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Ecriture

Sujet : La Douche
1
JesusQuintana
Niveau 10
17 septembre 2023 à 17:29:54

Hello tous,

Texte écrit en 2013. Je l'avais posté à l'époque sur Nouvelle Ecriture mais le forum n'existe plus désormais et je ne me souviens plus trop des retours.
Alors je le remets ici s'il y a encore quelques âmes lectrices :)

Karl Bergmann ferma la porte puis tira le verrou. Le réflexe le poursuivait depuis
l’enfance : dès qu’il entrait dans une salle de bain, il s’enfermait sans vraiment songer à son
acte. Karl était pourtant seul dans son grand appartement parisien et personne n’aurait pu le
déranger ce soir-là. Les parfums doux et délassants de la pièce semblaient lui faire oublier la
réalité.

Les talons de l’homme d’affaires claquèrent sur l’épais carrelage bleu émeraude.
Bergmann déboucla sa ceinture, ôta ses chaussures puis se déshabilla. Il aperçut alors son
corps nu dans l’imposant miroir qui lui faisait face. La soixantaine approchait. Son visage
couperosé accueillait les années comme autant de témoignages marqués au burin. Seuls
restaient intacts son regard curieux ainsi qu’un petit sourire qui accompagnait
narquoisement la naissance de ses lèvres. Avec l’âge, l’expression de son visage malin et
prétentieux s’était chargée de vice et lui donnait maintenant un air cauteleux de vieux
salaud aux cheveux blancs.
Le miroir reflétait sa silhouette trapue. L’abdomen semblait retenir toute la graisse de
son corps qui débordait néanmoins largement sur ses hanches. La coulée adipeuse, garnie
de poils grisâtres, s’agitait au moindre mouvement et masquait l’appendice viril de Karl. Il
eut une moue de mépris : la séduction n’était pas vraiment au rendez-vous. Mais il s’en
contrefoutait ; depuis longtemps déjà il avait trouvé la séduction dans le pouvoir et l’argent.
Les femmes n’obéissaient qu’à cela.
Comme pour chasser ses dernières pensées, il tapota son ventre puis se dirigea vers le
fond de la pièce en souriant gaiement.

Trois mois qu’il attendait ça. Sa nouvelle lubie lui avait couté cher mais elle trônait enfin
devant lui. Une double porte s’arrondissait harmonieusement dans l’épaisseur du mur. Karl
fit glisser les battants en verre trempé et découvrit une douche somptueuse. Il entra en se
dandinant bêtement. L’espace luxueux avoisinait les cinq mètres carrés, le designer lui ayant
confié qu’on s’amusait bien mieux à plusieurs. Bergmann laissa échapper un petit
ricanement en songeant à la remarque.
Il se retourna pour faire coulisser la porte une nouvelle fois. Le bruit feutré du glissement
se ponctua par un léger claquement. La douche était entièrement close. Une mosaïque de
pierres fines, admirablement travaillée, tapissait chaque paroi laissant apparaitre des formes
épurées aux couleurs choisies. Un banc en marbre rouge d’Egypte longeait le mur gauche.
L’heureux propriétaire actionna le mitigeur dont la fine poignée en or réglait la température
au dixième de degré.
L’énorme pommeau déversa alors une pluie chaude et parfaitement régulière sur le
corps de Bergmann, avant de s’éclater en larges giclées sur l’unique dalle en albâtre poli.
Tout en se savonnant, l’obèse s’amusait avec la multitude de boutons incrustés au mur. Une
dizaine de jets latéraux éclaboussait sa vieille peau pour relaxer, masser, tonifier, fouetter.
Une véritable fontaine de jouvence se composait ainsi selon la pression millimétrée des
doigts boudinés sur les commandes murales.

