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Sujet : Les derniers flics (nouvelle)
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Legoyste
Niveau 10
25 novembre 2021 à 11:23:45

Tout ce qui restait de la police nationale depuis l'effondrement de l'Etat français était barricadé dans un commissariat improvisé à Paris. Un espèce de trou miteux entouré de fusils à peine camouflés, et selon les mots du feu capitaine André: la dernière barricade policière qui résistera au chaos.
Cette barricade pleine d'espoir était constituée de trois flics, trois soldats, trois hommes. Le bâtiment servant de commissariat était autrefois un club libertin des quartiers populaires du XXème, mais cela, ils n'en savaient rien. Le plus charismatique des trois, René, parlait en parfait représentant du capitaine André, paix sur son âme. Pour rester sobres dans leur métier plus sacré à l'heure actuelle que jamais, presque ascétiques, ils se contentaient de boire du décaféiné tout en discutant. Et puis il y avait la Brute, Alexandre, et le Nouveau, Joseph, qui n'était pas nouveau mais avait gardé ce surnom depuis des lustres. A vrai dire, tout comme les deux autres, c'était presque un vétéran.
René faisait les cent pas dans l'unique salle qui faisait office de bureau, sinon il y avait le sous-sol qui servait pour les garde à vue, et même de prison. Il prononçait ses mots à ses quasi disciples du maintien de l'ordre:
- Les gars, vous vous souvenez comme moi de ce fier capitaine André. Il disait: "Maintenant, plus que jamais, Paris est une jungle, un état de nature Hobbesien des plus insoutenables, et avec Paris toute la France est entraînée à feu et à sang par des hordes innommables de bandits et de dépravé. Tout ce qu'il nous faut, c'est de la force, de l'honneur, et du courage. Mais surtout de la force." Et puisqu'on aime ce feu capitaine comme notre papa, on... Oui, officier la Brute, une question?
- Oui, chef. C'est quoi "obzien"?
Le chef grommela avant de répondre:
- Ca n'a pas d'importance. Le brave André était bien plus cultivé que nous, mais vous avez compris l'essentiel. L'essentiel, c'est que des petits malins, des sauvageons, prétendent faire leur loi à notre place. Et qu'il faut leur botter le cul.
A ces mots, les deux collègues poussèrent des cris de guerrier et des sifflements. Ce fut au tour du Nouveau de s'exprimer:
- Chef, j'ai tout prévu pour le repérage dehors. Alors, avec votre accord, si vous permettez...
Le chef René l'interrompit en balayant la main.
- Oui, oui, certes. On vous fait confiance pour faire l'éclaireur en zone de jungle. N'est ce pas, la Brute?
- A vos ordres, chef, aucun problème. Par contre, j'ai encore une question, si on trouve des gens agissant en toute légalité, fin des gentils quoi, on se méfie ou pas?
- Officier La Brute, officier Nouveau, la paix et l'ordre, sans nous, ça n'existe pas. C'est clair? Je me suis fait bien comprendre? Alors on se méfie de tout, même des enfants, même des chats errants, même des mouches. Et ce n'est pas moi qui le dit, c'est le bon vieux capitaine!
Les deux acolytes répétèrent religieusement: "Le bon vieux capitaine..."

