Cela fait des lustres que je n'ai pas écris et je m'y remet avec un petit projet de dark fantasy. Je voulais savoir ce que vous en pensiez. Voilà le tout début :
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Le clocher en bâtière du hameau, phare fantomatique au milieu d’une mer vaporeuse, se dessina dans la brume avant que les deux étrangers n’atteignent le pied de la colline. La brumaille épaisse qui flottait sur la vallée tapissait les bois et les coteaux en une nappe lourde et ouatée au travers de laquelle rien ne filtrait. Celle-ci vous arrivait au sommet du crâne, mais pas plus haut. Les toitures qui hérissaient la couche de brouillard permettaient de repérer le village de loin. Et Chariac était en vue.
Ahanant, les deux hommes d’armes se hissèrent en direction du bourg en tirant leurs destriers par la bride, empruntant une cévenne particulièrement pentue qui serpentait jusqu’en haut. Le chemin, pavé de vieilles pierres, d’entre lesquelles jaillissaient des touffes d’herbes sauvages, était flanqué de petits cairns si vieux que le temps les avait couvert de mousse. Ces témoins silencieux, reliques d’un temps lointain où les peuplades païennes occupaient encore cette région du continent, observèrent la lente progression des deux guerriers jusqu’au bout du sentier.
Arrivé au niveau des premières habitations, un silence pesant les accueillis. Les deux hommes ne s’en formalisèrent guère. Ils auraient été bien plus inquiets de se voir salué par une voix humaine, jaillissant de la brume. Car en vérité, il n’y avait plus âme qui vive ici.
Les deux compères portaient des hauberts de mailles, dont l’acier était d’un noir plus noir que l’encre. Les cuirasses bombées qu’ils avaient enfilés par-dessus étaient d’une teinte tout aussi sombre, tout comme leurs gantelets, leurs chausses et leurs gorgerins. Nul éclat ne s’y reflétait. C’était comme si le métal de leur équipement absorbait toute lumière.
L’écu que chacun transportait, sanglé dans le dos, affichait comme emblème une gueule de loup blanc sur fond noir. Le motif se répétait ici et là sur leur bardas : gravé sur leurs épaulières, sculpté sur les pommeaux de leurs glaives… Il est certaine régions civilisées des Terres-Mornes dans lesquelles n’importe quel homme pâlirait à la seule vue de ces armoiries, mais Chariac était un bourg reculé et aucun paysan croisé ces derniers jours n’avait prêté la moindre attention à leur blason. La bête hurlante. L’insigne des chevaliers jurés de l’Ordre de la Louve.
« Sale endroit, fit le plus vieux des deux, un colosse à la moustache épaisse et au mufle couturé de cicatrices. On se sent observé de toutes parts.
-Des choses terribles se sont produites ici, acquiesça le plus jeune en promenant un regard tranquille sur les bicoques silencieuses. Ces lieux sont saturés d’émotions négatives. »
Son mentor renifla bruyamment et cracha, comme pour conjurer un mauvais sort.
« On laisse les chevaux ici. ‘Veux pas les épuiser inutilement. ‘Les attache pas, qu’ils soient libres de leurs mouvements si on doit fuir précipitamment. »
Le jeune emboîta les pas de son mentor. Sitôt qu’ils avaient posé un pied dans l’enceinte du village, leur attitude avait changée du tout au tout. C’étaient maintenant deux prédateurs qui naviguaient dans les venelles désertes, les genoux fléchis, le pas lent et prudent, le regard dur et alerte, la main posée sur la poignée de leur épée. Le moindre de leurs gestes témoignait de leur expérience au combat, de la vitesse avec laquelle ils pouvaient passer à l’attaque si besoin.
Les deux chevaliers ne déambulaient pas aléatoirement dans les rues de Chariac. Ils avaient une destination. Et celle-ci se dessinait de plus en plus nettement dans la brume à mesure qu’ils remontaient la rue principale.
La chapelle locale surplombait le village, dressée au sommet d’une butte de terre boueuse. Une volée de planches en bois, disposées de manière à former un semblant d’escalier, menaient jusqu’au parvis. Là, les portes enfoncées de l’édifice, aux gonds ravagés comme par la charge d’une bête féroce, s’ouvraient sur un gouffre de noirceur. L’ombre à l’intérieur du bâtiment était si opaque qu’il était impossible de distinguer quoi que ce soit au-delà des premiers bancs, dans l’entrée. Le vieux chevalier fit signe à son compère de ralentir puis, d’un geste, lui intima de se positionner près du porche. Celui-ci s’exécuta, non sans tirer sa lame au clair et la saisir à deux mains. Il n’aurait guère besoin de son bouclier une fois à l’intérieur. Ce à quoi les deux hommes allaient faire face était trop vif pour qu’on s’en protège à l’aide d’un écu de bois, d’aussi bonne facture soit-il. Ils allaient devoir frapper vite et fort, abattre leur proie avant qu’elle n’ait le temps de réagir. S’ils échouaient, alors ils étaient perdus, et deux nouvelles âmes en peine hanteraient Chariac au soir venu.
Le vieux guerrier tira également son glaive hors de son fourreau et le pointa en direction de l’entrée de la chapelle. De sa main libre, il décrocha de son ceinturon un petit sac de cuir qu’il avait récupéré un peu plus tôt sur la selle de son cheval. Défaisant le cordon de son bagage, il en renversa le contenu à ses pieds. Une pièce de viande pourrie, puant la charogne. D’un coup de pied, il projeta la bidoche faisandée à l’intérieur du bâtiment.
Les deux guerriers se figèrent, dans l’attente de ce qui allait se passer. De ce qui allait jaillir de cette tanière. Le vieux, bien visible face aux portes, et le jeune, appuyé contre le mur extérieur, prêt à trancher quiconque ferait mine de sortir.
Une minute passa, puis deux. Ni l’un ni l’autre n’esquissa le moindre geste, mortellement concentrés.
Dans les profondeur de la vieille église en ruine, une chose ancienne et malveillante s’éveilla, tirée de sa léthargie par l’odeur de la viande qu’on avait jeté sur le porche. La chose se déploya, soulevant sa carcasse de chair noircie et de chitine poisseuse. Un gargouillis écoeurant résonna dans le temple. Alors la chose repéra l’homme qui se tenait dans l’entrée et qui dardait vers les ténèbres de son refuge le regard déterminé des hommes de Dieu venus chasser le Mal de ses terres.
La chose rugit et fondit sur l’intrus.