Pour le journal personnel sur le quel je travaille (voire image en bas), je m'essaye à l'écriture d'un article sur la peinture américaine. La première partie est achevée, elle se concentre sur la deuxième partie du XIXe siècle. Les parties suivantes s'étendront sur la première partie du XXe siècle, des balbutiements à l'affirmation d'une peinture à la renommée internationale. C'est pas mon domaine, d'écrire ce genre de choses (mais je me dis ça pour la moindre chose que j'écris), mais j'y prends beaucoup de plaisir.
Partie I :
ARRIVAGE OUTRE-ATLANTIQU D'UN ÉTRANGE PIGMENT
Terres de Barbizon
AU DÉBUT DES ANNÉES 1850, un jeune homme originaire du Vermont, William Morris Hunt, se trouve à Paris pour y étudier la peinture. Il traîne dans les pattes de son aîné, Jean-François Millet, un « plein-airiste » de Barbizon connu pour ses représentations de paysans méditatifs. Depuis une trentaine d’années, des peintres français s'établissent dans ce village de la Seine-et-Marne pour profiter de la forêt de Fontainebleau et y poser leur chevalet. Leurs toiles sont bien plus singulières, granuleuses et intimes que celles de leurs homologues américains, qui ne se sont pas encore trouvés. À son retour au pays, Hunt rapporte une motte de terre de Barbizon, dont il fait profiter les jeunes peintres soucieux d’éduquer leur regard en s’ouvrant à la peinture vivante d'outre-Atlantique. Ce qui donna lieu à une École américaine de Barbizon. Les grands espaces clairs et majestueux des premières décennies du siècle, exécutés par les peintres de l’Hudson River School et les luministes, se transformèrent en des campagnes odorantes cadrées à hauteur d'homme ; le geste du peintre se ressentait enfin.
Le premier peintre Noir reconnu mondialement et rattaché à ce courant de Barbizon est Henry Ossawa Tanner. Élève du réaliste Thomas Eakins, controversé pour son enseignement du modèle vivant, il rencontre des difficulté à Philadelphie où il étudie, en raison de sa couleur de peau. À Paris, son teint quarteron passe inaperçu et il s'épanouit dans l'Académie Julian, foyer de jeunes peintres américains. Sur les traces des orientalistes, il se rend au Moyen-Orient pour développer sa peinture mystique. Ses couleurs sont surprenantes, proche de la brutalité d'un Munch et faussement naïves, du fait des tons criards qu'il emploie dans ses détails. Lors de son bref retour aux États-Unis, il peint sa plus fameuse toile (The Banjo Lesson, 1893), dans laquelle un vieil homme apprend à jouer de l'instrument à un enfant. Tanner donne une image de l'afro-américain loin de celle du ménestrel folklorique, en attribuant à ses personnages une stature digne dans un cadre intimiste.
Voile nocturne
AMI DES IMPRESSIONNISTES, avec qui il participa au Salon des Refusés, James Abbott McNeill Whistler, se met à peindre, en 1870, des vues nocturnes comme des notes de musique pensées en une seule teinte. La surface de ses toiles semble être recouverte d’une flaque d’eau douce. Ses Nocturnes ouvriront la voie à ce qu’on appellera, aux États-Unis, le tonalisme : une matière palpable, des paysages habillés d’un voile brumeux comme un souvenir dont les détails nous échappent et des personnages qui se confondent dans le décors à la manière d'un rêve symboliste.
Si John W. Waterhouse, un des représentants du préraphaélisme, a peint des femmes aux tenues fleuries, comme Ophélie communiant avec la nature, Thomas Wilmer Dewing, un peu plus tard, mis en scène des femmes issues de l'aristocratie dans un même décors mais recouvert d'une atmosphère à peine palpable pour nous autres mortels. Nonchalamment, dans une forêt de nulle part, elles jouent de la harpe, conversent autour d'un thé imaginaire, et se prennent pour de grandes cantatrices. Rien du monde moderne ne vient contrarier leur tranquillité. Dans une de des toiles de Dewing (The Recitation, 1891), deux femmes, se tiennent à l'écart lune de l'autre, ancrées dans une vaste vapeur comme un parterre d'herbes mortes. La mer se tient en arrière-plan, mais il peut s'agir d'un papier peint éphémère. Elles se regardent, paraissent répéter leur propre ennui à l'abris des spectateurs. Elles excellent dans leur jeu désabusé.
