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Sujet : [Roman] Voyage Horizontal
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Eskritor
Niveau 5
07 septembre 2022 à 19:26:54

Je crée ce topic pour vous présenter mon premier Roman, Voyage Horizontal.

https://www.noelshack.com/2022-36-3-1662570391-305491293-2322156461270313-5533007382590330285-n.jpg

Avec ce livre, je raconte une année dans la vie de Jordan Chardon, un jeune célestin paumé, entre 2021 et l'élection de 2022. A 19 ans, Jordan habite avec sa mère dans une banlieue perdue, perd son temps sur internet (notamment ce forum), est en échec scolaire et seul dans sa vie. Le livre raconte ses tentatives souvent foireuses pour sortir de cette situation, et dresse un portrait global de notre génération.

Si cela vous intéresse de le débuter, je vais poster les premiers chapitres ici. Libre à vous de l'acheter ou non ensuite. Je suis également très preneur de critiques ou de retours si vous en avez, car un livre autopublié peut toujours se modifier !

Vous pouvez le commander sur Amazon en format papier ou ebook à cette adresse :
https://www.amazon.fr/Voyage-Horizontal-Samuel-Pao-DImbour-ebook/dp/B0B8DBBL4L

Bonne lecture :ok:

Eskritor
Niveau 5
07 septembre 2022 à 19:47:04

Avant-propos

On vient d’avoir les résultats du premier tour de l’élection présidentielle et toute la France s’excite autour de moi. Je crois que j’aurais mieux fait de lancer un film. J’ai fermé l’onglet France Télévision qui retransmettait la petite affaire en direct. Celui à sa droite m’a basculé sur Gmail. D’un coup d’œil, j’ai remarqué qu’une poignée d’insultes et de menaces supplémentaires s’étaient accumulées dans ma messagerie. J’ai éteint mon ordinateur.
Assis à mon bureau, je regarde la page blanche devant moi. Je devrais garder quelques traces de cette année folle. Mais lesquelles ? Difficile de démêler tout ce chaos. Je ne comprends pas vraiment comment j’en suis arrivé là.

Essayons de revenir à l’été 21.

Eskritor
Niveau 5
07 septembre 2022 à 22:58:54

Chapitre 1 - Blanquette de veau

Le 11 juillet, ma petite sœur et son copain venaient manger à la maison. C’était la première fois depuis qu'Alicia avait emménagé chez lui. Ils avaient prétexté attendre leur dose de vaccin, mais je crois maintenant que c’était un tas de conneries. S’ils ne venaient pas, c’est parce que maman et moi, on était morbides.

Ma mère travaillait jusqu’au soir comme aide-soignante à l’hopital et je passais mes journées en pyjama devant l’ordinateur. On ne se croisait tous les deux vraiment qu’au moment de manger, chacun zombifié par sa journée respective. À table, Alicia avait été remplacée par la télévision. D’abord silencieuse en arrière-fond, elle avait vu son volume augmenter au fil des semaines. A la mi-juillet, CNews diffusait triomphalement ses reportages sur la mise en place du pass sanitaire. Parfois, une discussion poussive s’enclenchait, mais elle s’évanouissait aussitôt. On mangeait alors nos spaghettis en vitesse, débarrassait puis retournait à nos postes respectifs jusqu’au sommeil : maman sur le canapé et moi à mon bureau.

Ma mère travaillait jusqu’au soir comme aide-soignante à l’hôpital et je passais mes journées en pyjama devant l’ordinateur. On ne se croisait tous les deux vraiment qu’au moment de manger, chacun zombifié par sa journée respective. À table, Alicia avait été remplacée par la télévision. D’abord silencieuse en arrière-fond, elle avait vu son volume augmenter au fil des semaines. A la mi-juillet, CNews diffusait triomphalement ses reportages sur la mise en place du pass sanitaire. Parfois, une discussion poussive s’enclenchait, mais elle s’évanouissait aussitôt. On mangeait alors nos spaghettis en vitesse, débarrassait puis retournait à nos postes respectifs jusqu’au sommeil : maman sur le canapé et moi à mon bureau.

