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Sujet : Ebauche d'une ouevre, je vous la livre, elle remporte un petit succès sur scribay et monbestseller
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ChatTeigne
Niveau 8
01 juin 2023 à 15:07:48

Un, deux…

La barre de fonte monte et redescend à un rythme régulier, avant de reprendre lentement son ascension.

…trois, quatre…

Ma respiration accompagne son mouvement, dans une relation symbiotique entre la chair et le métal.

…cinq, six…

Mon dos se cambre sur le banc moite de sueur, mes pieds agrippent le sol et participent à la poussée. Au plafond, mon regard tâche d’éviter la lumière aveuglante d’un néon. Personne ne se tient derrière moi pour m’assurer. Inutile, j’ai l’habitude.

…sept, huit…

Si d’aventure j’ouvrais mes paumes, pour voir, une masse de quatre-vingt kilogrammes s’abattrait sur ma poitrine. Avec un peu de chance, mon cœur exploserait sous l’impact. Ou si je ne veux pas miser sur la chance, j’aurais juste à changer de quelques degrés l’angle que mes bras forment avec mon corps allongé sur le dos. Ainsi, la barre me broierait la trachée, ou me briserait le crâne…

…neuf…dix.

Je repose la barre sur son rack, et reprends mon souffle. Je saisis la petite bouteille d’eau posée à côté du banc, et en sirote quelques gorgées en observant autour de moi.

La Défense, sept heures du matin, un lundi de septembre. Le Top Fitness tapi sous l’esplanade est encore quasiment désert. À cet horaire matinal, ce sont toujours les mêmes visages que l’on y croise, séance après séance, semaine après semaine, saison après saison, année après année. Je connais au moins de vue la plupart des habitués, on se sert la main, on échange de brèves salutations, et on s’entraine chacun dans notre coin. Séance après séance, semaine après semaine, saison après saison, année après année. Toujours à répéter inlassablement les mêmes gestes, dans le même ordre, chaque geste ayant son jour immuablement attitré.

J’aime bien cette routine. Elle a quelque chose de rassurant. Ce temple de la forme, encore à moitié endormi, bercé par les grondements du RER de la galerie voisine, est en quelque sorte mon havre de paix avant de me jeter dans l’arène. Une arène de verre, de béton et d’acier, haute de pas loin de deux cent mètres. C’est pas si long, deux cent mètres, à l’horizontale. Quarante secondes de course quand je suis en forme.

Par contre, à la verticale, c’est haut. Et long à grimper. Tellement haut que pour atteindre les derniers étages, où je sévis, je dois prendre deux ascenseurs différents. Systématiquement bondés, marquant un arrêt à quasiment chaque étage. Je dois les prendre au minimum quatre fois par jour. Une fois le matin, pour entrer dans la fosse aux lions, deux fois le midi, pour aller prendre ma ration de calories au restaurant d’entreprise du rez-de-chaussée puis retourner à la mine, et une dernière fois pour évacuer la zone.

J’ai calculé qu’en moyenne, je perds trente-deux minutes par jour dans ces espaces de cinq mètres carrés, confinés entre les costumes minables en synthétique, les odeurs d’aisselles estivales, les relents de clope et de café, les fragrances de supermarché et les remugles de cuites de la veille.

Des miettes de temps, comparées aux transports en commun.

Je me tire de ma rêverie et entame la deuxième série.

Un, deux…

Je me demande pourquoi je me prive d’une heure de sommeil pour faire ça, du travail de bête de somme. Probablement la satisfaction d’un penchant masochiste.

…trois, quatre…

Je ne ressemble toujours pas à un culturiste, un de ceux qu’on voit en photo sur les sites de conseil en nutrition. Il y a pourtant pas mal d’années que je m’adonne à cette pratique barbare.

