Bonjour à tous, je suis là pour vous présenter mon nouveau roman. Mais avant ça, petit disclaimer :
Dans "Sexe Mort", je mets en scène pour la première fois un personnage transexuel/intersexuel. En vérité, c'est un personnage de littérature au sexe indéfini. Même si l'idée d'une "transition en cours" est clairement exposée dès le début du récit, on ne sait pas s'il s'agit d'un m-to-f ou d'un f-to-m. C'est un choix certes particulier, et sans doute un peu casse-gueule, mais je me suis servis de ce côté "indéfini" pour rendre le personnage d'Ovide insaisissable, indéfinissable. C'est en quelques sortes ce postulat qui m'a poussé à coucher un tel personnage sur papier. N'y voyez donc aucune propagande LGBT, et encore moins une discrimination de quelque sorte que ce soit. C'est une démarche littéraire avant tout et il n'y a pas de point de vue politique dans ce récit, sinon dans l'utilisation mesurée de l'écriture inclusive.
Alors tout de suite, clarifions les choses, mon point de vue sur l'écriture inclusive : Je suis contre une écriture inclusive totale, c'est à dire tout un texte en écriture inclusive je trouve cela vraiment illisible et anti-littéraire. Pas contre, pour définir une personne transgenre, ou qui se définit comme intersexuel, ou en transition, je trouve ça super intéressant déjà esthétiquement, mais je trouve ça aussi pertinent dans ce récit, ou justement le mystère autour du sexe biologique d'Ovide procède de sa mythologie. Sur ce, je vous souhaite à tous une excellente lecture
I
Ovide se demandait ce qu’il ou elle était. Ses tourments le tenaient à l’ombre depuis un temps qu’iel peinait à définir clairement. Un corbeau l’épiait dehors, sur la corniche. Chaque battement d’ailes le faisait frémir. Va-t’en, corbeau, iel pensa, cependant le corbeau resta. Sa jambe gauche marquait une mesure enlevée sous le drap fin. Avec la chaleur de l’été, le tissu collait à sa jambe glabre. C’était désagréable, ça grattait.
Quelque chose ou quelqu’un l’observait. Il n’y avait jamais de corbeaux ici pourtant, ce n’était pas l’endroit, pas la saison. Il n’y avait pas de saison pour souffrir une telle apparition. Mauvais présage. Iel avait poussé le jeu trop loin en dépit du bon sens. Une force inconnue le guidait, une force maléfique ; en fait celle qui avait fait d’iel ce qu’iel était aujourd’hui : une créature pénétrable de part en part, avide et vicieuse, psychotique. Iel le savait : les autres ignoraient tout de ce qui se tramait dans sa psyché torturée. Iel dissimulait, c’était ainsi qu’il fallait procéder. Question de survie. Iel ne savait plus quel sens donner à la réalité. En fait, la notion même de réalité devenait floue.
— Il n’y a pas de juste vérité, argua Mosé.
Le visage de Mosé échoua près de celui d’Ovide. Son maquillage avait coulé en larmes, deux traces sombres sur ses joues creuses s’étaient engluées dans le bourrelet profond de son menton carré. Ovide respira son haleine chaude, iel aimait bien. L’alcool avait coulé à flot au cours de cette soirée. La énième, sans doute pas la dernière, il y en aurait plein d’autres et pour ça iel croisait les doigts. Ensemble ou séparément, ça lui importait peu, en fin de compte. Mosé passa son bras-couverture autour de son corps humide. Iel se décala, le repoussa doucement, à rebours de la violence qui étreignait son cœur.
— J’ai chaud, iel rumina.
— Moi aussi j’ai chaud. On a tous chaud, en vérité. C’est la période.
— Ce sont des conneries, ce que tu dis.
— Parce que toi, tu ne dis jamais de conneries ? cingla Mosé, qui replaça son bras au même endroit en guise de protestation.
Ovide ne protesta pas, cette fois, iel le laissa faire. Iel se surprenait parfois, lorsqu’il réfléchissait. Pas souvent, en vérité. Iel avait désappris à le faire, ainsi iel se protégeait.
— Je pense que je n’ai jamais dit quelque chose qui soit vraiment juste.
— Il n’y a pas vraiment de justesse.
— Il y a une justice, soupira Ovide et iel ne cacha pas sa déception.
— Tu as trop bu.
— Si seulement il n’y avait que ça.
— Qu’est-ce qu’il y a d’autre ?
— Tout le reste.
— Ah, oui, concéda Mosé.