Ce dimanche-là, j'ai senti dès le réveil la différence avec les autres journées du calendrier. M’arrivaient par la porte les notes d’une chanson de Cabrel et des odeurs de blanquette. Maman avait dû mettre Nostalgie. Quand elle m’a vu émerger dans la cuisine, elle a souri et m'a invité à vite me doucher pour enfiler des habits propres. A midi, la sonnette a retenti et elle s’est précipitée vers la porte pour ouvrir. Toute l’énergie de ma sœur a d’un coup rempli la pièce :
-- Maman !

Ma sœur suivait son homme partout. Pendant qu’il expliquait avec sérieux le montage financier pour la maison, je la voyais préparer son petit mot à propos de la décoration. A dix-huit ans, elle allait acheter une maison deux fois plus grande que la nôtre, avait un copain et s’apprêtait à fonder une famille. Elle en avait déjà fini avec le dur de la vie et je n’avais même pas commencé la mienne.
Quand mon attention est revenue à la discussion, Michaël parlait encore. Michaël parlait toujours en fait. Il se plaignait maintenant des types qu’il devait manager :
-- C’est un truc de dingue vraiment, des fois tu te dis que des aides se perdent quand tu vois comment les gars traitent le travail aujourd’hui. Plus jamais les types t’arrangent avec un colis quand c’est le rush. C’est toujours “mon bonus”, “mon machin”, “mon truc”. Heureusement qu’on a la commande vocale et toutes les carottes pour les motiver un peu, parce que sinon, ce serait vraiment le minimum syndical constant.
Michaël sous-traitait pour Amazon et c’était de loin la personne qui avait le mieux réussi dans notre cercle. Pendant qu’il parlait, j’observais les regards de maman et Alicia. Elles hochaient la tête à chaque mot, approuvaient chaque fin de phrase et le relançaient systématiquement quand il arrivait au bout de ses pensées. Justement, ma sœur a demandé :
-- A ton avis, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour changer cette mentalité ?
-- Honnêtement, je sais pas, ça gangrène tout. Ce pays, c’est un véritable panier de crabes. Il suffit d’avoir un peu de réussite et c’est bon, tout le monde te taille. Après, bon… les arabes et les noirs en font pas forcément plus non plus. Les asiats, peut-être... Mais ils sont pas cons. Ils restent chez eux maintenant, ils développent leur pays.

Moi, je n’espérais qu’une seule chose de cette discussion : qu’elle ne m’implique pas. Cependant, fatalement, Michaël a fini par renvoyer la politesse. Parce qu’il était poli aussi :
-- Désolé, je monopolise un peu la parole. Et toi alors, Jordan, ça va ? T’en es où de tes études maintenant ?
La question fâchait, mais pour être tout à fait honnête, toutes les questions fâchaient avec moi.
-- Ça va. Je me suis inscrit en Histoire. Je vais reprendre en septembre, j’espère que ça se passera mieux que la fac de bio.
-- Et l’Histoire, cette année, c’est pour quel métier ?
-- Je sais pas encore. Mais j’ai toujours aimé l’Histoire. Peut-être que je vais mieux réussir si j’aime bien ce que je fais.
-- T’as raison, mais fais gaffe quand même. Ce genre de fac, c’est souvent de la spé chômage. Faut toujours penser à se former à quelque chose de concret à côté.
Il s’est tourné vers ma mère :
-- Surtout, Jordan doit pas hésiter à m’appeler si un jour il est en galère. Chez nous on recrute en permanence, on a plein de jobs pour les gens qui bossent. Et vu tous les bons à rien qu’on se tape, il pourra vite grimper. Je donne juste l’idée au cas où.
J’ai vu le visage de ma mère s’illuminer.
-- Merci beaucoup pour la proposition, c’est une super idée !
J’ai approuvé d’un hochement de tête, mais à l’intérieur, l’état d’alerte rouge retentissait : je venais de gagner une raison supplémentaire de réussir ma licence. Michaël s’est penché vers moi et m’a demandé d’un ton complice :
-- Mais Jordan, tu dois avoir hâte de rencontrer des gens ! Avec l'année que vous avez eue, tout le monde doit être en feu. Tu as déjà dû brancher deux-trois petites copines, non ?
En bluffant, j’ai répondu :
-- Ah, t’inquiète pas pour moi !
Il y a eu un moment de gêne. Ma situation amoureuse était évidente pour tout le monde. Il n’y avait ni petite amie, ni ami tout court d’ailleurs. Juste un silence pesant en attendant de trouver un sujet un peu moins morbide sur lequel enchaîner. Heureusement, Alicia, toujours à propos, en a profité pour sortir l’autre grande annonce qu’elle gardait dans son sac et mettre un terme au flottement :
-- Et sinon, vous savez qu’on pense à adopter un petit chien ?
Le reste du déjeuner s’est bien passé. Je ne me rappelais pas avoir vu maman sourire si fort depuis des mois, donc j’ai fait de mon mieux pour paraître de bonne humeur jusqu’à leur départ. Vers quatorze heures, Michaël a prétexté un rendez-vous et Alicia l’a suivi. On s’est embrassés dans de grandes promesses de dîner à une date lointaine et indéfinie, puis la porte s’est refermée.

