Se connecter

Création

Ecriture

Sujet : MAEVA
1
VeIyx
Niveau 10
11 mai 2023 à 06:18:50

Vieille réponse à un défi d'écriture, dont l'intitulé était "Où est passé l'amour ?"

Le magicien, deux projecteurs braqués sur lui, désigna dans un geste grandiose l'immense boîte dans son dos. Un murmure parcourut la foule du cabaret-restaurant encore électrisée par le tour précédent. Chacun se demandait ce que pouvait contenir le caisson de près de deux mètres, et tous étaient prêts à en prendre plein les yeux. Mais le ton du magicien se fit soudainement plus grave, comme s'il était sorti de son rôle pour s'adresser non plus à des spectateurs, mais à des amis de fin de soirée.

- Merci, tout le monde, merci beaucoup. Avant de vous quitter, j'aimerais vous poser une simple question, car j'ai vu beaucoup de couples ce soir : aimez-vous vraiment ?

Des sourires détendus apparurent chez les convives, qui croyaient n'entendre là que l'introduction du clou du spectacle. Comme personne ne répondait, un silence s'installa brièvement. Les visages, devenus gênés, se réfugièrent dans les verres de vin presque vides, plus soucieux de briser le contact visuel que d'épancher une soif vaincue depuis longtemps.

Le magicien apostropha alors le couple le plus proche de la scène, et l'invita à prendre place sur l'estrade. Madame, gênée, refusa avec un sourire, mais la salle énergique se mit à applaudir pour l'encourager. Je fis de même. Je la sacrifiais lâchement pour éviter de voir le magicien se rabattre sur un autre couple, possiblement le mien. De plus, j'étais quelque peu intéressé par le contenu de la boîte. Sophie, de l'autre côté de la petite table ronde, applaudissait aussi, riant aux éclats, de son rire bruyant et contagieux.

- Aimez-vous vraiment ? répéta le magicien, tendant son microphone à ses deux victimes.

L'homme s'avança timidement, hésita, et lâcha un faible "oui" après un raclement de gorge involontaire, qui fit rire la salle de plus belle. Pour apaiser son stress, il fut invité à raconter en quelques mots les circonstances de la rencontre avec sa femme, et d'évaluer ce qu'il serait prêt à faire pour elle. Aidé par l'alcool, il finit par se relâcher complètement, se vanta de leur lien indestructible, épaulé par sa femme qui acquiesçait souvent et s'emparait parfois du micro pour glisser une plaisanterie bien sentie à son sujet. Il était facile de sentir chez ces deux-là un lien dur, forgé progressivement par les intempéries.

- Si tu pouvais me regarder comme tu la regardes, lança Sophie, uniquement pour me provoquer.
- Je te regarderai ce soir. Jusqu'à maintenant, c'était des tours basiques, mais celui-ci m'intéresse. Il ne me rappelle rien.
- Excuse-moi du dérangement, monsieur je-sais-tout. Peut-être que je vais enfin pouvoir profiter du spectacle avant que tu ne m'expliques la supercherie.

La présentation du couple se termina, et le magicien leur proposa de choisir qui rentrerait dans la boîte sobrement intitulée "machine à évaluer l'amour", ou "MAEVA".

- Moi ! lança la femme avec entrain.

Il ouvrit la porte du caisson, la laissa prendre place à l'intérieur, et s'avança face au mari.

- Monsieur, les règles du jeu sont simples. Cette machine possède le pouvoir de séparer à jamais ceux qui ne s'aiment pas tant que ça, mais de réunir les âmes sœurs. Vous pouvez encore refuser de participer à l'expérience, et retourner vous asseoir si le cœur vous en dit. Mais dans le cas contraire, nous laisserons MAEVA juger de la véracité de vos propos.

Le couple se lança un coup d'œil complice, et accepta de participer au tour. La boîte se referma ainsi sur la femme, et le magicien la fit pivoter sur elle-même plusieurs fois.

- Tout va bien à l'intérieur ?
- Jusqu'ici ça va, répondit-elle, un peu anxieuse.

Lorsque la boîte revint sur sa position initiale, une puissante lumière blanche irradia l'intérieur, s'échappant de l'interstice de la porte. Un silence inquiet s'installa dans la salle qui guettait un signe de vie depuis la boîte. Lorsque la porte s'ouvrit, plus personne ne se trouvait dedans. La femme s'était comme vaporisée, en quelques secondes. Un murmure impressionné parcourut les convives, et le choc sur le visage du conjoint m'assura qu'il n'était pas complice.

