Bonjour à tous,
Voici une autre nouvelle qui a déjà plus de 10 ans. Vos commentaires sont les bienvenus.
X-Y Zone
Par Squall46
« — Alors rien à signaler ? Les gars de D.C se tiennent tranquilles ? »
Ackles scrute l’horizon de lueurs déclinantes. Les minutes passent, l’ombre grandit, un chien aboie. Le vent siffle entre les maisons seules, vides. Le voile sombre du ciel plonge enfin sur Mansfield et les terres désolées. Dominant la région comme un roi depuis son trône lugubre, Ackles, gardien de ce monde éteint, laisse retomber ses jumelles dans son sac. Il descend la colline et poursuit par là-bas, entre les carcasses d’animaux et de voitures brûlées.
« — On dirait qu’il y a du mouvement près de l’abattoir. Juste une ou deux hyènes.
— Bouge-pas. Le vieux Klaus va faire parler la poudre.
— Je m’inquiète pas pour lui. T’as la liste de recensement d’aujourd’hui ? »
Quelques gouttes tombent, Ackles passe deux doigts entre ses lèvres, le vent redouble, il siffle. Une seconde file, l’appel triomphe. Les gémissements d’un vieux loup gris émergent d’entre deux silences. L’œil clair, la bête accourt et se jette aux pieds de son maître ; comme un serment de fidélité, l’homme lui passe une laisse métallique autour du cou.
« — Glenn, Boots, Aaron, Casus, Cinder, Tank, Klaus, Kayl et Sarah. Le compte y est… »
Mansfield s’éteint peu à peu derrière eux, comme la flamme de son grand brasier cède derrière le lointain. Les nuages se tordent. Un œil gigantesque se dessine dans la nuit, tel le ministre terrifiant d’un ciel infecté de couleurs. Ackles et le vieil animal reprennent leur route, fragiles sous le jugement de l’horrible guetteur cyclopéen. Plus loin, quelques rires sauvages s’élèvent au-delà des crêtes tandis qu’une ou deux bourrasques chassent un amas de broussailles dans la plaine stérile. La zone demeure sous l’emprise d’un règne maléfique, un règne qui survit dans les plantes et les rochers de ce désert de vie, de cette plaine malade.
« — Ecoute Ackles. On peut pas continuer comme ça. Ils ont pris Aurora la semaine dernière et Sarah…
— …est la dernière femme de Mansfield. Je suis déjà au courant, Glenn.
— On peut même pas l’échanger, personne n’en voudra. Elle est lépreuse jusqu’à l’os. On n’a plus aucun poids dans la région maintenant. Qu’est-ce que tu comptes faire quand les gars de D.C se pointeront ? Ils en auront vite assez de se taper une charogne.
— Rien… T’en as une fécondable sous la main ?
— Ils sont deux fois plus nombreux que nous ! On n’a rien à perdre à en trouver une autre.
— Rien à perdre ? Pourtant tu étais là Glenn, tu étais au premier rang lorsque les flammes sont tombées sur Reno, et moi aussi j’étais là, j’étais là pour voir la couleur tombée du ciel et nos technologies disparaître. 13 Mars, l’attaque EMP, tu te souviens ?
— Je sais…
— …plus d’électricité, plus de contacts. Il faut que je te rappelle quelle autre partie de l’histoire ? Tu sembles avoir oublié de quelle manière ils ont balayé nos chances de survie. C’est un foutu génocide qu’il y a eu ensuite Glenn. Le virus se propageant, mutant, devenant cette épidémie qui a rayé la moitié des femmes de la carte.
— Je le sais déjà…
— …et les survivantes, enlevées ou infestées et cachées dans des nids, sous terre. Tu comprends ? C’est terminé. Nous sommes terminés. Ils sont là et ne repartiront sans doute jamais. Pas besoin d’être un génie pour le savoir. Ils nous observent, nous guettent à chaque instant. Les choses ont changées, l’homme a trouvé son prédateur. Alors crois-moi, il vaut mieux avoir affaire aux gars de D.C. Résigne-toi. »
Ils longent un instant cette crique où le vent siffle contre les bancs de roches, ils tracent un moment près des forêts fatiguées et des paysages effondrés. La brume les croisent, ils embrassent le chaud et le froid, pénètrent les montagnes escarpées du lointain. Un éclair déchire le ciel, dernière promesse d’une nuit sous les flots.