Le maitre des eaux laissa s’évader quelques centaines de litres puis, d’un geste, il fit
cesser le vacarme assourdissant. Les derniers filets d’eau achevèrent leur course en
crépitant tandis que le plafond aspirait discrètement les faibles traces de vapeur restantes.
Apparemment satisfait de son investissement, Bergmann arborait un large sourire d’enfant
comblé. Il contempla une dernière fois son jouet avant de regagner la porte opaque.
Les poignées de chaque battant donnaient l’illusion de s’entremêler, tels deux serpents
métalliques veillant à l’entrée d’un ancien temple sacré. Karl s’en empara pour faire glisser la
porte mais les deux battants ne réagirent pas à la pression de ses mains. La chaleur avait
sûrement durci l’ouverture de la porte. Il réitéra son geste avec plus de force. La même
résistance s’offrait à ses bras flasques. Bergmann recula légèrement en fronçant les sourcils.
Aucun mécanisme d’ouverture visible. Hormis la double poignée, les deux pans en verre
étaient totalement lisses.
Un grognement d’impatience résonna dans la douche. L’homme nu et trempé se
retourna alors vers le mur du fond, où deux douzaines de boutons de commande se
répartissaient de part et d’autre du mitigeur. Karl les avait déjà tous essayés. Ils ne servaient
qu’à contrôler le jet principal où à orienter les différentes buses tapies dans les parois.
Aucun d’eux ne permettait de contrôler la porte. Bergmann avait d’ailleurs suffisamment
participé à la conception de sa merveille pour savoir que l’ouverture était exclusivement
manuelle. Convaincu de ce fait, il agrippa vivement les poignées capricieuses en prenant
appui sur ses jambes. Pas même un craquement ne vint témoigner de son effort. Les joints
des battants semblaient cimentés.
Furieux, Karl frappa le verre de son poing. Personne ne lui résistait habituellement. Il
empoigna à nouveau les barres métalliques puis se mit à secouer violemment la porte
d’avant en arrière, comme pour l’éjecter de son rail. Le panneau oscilla. Face à cette
première faiblesse, l’obèse redoubla d’intensité quand il entendit un bruit étrange derrière
son dos.

Un faible grésillement provenait du pommeau. Le large disque demeurait fixe mais une
sourde vibration s’en dégageait. Surpris, Karl cessa son acharnement pour s’approcher de ce
nouveau problème. Le son enflait par saccades. Bergmann observait le pommeau avec
attention. Dépenser autant pour du matériel défectueux ! Le mépris le submergeait.
Soudain, la pomme se mit à gronder sérieusement et évacua un bref filet de liquide
visqueux. La projection, trouble et étonnamment baveuse, vint s’étaler sur le torse de Karl.
Le visage figé par le dégoût, il palpa du bout des doigts cette substance tiède. Un instant, il
eut l’impression de toucher un crachat, une glaire grasse de fumeur. Sidéré, son regard
alternait entre l’immonde sécrétion et sa source, dont le ronronnement perdurait toujours.
Le bruit inquiétant devint rauque et, brusquement, dans un claquement sec et sonore, une
trombe d’eau s’abattit sur le corps de Bergmann. En quelques centièmes de seconde, les
cellules épidermiques de Karl transmirent au cerveau une information nerveuse, capitale
mais anormale : l’eau était diablement brûlante.

L’occupant de la douche hurla de douleur sous l’assaut de cette colonne ardente.
Immédiatement, il s’écarta du jet en mugissant et en repliant son large corps derrière ses
bras. Hors d’atteinte, Karl constata avec inquiétude que le mitigeur était pourtant resté en
position d’arrêt. Jamais l’eau n’aurait dû couler et encore moins à cette température. En
contournant le jaillissement du mieux qu’il put, Bergmann tenta d’atteindre la commande.
Plusieurs gouttes virevoltaient en dehors du torrent et lui donnaient l’impression d’être la
proie d’un essaim de guêpes enflammées. Malgré la douleur, son geste lui confirma ses
craintes : le mitigeur était bel et bien au repos. Aucune des autres commandes murales
n’était d’ailleurs active.
La déferlante parut s’intensifier, obligeant Karl à se rapprocher du centre de la douche.
L’eau, devenue blanche par cette grande chaleur, exhalait de larges bandes de vapeur dont
les formes éthérées dansaient lentement jusqu’au plafond. Là-aussi, l’aération semblait
bloquée. L’endroit devint rapidement irrespirable. L’obèse se mit à paniquer.
Suant à grosses gouttes, il ne savait plus trop s’il fallait tenter d’exploser le mitigeur ou
d’enfoncer à nouveau la porte. Sa cage thoracique se gonflait avec fureur. Bergmann voulut
revenir une dernière fois vers les commandes mais la fournaise grandissante lui fit
rebrousser chemin. Alors, en se retournant brusquement, son pied dérapa sur une partie
glissante du sol. L’imposante masse de son organisme l’entraina dans un déséquilibre
inévitable. Dans sa chute, Karl vint cogner violemment sa tête contre le banc en marbre. Le
corps resta à terre, inerte. Une grosse coulure de sang lui parcourut le sommet du crâne
avant de se diluer dans la fine couche d’eau stagnante. Soudain, un nouveau claquement se
fit entendre : le jet d’eau s’arrêta totalement. Le silence reprit son droit. Seule la reprise de
l’aération engendrait un léger bruit de fond.