On s’est regardé, maman et moi. Sans parler, on s’est dirigé vers la table, on a débarrassé et on s’est séparé. À vingt heures, sans dire un mot, on a mis le couvert. Maman a fait réchauffer les restes de la blanquette et on l’a mangée devant TPMP.

Eskritor
Niveau 5
07 septembre 2022 à 23:32:46

Chapitre 2 - Discorde

Au début de l’été 21, le pays commençait à sortir du Covid. Les vaccins arrivaient, le pays reprenait anxieusement une vie normale et mes sentiments étaient partagés. Comme beaucoup de gens, ma vie sociale avait fait un zéro pointé depuis deux ans. Mais contrairement à d’autres, ça ne différait pas vraiment des années précédentes. Finalement, toute la France s’était mise à mon rythme et j’avais pu arrêter pendant quelques temps de me prendre la tête avec mon retard social. Le problème, c’était le déconfinement.
Internet se remplissait de départs en amoureux, de validations d’années, de soirées en boite de nuit et venait constamment me rappeler que la vie continuait à tourner sans moi, dehors. Endormi lycéen, je me réveillais puceau, sans amis, en L1 pour la deuxième fois. Mon retard dans tous les compartiments de la vie s’était allongé de deux ans et les excuses disparaissaient.

Les choses avaient dégénéré d’un confinement à l’autre : mon micro et ma caméra avaient progressivement disparu des zooms, et les minutes à se motiver pour sortir du lit étaient vite devenues des heures puis des journées entières. Vers février, j’étais certain de rater ma L1. Depuis, mes journées suivaient toutes le même script : je me levais trop tard, je me laissais capter dans un maelstrom de séries, TikTok et Fortnite jusqu’au bout de la nuit, puis l’aube pointait et tout recommençait.

Le réveil de ma mère sonnait à cinq heures trente et c’était souvent le signe qu’il était temps de dormir. Honteusement, je l’entendais se préparer et démarrer la voiture pour se rendre jusqu’à l'hôpital, à l’autre bout de Vellac. Là-bas, elle se faisait engueuler par sa direction, les médecins, les patients et la terre entière, puis rentrait crevée à dix-huit heures pour nous préparer à manger. Avec le recul, je ne comprends pas pourquoi je n’ai jamais songé à l’aider. Devant ces écrans, je ne pensais à rien.