Contrairement à un Dewing, les personnages de Ralph Albert Blakelock se font très rares ou, au mieux, on aperçoit, camouflés dans la végétation, des campements d'indiens, qu'il côtoya lors de ses errances dans l'Ouest. Quasiment autodidacte, il apporte un soin au doigté de ses arbres, qu'il met en contraste avec les teintes du soir. Depuis ses séjours en hôpital psychiatrique pour sa supposée schizophrénie, Blaklock a acquis une renommée pour ses silhouettes sombres de feuillages sculptant le crépuscule. En 1916, Ralph, âgé de 66 ans, est interné, quand il apprend deux nouvelles. À Middletown State, personne parmi le personnel ne le croit quand il dit qu'il est un peintre exposé ; ils mettent ces affirmations sur le compte de sa pathologie. Ce qu'il apprend, c'est qu'on l'a nommé académicien à la National Academy of Design et qu'une de ses toiles a battu le record de vente pour un peintre américain vivant.
Un autre peintre s'attachera à mettre en tension la pénombre et la lumière lunaire : Albert. Pinkham Ryder. On trouve dans son œuvre des scènes pastorales (Pastoral Study, 1897), oniriques (Dancing Dryads, 1879) et des marines (Moonlight, 1887) ainsi que des scènes mystiques (Jonah, 1895) et littéraires (Childe Harold's Pilgrimage, 1895), exécutés à la manière d'un expressionnisme enragé (Flying Dutchman, 1887) ou d'un abstrait reposé (Moonlit Cove, 1890). Il inspirera les modernes Marsden Hartley et Jackson Pollock, qui dira de lui qu'il était « le seule maître américain » qui l'intéressait.
Tapisserie de coquelicots
DANS LES ANNÉES 1880, le public bostonien et newyorkais découvre la peinture impressionniste. Jusque dans les années 1920, des colonies d'artistes qui ont pour modèles Claude Monet et Jean-Auguste Renoir, florissent, du Connecticut en Californie, en passant par la Pennsylvanie et le Wisconsin. Populaire à la fin du XIXe siècle, l'impressionnisme en Amérique tombe en désuétude avec l'arrivée des avant-gardes européennes dans les années 1910.
Elle aurait participé à l'Exposition Universelle de 1855 aux côtés de Dominique Ingres, Eugène Delacroix, Camille Corot et Gustave Courbet. Mary Cassatt, l'américaine adoptée par les impressionnistes français, en particulier Edgar Degas, qui l'initia à certaines techniques, s'installe à Paris en 1874, après avoir étudié à Pennsylvania Academy of Fine Arts. Pendant une dizaine d'années, Cassatt cherche à soumettre ses toiles aux Salons, sans succès. Une de ses toiles, La Joueuse de mandoline est enfin acceptée au Salon de 1872. S'ensuit, dans les années 1880, l'intégration aux expositions impressionnistes, qui fera écrire dans La Revue des Deux Mondes que « Mr Degas et Mlle Cassatt sont, néanmoins, les seuls artistes qui se distinguent... et qui offrent quelque attrait et quelque excuse dans le prétentieux spectacle de vitrines et de barbouillages infantiles ». Depuis la fin des années 1880, la peinture de Cassatt est reconnaissable les portraits intimistes et léger présentant une mère et son enfant. Elle se détourne de l'impressionnisme à la fin du siècle en développant un trait franc, cernant des aplats de couleurs contrastés, dans un style proche du japonisme. Son statut de femme l'empêcha d'entrer aux Beaux-Arts, de fréquenter les cafés avec ses pairs, ou de poser son chevalet en extérieur. C'est ce qui justifie, pour les femmes impressionnistes comme Cassatt et Berthe Morisot, d'avoir produit des scènes dans des intérieurs ou des jardins, à l'abris des regards. En 1915, sa longue expérience de femme émancipée l'amènera à soutenir les suffragettes lors d'une exposition.