Legoyste
Niveau 10
25 novembre 2021 à 11:24:45

Le repérage avait commencé. Les trois flics sortirent très timidement de leur trou, mais avec toute la force que peut donner la paranoïa. Après tout, la paranoïa, c'était un niveau supérieur de réalité. Les mots du capitaine André.
Au bout d'une bonne centaine de mètres où ils furent surpris de ne croiser personne, et de la propreté éclatante des rues, leur seul réflexe fut l'inquiétude. L'officier Nouveau, devant, qui lui non plus ne voyait personne, se retourna même vers ses deux collègues. René grommela bruyamment, puis eut l'intuition immédiate qu'il devait donner des explications, en faisant signe à l'éclaireur de se rapprocher:
- Bon, les gars. Je ne sais pas si cette bande de sauvageons, de bandits, de pédophiles ou que sais je qu'il peut y avoir sans police sont devenus communistes, mais c'est bien possible. Regardez, tout est clean, on dirait des rues en Corée du Nord. En tout cas, tout ce qu'on peut en conclure, c'est que c'est pour mieux nous piéger. Ils nous ont repéré, ces salauds!
Il y eut un moment de silence dubitatif, puis tous sursautèrent en entendant jouer du violon. A la différence des chiens en chasse, ils ne furent pas guidés par l'odorat, mais par le bruit. Il n'y avait plus aucun d'eux devant, plus aucun d'eux derrière, ils étaient en blocs à se serrer les coudes tendrement pour se rassurer de leurs sueurs froides. Puis, se dirigeant dans un cul-de-sac, ils virent un homme, grand, noir, chauve et jouant le fameux violon. Avant qu'ils fassent quoi que ce soit, le musicien s'arrêta, posa son instrument, et les aborda ainsi:
- Chers gens, je ne sais pas ce qui vous amène, mais visiblement, vous êtes armés. Les camarades du quartier pourraient se sentir menacés, je ne pense pas être le seul à penser que c'est une mauvaise idée.
La Brute toussota grossièrement, et le chef le laissa poliment intervenir en premier:
- Doucement, négro, c'est à la police que tu parles. C'est pour ça qu'on est armés. Ils devraient être rassurés de nous voir, tes "camarades", ou alors ils préparent des magouilles.
Le grand noir sourit poliment et haussa les sourcils:
- Je ne vois ni de quel police ni de quelles magouilles vous parlez. La police a été abolie depuis longue date.
- Elle n'a pas été abolie, défendit âprement René, puisque la police, c'est nous! Allez, trêve de plaisanterie et de pédagogie, vous êtes en état d'arrestation pour...
Il se tourna vers ses deux collègues:
- Pour... ?
Après réflexion, ils proposèrent à tour de rôle:
- Dérangement du voisinage avec un instrument bruyant!
- Complice de crime!
- Et quel crime? demanda l'homme au violon.
- Le crime de vivre en bande de magouilleurs et de violeurs pédophiles sans police! s'exclama le chef.

Legoyste
Niveau 10
25 novembre 2021 à 11:26:10

Avant de mettre les menottes à l'étrange violoniste dont ils ne savaient même pas le nom, une voix de femme fit irruption depuis la fenêtre.
- Camarades, retirez ces uniformes, débarrassez vous de vos armes, et je vous invite tous à déjeuner! Vous nous rappelez la guerre civile, soyez tranquille, elle est finie!
Les trois flics se regardèrent, se demandant tous ce qu'elle pouvait bien leur servir après tout, en ayant marre de leurs boîtes de conserve et leur décaféiné du commissariat.
- Demandez à la boutiquière de nouveaux vêtements, camarades! encouragea la femme de la fenêtre.
- On ne sait pas avec quelle genre de monnaie vous payez, mais on n'a pas ça, nous!
Puis on entendit des rires moqueurs tout autour, le violoniste s'y mit aussi, avec légèreté.
- La monnaie est abolie depuis longtemps! s'exclama-t-il. Servez vous, tout est gratuit, mais on compte sur vous pour participer à la production de la Commune plus tard! C'est vrai qu'on ne vous connaît pas trop.
René se tourna vers ses compères en leur confiant à voix basse:
- Je suis sûr qu'ils veulent nous donner des fringues volées, c'est comme ça que fonctionne leur misérable économie, au braquage et au vol!
- Mais chef, dit le Nouveau. On est armés après tout.
Ils entrèrent tout trois chez la boutiquière, les armes à la main et menaçantes, et la Brute cria:
- Vous êtes suspectés de revente de marchandises volées. Allez, on ne fait pas les malins, on va tous au commissariat!
Sur ces paroles, la boutiquière navigua dans les rayons et saisit un beau vêtement de laine.
- Vous voyez ceci, camarades armés? Je crois qu'il appartenait à votre défunt partenaire André Bourgeois.
Le chef fit signe aux deux autres de baisser leurs armes. Il s'approcha amicalement de la boutiquière, discuta un peu, et demanda s'il pouvait le prendre, étant donné que personne n'en voulait. Il refit signe à ses deux collègues, et les encouragea à échanger leurs uniformes contre des fringues de leur choix.