Le 14 juillet, quand j’ai entendu l’appel du couvert, j’étais depuis deux ou trois heures en tournoi sur Fortnite. Après une quinzaine de parties frustrantes, j’étais en bonne position : j’avais une Scar-H de qualité, un bouclier au maximum, beaucoup de ressources et une position favorable en fin de zone. Top 6. C’est là que j’ai entendu :
-- Jordan ! Tu viens ?
-- Oui maman, j’arrive, deux minutes !
Un ennemi sur ma droite. J’ai lâché une rafale réflexe. Plus que quatre opposants. J’ai entendu toquer à ma porte. En face, un autre joueur a ouvert le feu depuis un bâtiment. Sur mon écran, j’ai appris deux décès. Top 2, maintenant : tout se jouait ici. J’ai rapidement construit un obstacle en bois. Mais dans mon dos, j’ai entendu ma mère ouvrir la porte de ma chambre :
-- Bon Jordan, tu viens ? Je suis crevée, tu fais chier.
-- Oui maman j’arrive.
J’ai répondu sans quitter l’écran des yeux. Un coup m'a touché et j’ai vu mon bouclier descendre à 0. L’ennemi m’avait contourné. J’ai rebâti un abri de fortune mais ma mère se rapprochait :
-- Jordan, tu me regardes quand je te parle ! J’ai travaillé toute la journée, et t’es planté là, assis sur ton cul à devenir con. Je te demande qu’une chose, donc viens manger maintenant !
-- Oui maman, une minute, s’il-te-plaît !
J'ai tourné la tête vers elle une demi-seconde. L’instant a suffi pour balayer dans le vent plusieurs heures de tentatives. J’ai explosé par réflexe :
-- Putain, maman, tu peux pas attendre une minute ? Une petite minute, ça change quoi à ta vie de merde ?
Elle m’a regardé sans dire un mot, juste assez longtemps pour que je souhaite de tout mon cœur avoir la capacité de remonter le temps, puis elle a quitté ma chambre. Je l’ai suivie silencieusement. Une fois installés à table, je me suis senti obligé d’entamer une explication :

-- Je suis désolé, maman, pour plus tôt... J’aurais pas dû réagir comme ça.
-- N’en parlons pas Jordan, c’est bon.
Pendant quelques instants, elle a hésité à dire quelque chose. Les mots ont failli sortir de sa bouche une fois, deux fois, puis elle y est finalement allée :
-- Écoute, est-ce que tu as payé tes frais d’inscriptions pour la fac ?
-- Non, pas encore. Pourquoi ?
-- C’est juste que je me dis… Tu es sûr que tu veux refaire une année ?
Je ne m’attendais pas à cette question :
-- Oui, pourquoi ?
-- Je ne sais pas… Je te vois tourner en rond dans la vie et je me dis… Tu n’aimerais pas gagner ta vie pour de vrai ?
-- Je comprends pas.... C’était toi qui m’avait dit que les études, ça ouvrait tout.
-- Oui, je sais, j’ai dit ça. L’an dernier… Peut-être que je me trompe, mais je ne la sens pas cette année. Tu sais que tu ne vas pas être historien, non ?
-- C’est le repas avec Michaël qui t’a fait penser ça ?
-- C’était très gentil, sa proposition de t’embaucher à son entrepôt.
-- Écoute maman, fais-moi confiance. J’aime bien l'Histoire. Je sens que je peux y arriver. Tu sais bien que je peux le faire !
-- Je le sais bien, Jordan. Mais tu as vu l’an dernier, c’était compliqué, la fac. Je dis juste ça comme ça, réfléchis-y.
-- D’accord maman, je vais y réfléchir.
-- Et en attendant septembre, tu ne veux pas essayer de travailler pour Michaël, un mois ? Je suis sûr qu’il peut te trouver une place. Ça te fera au moins un début de CV.
-- Oh maman, s’il te plait, non. Je veux pas travailler avec Michaël. Je peux essayer de refaire Deliveroo si tu veux !
-- Non, pas Deliveroo. Risquer ta vie chaque jour pour des miettes, non merci. Il faudrait que tu commences à découvrir un vrai travail.
-- D’accord si tu veux, je vais chercher un travail pour l’été. Mais pas avec Michaël d’accord ?
Faisant mine de ne pas entendre, elle enfonçait le clou :
-- Et même pour nous, ce serait bien d’avoir un peu d’argent en plus. C’est compliqué en ce moment avec l’emprunt.
-- Je sais maman, je vais chercher un travail. Mais pas pour Michaël. Et en septembre, je m’inscrirai à la fac, d’accord ?
-- Si tu veux. Mais garde l’idée en tête.
-- Je garde l’idée, maman.
Elle m’a souri :
-- Merci mon fils.
Je l’ai installée devant la télévision, j’ai débarrassé et j’ai fait la vaisselle. Je me sentais bien inutile, ici, à tout rater pendant qu’elle se crevait à petit feu pour nous. Alors j’ai fait tout ce que je pouvais faire : lui préparer un mug de chocolat chaud avec du Benco, le faire cuire au micro-onde, y rajouter de la chantilly, un chamallow, lui faire un câlin par-dessus l’épaule, puis remonter dans ma chambre et rallumer mon ordinateur.