L’homme d’affaires gisait toujours sur l’albâtre, ventre contre terre. En quelques
minutes, la température était revenue à la normale. Pourtant, le pommeau recommença à
émettre une sourde vibration. Puis une nouvelle salve gicla, accompagnée cette fois par les
buses murales qui produisaient une brumisation légère et fraiche.
Le jet principal, presque glacial, ramena Karl à ses esprits. La main posée sur sa blessure,
il se releva tout doucement en prenant bien soin d’assurer son équilibre. Le mouvement
arracha quelques grimaces de douleur. En apercevant sur le banc les quelques taches d’un
rouge différent, Bergmann se remémora la situation. Son air hébété laissa place à une
expression plus dure. Ses vieilles habitudes d’homme puissant voulant tout régenter
apportèrent à son visage une lucidité froide. Le cirque devait finir. Immédiatement.
Il attrapa vivement le mitigeur pour le basculer dans toutes les positions possibles.
L’objet semblait complètement déconnecté de la tuyauterie. Les mâchoires serrées, Karl
passait en revue les autres commandes, n’hésitant pas à claquer généreusement la moitié
d’entre elles. Malgré ses efforts, un véritable brouillard avait envahi la douche et la
température ambiante était maintenant digne d’une chambre froide.
Le prisonnier commença à greloter et à frotter inconsciemment sa peau parcourue par la
chair de poule. Il crut un instant tenir le mauvais rôle d’un film d’Hitchcock avant de
rejoindre la porte d’un pas décidé. La poisse ne pouvait pas durer éternellement : il
empoigna les tiges métalliques pour écarter les deux battants. L’ensemble demeura fixe.

JesusQuintana
Niveau 10
17 septembre 2023 à 17:30:21

Un cri de rage retentit alors dans la douche. La face maculée de sang et les yeux
exorbités, la victime invectiva le pommeau à travers la brume glaciale :
« Mais qu’est-ce qu’il y a nom de Dieu ? C’est quoi ton problème saleté de ferraille ? »
Le jet continuait son débordement bruyant, étouffant sans peine les paroles du vieux
geignard.
« Je vais t’arrêter saloperie ! Je vais te montrer qu’il y a d’autres options, et ce sera pas
négociable ma belle ! »
Bergmann s’avança vers le banc. Il ne pouvait plus réprimer le claquement de ses dents
mais luttait toujours contre des envies brusques d’éternuer. Il monta sur le marbre et se
servit de cet appui pour atteindre directement la pomme de douche. La gymnastique n’avait
jamais été son fort mais l’urgence de la situation lui conféra une souplesse inédite. Du bout
des pieds, il s’élança vers le disque rugissant. Ses mains agrippèrent le pommeau, laissant
Karl, suspendu, lui imposer son poids à trois chiffres. Mais l’exploit fut de courte durée.
L’acrobate improvisé eut la sensation d’abandonner ses doigts dans la gueule du froid
dévorant tandis que le jet cinglait sans pitié le reste de son corps. Tétanisé, Bergmann
disparut dans la colonne glaciale avant de s’effondrer sur le sol.
Inondé par le flot surpuissant, Karl resta prostré, genoux à terre. La violence de ce froid
soudain avait presque endormi sa peau, comme habillée d’une épaisse combinaison
invisible. Une stupeur malsaine traversa son esprit. Et, dans cet engourdissement général,
l’homme d’affaires craqua nerveusement. Pour la première fois depuis bien longtemps, le
doute et la peur avaient vaincu son mental de despote. De grosses larmes vinrent réchauffer
son visage transi. Un premier sanglot accompagna sa supplique tremblante de désespéré :
« Mais qu’est-ce que j’ai fait, Seigneur ? Dites-moi ! »
Karl gardait la tête baissée, enfouie dans ses mains. Longuement, il implora d’une voix faible
dans le grand vacarme :
« Je vous en prie, je vous en prie… »

