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Sujet : Soirée lambda du Dreamer
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LeopoldBloom
Niveau 6
25 novembre 2020 à 00:02:03

- Ecoute...

Aurélien n'y pouvait tenir plus longtemps. A ses yeux, il y avait devant lui l'étalage fondamental de la différence entre les hommes les femmes : l'inconséquence de ces dernières.

- Ecoute, ça fait des mois et mois que tu m'emmerdes avec tes broutilles. Moi j'ai un type en dépression à gérer. Sa femme vient de partir et il a merdé aux jeux, plus un rond ! On essaie de lui éviter le suicide comme on peut. Figures-toi qu'il avait déjà fait une tentative l'année dernière ! Alors si tu crois que j'en ai quelque chose à faire de tes affaires puériles, qu'auraient pu être réglé en cinq minutes si t'en avais eu le courage...

Il en avait trop dit, elle était effarée.

- Comment ?! tu n'en n'as rien à faire de moi ?

Aïe... oui, il en avait beaucoup trop dit. Le mal n'avait pas été la substance de son discours qui, remarquez bien, fut hors des reproches de Magalie. Cependant il a eu une parole maladroite que Magalie pouvait exploiter en extrapolant le sens pour noyer le fond de son propos, qui était inaudible pour elle, si ce n'est inintelligible, mais ne l'espérons pas.

- Mais pas de toi, mais non... Tu n'as rien compris ! ou plutôt si, tu comprends très vite, et toujours comme tu veux... Il n'y a que l'indignation que tu aimes dans la vie. Au fond t'en crèverais s'il n'y avait plus de type comme ton Gégé. Tu ne pourrais plus nourrir ta soif d'indignation.

Et il continuait sur sa lancée... Il avait tort de poursuivre sur ce terrain-la, il le savait bien mais, n'empêche, comme il savait la discussion raisonnable et conséquente impossible avec elle, sur ce sujet-la du moins, il voulait se défouler un peu, s'abandonner à l'ivresse du pathos pour se venger des longues heures qu'en à peine deux ans de vie commune elle lui avait fait perdre ainsi, en vociférations stériles... Ou peut-être ne se vengeait-il pas du tout, cette guerre lancée ayant l'effet inverse, Magalie jouissant, au fond, de pouvoir continuer à s'étendre. Aurélien redoutait que ce fût le cas, mais nous étions malheureusement incapables de le lui confirmer à l'oreille.

- Indignée, indignée ?! Mais c'est pire que ça, je suis très en colère ! Ce dégueulasse avec ses crottes de nez partout sur le téléphone du bureau ! non mais tu te rends compte ?!

- Oh, je me rends bien compte...

- tu verras ! tu verras qu'un jour je lui claquerais grand sa gueule !

Aurélien était sur le point d'abdiquer, il commençait déjà à murmurer affirmativement à chacune de ses diatribes en regardant défiler le fil facebook sur son portable.

- Et en plus à midi, ce gros con ! devine, devine un peu ce qu'il a fait ?!

- Quoi donc ?

- Il rentre dans le bureau après sa pause, et il demande le major Jerry au téléphone. Jerry tu sais, celui qui est grand, classe, bref, une crème...

Elle déglutit bruyamment sa dernière lampée de vin puis commence à se resservir.
Aurélien craignit ne ça s'arrêtât plus.

- Chérie... Tu as assez bu...

- Mais je te dis crotte ! et toi, combien de fois tu bois à petites gorgées, discrètement ? Tu bois bien plus que moi, te cache pas !

Le verre d'Aurélien était vide et immaculé, il n'avait bu que de l'eau à l'inverse de Magalie qui avait sifflée le rouge à elle seule. Mais inutile d'argumenter, Aurélien savait bien : elle serait de mauvaise foi.

- Je disais le major Jerry, tu vois un peu ? Bon, bah Gégé l'appelle et lui fait : " j'ai les ordres de mission, voilà, je m'en suis occupé ", ce sale gros porc !

- Oh...

