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Ecriture

Sujet : Bientôt fini
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LeopoldBloom4
Niveau 8
18 septembre 2022 à 19:41:26

Ceci est probablement l'avant-dernier chapitre de mon roman. C'est un épisode assez court, un peu goûte d'eau, ou fin de vie, qui doit décider le personnage à en finir (je n'ai pas encore décidé de si je le faisais mourir ou devenir un genre de légume se noyant dans une lente déchéance).

Comme vous ne savez rien des évènements précédents, c'est principalement sur le style que j'aimerais vos retours, simplement savoir si vous trouvez que ça a de la gueule, ou non.

Un petit mot dans ma boîte mail, bref onglet jaune et noir à l'odeur de pétrole, ce fiel que je vais boire instant... Madame la principale qui m'écrit. Madame la principale qui est alarmiste ! Cassandre, Cassandre... Une élève de ma classe de sixième. Des bêtises que je lui aurais dites. Il serait vaguement question d'un viol, ou de propos déplacés en référence à... Ouais. Je me souviens maintenant. L'autre jour, vendredi dernier - une éternité pour moi, vous pensez -, je développais mon cours sur la mythologie grecque, richement garni d'images et de démagogie, d'extraits d'un film hollywoodien devant lequel les garçons ont pu assouvir leur soif de lutte et de sang, les filles leur attirance pour le beau blond aux cheveux ondulés, qu'on ne présente plus. Ça les faisait sourire, de ? voir tant d'animations, tant de références... de me voir faire le clown en animant la séance, seul truc que j'aurais trouvé pour qu'ils la ferment rien qu'un instant. Clown, donc. Je demandai, comme ça, si quelqu'un n'avait pas idée du déroulement de cette foutue guerre de Troie. C'est la petite Cassandre qui a levé la main, encouragée par sa voisine vachement joviale. Je lui ai donné la parole, j'ai fait en sorte que tout le monde écoute. C'était fantastique. Elle connaissait tout sur tout. J'étais aux anges. Je l'ai applaudi, félicité.

J'étais bourré, pas à l'aise je précise. Je m'étais jeté un coup de rhum au réveil, j'avais manqué atterrir dans un fossé en roulant vers le bahut. Bref. Pas en état. De l'enthousiasme joué à l'enthousiasme réel, le petit exposé de Cassandre. Lors je suis comme fou, je poursuis mon cours, j'enchaîne sur des détails en rafale de la guerre de Troie, je reviens sur Cassandre et je demande :

- Et alors Cassandre, sais-tu quel a été le rôle du personnage qui porte ton nom dans cette guerre ? Une princesse troyenne ? Excellent ! Et sais-tu quel était son don, à cette princesse, et ce qui lui est arrivé ? Non ? Je vais vous le dire !

Faut m'imaginer grand numéro, gigotant entre les allées de tables et de chaises, sautillant par-dessus les sacs et tapant des pattes, faisant de grands gestes pour rythmer ma parole frénétique :

- Elle avait des visions ! Et prophétiques, en plus ! Mais personne ne la croyait, non ! Personne... Elle imaginait la ville en feu, les hommes fauchés, les enfants brûlés, les femmes violées. Oh ! Son ravisseur, elle l'a vu ! Vu la violer, la culbuter, la défoncer, la massacrer, vingt-cent-mille fois ! Et personne ne la croyait...
Vent de stupeur dans la classe, presque choquée... Figurez-vous un élève de 6ème, semblable à un petit chien voulant jouer à qui on aurait foutu un coup au derrière et vous aurez idée de la trogne qu'ils tiraient... Je reprends :

- Et comme convenu le jour J, qu'est-il advenu ?! Bam ! Recta dans le scrotum ! Le scrotum ou que sais-je ! en tout cas la pauvresse a subi le joug du mâle, comme tant d'autres ! Alors là-dessus les versions diffèrent. Certains prétendent qu'Agammemnon, fou amoureux, l'aura traité dignement... D'autres l'ont plutôt représentée violée, sauvagement, par un millier d'hommes dans le temple d'Athéna... Mais où en étais-je, moi ? Ah oui ! Voilà le personnage qui porte ton nom, Cassandre !

J'achève en souriant, vers la petite. Je comprends pas trop cette bouille qu'elle tire, à cet instant, horriblement gênée et craintive. J'avais l'impression de m'être certes perdu mais pas d'avoir déconné aussi fort ! Je vous dis pas le blanc ensuite dans la salle.