Alors, en guise de réponse, un claquement désormais familier se produisit.
Immédiatement, le débit stoppa. Le mécanisme d’aération s’enclencha. L’homme leva les
yeux vers le pommeau, le regard illuminé, tel un croyant persuadé de rencontrer la
manifestation de Dieu. Le front teinté de sang caillé, les yeux en larmes, la bouche
entrouverte et les mains fermement jointes de Karl confinaient à la reconstitution d’un
épisode biblique. Le miraculé soupira de soulagement. La température remontait
progressivement et atténua la raideur de son corps. Un sourire commençait presque à se
dessiner sur le visage de Bergmann quand un événement avorta cruellement ce début de
réjouissance : le pommeau claqua une nouvelle fois.
Le large disque dégagea une odeur nauséabonde avant d’éjecter un liquide épais et
vaseux. Karl évita de justesse que cette matière verdâtre ne l’atteigne en se glissant
rapidement vers le centre de la douche. Avec le recul, il constata que chacune des buses
murales suintait un fluide rouge semblable à du sang. Devant ce lugubre spectacle, l’obèse
fut pris d’une nouvelle crise de panique. Mais très vite, il reprit ses esprits quand il vit que la
substance méphitique ne s’évacuait absolument pas. L’albâtre allait bientôt en être
totalement recouvert.
Bergmann se releva et se précipita sans réfléchir vers la porte. L’impossibilité de l’ouvrir
ne l’étonnait même plus. Déjà, il forçait la structure en poussant vivement les battants vers
l’extérieur. Comme lors du premier essai, le panneau trembla sous cet assaut brusque. L’air
commençait cependant à être sérieusement saturé par les miasmes pestilentiels de
l’immonde coulure. A l’odeur, la douche paraissait abriter une multitude de macchabées en
décomposition. Karl retint une irrépressible envie de vomir, renforçant sans cesse ses
offensives contre la porte.
Au bout du septième plaquage, les deux battants furent quasiment éjectés de leur rail.
Devant l’image de cette porte presque enfoncée, Karl fut envahi par un sentiment de
victoire. Il prit un maximum d’élan, trempant sans le vouloir ses pieds dans l’énorme flaque
chaude et boueuse, et se rua vers l’ouverture. La porte céda enfin.