Je fixais mon écran en veille. Que faire maintenant ? Oublier en regardant une série ? En lançant fortnite ? Un porno ? La gamme des loisirs était illimitée. Et pourtant, j’avais l’impression qu’on ne m’avait laissé aucun choix. L’écran noir a fini par punir mon indécision et j’y ai vu apparaître mon reflet : mon teint blafard entouré par mes poils de barbe naissants, mes yeux vitreux, mes cheveux ébouriffés et derrière moi, la montagne de bordel. J’ai ouvert un onglet blanc d’un clic réflexe et je me suis effondré en larmes. Je ne sais pas comment, dans ma crise de pleurs, un « d » a atterri sur le clavier. La suggestion https://discord.com/ s’affichait maintenant sur ma barre des tâches et venait automatiquement remplir le début de ma requête.
Sur la plateforme de messagerie, un message de
Tilerdarden m’attendait. J’avais rencontré ce type un peu par hasard sur un serveur Minecraft il y a un an. Je ne connaissais ni son nom, ni son âge, ni sa localisation. Tiler esquivait d’ailleurs toutes mes tentatives d’en savoir plus sur sa vie, mais il aimait suivre la mienne. C’était devenu mon confident et maintenant que j’y pense, mon seul ami. Il n’oubliait jamais de m’envoyer un lien dès qu’il postait un message complotiste ou dépressif sur internet. C’est justement pour ça qu’il me contactait ce soir :

“ [BLACKPILL] Ils ont déjà bouffé ta vie

Tilerdarden : Tu as entre 18 et 25 ans et tu essaies péniblement de te construire une existence ? Ou bien tu espères te retirer de cette société pour vivre ta vie dans les bois ? Inutile de lutter, elle a déjà été cramée pour toi.
C’était mort depuis les perturbateurs endocriniens dans ton premier biberon. Les études scientifiques sont formelles : le quotient intellectuel moyen est en baisse constante depuis trente ans. Autrement dit, tu ne peux pas croire tes propres pensées car tu es déjà stupide. Ton niveau de testostérone est l’équivalent de celui d’un octogénaire de 1950. Tes capacités de concentration sont inférieures à celles d’un poisson rouge. Entre internet, le porno, les téléphones, l’air, le sucre et tout le reste, tu étais déjà addict avant tes douze ans. Et tant mieux, car toute l’économie moderne est fondée autour du seul but de te vendre le plus d’espaces publicitaires possible.
La bonne nouvelle, c’est que le métavers, l’IA et la réalité virtuelle arrivent et tu n’auras bientôt plus à te préoccuper du fait que ta vie est gâchée car tu ne t’en rendras pas compte. Mais ce sera la chance de la génération qui viendra après nous.”