Une fois invités dans la pieuse demeure de la femme à la fenêtre, qui était toujours plus confortable que leur pseudo commissariat miteux, ils furent finalement très curieux de qui assurait un si bel ordre ici. La dame se contenta de sourire, et de leur expliquer:
- Depuis la Révolution, il n'y a plus de vols, puisque tout le monde profite de la production. Il n'y a plus de viols, puisqu'il n'y a plus de garçons ni de filles, on les éduque sans distinctions. Il n'y a plus de meurtres, puisqu'il n'y a plus de jalousie. Aussi, s'il y a un camarade quelconque qui met en danger autrui, nous sommes éduqués et formés par la Commune à sonner l'alarme et à agir en groupe. C'est pour ça que d'habitude, nous sommes regroupés, mais là j'avoue que nous avons eu un relâchement et que vous nous avez pris au dépourvu. Qui reveut du café, au fait?

Les trois flics continuaient maintenant leur chemin, sans armes et sans uniformes. Ils discutaient et râlaient de comment étaient les choses désormais.
- Moi j'y crois pas trop à ces histoires d'alarmes. Tu auras toujours le pédophile qui va trouver une petite fille à violer, est ce qu'elle pourra tirer l'alarme, elle?
- Et puis encore, il y a les terroristes. Quand il y en avait, on était bien content de rassurer la population. Mais maintenant?
- Je vous l'avais dit, une horde de communistes.

FIN

Azhur5678
Niveau 9
25 novembre 2021 à 18:19:06

Quelle était ton intention, quand tu as écrit ce texte ?

Car la position des policiers est une caricature assez peu subtile et datée, et la réalité décrite par la femme est carrément loufoque, on le lit particulièrement à ce passage : " Il n'y a plus de viols, puisqu'il n'y a plus de garçons ni de filles, on les éduque sans distinctions. Il n'y a plus de meurtres, puisqu'il n'y a plus de jalousie. "

Au final, si l'idée est de ridiculiser une certaine gauche radicale en montrant que ses principes semblent appartenir à une réalité délirante et qu'elle peine à caricaturer efficacement ses adversaires faute de les cerner, c'est pas loin d'être réussi, mais ça exige au lecteur d'atteindre un niveau de lecture supplémentaire.

Legoyste
Niveau 10
25 novembre 2021 à 21:33:01

Le 25 novembre 2021 à 18:19:06 :
Quelle était ton intention, quand tu as écrit ce texte ?

Disons que c'est pour m'amuser, je me suis plu à imaginer des pseudo-flics fanatisés dans un monde sans flic, nostalgiques du monde d'avant la révolution, et j'ai voulu mettre en avant un côté ridicule.

Car la position des policiers est une caricature assez peu subtile et datée,

Ben là comme je l'ai dit, on imagine les derniers flics, c'est pas des flics du monde réel et actuel qui ont l'avantage d'avoir les institutions avec eux. Là ils sont nécessairement fanatiques et extrêmes, parce qu'ils n'ont pas d'autres choix. Comme les perdants d'une guerre qui se sacrifient, alors que si ils sont gagnants ben ils ont pas besoin de ça quoi.

et la réalité décrite par la femme est carrément loufoque, on le lit particulièrement à ce passage : " Il n'y a plus de viols, puisqu'il n'y a plus de garçons ni de filles, on les éduque sans distinctions. Il n'y a plus de meurtres, puisqu'il n'y a plus de jalousie. "

Tu relèves sûrement un point pertinent. En réalité, mon texte était centré sur ces trois flics dans leur absurdité, j'ai pas trop voulu détailler la théorie anarchiste, surtout que c'est une nouvelle. Du coup j'ai préféré que ça aie + un aspect utopique, mais peut être que ça dessert mon texte effectivement.