La directrice, donc, sur ma boîte mail un lundi soir, me demande si on peut parler, si je peux m'expliquer devant les parents de Cassandre. Ouais, je me dis. Ouais, bien sûr. Engueulé ou radié, pour ce que je m'en cogne. J'irais dormir chez maman et taffer à l'usine, le temps de trouver autre chose. Je pourrais tout autant me jeter d'un pont, remarquez. L'effrayant prélude des Bunte Blätter de Schumann résonne dans mes oreilles, pensez si c'est de circonstance. Ouais. Pour un regard extérieur ce peut être un tantinet curieux : j'irai à cet entretien avec l'obsession de la mort gravée dans mon être.

Mardi soir c'est le bâtiment gris, le bâtiment livide flanqué à l'entrée, juste derrière la grille. L'accueil des personnels extérieurs, le secrétariat, les bureaux de directions... Elles sont toutes là, les âmes paisibles dans cet établissement de cons, celles qui ne passent pas quarante ans à tourner comédies sur comédies devant un pauvre public de zouaves attardés. Déballer tant de merdes à tant de petits êtres qui ont soif de vivre, ça ne devrait pas être permis. Diminuer le nombre d'heures mais restaurer l'autorité et le sérieux, ce serait du bon sens !

Du bon sens, en ai-je eu ? je me demande... Très certainement pas la fois dernière ! le cours avec Cassandre... Toute la journée j'ai potassé mes arguments, ma version atténuante des faits. Je ne parlerai pas de l'alcool, pas de la voiture, pas de la misère des miens et des autres, des ridicules tourments de l'Hôôômme supérieur... Lors je dirai : comprenez, j'étais fatigué. J'avais travaillé, travaillé comme un acharné, c'est pourquoi... je manque aussi cruellement d'expérience... Bon, ce sera pathétique et con comme on aime. Pour contrebalancer ça, je me suis fait tout beau. Pantalon, chemise, veste de costume... peigné, parfumé, rutilant... Rien à redire ! J'ai fait le taf aussi au niveau de mon vocabulaire. Du très très choisi, du très maniéré, du très recherché... Autant dire que le quart de mon développement ne sera pas parfaitement saisi par les interlocuteurs que je vais rencontrer. Ils auront l'impression d'un jeune intellectuel surmené, tourmenté, profondément parfaitement irréprochable ! L'instinct maternel que je veux voir émerger dans l'attitude de ces deux rombières vis-à-vis de moi...

Je me regarde une seconde dans le reflet de la porte vitrifiée. Tout de noir et de blanc, tout de cernes et de tracas... Ouais, pas de doute. C'est habillé comme la mort que je me présente à cet entretien. Ce petit regard de la principale que je surprends en entrant dans le bureau... Cette stupeur sur la face de la mère à Cassandre. Elle ne connaissait pas encore ma gueule, la voilà servie ! ma sale gueule encore plus esquintée qu'avant. La première me reproche intérieurement de m'être passé un costume, elle se demande bien ce que je cherche à foutre. L'autre a définitivement fixé sa pensée. Ça y est, il est laid et bizarre, forcément ce sale enculé aura parler stricto sensu de me violer ma gamine... Ce n'est même pas un glaçon le bonjour qu'elle me rend. Ça brûle, comme un vieux diable. Ça veut m'assurer des supplices qui m'attendent.

Je dis « bonjour mesdames » pour la troisième fois, je m'assois comme un écolier attentif à la faute qu'il vient de commettre. Enfin ça parle, ça va commencer :

- Bonjour monsieur Giraux. Voilà, avec madame Hutin, j'expliquai comment allait se dérouler notre entretien. Nous entendrons d'abord sa version des faits, ce que sa fille lui a rapporté. Nous passerons ensuite à la votre, et puis je poserai à chacun d'entre vous deux les questions qui me semblent judicieuses. Je tiendrai note de tout ce qui sera dit. Au terme de l'entretien, je prendrai la décision d'en informer ou non l'inspection et les autorités, de me porter ou non favorable à une enquête et à un recueil de témoignages auprès des élèves. Tout est clair ?

- Capitalement madame la ministre, je dis.

