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Sujet : Mr Deaubert qui se veut écrivain
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knor_knor_knor
Niveau 22
03 décembre 2020 à 20:14:48

Bonsoir,

Pas de titre ! Je n'ai commencé que ce soir. J'y ai pris plaisir. Peut-être est-ce nul, et je m'excuse d'avance si c'est le cas pour vous avoir fait perdre quelques minutes.

C'est l'histoire d'un jeune homme, plutôt obèse, vivant à la campagne, qui a le mal du pays. Il va bouger pour devenir écrivain.
Je vous laisse découvrir Mr David Deaubert.

Avons-nous besoin de projeter ce que nous n’avons pas réussi ? Et même, ce que nous avons échoué ? Je crois en une projection thérapeutique par le biais d’un film ou d’une peinture. La chanson m’émeut, elle aussi, dans sa spirale mélodieuse qui nous assène le coup de grâce au sein de la détresse tantôt saisonnière, tantôt matinale.
Je pose des questions pompeuses dont l’allure se veut philosophique ; même pas certain de pouvoir écrire correctement, comme l’entend la maîtresse littérature, celle guidant nos pas à l’intérieur d’une brume qui se veut brouillard hivernal, cette même maitresse jaugeant les jauges et jugeant les genres et les gens. Mais qui sommes-nous ? La question métaphysique est intéressante. Je ne suis cependant pas assez signalé pour donner ne serait-ce qu’un début de réponse cohérent. Qui sommes-nous dans cet univers, dans ce monde, dans ce pays, dans cette ville, dans cette maison, dans cette pièce à préparer le repas ou à juxtaposer des mots. D’un coup, la question devint rhétorique et nous devînmes que nos deux caboches se devaient de remplir le gris de la matière, à l’image d’une voiture qui reçoit son essence.

J’ai grandi loin de toute civilisation problématique. Je n’ai pas grandi comme les autres, parce que je ne suis pas l’autre, moi, ce jeune gamin dont les glandes surrénales ne produisaient aucune adrénaline, peut-être un peu de cortisol et saura-t-on jour si mon corps, dans son entière fabrication, avait eu raison de ces heures passées sous la pluie à courir après un poids que je ne trouverai jamais être le bon. Moi, ce jeune adolescent couvrant mes mains potelées de gants, elles-même potelées, j’avais lu des livres. J’habitais dans une maison franchement campagnarde ; mes parents avaient adopté un âne, surnommé Alban, et Alban donc, versait sa haine quotidienne, générée par une ancestrale douleur amenée sans doute par la plus douteuse des espèces, j’ai nommé l’homme, en me crachant à la figure. Ce n’est pas un lama, avait dit mon père. Les lamas viennent du Pérou, de Bolivie, d’Argentine ! Mon père ne m’aimait pas vraiment. Non, c’est vrai. Pourquoi les parents aimeraient-ils forcément leur enfant ? C’est une nature déloyale que de ne pas pouvoir choisir son sexe, la forme de ses yeux, ou la grosseur de son bide. S’il avait pu me formater à sa manière, je crois que mon père aurait remplacé ma rousseur par un brun ténébreux, et mes tâches de rousseur par un visage marqué du travail harassant qui l’incombe. En parlant de travail, il aurait sans nul doute voulu le choisir, ça aussi, disons que sa vision du domaine tant convoitée par nous, humains, ce « carburateur » comme il le gueulait si bien auprès des voisins, s’orientait davantage vers le manuel quand moi je peinais à transporter les mottes de paille ou à traire une vache.
Non, mon père ne m’aimait pas vraiment. Il n’aimait pas mon accent, devenu trop mondain depuis que je fréquentais la seule bibliothèque du village. Il n’aimait pas mon goût pour l’art, sa généralité faisait que la moindre peinture était à ses yeux abstraite, la moindre parole chansonnière était d’une connerie « qui se passe que dans les chansons » et que Hitchcock avait pris la grosse tête en voulant faire de son film un film pour les spectateurs. Moi, j’aimais mon père.
Il est mort à cinquante quatre ans d’une crise cardiaque qualifiée de foudroyante par Monsieur Veleda, lui c’est le  « docteur de famille ». Pas touche à Veleda. Mon père, lors de repas de famille, sans qu’on sache réellement pourquoi, prônait son exactitude à deviner l’heure, et ce à n’importe quel moment de la journée. Pas plus tard qu’hier, mon père voyait sa tension monter sur cet appareil qui ne lui inspirait rien de bon, 16.9 c’est un peu haut ! Veleda avait dit calmement. Et l’heure alors ? C’est ce qu’avait rétorqué mon père en rigolant tandis que son bras enflait sous la pression du tensiomètre. Monsieur Veleda, ayant peur de ne pas avoir compris répéta le nombre, de toute évidence mauvais, ma mère le savait pertinemment. Ce à quoi mon père renchérit : Alors doc ? L’heure ? Regardez, il va deviner ! Ma mère a le soupire coureur, moi je m’accoude à la table de salon, assis sur mon désarroi et sur ma paresse à dire « Papa, arrête je crois qu’il a compris »
Ah ! Oh, il doit bien être 16h…. Il fixa le plafond et serra les lèvres en émettant un léger bruit salivaire : 16h32 ! Mon père encore assis sur la chaise, du mal à se lever dû à une récente écorchure, et même à une possible surcharge pondérale, avait dû recourir à ma mère pour lui inciter à crier haut et fort « C’est ça ! Vous êtes devin ! » et elle dit en effet « Oui ! C’est ça ! En plus d’être docteur, vous êtes devin »