« — Je sais déjà tout ça. Je comprends. Je sais que t’as perdu espoir quand Aurora a disparue…mais…tu m’as parlé de cet endroit près de l’ancienne autoroute, la semaine dernière.
— Glenn, tu sais ce que les guetteurs font aux gens qui sortent une femme d’un nid ?
— Non…
— Moi non plus, et tu sais pourquoi ? Parce que personne n’est plus là pour le raconter. »
Ackles atteint la vieille autoroute, rien qu’une plage de goudron éclaté ; il enjambe la dernière rambarde et jette un œil en contre bas. Le paysage n’a pas évolué en une semaine, quelques pendus infestés de vautours remuent sous la volonté du vent. Plus bas, les restes d’un vagabond sont dispersés dans une fosse, sinistre repaire des chiens errants. Ces collines sont une tombe.
« — Ecoute Ackles, je sais qu’on n’a plus rien à espérer de ce monde. Mais ces enfoirés nous ont enlevé beaucoup trop de choses, ils m’enlèveront pas l’envie de baiser. Alors, si tu le fais pas pour toi, si tu le fais pas pour les autres. Fais-le pour moi. Je suis plus tout jeune, j’aurais peut-être plus d’autres occasions. Les femmes sont la dernière richesse de ce monde, si tu vois ce que je veux dire…
— Je vois ce que tu veux dire… Alors je vais y aller Glenn, je vais y aller et je vais te ramener ce que tu veux, ce que tout le monde veut. Mais une fois que t’en auras terminé avec elle, et si jamais on parvient à s’en sortir indemne, crois-moi, j’oublierais pas de te couper les couilles. »
L’orage se calme un instant tandis qu’ils pénètrent le cœur d’un ancien cimetière. Ackles se couche dans l’herbe trempée, les bras sous la nuque, il contemple alors le vaisseau cauchemardesque déformer le ciel étoilé en une illustration de l’horreur. Des paupières de champs magnétiques naissent de temps à autre dans des éclaboussures de couleurs froides, altérant parfois jusqu’à l’éclat du disque lunaire. Et d’autres guetteurs naissent ici et là, dans les habituels espaces d’horizons, entre les nuages et les fragments de constellations, observant le monde et le chemin de sa lente corruption.
« Et toi Body…Qu’est-ce que t’en penses ? Tu crois qu’ils viennent d’où ? interroge Ackles en s’allumant un clope, tout haut et les yeux plongés vers le ciel. »
L’animal, peu inspiré, se contente d’aboyer en reniflant la surface des tertres funéraires.
« Ouais…Toi aussi, tu peux les sentir. »
Ackles se relève et jette sa cigarette sur une tombe. Déterminé à en finir au plus vite, il attrape son sac et en ressort un tissu de robe. La bête y renifle le pouvoir d’une odeur féminine.
« Allez Body. Tu vas la retrouver pour moi, affirme t-il, passant une cagoule de laine sombre. »
Aussitôt dit, la laisse lui file entre les doigts, dès lors le chien n’est plus qu’une silhouette fugace rapidement évanouie derrière la butte. Ackles, amusé, attrape son sac et s’y précipite à son tour. Ses pas plongent dans la terre humide, trempée, boueuse, mouvante, il s’affale, se relève, trébuche, se reprend et cours, le regard obnubilé par la silhouette fuyante du traqueur. Le vent redouble, au loin les arbres s’agitent et se plient. Body passe, la gueule ouverte. Plus bas, le cadavre d’un oiseau baigne sous les flots, le déluge reprend. Ackles passe, le souffle court. Quelques minutes et autant d’efforts plus tard, le loup s’arrête dans un champ de coquelicots, près d’une ferme abandonnée. Ils y sont.