…cinq, six…

Au moins je parie sur l’avenir. J’ai toujours été terrifié par la perspective de devenir un de ces petits vieux complètement voûtés, qui doivent lever la tête pour regarder devant eux, et trainent par petits pas incertains un corps aux limites de l’impotence. Oui, ça doit être pour ça que je m’évertue, séance après séance, semaine après semaine, saison après saison, année après année, à reproduire inlassablement la même boucle. Me tenir droit et me mouvoir correctement. Jusqu’au bout.

…sept, huit…

Et je parie aussi sur le présent. Quarante ans, quand même, je suis statistiquement plus proche de la fin que du commencement. Au moins, à l’inverse de mes contemporains d’âge comparable, je n’ai pas de panse à bière, mon corps est tonique, réactif. En cas de panne des cages évoquées plus haut, je peux prendre les escaliers sans marquer une pause à chaque palier, et arriver à bon porc sans suer comme un port. Ou l’inverse. Pas de cholestérol, pas de diabète, aucun cancer, souci articulaire ou osseux. Jamais malade. Mon enveloppe charnelle est une machine que j’entretiens, comme si c’était la seule qui m’avait été confiée. Ce qui est le cas. Comme tout le monde. Le cheminement intellectuel de ceux qui négligent cet entretien de base m’a toujours laissé dans un état de profonde perplexité.

…neuf, dix.

La barre reposée, je fixe, sans y penser, le miroir mural qui me fait face. Un regard sombre, pour ainsi dire noir, soutien le mien. Ces iris d’onyx sont enchâssés dans des orbites profondes, aux arcades saillantes. Ils surplombent un nez long, presque aquilin, lui-même dominant une bouche petite, aux plis amers. Oui, je n’ai plus trop eu l’occasion de rigoler ces derniers temps. Forcément, ça se marque en caractères indélébiles sur les traits. Un front large gagne insensiblement mais inexorablement du terrain sur une coupe courte, qui vient discipliner d’épais cheveux châtains, où déjà quelques rebelles gris tentent une infiltration. Le tout donne une impression générale d’usure, de début de délabrement. Une barbe de trois jours vient manger des joues creuses et un menton avec fossette. J’aurais dû me raser ce matin, je commence à ressembler à un bobo. Ou un clodo. En tout cas, ça fait négligé. Promis, demain je rase ça.

Allez, j’y retourne, l’aiguille tourne, série suivante. En étais-je à deux ou trois?

ChatTeigne
Niveau 8
01 juin 2023 à 15:08:16

Fraîchement douché, je m’extirpe du souterrain et contemple l’esplanade, déjà grouillante de monde. L’été n’est pas encore terminé, mon costume de laine, bien coupé mais commençant à être élimé par des années d’usage, est adapté à la douceur de la température. Des centaines, des milliers de petites fourmis se pressent dans un ballet parfaitement orchestré vers leur centre de production. Je dis fourmi parce que l’homme ne maîtrise pas encore le déplacement aérien individuel. Dans l’hypothèse inverse, ça ferait plutôt ruche.

Tout le monde ne porte pas l’uniforme de l’ouvrier moderne, le valet de luxe, le peuple de l’open space. Je suis un des seuls à conserver la tenue formelle complète. Jeunes comme vieux sont majoritairement en casual pro, sorte de chimère entre le costume classique, des articles disparates de chez Zara, et de grosses sneakers rappelant que l’homme moderne n’est finalement qu’un gamin avec de la barbe. Je croise le chemin d’un de ces gosses séquestrés dans un corps d’adulte, portant le t-shirt sous un blazer, accompagné d’un autre arborant une chemise stricte sous un blouson de cuir, lui-même aux côtés de son camarade qui porte un complet de bonne facture, au-dessus duquel trônent deux créoles de pirate suspendues aux lobes de son propriétaire, et une barbe hirsute de bûcheron canadien. Ou de taliban afghan. Ou de sans-abri bien français.

Bref, un joli patchwork ou chacun tente, petite écume partie de la marée humaine quotidienne, par ces vaines coquetteries, de maintenir l’illusion de l’individualité.

