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Sujet : La Toilette - Bazille
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Clitandre
Niveau 9
16 août 2022 à 18:52:15

Ce texte m'a été inspiré par la découverte du tableau "La Toilette" de Bazille durant une visite au musée Fabre, couplé avec une thématique de l'érotisme. J'ai eu envie de prolonger la réflexion qu'il m'inspira et de l'allonger à outrance.

https://www.noelshack.com/2022-33-2-1660668458-la-toilette.jpg

Ne sachant où glaner quelques retours, je vous le propose ici. Je vous invite à prendre le temps de regarder l'œuvre avant/pendant la lecture suivante :noel:

Bonne lecture ! :-p
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La posture nonchalante de cette vénus, la descente en cascade de ses cheveux le long de son épaule gauche encadrant, chastement, le bout de son sein et le teint laiteux de sa peau viennent, ensemble, souligner toute la noblesse de cette poitrine découverte.

La main droite posée sur l'épaule musclée de sa servante, elle domine.
Sa tendre constitution n'entame en rien sa force, bien au contraire : toute la fraîcheur, toute la délicatesse certaine de son corps nous parvient, et s'estompe immédiatement, face à la splendeur stupéfiante du pouvoir qu'elle incarne, qu'elle exerce, sur ses valets.

La première d'entre eux, accroupie et occupée à chausser sa châtelaine ; suspendue dans son geste par cette main impérieuse plantée sur son dos. Chaude ; son foulard orange mandarine voile sa chevelure. Sa robe zébrée d'éclairs rouges et orangés, son corps sculpté, fort, tendre, à mi-chemin entre le chataigne et le chocolat, évoquent la vitalité de la brousse. Et malgré la vivacité animale qui semble l'animer, son geste se fige, son regard se fixe, sa main cesse d'agir. Le menton au-dessus du ventre de sa maîtresse, elle semble, comme nous, happée par cette poitrine bourgeoise, riche, au mamelon frais et rosé, couronnant l'ensemble d'un sein ferme et tenu.

C'est, par une caresse, qu'elle semble avoir chaussé ce pied supérieur d'une ballerine en satin jade. Le second, quant à lui, repose nu, sur un tapis de fourrure s'étendant du sol au canapé.
Parfaite représentation de l'ascendance d'un corps sur un autre. D'une superbe face au vulgaire ; se nourrissant tant d'un vieux fantasme raciste passé et tabou, tant d'un lien qui n'existe plus et qui, pourtant, persiste. D'une carnation en absorbant une autre ; de couleurs refusant de se mélanger ; d'un corps sacré et d'un corps profane ; d'un corps pur, absolu et d'un corps composite, métissé, basané, vivant : social.
Et l'image s'étend. Cette allégorie de la domination sexuelle, bourgeoise, raciste et classiste continue ; car notre affaire serait bien brève, sans l'intervention de cette seconde serviteuse, elle aussi prête à nourrir sa maîtresse, par sa simple existence roturière.

Ses cheveux, maintenus dans un chignon mal ficelé et fourni, à l'aspect veules et éteints, s'opposent en tout point à la crinière de la lionne mère.

Son regard croise, choc et tente de soutenir celui de la dominante. Cette dernière n'y prête attention : cette confrontation l'ennui. Car toutes deux savent qui l'emportera. Et c'est sans empressement qu'elle daigne jeter l'œil sur cette seconde qui l'attend et l'espère, prête à la revêtir d'une robe de chambre satinée, aux motifs multicolores et orientaux. Car avoir connaissance d'une attente envers soi, et ne pas se presser pour la combler : là est l'affirmation d'une supériorité écrasante, tangible et objective, que chacune des protagonistes attribue à la figure centrale du tableau.

L'aigle n'a pas à considérer l'agneau, seulement à se servir.