Sa sépulture était propre. Ma mère y passait de nombreuses minutes, pas d’heures car l’événement tragique l’avait assurément bouleversée. Maman, lui disais-je, tu ne veux pas d’aide pour transporter le terreau ? Elle rajoutait sans cesse de la terre pour y ajouter de nouvelles fleurs. Et de fleurs en fleurs, d’année en année, moi ce jeune adulte, je suis revenu sur le champ grisonnant de mon père. Il y dormait toujours paisiblement, dans son veston de velours dont la poche avait accueilli la rose du vent. A dire vrai, ce n’était pas une vraie rose, c’est une boussole qui lui avait servi de repère toute sa vie, transmise par son père lui-même. J’y avais vu son nom, avant de monter sur l’échelle menant à Paris. Michel Daniel Deaubert, 1910-1964, Mon mari, Notre cher et adoré Père.

Sautons dans le temps comme sautait Jeanne à la corde. Ses yeux étaient si gracieux que j’avais envie de les manger, lorsque sa tête prenait repos sur mes bras, que ses pieds lâchaient toute la pression d’une marche faite jusqu’à chez moi, nous étions deux et décidément seuls au monde. Quand la sonnerie retentissait, on savait son père pressé, symptomatique de Patrick, écourté « Pat », aux charges de chef entrepreneurial et père de cinq enfants. « Cinq filles qu’il avait fait ce bon vieux Pat ! » Mon père n’en revenait pas.

Jeanne avait grandi. Sa douceur avait mué en une cristalline gentillesse, autant que ses yeux perlés s’étaient solidifié dans un cocon cristallin, plus encore que ses cheveux nourris par l’amande douce qu’elle versait généreusement un soir sur deux lors de sa douche « après sport ».
Moi, adulte aux expériences peu nombreuses, quelle que soit leur nature, quelle que soit leur durée, je n’avais monté que l’échelle menant à Paris. Je pensais me vautrer en cours de route, mais non, mon pied sut gravir la dernière marche. Nous étions partis, Jeanne et moi, à 24 ans tous deux, elle dans un train, moi sur une échelle - un héros aux ambitions plus fortes que les tempêtes et plus redoutables que le charbon - et à peine avions-nous refait le monde qu’il arriva à destination. Les gens couraient, les gens parlaient, les gens s’agglutinaient, les gens respiraient ! Mon sac était lourd, encore plus lourd depuis que j’avais adossé celui de Jeanne, il ne contenait pas grand chose avait-elle clamé à notre arrivée soudaine, quelques gentilles babioles et affaires de danse ! Jeanne dansait. Elle dansait si haut que les montagnes, parfois, pouvait apercevoir la toupille effleurant les sommets. Nous habitions ensemble, enfin. Le premier soir, j’étais si ravi, grandement fatigué, tellement ravi d’être avec elle dans ce 10m2 fonctionnels en tout point ! Certes, il avait fait très froid le premier soir. Nous étions frigorifiés si bien que les couvertures s’amoncelaient un peu plus chaque heure, alors que le premier dîner, ces pâtes agrémentés de leurs lardons si croquant que je reconnaissais infiniment la nature de nous avoir octroyés le goût, se terminait dans l’aisance que nous avions toujours rêvée, mon premier rêve fut de conquérir Paris.