Bergmann s’offrit même le luxe de terminer sa course sans tomber. Une fois extrait de la
douche, il retrouva les senteurs bien plus agréables de la salle de bain. Mais aussitôt, une
explosion fracassante survint dans la douche. En se retournant, Karl aperçut le pommeau
chuter dans la mare verdâtre. Seul, restait le tuyau fixé au plafond. Le liquide répugnant
aspergeait désormais la douche d’un débit totalement irrégulier, accompagné par un
sifflement strident. La violence du choc secoua profondément Bergmann. Une terrible
crampe au cœur s’empara de lui.
La main sur le torse, Karl s’avança par reflexe vers sa boite à pharmacie, cachée dans un
miroir surplombant deux magnifiques vasques en bronze. Dans l’affolement, l’obèse y
renversa une partie de ses médicaments. Une quantité de pilules et de cachets
rebondissaient et s’éparpillaient de toutes parts. Le sifflement suraigu du tuyau s’amplifiait
et donnait l’impression qu’un abominable monstre, tapi dans la douche, cherchait à
atteindre sa proie. Karl sentait son cœur défaillir. Tous les comprimés se ressemblaient
maintenant. Impossible de différencier le Viagra, la DHEA et les nombreuses autres
hormones avec son traitement pour insuffisance cardiaque.
Il en empoigna quelques-uns et les porta à sa bouche comme un enfant le ferait avec de
vulgaires bonbons. Mais Karl eut trop peur d’ouvrir le robinet, craignant de rencontrer les
mêmes phénomènes que ceux de la douche. Le cocktail de médicaments fut douloureux à
ingérer et certains se bloquèrent au niveau de la gorge. Bergmann enserra son cou, éperdu.
Le raffut de la douche devint intolérable, obligeant Karl à la regarder à travers le reflet du
miroir.
La vision d’horreur que l’homme d’affaires perçut alors l’anéantit complètement. Au
premier plan, il découvrit un individu au visage de fou furieux en train de s’étouffer et de
cracher. Son cœur était à la limite de céder. Mais derrière sa propre image, il discerna au loin
le mur en mosaïque de la douche. Les jets latéraux, dégoulinant de sang, y avait dessiné un
immense et effroyable visage dont la forme moqueuse et macabre évoquait un masque
aztèque. Au-dessus, le tuyau était devenu incandescent, éclairant d’une lueur flamboyante
les yeux du masque. Le sifflement discontinu perdurait, rappelant les cris d’une foule. D’une
foule de gens agonisant et criant au martyr.
Karl ne pouvait désormais plus respirer. Le souffle coupé, il tâtonna jusqu’à la porte de la
salle de bain, hanté par ce regard terrifiant qui semblait rire, sans merci, de son sort.

* * *

Le lendemain, les principaux quotidiens de la presse publiaient en gros titres : « Karl
Fester Bergmann : décès de l’investisseur milliardaire ». L’un des articles commençaient
ainsi : « Hier soir, vers 22h, une escort-girl a découvert le corps de Karl Bergmann, enfermé
dans la salle de bain de son luxueux appartement parisien. Apparemment victime d’un arrêt
cardiaque, le célèbre investisseur affichait, selon les témoignages, un visage particulièrement
marqué par la crainte et la surprise. Une enquête a été ouverte par le Parquet de Paris afin
de déterminer les conditions exactes de la mort. Rappelons que Karl Bergmann a bâti sa
fortune sur des projets d’investissements souvent décriés. Le dernier en date, la construction
du barrage mexicain de La Parota, avait causé la mort de plusieurs centaines d’indigènes et
déclenché un important tollé auprès des associations de défense des droits de l’Homme. Pour
l’heure, il est impossible de ….. »

Mandoulis
Niveau 27
18 septembre 2023 à 09:31:39

Pour les retours de l'époque:

Metatron
MP
23 septembre 2013 à 17:40:27
Un bref commentaire de la part de quelqu'un qui n'écrit plus guère:

C'est plutôt bon, mais ce n'est que ça.
Je m'explique:

Le style, tout d'abord, sans être exceptionnel, est presque toujours juste, précis et créatif à la fois, à part en quelques occasions. Certains passages sont un poil trop lourds. Par exemple ce passage:
"Le jet continuait son débordement bruyant, étouffant sans peine les paroles du vieux geignard. ". Tu écris au point de vue interne - plutôt bien d'ailleurs - donc préciser que Bergman est un "geignard" rompt brutalement ce lien avec le protagoniste. Le lecteur s'est déjà fait une image mentale assez précise du personnage de vieux brailleur qu'est Bergman, inutile de le préciser : procéder ainsi revient à jouer le rôle d'un rire pré-enregistré dans une sitcom.
De même pour cette autre phrase "Ses vieilles habitudes d’homme puissant voulant tout régenter apportèrent à son visage une lucidité froide.", qui expose à nouveau quelque chose que l'on aurait préféré implicite.

A d'autres occasions, on retrouve certaines impropriétés:
" Un sourire commençait presque à se dessiner sur le visage de Bergmann quand un événement avorta cruellement ce début de réjouissance"=> Techniquement, c'est acceptable, mais l'usage du terme avorter dans ce contexte ne sonne pas très bien.

