence, c’est pour ma pomme. Je ne peux pas payer cela, ce n’est pas la peine. Je lui ai bien fait comprendre que je n’avais pour tout mon mois que le seul million de tugriks retiré ce matin. J’ai voulu étudier les moyens d’y aller seul, il fait vraiment tout pour m’en dissuader. Difficile donc. J’ai ensuite passé au moins trois bonnes heures sur l’ordi, à relire mon Lonely Planet, à fouiller sur Internet, pour voir si je disposais d’autres options. Je pense que l’est, je peux y aller tout seul, les distances ne sont pas forcément très grandes, il y a plusieurs villages, c’est faisable. Le désert de Gobi par contre, je ne vais pas m’y aventurer, je pourrais bien aller jusqu’à la capitale locale en bus, mais après, comment faire le tour des différentes curiosités ? J’aurais donc besoin d’un tour pour le Gobi, à voir si je trouve d’autres touristes pour partager les frais. J’ai également fouillé pour dénicher un autre hostel, un vrai. Parce que là je ne suis pas à l’aise. Il fait vraiment tout pour me soutirer de l’argent. Genre, je pense que le dîner de ce soir était payant, ce n’était pas un geste de bonté. Il l’a préparé sans même me demander, alors que j’étais passé par le marché pour me faire à bouffer moi-même. J’ai voulu faire une machine à laver, c’est cinq dollars, la plus chère machine à laver de mon existence. Les lits ne sont pas super confortables, je dois l’avouer, et la douche était à peine tiède. Seuls points positifs, la location, en plein centre, et la connexion internet très performante. Je pense prétexter dans deux ou trois jours que je quitterai la capitale pour l’est, alors que je déménagerai en réalité dans un vrai hostel. Si possible, un où je peux laisser ma valise le temps que j’aille me promener, car je ne peux pas tout me trimballer. Il me faut un vrai point de chute sur Oulan-Bator, pour avoir de quoi dormir à chaque fois que je reviens sur la capitale. Et ici, ça va pas le faire, je ne ressens que des ondes négatives. Tout n’est donc qu’incertitudes, ce n’est pas gagné.
Comme si la situation IRL ne suffisait pas, les choses se gâtent également sur mon cher forum Écriture. Après une sombre histoire de tricherie sur un topic de duels nous mettant en scène, et des votes passés à la trappe, les tensions s’exacerbent chaque jour davantage. Mais il n’y a peut-être que moi qui suis en conflit avec tout le monde… Enfin bref, avec mon petit Homm, que j’ai pourtant vu l’année dernière à Lille, et avec qui je m’entendais très bien, ça ne va plus du tout. C’est également tendu avec Nono, il ne reste plus grand monde avec qui ça va encore. Le forum dépérit, nous n’avons pas de nouveaux qui restent, mais pas d’événements pour en rameuter non plus. La communauté présente ne fait que papoter sur le blabla, ne commente pas de textes, n’écrit pas pour Arrêt sur Images, j’ai d’ailleurs demandé à désépingler ce dernier. Enfin bref, ce n’est pas la grande forme sur mon fofo chéri. Donc là tout de suite, je n’ai pas trop le moral, j’espère que ça ira mieux demain.