Et je crois m'être emmêlé dans ma performance... Ça va être perçu comme de l'impertinence ! On me lâche pas du regard tandis que madame Hutin s'engage à me tailler en pièces. Je n'ose pas un instant défier ces globules, je me recroqueville nerveusement dans un petit univers suave où tout le monde, à commencer par cette situation, n'aurait pas d'existence... Que ce serait chouette. Un appartement blanc, peuplé d'une étagère, d'un piano et de différents instruments à cordes et à marteaux. Le tout d'un blanc propret, d'un beau blanc. Plus brillant encore que ma vieille chambre du temps qu'elle était refaite. Puis seul, au dernier étage et pas un voisin. Tout près des nuages ! En harmonie avec l'éther, les cieux. Le calme plat. La fin des folies. Le tourbillon du monde qui s'arrête, cesse enfin de me broyer les restes.

Une voix tonne un peu, soudain. Le flot continu de madame Hutin a cessé. Des giboulées de mains balancent dans mon champ de vision. Madame la principale dit « hou hou » en me faisant des petits coucous... Alors oui, je me réveille. Je me réactive moi qui souhaiterait en finir. Je dois dire :
« Mesdames, si vous voulez mon avis, tout cela est exagéré. J'étais simplement surmené, j'ai momentanément exagéré et oublié le public qui me faisait face. J'ai cru un instant m'adresser à des jeunes gens matures que je pouvais intéresser en évoquant pleinement, passionnément, toute la bestialité, la sauvagerie d'un mythe. Et avec eux, celles d'une époque, de l'origine d'une civilisation, assurément. Vous le savez, c'est le petit mot de Nietzsche : Toute fondation repose sur un fumier. Vrai que toutes nos institutions, tous nos contes et nos croyances se sont battis sur des charniers. C'était là où j'ai maladroitement voulu en venir. C'était laborieux et je m'y suis fort mal pris. Je vous prie de croire, mesdames, que cela ne se reproduira plus, et je vous présente mes excuses pour la gêne occasionnée. »
Mais je dis plutôt... Enfin, admirez :

- Un instant, madame, je voudrais revenir sur un détail... C'est vous qui avez appelé votre enfant Cassandre (Bang ! stupeur dans la salle). Vous avez donné à votre enfant le nom d'une folle qui fut violée et brutalement tuée. Je n'ai fait qu'énoncer un fait.

La gueule de la principale qui se tire dans les quatre directions, celle de la Hutin qui va se scandaliser... Ne me demandez pas pourquoi. Un instant la colère a dominée. La colère contre toutes ces absurdités, ainsi perçues. Les cours, les comédies, les tragédies grotesques, le cours de nos vies à commencer par la mienne. Tout ça j'ai voulu poignarder. Je ne devrais pas vous la donner, l'évidence ! j'ai frappé pour qu'à leur tour ils me frappent, qu'ils me retournent la lame pour achever enfin ce que tous, jusque avant, n'avaient pas su faire. Bon qu'à me torturer, lentement, avec leur fourchette. Tuer moi enfin putain ! Je n'attends que cela. La Hutin indignée a fini de chercher ses mots :

- C'est le prénom que portait son arrière-grand-mère, pauvre malade ! Vous me reprochez, vous me reprochez, pervers ! d'avoir appelé ma fille du nom de ma grand-mère ?!

- Madame Hutin, s'il vous plaît, intervient mollement la principale.

- Non je ne me calmerai pas, madame ! Quel fou avez-vous embauché ? Vous trouvez cela acceptable ?!

- Pas du tout, pas du tout... la principale patauge.

- En tout cas je ne veux plus qu'il s'approche de ma fille ! Plus du tout d'aucun enfant, même ! Jusque là ma fille est dispensée de cours d'histoire !

Elle se lève, elle s'apprête à partir. Fureur, elle me toise de haut. Son grand imper qui fait un tour, le talon de sa chaussure qui claque, ce parfum de vieille rose qui me prends à la gueule... Je réfléchis. Je me dis ça fait bien un an que je n'ai pas niqué, qui... Zoé, Manon, Justine, Céline, Zoé, Justine, Justine, Zoé... Je repense aux montagnes et à ce château en hiver. Ces scènes de batailles noyées dans une joie bouillante. Les étoiles pleins les yeux, les promesses vagues dans le lointain. Perdu tout cela à présent, perdus mes pauvres copines et moi. Celle qui m'a fui, celle que j'ai fui. Nos inconséquences et nos névroses comme symptômes d'une longue fuite vers la mort. Il est bien temps d'en arrêter là, temps d'en finir. Avant que la mère de Cassandre ne sorte, je fais tonner de ma voix. Une voix sourde, de paix, qui veut poser le bilan. J'arrive au terme.