Au final, si l'idée est de ridiculiser une certaine gauche radicale en montrant que ses principes semblent appartenir à une réalité délirante et qu'elle peine à caricaturer efficacement ses adversaires faute de les cerner, c'est pas loin d'être réussi, mais ça exige au lecteur d'atteindre un niveau de lecture supplémentaire.

Alors, peut être que tu as eu cette impression en lisant mon texte. Tu as cité le discours utopique d'un personnage de la Commune, mais sinon, il est dans mon intérêt de savoir si il y a d'autres choses qui ne fonctionnent pas, et dans ce cas, je t'invite à les détailler. C'est la meilleure chose à faire pour que j'améliore mon style littéraire. J'adore écrire d'ailleurs, donc autant faire de la qualité. :-)))

Olivierdu12
Niveau 5
26 novembre 2021 à 12:01:22

Je pense que le problème de ce texte c'est sa contextualisation. Perso tu parles de la Commune etc, moi je voyais ça à la révolution 1789 alors je me demande pourquoi tu parlais du XXème au début de ton récit.

Sinon pour l'humour, je ne sais pas de qui tu t'inspires, je n'arrive pas à cerner La dynamique comique que tu essaies d'instaurer. Quelles sont tes références ?

A la limite la dystopie que tu évoques en réponse à un autre lecteur pourraît être intéressante si développée en plusieurs chapitres, parce que c'est tout un univers dont tu nous parles. Là, c'est ramassé, condensé, survolé. Interroge-toi aussi sur le format.

Legoyste
Niveau 10
26 novembre 2021 à 17:03:33

Le 26 novembre 2021 à 12:01:22 :
Je pense que le problème de ce texte c'est sa contextualisation. Perso tu parles de la Commune etc, moi je voyais ça à la révolution 1789 alors je me demande pourquoi tu parlais du XXème au début de ton récit.

Ben non c'est de l'anticipation, ça se passe dans le futur, la commune c'est juste une idée anarchiste (pas seulement mais ça en fait partie) et sinon je fais peut être d'autres refs, mais j'ai situé mon texte dans une France d'un futur proche, sans donner plus de détails.

Sinon pour l'humour, je ne sais pas de qui tu t'inspires, je n'arrive pas à cerner La dynamique comique que tu essaies d'instaurer. Quelles sont tes références ?

Je dirais que mes inspirations sont entre la satyre et la fable.
Comme ça je dirais le cinéma de Pasolini sous certains aspects (la fable politique etc.), mais sans plus, j'ai écrit ce texte sans trop me prendre la tête (comme je l'ai dit, ça me faisait plaisir) donc mes inspirations sont sûrement plus intuitives que conscientes.
Pas sûr mais peut être que Chuck Palahniuk dans le style satyrique, bien que ça soit assez différent de son œuvre, a pu inspirer certains comiques de personnage que j'ai essayé de mettre en avant.

A la limite la dystopie que tu évoques en réponse à un autre lecteur pourraît être intéressante si développée en plusieurs chapitres, parce que c'est tout un univers dont tu nous parles. Là, c'est ramassé, condensé, survolé. Interroge-toi aussi sur le format.

C'est pas faux, dans une nouvelle il faut peut être justement être plus simple et concis, et moi j'ai voulu faire trop de trucs à détailler peut être, du coup je comprends l'aspect incomplet dont tu parles.

Merci de ton retour respectueux en tout cas :ok:

Sinon comme écriture plus sérieuse (ici c'est un peu bac à sable) j'ai un projet plus dense et qui serait dans le genre littéraire du théâtre. Du coup là je ne compte pas écrire ça à la légère comme ici, bref j'ai aimé partager la nouvelle du topax parce que je pense que des avis même sur un truc simple sont utiles pour m'orienter :ok:

Olivierdu12
Niveau 5
01 décembre 2021 à 11:53:23

Hello Legoyste, ton pseudo est banni ?
As-tu un autre pseudo ?

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Sujet : Les derniers flics (nouvelle)
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