"Le lendemain, les principaux quotidiens de la presse publiaient en gros titres :" => Pourquoi pas "titraient" tout simplement ?

Mais, dans l'ensemble, ça reste de très bonne facture.
Le rythme est également très efficace. Ce n'est pas un sujet aisé à traiter sans rencontrer l'écueil de la sur-description ou, au contraire, d'une action précipitée et confuse. Tu parviens à imprimer suffisamment de changements à la punition qu'inflige cette douche diabolique pour capter l'attention du lecteur jusqu'à la fin.

En revanche, et c'est ce que je voulais dire par la seconde partie de ma phrase "ce n'est que ça", le récit en lui-même est excessivement convenu. L'homme puissant - satyre obèse et tyrannique qui assujetti le monde à la satisfaction de ses appétits sans bornes - qui meurt par là où il a pêché, j'ai lu ça des dizaines de fois. C'était déjà cliché du temps de Sophocle et les ans n'ont pas été tendres envers les Érinyes.
Tu peux reprendre ces thématiques usées jusqu'à la corde, bien sûr, mais à condition de ne pas t'en tenir là et d'en faire quelque chose d'autre. Vargas Llosa ou même Borgès n'ont eu de cesse de réinventer les clichés, d'en jouer avec délectation. Mais dans ce texte, j'ai l'impression que tu restes à la surface, pour en tirer un exercice de style réussi, certes, mais sans ampleur.

JesusQuintana
JesusQuintana
MP
25 septembre 2013 à 00:08:12
Merci pour ta lecture et ton commentaire avisé Meta.

Commentaire avec lequel je suis tout à fait d'accord. J'assume effectivement cet aspect "exercice" écrasant un peu la qualité de l'intrigue et (surtout) de sa morale.

L'idée de la nouvelle m'est venu après la lecture d'un recueil de King, où plusieurs histoires relataient la possession/malédiction d'objets du quotidien. Bon, la prochaine fois j'essaierai de sombrer moins dans le cliché, même si c'est parfois agréable (et facile!) des les écrire :-p

-Achene-
-Achene-
MP
27 septembre 2013 à 16:08:39
La douche infernale !

Le sujet est plutôt orignal. Certes, on a déjà vu des douches qui pleuraient du sang (ou des cheveux) dans les films d'horreur, mais c'est toujours de façon assez parcimonieuse pour provoquer l'effroi.
Ici, les jets recouvrent les murs, la vapeur monte au plafond, c'est de l'horreur XXL (comme la taille de la douche, ceci-dit) ; tu ne fais pas dans la dentelle.
Du coup, c'est plutôt sympa. Il y a un bon équilibre entre descriptions et narration, le texte se lit bien tout en gardant son rythme. Il y a un ou deux choix de vocabulaire qui m'ont fait tiquer, mais vraiment rien de bien méchant.

Après, je rejoins Méta sur sa formule "c'est plutôt bon", mais ce n'est que ça. Il n'y a pas vraiment de chute, et si on apprécie de voir DSK (je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à lui) s'en prendre plein la gueule, ça n'aboutit pas finalement sur grand chose. Quelque part, j'aurais presque trouvé marrant que le "héros" survive à sa crise cardiaque, et que pour se venger il fasse raser deux pyramides aztèques pour construire des centres commerciaux, par exemple. Avec un truc du genre tu aurais pu renverser -un peu- le cliché du méchant qui se fait punir.

Ceci-dit, bel exercice de style.

JesusQuintana
JesusQuintana
MP
01 octobre 2013 à 00:26:12
:rire: Ça, c'est une excellente suggestion que tu proposes pour prendre le contrepied du cliché "nature implacable contre grand méchant". Même si le trait est marqué, je reconnais qu'exploiter une telle idée avec un brin de subtilité apporterait une belle densité à cette histoire.

En tout cas merci pour ce commentaire Achene :) Je prends bien note de toutes vos observations.

JesusQuintana
Niveau 10
18 septembre 2023 à 23:31:44

Oooh merci Mandoulis !! Tu as encore accès aux topics de Nouvelle Écriture ?