Tilerdarden : T’en penses quoi ?
Jordan : C’est pas mal

Je n’en avais aucune foutue idée, si c’était pas mal.
Tilerdarden passait ses journées à lire et s’informer sur la politique et j’étais beaucoup moins sûr que lui sur tout ça.
Tilerdarden : C’est “pas mal” ?
Tilerdarden : Ça ne te touche pas plus, ce qui nous arrive ?
Tilerdarden : Soit tout va s’effondrer, soit ils vont nous faire entrer dans un délire totalitaire à la matrix pour faire tenir l’ensemble. Ça ne te déprime pas ?
Jordan : Dans tous les cas, je vois pas trop ce que ça changera
Jordan : Vu ce que je fais de ma vie aujourd’hui…
Jordan : Pourquoi t’écris tout le temps ces textes dans le vide ? Ça sert à rien
Tilerdarden : Je les écris pour moi, ça m’apaise d’avoir compris leur jeu.
Tilerdarden : Et je crois que j’ai rien de mieux à faire
Tilerdarden : C’est mieux que regarder Netflix, quoi
Jordan : J’ai du mal à me concentrer sur grand-chose ce soir, j’ai eu une sale journée
Tilerdarden : Qu’est-ce que t’as fait encore ?
Jordan : J’ai mal parlé à ma mère
Jordan : Mais au delà… j’ai l’impression de tout voir s’écrouler autour de moi. Ma mère va pas bien, l’argent manque et je suis une sorte de merde inutile qui vient s’ajouter aux problèmes
Jordan : Les seules pistes que j’ai, ce serait d’arrêter les études et faire de la prépa de commande, sauf que je veux pas ça non plus
Jordan : Mais je suis incapable de faire quoi que ce soit de mieux
Tilerdarden : Je comprends, c’est compliqué
Tilerdarden : C’est vraiment de la merde cette vie, mais faut s’accrocher
Jordan : Merci gros, mais vraiment j’ai l’impression d’avoir aucune prise sur rien
Jordan : Je crois que je suis bloqué sur un tapis roulant vers un taff d’esclave, le RSA à vie ou le suicide. La seule question, c’est lequel des trois ça sera
Tilerdarden : Déjà tu as la fac en septembre
Jordan : Si ça reprend en distanciel, jamais je vais tenir
Jordan : Puis même en présentiel, je ne pense pas avoir le niveau. Aucune rigueur, aucune force en moi
Jordan : Donc peut-être qu’il vaudrait mieux commencer à travailler ou faire une formation
Tilerdarden : Ça reprendra pas en distanciel
Tilerdarden : Et t’en sais rien
Tilerdarden : Mais quitte pas la fac. T’as qu’une occasion maintenant donc let’s go
Tilerdarden : T’as envie de faire des études non ?
Jordan : Oui, j’ai envie. Mais est-ce que je peux ?
Tilerdarden : Ils t’ont pris donc il y a pas de débat
Tilerdarden : Tente, on verra bien

Il avait raison bien-sûr, et ma mère aussi. Il fallait que je tente ma chance. J’allais trouver un travail pour l’été, puis j’allais préparer la rentrée de la fac du mieux que je pourrais. J’ai passé le reste de la soirée sur Indeed à regarder des offres. Équipier McDonald’s, serveur, gardien de musées… j’ai envoyé mon CV inexistant une dizaine de fois puis je suis allé me coucher.
J’aurais aimé ne pas faire suivre cette décision par une branlette, mais j’étais trop malheureux à l'époque pour terminer une journée sans ce rush facile de dopamine. De plus, il faut que je le cite à cause d’un moment qui continue à me travailler : alors que je cherchais la vidéo parfaite sur mon téléphone, j’ai entendu dehors une série d’explosions très fortes : PAN, PAN, PAN, PAN, PAN !!!

J’ai bugué quelques secondes, puis j’ai commencé à laisser venir des scénarios d’attentats terroristes, à imaginer des jihadistes venus se faire exploser sur la place, au milieu des fêtards. Au bout d’une bonne minute, je me suis rappelé qu’on était le 14 juillet et que c’étaient sans doute des feux d’artifices.

Et alors, je crois que j’ai été déçu.

Encore aujourd’hui, je ne sais pas comment interpréter ma réaction.

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