- Excusez-moi madame, excusez-moi pour votre fille... Je suis un fou, j'ai pété les boulons... Je suis seul, vous comprenez ? seul. Les amis sont partis, la famille a faibli, les amours sont mortes, vautrées dans je ne sais quelle déchéance... Je n'aime pas les autres, je n'aime pas leur contact... Je les aime tant de loin ! De très loin, à travers les romans... Leur présence, leur regard - le votre, madame - est une charge pour moi. Croyez-bien que je me sens coupable ! Cette gentille petite fille, dont j'ai injurié le prénom, que j'ai choqué avec des images d'horreur... M'en veux... Je bois beaucoup, je vous l'avais pas dit... J'avais manqué le fossé, ce jour-la, en bagnole... Désespéré, j'ai pétaradé. Pétarader pour survivre, mimant l'enthousiasme, l'exaltation. Pétarader pour m'ensorceler, que je cesse enfin de prêter attention à ces voix me ramenant constamment à mes fautes. Je suis un fou, je vous dis... Madame la principale, mettons un terme à ce contrat.

La mère de Cassandre s'en va sans ajouter un mot. Elle n'est plus si colère, elle cogite un truc, elle ruminera un quart d'heure durant... Ma gueule, ma sale gueule délavée. Ma pauvre voix mourante. Ma confession comme un cheveux gras dans la soupe, plein du psoriasis d'un crâne qui se mésestime et se dégarni. En cinq secondes j'ai fait boire à deux inconnues pleines d'embarras ce qu'en un an je n'avais su exprimer ne serait-ce qu'à l'écrit. Toute une existence résumée en un mot, toute cette inconsistance qui ne méritait pas un roman. Je vous présenterai mes excuses, très bientôt.

Madame la principale me récupère à l'issue de cet épisode gênant. Elle me dit en des termes très touchants, pourtant très convenus, avec un ton maternel, qu'il conviendrait en effet d'en arrêter là. Trouvera-t-elle quelqu'un, pas, pour remplacer le poste vacant ? Elle ne sait pas. Il faudra bien. De toute manière cela vaudra mieux pour ma santé mentale, il faut que je me repose d'urgence et fasse le point sur... Il faut que je me tourne vers les services du rectorat, que je sois aidé, que je puisse m'exprimer, raconter à d'autres femmes qu'elle, dans la fraîcheur de l'âge ou mères de longue date, mes angoisses, mes incertitudes, le flot constant de mes déceptions, elle dit.

- On va faire comme ça, madame, je dis.

J'accéderai à tout. Elle fait la conclusion :

- Je vous dispense momentanément jusqu'à la rupture conventionnelle. Je vous enverrai un mail pour vous prévenir du jour, pour les signatures. D'ici la monsieur, portez-vous bien. Et surtout, surtout, ne restez pas seul, parlez.

Ce grand sourire, cette poignée de main, oh ! surtout ne pas la quitter en lui laissant l'impression qu'elle sera la dernière personne à m'avoir parlé, à avoir pu me sauver... Mon sourire doit avoir quelque chose de faux, de trop exagéré. Forcément je lis une douloureuse inquiétude dans son regard ! ma foi... La rombière déféquera un sale fiel ce soir, dans ses waters. Les émotions lui feront peut-être enfin accoucher du gras colombin qu'elle rumine indubitablement depuis des chiées, comme toute ménauposée respectable. Je m'en excuse bien madame. Encore, et encore, de vous avoir tourmenté. Ne vous en faîtes pas, allez. Mon nom ne figurera pas dans le journal.
Et je suis reparti, écrire cette lettre que vous trouverez au bout.

Pseudo supprimé
Niveau 20
29 octobre 2022 à 18:33:07

Il s'agirait de péter un coup.

ihjkali
Niveau 16
29 octobre 2022 à 19:21:22

prout

ihjkali
Niveau 16
29 octobre 2022 à 19:21:38

un peu trop volontiers tragique à mon goût mais c'est pas mal et un peu rattrapé avec la drôlerie ; bon après chacun son style : je trouve ta saleté trop propre :(

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Sujet : Bientôt fini
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