Ovide se leva, arpenta la chambre. C’était un bel appartement haussmannien, le vieux parquet craquait sous ses pieds. Iel arborait un boxer mauve. Son corps était mince, on voyait ses côtes. Aucun poil. Des cicatrices brunes sous sa poitrine. La lumière abondait dans le salon, iel baissa les stores. Noir complet. Iel actionna l’interrupteur général. Les gigantesques lustres inondèrent la pièce d’une lumière bleue, sombre. Des bouteilles accumulées sur l’ancienne cheminée. Iel regrettait que jadis on ait décidé de condamner cette cheminée, mais d’un autre côté, iel aurait sans doute foutu le feu à l’endroit si c’était encore possible. Iel se posa la question, en tout cas. L’instant d’après, iel ne se la posa plus. Tequila, rhum, vodka, vin rouge… Martini. C’était ce qu’iel préférait. Il en restait un peu. Mosé traînait toujours au lit, iel l’entendait qui remuait, les lattes du sommier couinaient. Lui aussi devait sentir que cette histoire était sans issue et qu’il y aurait des conséquences.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je me sers un verre.
— Tu crois vraiment que c’est l’heure ?
— Quelle heure est-il ?
— Je ne sais pas.
— Bon, bon.
Il n’y avait plus de verre propre. Ovide en rinça un, puis s’assit derrière le bar. C’était un beau bar aux motifs asiatiques, iel en avait hérité, aujourd’hui sa grand-mère lui manquait. C’était vraiment un beau meuble, si bien qu’iel l’avait gardé, sans même penser à estimer de sa valeur sur le marché. Ça ne lui avait pas traversé l’esprit à l’époque, seulement les temps changeaient, c’était indéniable. La misère s’accentuaient, iel vivait sous les deniers d’un protecteur qu’iel mystifiait dans son propre lit, dans sa propre maison. Bientôt iel aurait besoin d’argent. Pour quoi faire, pour aller où ? Iel n’en avait pas la moindre foutue idée.
— Il reste du Gin ?
Mosé avait revêtu le peignoir d’Isis, un joli peignoir pourpre très moelleux. Et ses claquettes aussi. Il ne se gênait pas, il était comme ça, Mosé ; un peu chez lui partout. Ovide ne releva pas, iel n’avait pas la force de partir sur un esclandre ; pas à une heure si matinale.
— Je croyais qu’il était trop tôt, grommela-t-iel.
— Il est bientôt dix-sept heures.
— Comment ? Ce n’est pas possible.
— J’ai vérifié sur mon portable.
Ovide frotta son visage englué, passa une main dans ses cheveux bleus.
— Mosé, il faut vraiment que tu me laisses, maintenant. Je fais une attaque de panique.
— Nous avons tout le temps pour discuter, dit Mosé, comme s’il n’avait rien entendu. Si nous arrivons au club avant onze heures, on va nous traiter comme des pestiférés, et ça, c’est hors de question.
Ovide sentit que son visage chauffait. Ses mains moites tremblaient. Mosé se servit un gin et s’installa en face de lui. Il souriait, il était radieux, même si en vérité il était très laid. Il soupira. Un soupir apaisé. Sur le bar, il y avait un couteau qui avait servit à couper des citrons verts la veille au soir. Ovide regarda le couteau. Iel était ulcéré.e par le fait que des outils du quotidien, conçu des milliards d’années plus tôt, avait servi à la mort de tant d’hommes. Des égorgements, des balafres, des yeux crevés, des organes percés. Toutes les choses dont on a besoin nous font mourir, devisa-t-iel avec horreur. Iel n’était pas au top de sa forme.
— Il n’y aura pas de club ce soir, rétorqua-t-iel.
— Pas de club ?
— Pas de club, affirma Ovide. Nous y avons déjà été hier soir, nous sommes rentrés à l’aube.
— On ne s’en souvient plus, dit Mosé, sarcastique.
— Ça ne veut pas dire qu’on n’y est pas allés.
— Je te trouve prétentieux.
— Ah oui ?
— Excessivement prétentieux, ajouta Mosé.
— Alors enlève ce peignoir.
Mosé le fit. Maintenant il était nu sous la lumière bleue. Ce lustre est vraiment énorme, songea Ovide. Il doit peser des tonnes, il pourrait tomber et écraser ce fils de pute. L’écrabouiller. Iel aurait voulu que ça se fasse, mais ça n’arriva pas. Mosé attendait là, nu comme un ver. Ovide déporta son regard vers les stores, sinon iel allait avoir envie, encore.
— Viens-là, dit Mosé.
Iel se laissa faire. Iel ne pouvait pas s’en empêcher.
Quelqu’un le forçait à faire ces choses.
Quelque chose de définitif s’agitait dans son corps transitionnel.