- Où est-ce qu'elle est ? demanda-t-il, hébété.
- Alors ça, aucune idée, répondit simplement le magicien. Voulez-vous bien vous en aller, maintenant ?
- Pardon ? Où est ma femme ? Faites-la revenir.
- Ce n'est pas possible, monsieur : vous avez perdu. Le verdict de MAEVA est sans appel. Au suivant, si vous le voulez bien.

Il fit un signe discret en direction des coulisses et deux hommes vinrent accompagner le cobaye en dehors de la scène, alors qu'il commençait à s'énerver, encore surpris par la pure disparition de sa compagne. Il criait au magicien de lui rendre sa femme, mais ne parvenait pas à se défaire des bras puissants qui le tiraient dehors.

- Alors là, s'étonna Sophie qui n'en finissait plus d'applaudir, c'est du grand art. J'en étais sûre qu'il ne l'aimait pas tant que ça. T'as vu ? Il n'y avait pas de trappe, si ?

Non. Il n'y avait pas de trappe. Plus inquiétant encore, aucun des stratagèmes permettant l'exécution d'un tel tour ne semblaient employés ici. Et personne ne s'alarmait de voir cet homme dirigé si promptement vers la sortie. Peut-être allait-il avoir droit à une explication loin des regards indiscrets, mais il était de coutume de toujours faire réapparaître la victime sur scène. Un nouveau couple s'avançait pour se soumettre à l'épreuve de MAEVA, et j'avalai d'une traite mon verre de vin, bien décidé à résoudre l'énigme de cette boîte avant la fin des festivités.

- Allô la lune ? Ici Sophie, insista-t-elle. Tu t'avoues enfin vaincu ? Il est plus fort que toi, ce magicien. Peut-être qu'elle est vraiment magique, sa boîte.
- Ne dis pas de bêtises.

Plus encore que sa bouche, ses yeux farceurs se mirent à sourire. Je ne connaissais que trop bien cette expression défiante. J'en étais tombé amoureux.

- Dis-moi, fit-elle de son ton mielleux. Tu crois qu'il se passerait quoi, si j'entrais là-dedans ? Je parie que je disparaîtrais aussi.

Je n'avais aucun doute concernant mes sentiments, mais là n'était pas la question : cette machine ne possédait logiquement aucun moyen de mesurer quelque chose d'aussi abstrait que l'amour entre deux personnes. Si elle entrait dans cette boîte infernale, elle avait tout autant de chances que la victime précédente de ne pas en revenir.

- N'y songe même pas.
- Tu sais, ça n'est pas très romantique, comme réponse. Tu pourrais au moins me dire que rien ne pourrait jamais nous séparer,. Que ton admiration pour moi transcende le temps, l'espace et la magie, que toutes les fleurs du monde ne suffiraient pas à composer un bouquet digne de mes charmes, que...
- Laisse tomber, je te dis. Hors de question que tu grimpes là-dedans.

Son esprit rebelle prit malheureusement cette dernière affirmation comme un défi.

- Je te laisse une demi-heure. Si d'ici-là tu ne peux pas m'expliquer où est le truc, je me porte volontaire. Et tu auras intérêt à m'aimer très très fort, parce que sinon, tu dormiras tout seul ce soir.

VeIyx
Niveau 10
11 mai 2023 à 06:21:06

Les minutes suivantes s'écoulèrent rapidement, laissant passer un nouveau couple. L'homme, cette fois, entra dans la machine. Le rituel se répéta : MAEVA tourna plusieurs fois sur elle-même, une lumière vive inonda l'intérieur du caisson, et lorsque la porte se rouvrit, tout était vide.

- Voulez-vous bien vous en aller, maintenant ? proposa le magicien, toujours satisfait de son petit tour impénétrable.

La jeune femme sortit en coulisses sans demander son reste, le teint blafard. Sophie imitait le tic-tac d'une horloge, parfaitement consciente de mon incapacité à comprendre le stratagème, quand un couple fit parcourir un murmure parmi l'audience. Deux garçons d'à peine vingt ans défiaient le magicien, la poitrine pleine d'espoir. Ils s'embrassèrent sur l'estrade.

- Voilà qui est intéressant, s'amusa-t-il. Aurions-nous là l'amour véritable ? Seule MAEVA connaît la réponse.

Beaucoup se redressèrent sur leur chaise pour voir entrer le plus jeune des garçons dans la boîte, et chacun retint son souffle, comme si le miracle allait enfin se produire. J'avais connu mon lot de prestidigitateurs, mais aucun d'assez doué pour scotcher son audience à l'idée de ne rien faire disparaître.

Mais sans surprise, ce fut un nouvel échec : la boîte s'ouvrit pour laisser voir son fond, désespérément vide.
Le magicien demanda au second garçon de s'en aller, mais ce dernier se tourna vers l'audience, triomphal, et sortit un téléphone portable de sa poche.