Égaré dans ces réflexions vestimentaires, j’arrive sans même y penser aux pieds du colosse architectural où je suis censé me trouver neuf heures par jour (pause déjeuner comprise), cinq jours par semaines, quarante-sept semaines par an (moins les RTT). Une sorte de bagne à temps partiel. Un régime de semi-liberté. Ou semi-emprisonnement. Sur une trentaine d’étages. Sauf que là, c’est d’un parachute et pas d’une barque dont il faut s’équiper pour tenter une évasion.

Je salue le vigile distraitement, et entre dans le grand hall. Fugitivement, je me souviens, dix-sept ans plus tôt, fraîchement débarqué de ma province natale une fois mon diplôme en poche, de la sensation d’orgueil qui m’avait saisi en entrant pour la première fois. L’émerveillement devant ce luxe austère, ce marbre gris, ces angles saillants, cette élégance massive. Et la satisfaction de faire partie d’un des gros rouages graisseux de notre économie, après tant de semestres studieusement validés au prix d’innombrables nuits blanches. Et l’ambition de gravir les échelons, l’un après l’autre, par mes seuls efforts méritoires, le plus haut possible.

Et maintenant, ça m’emmerde d’être là. Après tant d’années, la passion s’émousse.

Il est encore tôt, les ascenseurs ne sont pas encore trop bondés, je n’ai pas à patienter trop longtemps avant d’en trouver un. Je rentre mentalement dans ma bulle, insensibilisé aux soupirs audibles des plus vieux, aux percussions de batteries qui s’échappent des oreillettes des plus jeunes, aux cahots de la cabine, tirée par des câbles qui commencent déjà à fatiguer, à la voix mécanique qui égrène les numéros d’étage à chaque halte, aux contacts non sollicités avec ces corps étrangers. Au quinzième (service audit), le terminus, je sors, et me dirige vers un autre, qui cette fois me propulsera vers les sommets. Comme de coutume, je dois poireauter de longs instants avant qu’un d’entre eux daigne m’accueillir. Quelques désagréables minutes plus tard, je fais irruption dans mon antre.

Service production, vingt-huitième étage, bonjour.

ChatTeigne
Niveau 8
01 juin 2023 à 15:08:49

L’étage est composé d’une multitude de cellules occupées par trois ou quatre soldats du capitalisme, chapeautés par un responsable de service (le N+1) rendant compte lui-même à un directeur de service (N+2), lui-même subordonné à un directeur de branche (N+3), et ainsi de suite jusqu’au N+5. Ou N+6. J’ai oublié. Chaque cellule vit de façon plus ou moins autonome, et ne côtoie pas ses voisines. Un peu comme dans une résidence de la classe moyenne. Chacune est une sorte d’écosystème indépendant, coordonnée dans un système global par le N+1. Le mien est déjà sur le pied de guerre, je jette un œil à ma montre avant d’aller lui adresser mes hommages. À peine plus de huit heures du matin. Quel dévouement, quel esprit corporate.

Je toque doucement à la porte de son obscure caverne (en sa qualité de petit caporal, le luxe d’un bureau individuel lui a été accordé. Sur la porte, une plaque de cuivre informait le passant que la bête occupant cette tanière était “Maxime Constant, responsable du sous-service conformité”). Un grognement m’invite à pénétrer les lieux. Il est déjà plongé dans un épais dossier. Après un “bonjour” distrait, il me demande de fermer la porte et de m'asseoir. Vaguement inquiet (seuls ceux qui n’ont rien à se reprocher passent mentalement en revue tout grief potentiel à leur encontre. Et je devrais normalement avoir la conscience tranquille), et m’exécute.