PIeinair
Niveau 47
19 septembre 2023 à 20:27:09

C'est plutôt agréable à lire, la forme est là, le fond je suis moins sûr, comme un texte sur deux ces temps-ci ça ressemble beaucoup à "moi pas aimer riche, moi écrire texte pour insulter riche, moi mettre riche dans situation humiliante et dangereuse, en plus il est gros mdr", et disons que quand t'as lu un de ces textes tu les as tous lus. Et comme d'habitude avec ces textes, c'est quand ils révèlent leur nature à charge qu'ils sont les moins finement écrits.

Après je dis ça mais j'en suis qu'aux premiers paragraphes, peut-être que ça s'améliore ensuite

Exemple typique ; "Furieux, Karl frappa le verre de son poing. Personne ne lui résistait habituellement.". Please.
Laisse le lecteur rester dans la scène au lieu de souligner "il est riche et méchant wink wink" à chaque nouvelle phrase par des commentaires qui brisent le quatrième mur, parce que là c'est pas lui qui se fait cette réflexion vu qu'elle n'a aucun sens c'est forcément le narrateur. Ce serait une fois, deux fois, histoire de poser le personnage, ça irait à la rigueur, mais l'insistance plonge le texte vers une sorte d'autoparodie

Je repère beaucoup de "parut" et de "sembla" pas forcément nécessaires, quand ils sont utilisés comme filler ces mots ont tendance à réduire l'impact de la scène, à donner l'impression que le texte ou son narrateur manquent de conviction. Si tu veux pas explicitement faire une scène de faux-semblants je pense qu'il faut bien réfléchir à l'usage de ces mots et vérifier si ça marcherait pas juste mieux sans eux.

Le "dispositif" de la douche, comme on appelle ça dans le ciné, est intéressant, avec le côté high-tech qui se transforme en piège mortel sauce destination finale, l'idée générale est bien sûr vue et revue mais la version 150 boutons je connaissais pas

En apercevant sur le banc les quelques taches d’un
rouge différent, Bergmann se remémora la situation. Son air hébété laissa place à une
expression plus dure. Ses vieilles habitudes d’homme puissant voulant tout régenter
apportèrent à son visage une lucidité froide. Le cirque devait finir. Immédiatement.

https://image.noelshack.com/fichiers/2016/50/1481877324-hum2.png

Vraiment faut se dire que ce genre de commentaire c'est aussi subtil que de voir un film d'horreur dans lequel y'a un gros en train de se faire couper en deux par un méchant mais vu que c'est un gros il peut pas avoir une réaction réaliste donc il dit "j'ai faim" pour rappeler qu'il est gros. C'est vraiment de la flemmardise, ou de l'obsession

La gymnastique n’avait
jamais été son fort

Ah ben tiens puisqu'on en parle https://image.noelshack.com/fichiers/2017/23/1496830838-image.png

Une terrible
crampe au cœur s’empara de lui.

Laisse-moi deviner, il va faire une crise cardiaque parce qu'il est gros et riche et méchant

Rappelons que Karl Bergmann a bâti sa
fortune sur des projets d’investissements souvent décriés. Le dernier en date, la construction
du barrage mexicain de La Parota, avait causé la mort de plusieurs centaines d’indigènes et
déclenché un important tollé auprès des associations de défense des droits de l’Homme. Pour
l’heure, il est impossible de ….. »

J'aurais vraiment jamais pu voir venir cette chute dans un texte qui enfile des sabots taille 70

Bref, la forme est là, le reste a d'urgence besoin de chercher à se détacher de l'idéologie parce que ça plombe très franchement le texte. Faut trouver des bonnes idées et les écrire subtilement, ça suffit pas de juste pas aimer X catégorie de personne

PIeinair
Niveau 47
19 septembre 2023 à 20:51:48

D'un point de vue purement narratif, si tu veux emporter ton lecteur dans une prise de conscience de quelque chose t'as bien mieux fait de le lui cacher initialement pour créer un effet.