Ainsi est établis ce triple jeu, cette domestication à sens unique des corps et des esprits. Ainsi se met en place un corps sacré et ainsi se met en place un corps profane. Le spectateur, troublé, fait face à une odieuse, et superbe, représentation d'une stratégie de pouvoir se dévoilant impudiquement sous ses yeux, d'une réalité sociale continue et insupportable. Et voilà qu'enfin, le regardeur est dénié lui aussi.
À cet instant précis s'enclenche le mécanisme : le pouvoir n'est plus seulement politique ou économique. Il devient existentiel. Car nous, qui nous plongeons dans cette scène, par les mots et par les yeux, ne pouvons plus nous voiler la face : à ce jeu-là, nous perdons : nous sommes, nous aussi, les profanes. Et cela nous est inadmissible.

Quelles que soient nos valeurs, nos idées, nos amours ou nos histoires, devenir les laissés-pour-compte est désolant. Deux solutions s'offrent à nous : la résignation ou la révolte. Accepter notre condition, ou nous désigner nous-même comme le corps sacré. Détruire la domination par la profanation.

En y regardant de près, ces deux positions ne sont que les deux faces d'une même pièce, car elles proviennent d'un acteur tristement familier : notre puissance libidinale, nos pulsions egotiques ; notre désir sexuel achevé en récit.

Et c'est pourquoi, cette peinture subtile qui nous irrite, éveil en nous un instinct carnassier. Nous désirons nous mêler à cette chaire, la goûter dans ses tendresses, en épouser les formes et la déchirer entre nos dents. Notre envie devient rage. Ce pouvoir exhibé éhontément, cette posture suffisante, ce naturel supérieur nous hantent. Elle ne joue pas de rôle : elle est ontologiquement supérieure. Voilà ce qui nous met hors de nous. Le regardeur ne veut plus voir, mais être cette femme, au dépens de tout ce qu'elle représente de mépris et d'arrogance. Il jalouse sa superbe, tant et si bien que les servantes en deviennent des rivales, puis des ennemies gauches. « Que ne vous reveillez vous pas, stupides bécasses ; détruisez-la de toutes vos forces ! » veut-on leur scander. Nous voudrions leur dire de se révolter, imbus de nous-mêmes, incapables d'admettre l'idée même d'une supériorité sur notre propre corps, sur notre propre être. Nous finissons par les prendre en horreur, par vouloir les remplacer, troubler la quiétude de cette bien-née par notre présence.

Tout compte fait, ce que nous voulons, ce n'est pas tant la révolte de ces dames que d'y être à leur place. Et dans tout ce qu'il y a d'haïssable, le spectateur réalise maintenant : « Je n'ai jamais rien souhaité d'autre que d'y être, de l'approcher. Et admirer cette infâme grâce de si près que je puisse l'anéantir. Pouvoir toucher, tout comme cette pintade servile, du menton ce ventre qui me fait horreur, goûter cette joute de regards et imposer mon ardeur. ». Et regardant ce tableau de réaliser confusément « Ce pourquoi mon âme s'agite, ce que je désire, c'est tâter cette soumission encore plus que la détruire, devenir vaincu, écrasé par l'ivoire de cette peau, par cette incarnation fantastique du sacré, courbé face à cette femme qui se sait puissante par toutes les machinations humaines de nos sociétés bancales, et qui est devenue ce qu'elle incarne : la terreur, le sublime et la puissance. ».

Le fétichisme s'inverse. De destructeur révolutionnaire, nous devenons serviles serviteurs. N'importe plus que de ressentir, au tréfonds de nous-mêmes, le plaisir coupable, mais extrême, d'une soumission à une autorité naturelle, à un être exceptionnel. Jouissance de l'aliéné, pareil à celui de cette demoiselle accroupie. Humiliation nécessaire au plaisir ; avoir le privilège de chausser ces pieds fins de nos mains impures.
D'objet de haine, elle devient le nœud où s'entrecroisent tous nos désirs. Le charme violent du pouvoir nous a détruits, dans toute la force de nos convictions. Le spectateur, devenu regardeur, est maintenant un voyeur : cochon charmé qui se perd dans sa propre fascination. Plus il ère dans le tableau et plus il rêve, plus il rêve et plus il rêve d'elle. Le pourceau voit déjà cette main s'appuyer sur son dos, et ses doigts effleurer cette peau blanc et rose, douce et mat.