Colin Campbell Cooper, inspiré à ses débuts par l'École de Barbizon, se spécialise dans la peinture de gratte-ciel. Il y a quelque chose de Claude Monet dans ses paysages industriels, à la différence que le maître français s'attarde sur le grouillement de lumières dans le détail, tandis que Cooper fait de même à plus grande échelle, en cadrant beaucoup plus large. Plus tard, quand les réalistes prendront la place des impressionnistes, ils placeront leur chevalet à la même place, mais ne chercheront pas à rendre l'ombre violette qui recouvre partiellement les façades chaudes des immeubles newyorkais, ni à saisir la matière vaporeuse émanant des locomotives. Cooper connaitra une reconnaissance critique importante, en partie dû au fait qu'il célébrait les progrès américains en termes d'urbanisme. Il reproduisit des paysages auxquels les impressionnistes français n'avaient pas accès. Mais à la fin du siècle, la France connaissait déjà le postimpressionnisme, et n'avait que faire de s'attarder aux tentatives américaines qui reproduisait ce qui se faisait déjà deux ou trois décennies plus tôt.
Descendant des fondateurs de Salem, Frank Wenston Benson, qui eut pour loisir, quand il était adolescent, de chasser la foulque, s'est d'abord voué au dessin ornithologique. Étudiant à l'Académie Julian, il devient professeur à Boston. Contemporain de l'espagnol Joaquín Sorrola, connu pour ses scènes de promenades le long de la plage, les femmes et enfants de bonne famille de Benson flânent près de la mer, cadrés à hauteur d'homme. Ces jeunes femmes à ombrelle, vêtues d'un blanc plus pur que les nuages au second plan, semblent sortir d'une nouvelle d'Henry James. Et ces enfants, peints à la manière d'un photojournaliste aux aguets, inspirent des vacances insouciantes dont les sujets n'auraient eu, autrement, aucun souvenir. Benson rend palpable ses blancs cassés, ses pervenches et ses orpiments lorsqu'il capte un instant — qui n'aurait pas été si différent une ou deux heure plus tard — ; un instant qui parait être tout un après-midi. Les quelques trente-cinq toiles que Benson exécuta durant sa carrière, représentant le plus souvent sa famille au bord des rives du Maine, suffirent à le faire devenir, au tournant du XXe siècle, l'un des impressionnistes américains les plus réputés.
Sourd depuis son enfance, Granville Redmond a étudié à l'Académie Julian puis est retournée vivre à Los Angeles. Il peint des paysages lumineux, reconnaissables par leurs parterres de fleurs aux couleurs vives qui dénotent avec l'ensemble, d'une teinte plus pâle. Ses toiles donnent l'impression d'avoir subi une vive saturation. Le peintre s'est consacré exclusivement aux paysages calmes, exempts de bruit et de tourment. Admiré par Charlie Chaplin pour son expressivité gestuelle, Redmond donnera à l'acteur des conseils pour perfectionner son art de la pantomime.
Avec huit autres peintres, Frank Weston Benson et Thomas Wilmer Dewing, firent sécession en 1897 avec la National Academy of Design, l'équivalent des Beaux-Arts. Déjà, avant eux, Mary Cassatt, James Whistler, Thomas Eakins et Winslow Homer s'en était détaché. Les « Ten », qui comprenaient entre autres William Merritt Chase, Childe Hassame et Edmund Charles Tarbell, inaugurèrent leur affiliation en 1898, lors d'une exposition à la galerie Durand-Ruel, qui fut un succès. Leur groupe se maintint une vingtaine d'année, le temps que le public passe à autre chose. Si leur démarche était de promouvoir une peinture progressiste et rejetée par l'académie, seules quelques toiles se démarquent du paysage contemporain. Chez Edward Simmons, la mousse des vagues se brisant ardemment contre les roches présentent une variété de teintes blanches prédominantes qui inspirent le goût du sel (High sea, 1895). Cadrée de dos, William Merrit Chase peint l'unique et denière note de piano jouée par une jeune femme en bleu ne se résignant pas à quitter le banc, malgré une pose qui indique un départ indécis (The Keynote, 1915). Childe Hassam peint une vue sur mer ultracolorée avec seul un voilier noir à l'horizon, sans lequel la toile paraîtrait abstraite, et dont les touches font penser au pointillisme d'un Paul Signac (Sunset at Sea, 1911).