La cinquantaine bien engagée, sa présentation est impeccable. Rasé de frais, le cheveu blanc et ras, il plante son regard de glace pile entre ses deux yeux. Je me sens transpercé de part en part. N’arrivant pas à le soutenir, je porte mon attention vers sa chemise rayée de blanc et d’azur, méticuleusement repassée. Tout en lui transpire le perfectionnisme. Voir le tatillonnage. Entré très jeune dans la boîte, son strict respect des procédures et une flagornerie assidue envers sa hiérarchie, plus que ses talents, lui ont permis de se hisser à un poste à responsabilités. Il espère secrètement (du moins, le croit-il) devenir N+2 à la place du N+2 avant l’âge de la retraite, considérant cette dernière comme un avant-goût de la mort. Toujours au fait des dernières nouveautés règlementaires dans notre domaine, il attend de ses subordonnés une parfaite soumission et une absence d’esprit d’initiative. Ça me va. C’est confortable.

Après ce court moment de flottement, il reprend la parole :

- Bon, comme tu sais, une place est vacante dans l’équipe depuis le départ de Bernard.

J’acquiesce et attends la suite. Le Nanard. Un monument de la boîte. Je me demandais parfois s’il n’était pas né ici. Le mec est passé par tous les services. Certains font un tour du monde, lui a fait un tour de notre tour. Un simple BAC en poche, faisant partie des meubles, il me faisait bien marrer quand il manipulait l’outil informatique. Un dinosaure qui descendait invariablement sa demi bouteille de rouquin à la cantine, histoire d’alimenter sa cirrhose et sa couperose. Infoutu de comprendre quoi que ce soit des évolutions de la matière, mais un vrai briscard qui connaissait tous les rouages de l’entreprise, bien plus passionné par les mesquins jeux de pouvoir qui se déroulent entre ces murs de verre que par les dossiers qui s’empilaient en un équilibre précaire sur son bureau. Les tifs en bataille et les vêtements constellé de tâches aux origines douteuses, il me faisait penser à une version obèse de Jean-Louis Borloo. Il va me manquer.

Maxime reprend :

- Il nous faut un peu de sang neuf, de la jeunesse, de l’innovation. J’ai donc demandé à ce que Margaux soit transférée chez nous.

Je hoche de nouveau la tête pour signifier ma bonne compréhension de l’information, réprimant les pensées ironiques qui m’assaillent quand je l’entends parler d’ “innovation”.

Margaux. L’alternante de l’équipe Orange (chaque équipe se voit assigner une couleur. Pratique pour les jeux débiles des journées de cohésion. La seule cohésion qui unissait les malheureux participants était l’irrépressible désir d’être ailleurs). Alors elle a été “titularisée”. Bien que nous n’ayons échangé que quelques salutations à la volée, je vois très bien de qui il s’agit. Tout le monde voit très bien qui c’est. La petite jeune qui fait tourner les têtes et dresser d’autres organes, plus érectiles. Concupiscence pour ces messieurs, jalousie pour ces dames. Toutes deux difficilement dissimulées. En tout état de cause, j’ai entendu dire qu’elle faisait du plutôt bon boulot. Ça nous changera de Nanard, qui avait érigé le tirage-au-flanc au rang d’art. Dans le monde de l’entreprise, plus on est sympa, plus on est tacitement autorisé à glander. Et il était très sympathique.

Mon supérieur reprend :

- Comme tu es celui qui a maintenant le plus de bouteille, j’aimerais que tu sois son tuteur. Pour un temps seulement, j’ai eu de bons échos et sa notation est plus que satisfaisante, je souhaite simplement qu’elle s’imprègne de notre culture d’équipe.

Nouveau hochement de tête, malgré mon incompréhension de ce qu’il entend par “notre culture d’équipe”. Après avoir reçu l’autorisation de prendre congé, je me dirige vers mon poste.

BenchAndDonuts
Niveau 5
31 juillet 2023 à 20:41:50

Chiant

Guvgfgvb
Niveau 1
08 novembre 2023 à 04:35:31

On sent que tu baratines

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