Il s'aventure à voir sa propre tête suspendue au-dessus de ce ventre plat, saisissant les effluves de sueur et de savon, typiques de la propreté estivale. Le sang bas ses tempes ; le malaise s'empare de lui, car il n'est plus au fait de ses propres sentiments. Rien n'y fait, cette peinture l'obsède, aspirant sa libido, détruisant toute sa volonté par cette expression sexuelle ouverte et subtile.

« Au diable la lutte des classes, je ne veux plus qu'une chose : saisir cette femme sous n'importe quel prétexte et faire cavaler mes mains le long de son corps tiède. Embrasser la superbe de ses seins par ma bouche moche ; étreindre ce cou tendu et enfouir mes doigts dans cette crinière soyeuse. Qu'elle me soumette du haut de toute son existence ! Puis l'empoigner : qu'elle me reconnaisse et m'adoube. Que chacun retienne son souffle dans une vénération profonde et que le désir charnel suive de près cette démonstration d'intersubjectivité ; que roulant sur nous mêmes vers les profondeurs inconnues de l'abîme, nous nous réunissions dans un accouplement long, chaste et hideux ; car je ne la vaux pas.

Et qu'ainsi, le profane ayant pénétré le sacré, sa superbe ne soit alors plus qu'une relique. Et du simple fait de cela, la faire plonger en enfer, c'est-à-dire, parmi-nous : les mortels. »

Ed_Wick
Niveau 10
18 août 2022 à 04:52:12

Exercice de style intéressant. Je n'ai pas regardé le tableau dans un premier temps, pour appréhender le texte pour ce qu'il est, tel qu'il est. Je t'avoue que la description minutieuse m'a un peu lassé. Ensuite, tu y mets des idées, des émotions, et le texte s'enflamme et devient parcouru d'ambivalence. J'aime bien. Après, j'ai l'impression que tu imposes ton interprétation, ta vision, en parlant au nom de tous les "regardeurs", ça m'a un peu dérangé. Quant au style, certains mots trop "universitaires" côtoient des envolées lyriques par moments, j'ai trouvé ça bizarre.

Difficile de savoir quoi retenir d'une telle lecture. Si ce n'est que tu as un style agréable, sans être très original ni exceptionnel, mais c'est déjà bien.

Clitandre
Niveau 9
18 août 2022 à 10:08:42

Le 18 août 2022 à 04:52:12 :
Exercice de style intéressant. Je n'ai pas regardé le tableau dans un premier temps, pour appréhender le texte pour ce qu'il est, tel qu'il est. Je t'avoue que la description minutieuse m'a un peu lassé. Ensuite, tu y mets des idées, des émotions, et le texte s'enflamme et devient parcouru d'ambivalence. J'aime bien. Après, j'ai l'impression que tu imposes ton interprétation, ta vision, en parlant au nom de tous les "regardeurs", ça m'a un peu dérangé. Quant au style, certains mots trop "universitaires" côtoient des envolées lyriques par moments, j'ai trouvé ça bizarre.

Difficile de savoir quoi retenir d'une telle lecture. Si ce n'est que tu as un style agréable, sans être très original ni exceptionnel, mais c'est déjà bien.

Merci beaucoup de ton retour !

C'est la première fois que je m'adonne à un tel exercice et il faut dire que je suis un très gros lecteur de philosophie, très petit de littérature. C'est sans doute ce qui amène ces mots jargonneux au milieu de ce texte : par mes lectures, ils me sont assez familiers.

Peut-être devrais-je les éviter pour un prochain exercice de style et leur préférer des périphrases plus esthétiques, moins "crues".

Pour la position du regardeur, à la lecture de ton commentaire je perçois ce qui ne fonctionne pas : je pose le spectateur comme extérieur alors qu'il s'agit de MON expérience du tableau. Une narration à la première personne aurait, sans doute, été plus pertinente.

Et enfin, si la description minutieuse t'a lassée, c'est que j'ai clairement raté ma tentative de retranscription sensible et poétique que m'inspirait le tableau. Je retravaillerais donc sur cet aspect pour un prochain exercice.

Merci encore pour cette critique !

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Sujet : La Toilette - Bazille
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