Typiquement, si je veux vendre à la face du monde que les méchants riches sont très méchants et que les gentils pauvres sont très gentils, il faut commencer par souligner chez le personnage riche l'aisance sociale, la culture, la diplomatie, l'apparente politesse etc, pour donner du relief à la chute quand le lecteur se dit "ah putain il cachait bien son jeu vraiment les riches c'est tous des vipères", et surtout pas m'acharner sur lui en l'insultant à toutes les lignes parce que tout ce que je vais faire c'est créer une empathie du lecteur pour le personnage et une antipathie pour le narrateur qui s'arrête régulièrement dans son récit pour envoyer des fions.

Mais si ton personnage dès le départ c'est un méchant de comic book qui souligne qu'il est gros et méchant chaque fois qu'il peut en placer une ta chute NE PEUT PAS ETRE "eh ben en fait il est gros et méchant, tu l'avais vue venir celle-là ?"

On le sait dès la première ligne parce que tu sais pas te retenir et ça t'empêche de créer de la substance, donc le texte devient loufoque.

En un sens ça me fait penser à povero bambino, de Buzzati, parce qu'au fond le procédé est similaire, mais là au moins si t'étais pas averti t'avais aucune idée d'où le texte pouvait bien se rendre, parce qu'il traitait ses personnages comme des personnes, ou à la rigueur inversait les rôles, plutôt que de les cantonner tout le long à ce qu'ils représentent en conclusion

Mandoulis
Niveau 27
20 septembre 2023 à 22:23:44

Le 18 septembre 2023 à 23:31:44 JesusQuintana a écrit :
Oooh merci Mandoulis !! Tu as encore accès aux topics de Nouvelle Écriture ?

J'avais trouvé un moyen de faire faire une sauvegarde à l'époque par un khey. J'avais passé des heures à noter les liens des topics + nombre de pages dans un fichier texte, et ce pour chaque topic, pour qu'il puisse tout sauvegarder. J'ai une copie de tout: textes, Arrêt sur Image, Arène des Duellistes... Seul le blabla a disparu à jamais car trop volumineux. La Nouvelle Écriture a peut-être disparu, mais sa mémoire a été sauvegardée :oui:

JesusQuintana
Niveau 10
21 septembre 2023 à 22:49:53

Merci Pleinair d’avoir pris le temps de lire et pour cette critique efficace ! Les points que tu soulignes sont d’ailleurs ceux qui avaient été soulevés il y a 10 ans par Meta et Achene.

A aucun moment je n’ai voulu faire une diatribe contre les « riches forcément méchants » mais la narration comporte suffisamment de défauts pour te l’avoir laissé croire.
En écrivant cette nouvelle je me voyais plus comme un joueur de sims qui prend son personnage et le jette dans la piscine pour le regarder se noyer. Vraiment aucun message politique derrière, juste un exercice de style façon King. Et clairement de la facilité de le choisir plein de vices, c’est plus facile pour s’acharner 😁

@Mand : wow beau boulot! Encore merci alors 🤗

PIeinair
Niveau 47
22 septembre 2023 à 16:12:09

T'écris toujours ?

JesusQuintana
Niveau 10
25 septembre 2023 à 23:51:52

Hélas non… La Douche est là dernière nouvelle que j’ai pris le temps de finir. J’en ai quelques-unes qui sont restées en chantier et avec toutes ces années passées, c’est un peu étrange de vouloir les reprendre. Le « trait » que l’on voulait donner initialement n’est plus forcément le même quand on repasse trop longtemps après.

Il faudrait que je m’impose un temps d’écriture limité pour commencer ET finir. C’est souvent comme ça que j’ai écrit mes textes les plus efficaces. Avec une bonne idée c’est encore mieux 🤓

Guvgfgvb
Niveau 1
08 novembre 2023 à 04:43:18

Faudrait vraiment que vous vous affichiez en photo ou que je connaisse l l histoire de votre vie pour tenter d essayer d avoir un semblant de compassion parce que là c'est d'une nullité abyssale. C est trop toxique l ambiance. Bref à jamais.

JesusQuintana
Niveau 10
07 janvier 2024 à 14:58:30

Enchanté héhé ! :hap:

Bon alors… profil créé à 4h du mat pour baver trois commentaires hargneux sur les derniers topics du forum… mouais, pas très constructif l’ami :-p

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Sujet : La Douche
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