- Bah quoi, gros porc, gros porc ! C'est un gros porc, quoi, merde !

- Et alors ?

- Eh bah du coup, le major Jerry est content, le remercie bien et ce fayot, fayot ! il continue de dire comme quoi il a tout fait bien fait, et comment ceux du deuxième régiment vont être emmerdés par ci par là, et comment c'est bien fait pour leur gueule à ces sales gueules, non mais vraiment ! quel connard !

- Et qu'est-ce qui t'embêtes là-dedans ? tu le sais qu'il est comme ça, Gégé, qu'est-ce que ça peut te faire ?

- Ce que ça peut me faire ?! Mais ce fumier, c'est moi qui ai réglé l'ordre de mission et l'ai envoyé en vitesse, dare-dare, une demi-heure avant la fin du boulot, la veille ! J'ai d'ailleurs pas pu faire mes courses à cause de ça...

Elle était rouge, folle. Aurélien se dit qu'en plus, elle n'allait comme de coutume jamais à l'essentiel. Après un quart d'heure d'un dialogue hystérique, voilà qu'enfin il connaissait la raison précise de la rage de sa femme.

- Hum... C'était en effet parfaitement évident, et donc ?

- Et ? Eh bah c'est un gros con ! voilà.

- Non, ce n'est pas ça que je veux dire. Je te demande " et ", comme " et alors ", " par conséquent " ?

- Meuh ?

- Eh bien ! que vas-tu faire ?! Tu vas lui dire enfin, qu'il t'exaspères ?! que t'en as marre de bosser avec lui ?! que va falloir qu'il arrête de glandouiller, de se vanter, de se tripoter la nouille et jouer les coqs sous tes yeux ?! d'être sale aussi, en plus du reste ?...

Magalie ne répondait pas. Elle le regardait avec cet air un peu absent qui suggérait qu'elle ne voulait rien entendre de ce qu'il lui disait. " Oui, nécessairement, se dit Aurélien. Elle ne veut jamais, jamais rien entendre ". Puis elle continua de se plaindre.

- Alors après, pareil ! le soir avant de partir, il dit qu'il doit porter quelque chose au courrier, au courrier ! rends-toi compte ! mais c'est en fin de semaine qu'on règle ça ! il se fout pas trop de moi, hein ?! Il voulait glander et faire un tour dans le service, aller parler avec les chaudasses du secrétariat, oui !

" Elle ne va pas s'arrêter ", pensa-t-il...

Il la connaissait déjà trop bien. Effectivement elle n'allait pas s'arrêter sans coup de frein.

- Ecoute, écoute. Stop maintenant ! d'accord ?! J'en ai assez de t'entendre caqueter comme une oie le soir, quand je rentre. Je suis fatigué, merde ! j'aimerais me reposer et ne pas avoir à subir tes conneries ! Enfin, mais regarde-toi ! A vociférer, à maudire ce connard-la depuis septembre ! alors qu'un mot, un geste un peu explicite de ta part aurait suffit à le calmer ! Dans le pire des cas tu lui dis que tu es ma femme, ça devrait lui faire comprendre qu'il ferrait mieux de s'écraser s'il y a un souci entre vous deux...

Cette fois, elle ne le regardait plus de cet air éteint qui était le signe qu'elle n'enregistrait pas ce qu'elle venait d'entendre, mais de cet air hostile, sicilien, aussi noir que celui d'Al Pacino en colère dans la trilogie du Parrain, qui annonçait un chamboulement. Pour une fois, l'information allait peut-être circuler.

- Enfin, chérie ! Réalise ! ça fait des mois et des mois que tu dégueules ton indignation tous les soirs, prétendant qu'un jour, toujours un jour ! tu vas lui claquer sa sale gueule ! mais en attendant ça fait près d'un an que c'est comme ça et que tu te laisses pourrir, marcher sur la gueule ! et pendant ce temps tu te tourmentes, et lui il jouit ! il ne fout rien, tu gères la boutique à toi seule, alors qu'un mot de ta part et le problème serait résolu, putain !