Dissection de l'homme moderne
LA CONQUÊTE DE L'OUEST touchant à sa fin, l'Amérique connait une grande période de prospérité : la « Gilded Age ». Marquée par ses métros, gratte-ciels et chemins de fer traversant le continent ; par son monopole internationale sur la production de coton ; par sa main d'œuvre bon marché constituée d'immigrés non syndiqués, la côte Est donne à voir un paysage moderne en contraste avec celui, rural, qui domine encore le pays. Avec les marines de Winslow Homer, contemplatives ou prises dans l'action, le gai folklore d'Eastman Johnson, dont les scènes composées sont parmi les plus représentives de son temps, et les portraits distingués de la Haute par John Singer Sargent, les germes d'un genre voit progressivement le jour en ce dernier quart de siècle : le réalisme.
Tout le long de sa vie, le corps humain sera l'objet d'étude de l'artiste Thomas Eakins, qui alterna entre la peinture, influencé par le baroque espagnol José de Ribera, et la photographie, aux côté d'un pionnier de la décomposition du mouvement, Eadweard Muybrige. Directeur de la Pennsylvania Academy of Fine Arts depuis 1882, ses ateliers controversés le mèneront à son renvoi quatre ans plus tard. Au lieu des moulages en plâtre, il pratique le dessin de modèle vivant et la dissection. Eakins ne connaissait pas la pudeur : un jour, il invita dans son atelier une jeune étudiante et se déshabilla devant elle pour répondre à une question d'anatomie qu'elle lui avait posée. Sa mauvaise réputation fut gonflée par sa supposée homosexualité, peut-être dû à ses baigneurs à la virilité sensuelle qui se prélassent au bord d'une rivière, laissant apparaître toutes les dimensions d'un jeune corps masculin (The Swimming Hole, 1885) ou à ses lutteurs nus encastrés l'un dans l'autre, donnant aux corps une forme et une texture de roches sédimentaires (Wrestlers, 1899). De son vivant,
Eakins de fut pas très populaire, mais il est considéré depuis sa mort comme un des plus grands réalistes de son époque.
Lors du scandale que provoqua Eakins en dévoilant le corps nu d'un homme à un atelier composé exclusivement de femmes, une pétition circula pour le renvoie du professeur, l'accusant de « conduite indigne d'un gentleman et discréditable envers cette organisation ». Thomas Pollock Anshutz, l'un de ses élèves, cosigna la lettre. Son œuvre, distinguée et proche des grands noms de sa génération comme Chase ou Tarbell, est faite de jolies femmes apprêtées posant en intérieur. Comme un écrou rouillé enfoui dans un pot-pourri au parfum de Calendula, une toile vient pourtant nuancer l'ensemble de son œuvre. Dans cette toile, les ouvriers d'une fonderie de Virginie-Occidentale profitent de leur pause pour s'étirer et sentir l'air sur leur peau (The Ironworkers’ Noontime, 1880). Les postures et la composition des corps partiellement dénudés rappellent l'œuvre d'Eakins, et Anshutz s'est servi de la technique de son professeur, consistant à travailler d'après photo. Pour un peintre enraciné dans une esthétique à la mode, Anshutz a su produire une unique toile, extraordinaire dans son contexte artistique mais très à propos dans cette époque industrielle (on peut y ajouter Steamboat on the Ohio, v. 1896), anticipant un réalisme social qui s'épanouira deux décennies plus tard — c'est à n'y rien comprendre. Lorsqu'il devint professeur après Eakins, il eut pour élèves de jeunes peintres qui allaient faire le pont entre une peinture quelque peu anachronique et les premiers pas vers une modernité aux tendances sociales. Ces futures rebelles se regrouperaient sous le nom d'Aschcan School. Ils s'appelaient George Luks, John French Sloan, Everett Shinn, William Glackens et Robert Henri était leur chef de file.