Tu as les yeux plus gros que le ventre. Rendez-vous compte. Madame Bertre ne m’estimait pas plus qu’une copie larmoyante. Je n’étais pas bon en mathématiques, je me voulais être le contraire en français ! Quoi de plus normal ? Il fallait bien que je sois bon quelque part. La géographie : trop vaste et trop de pays. L’histoire : Trop de rois et trop de guerres. La chimie : trop de substances, trop de mélanges ! L’anglais : ma langue fourchait toujours au moment de dire « I speak English very well » pour faire rire mon père qui se foutait des anglais et de leurs manières bourgeoises à refuser un thé. Français : pas trop mal. Les mots m’intéressaient, ils mettaient le doigt sur mon problème de poids, dans ces dures périodes remplies par les railleries soit disantes domptées par Madame Berte. Elle en avait connaissance, oui. J’avais néanmoins fait la faute d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Quand j’avais osé prononcer devant toute la classe que mon rêve était d’apporter le rêve là où il y a des cauchemars, elle m’avait répondu cela. Une invective si droite que j’avais directement bifurqué aux toilettes. Revenu, dans un mal de chien, assis fermement sur ma chaise, moi, le jeune gamin « rouquemoute » dont les mains sévissaient la moindre barre chocolatée, je me suis tu dans un silence expressément programmé pour moi.

Désormais, jeune adulte et criant vers la fortune de la gloire, je m’avançai vers les marches de la littérature. Je n’étais pas encore dessus, mon quarante-six frôlait la première, et sans que je ne susse la raison, ils s’adonnèrent à un plaisir fou et tant imaginé : franchir les marches ! Une ; J’avais rencontré un directeur de faculté. Elle était réputée, construit par des hommes si braves et courageux que les constructions bâties par leur propre intelligence n’avaient cessé de briller dans ce seizième arrondissement. D’ailleurs, je n’y comprenais rien à cette histoire d’arrondissement. Quelle utilité ? Mon esprit s’embrouillait facilement pour ces choses là, je n’avais pas cherché à comprendre davantage. Un large et grand bureau, avant de pénétrer dans une institution héréditaire aux vives et fertiles esprits qui avaient vécu autrefois ici, m’avait ouvert ses portes au sein d’un silence glacial, ce même silence scolaire et traumatisant, vécu lors de mes innombrables péripéties animées par Madame Berte. J’ai repensé à son nez crochu, à ses lunettes rondes et son chignon serré, puis je me suis présenté à ce bonhomme petit et mince. Monsieur Dagobert, il empruntait des chemins sinueux alors que j’éprouvais de la difficulté à passer entre les lignes formelles d’un établissement labyrinthique, et aussi entre les petites portes arborant des poignées gelées dû à l’absence de chauffage.
Les mines grisées toisaient mon costume trop grand. Jeanne m’avait pourtant conseillé de prendre ma taille, mais moi, vous le savez, moi je vivais un problème viscéral et ancré au plus profond de ma chaire ! Alors, j’avais pris deux tailles au-dessus. Peut-être que les yeux rieurs observaient ma chemise que je croyais droite et de rigueur avec un tel entretien, peut-être ne riaient-ils pas, ces gens de la haute, comme les appelaient mon père dans son énième caricature, laquelle je vivais à chaque instant passé à Paris ; dire qu’ils furent nombreux serait un doux euphémisme.
Bonjour Monsieur Deaubert. Avez-vous trouvé sans mal ? Oui, parfaitement, sans aucun problème ! Je n’ai habituellement pas le sens de l’orientation, sauf que depuis mon arrivée à Paris, j’ai l’impression d’en avoir un sixième ! C’était si nul. Je n’avais que vingt quatre ans, mes études reflétaient rien de bien concret, un baccalauréat sans mention et un stage chez un vieil antiquaire. J’étais démuni, je voulais malgré tout paraître, penser sans lui donner l’impression que c’était le cas !

knor_knor_knor
Niveau 22
07 décembre 2020 à 20:42:07

Bonsoir,

Aucun retour ? Même pas sur l'épitaphe du pauvre père ?

Monsieur Deaubert s'en va en râlant.

knor_knor_knor
Niveau 22
10 décembre 2020 à 17:56:42

Merci de cet avis ! Je l’ai bien reçu, et je le comprends entièrement.

Il est vrai que les idées fusent ; phénomène qui peut, qui crée dans mon cas, une zone d’incertitude dans laquelle le lecteur ne peut s’identifier aux personnages et à l’intrigue.

Je vais tenter de poser tout cela.

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