Il avait tapé du poing sur la table, les verres avaient tremblé, la télécommande était tombée et la chaîne télévisuelle était changée, passée sur la 8 où un animateur débile glissait des blocs de nouilles dans le froc d'un chroniqueur... Magalie avait les yeux affreux, les pommettes cramoisies, et l'air ébahi d'une mère apprenant la mort de son fils. Elle partit en bredouillant " salaud ! salaud ! ", pleurer dans leur chambre et entamer une nuit stérile, où encore une fois elle n'avancerait pas.

" Inconséquente, inconséquente... " répétait Aurélien. C'était le principal reproche qu'il faisait à sa femme et en même temps il reconnaissait que c'était parfois son plus grand charme. Cette créature indignée, bassement tragique, qui ne voulait rien entendre de raisonnable et préférait se laisser enliser dans une misère stérile, était si émouvante quand elle se mettait à pleurer, à fuir, à dévier du sujet pour ne jamais se confronter au réel, qui était la prise de conscience du caractère ridicule de l'action qu'il fallait entreprendre pour se libérer du gros de ses maux...

" Non, ce n'est pas si simple ". En effet, ça ne l'était pas. Aurélien se figurait que même s'il parvenait à lui faire entendre raison, un jour, sur ce point-ci ; même si Gégé quittait inopinément le bureau, et partant débarrassait le plancher de sa vie ; il était certain que Magalie, étant ce qu'elle était, ce petit bout de femme à grand caractère mais à tempérament sauvage et parfois timide, ne changerait pas d'un iota et se sentirait obligée de déporter son indignation sur un nouvel objet, dusse-t-il être aussi médiocre que Gégé, ou pire encore.

La soirée, Aurélien la passa seul devant la télévision qui n'avait rien à montrer. Ce n'était pas grave, il était épuisé ; par conséquent il ne voulait plus vivre, plus penser, plus expérimenter quoique ce fût en dehors de la mollesse des coussins de ce canapé acheté beaucoup trop cher, de l'ambiance alangui du séjour tamisé par l'éclairage diffus de la lampe à abat-jour laide que Magalie aimait à la folie, et de la voix horripilante et criarde de ce présentateur décidément fini à la pisse en train d'invectiver un gros lard car ce dernier ne serait pas à la pointe du progrès des moeurs... fini à la pisse ou horriblement cynique, remarquez, d'entre les deux Aurélien ne savait pas laquelle était la bonne option... peut-être les deux.

A un moment il se leva pour aller aux toilettes et, partant, se remit un peu à penser. Il alla voir Magalie, qu'il trouva prostrée dans leur lit conjugal, disgracieusement comme un porc dans sa porcherie. Il sentit qu'elle dormait et ressortit donc discrètement, sans prononcer une parole. Plus tard, il alla se coucher et retrouva son tendre goret réveillé, la gueule un peu nauséeuse, la mine pleine de reproches mais aussi de tendresse. Aurélien s'approcha, s'assit à son côté, lui prit la main, dont il baisa le dos, l'embrassa dans les cheveux et la supplia de lui pardonner.

- Je suis allé trop loin, chérie... j'ai été bête, excuse-moi...

Ils firent gentiment l'amour, avec beaucoup de tendresse et de maladresse, presque comme au premier soir. " Retour en arrière, oui ", pensa-t-il après l'amour. " Mon joli porcelet figé dans la boucle ", murmura-t-il en baisant chaudement le front endormi de sa femme qui s'indignerait encore le lendemain. " Pousse, Sisyphe, pousse... " il finit par dormir et l'oubli des humeurs se fit.

PIeinair
Niveau 47
26 novembre 2020 à 02:19:58

Magalie, hein :hap:

ça me fait penser à une version moins low-cost, plus élaborée, plus décorée, un peu plus sensible/humaine aussi, du texte "je t'aime" de l'autre jour

Mais bon les thèmes chers au 18-25 ça s'essouffle vite je trouve, ou alors c'est que j'ai un penchant trop prononcé contre le réalisme

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