- Peut-on savoir ce que vous faites ? demanda le magicien, avant de lui tendre son microphone.
- Je l'appelle. Il a gardé son téléphone sur lui, la sonnerie nous dira où il est caché. Désolé.

À la surprise générale, bien loin de s'énerver de cette tentative de saboter son tour, le magicien parut intrigué et fit signe à l'audience de garder le silence et de tendre l'oreille. Après plusieurs secondes d'attente, aucune sonnerie n'avait retenti. Néanmoins, des sons s'échappèrent du haut-parleur du téléphone. Quelqu'un, de l'autre côté, tentait de parler, mais un grésillement puissant empêchait de comprendre le moindre mot, et la connexion coupa bientôt.

- Alors, Sherlock ? me défia Sophie. Où est le stratagème ?
- Je crois que je cherchais trop compliqué, soupirai-je.
- Pourquoi donc ?
- Je t'ai déjà dit comment ces gens-là avaient tendance à attirer l'attention loin de l'essentiel pour réussir leur tour ? Je pense que lui fait l'inverse. Il nous laisse la réponse sous les yeux, depuis le début, et on se borne à l'éviter pour chercher des solutions compliquées dans les gesticulations, dans le décor, ou dans le mécanisme de la boîte. Parfois, penser "out of the box" ne mène nulle part. Il faut penser "inside the box".
- Yes, yes ! Conclusion ?
- Conclusion, pas la moindre idée de comment ça marche. Mais je t'aime, donc ça devrait aller.
- Ah ! Trop facile. Si tu crois que ça va m'empêcher de vérifier.

Sophie leva la main et se proposa pour le tour. Je restai sur ma chaise, faisant mine de ne pas la connaître, mais les regards insistants ne me laissèrent pas le choix. J'allais devoir me soumettre au petit manège. Alors qu'elle entrait dans la boîte, le magicien lui demanda de présenter son couple. Elle ne manqua pas une si belle occasion de m'embarrasser en public et jugea bon d'occulter ma patience infinie à l'égard de ses caprices, pour ne retenir que les quelques fois où je l'ai laissée, par étourderie, attendre une ou deux heures de trop à un point de rendez-vous.

- Quel terrible ingrat, s'offusqua le magicien soucieux de profiter au maximum du spectacle qu'elle offrait. Et vous n'avez pas peur de disparaître dans MAEVA ?
- Alors ça, pas du tout ! Je suis convaincue qu'il me déteste, mais il a trop peur de ma mère pour laisser quoi que ce soit m'arriver. Et puis, ça lui couperait un bras de devoir payer l'addition du repas pour nous d...
- Oui, oui, d'accord, coupai-je avant qu'elle n'entame un numéro dans le numéro. Allez hop, on y va.
- À tout de suite, chéri, triompha-t-elle alors que la petite porte en bois se refermait sur elle.
- C'est ça. À tout de suite.

La machine à évaluer l'amour fit quelques tours sur elle-même, poussée par la main savante du magicien, et le flash lumineux eut lieu, beaucoup plus impressionnant vu de près. La foule retint son souffle, alors que la petite porte s'ouvrait de nouveau. À l'intérieur, comme je m'en doutais, ne se trouvait plus personne. Un soupir de déception traversa l'audience, qui ne connaissait pas assez Sophie pour comprendre le délice du rare silence offert par son absence.

- Voulez-vous bien vous en aller, maintenant ? demanda le magicien.

Je pris quelques secondes pour réfléchir à la proposition, mais après tout, rien n'y faisait. Vivre avec elle était terrible, mais vivre sans était inconcevable.

- Non, désolé. Je n'ai pas vraiment l'intention de repartir sans elle. Je vais plutôt la suivre.

Je m'avançai aux côtés du magicien au sourire approbateur, pris place à l'intérieur de la boîte, et laissai se refermer sur moi le petit battant.

- Bonne réponse ! lança-t-il alors dans son microphone. MAEVA a trouvé ses gagnants !

La foule se mit à applaudir sans vraiment comprendre, en même temps que ma tête commençait à tourner. Bientôt, un flash lumineux m'agressa les yeux, me laissant aveuglé pour plusieurs secondes. Alors que je retrouvais mes esprits, je sentis sur ma peau le souffle du vent. Je ne me trouvais plus à l'intérieur du caisson, ni même à l'intérieur du cabaret-restaurant. Où pouvais-je bien être ?

Une voix familière, quelque peu anxieuse, gronda tout près. Elle me reprocha d'avoir mis du temps à arriver, et j'obtins une réponse plus que suffisante.

J'étais où elle était.

1
Sujet : MAEVA
   Retour haut de page
Consulter la version web de cette page