J’ai fais ce topic sur le forum religion mais j’ai pensé que ca pouvait intéresser quelques passionnés d’histoire également.
Arguments contre la persécution des chrétiens sous Neron et contre l’authenticité du texte de Tacite.
J’ai fais ce topic en me basant sur l’excellent livre de Polydore Hochart, un spécialiste de l’histoire romaine :
”Études au sujet de la persécution des chrétiens sous Néron”
Ce livre est d’une érudition assez exceptionnelle et l’auteur est vraiment un spécialiste du sujet. On a pas affaire à un Michel Onfray.
Les historiens modernes rejettent a l’unisson la théorie de l’interpolation defendue par Polydore Hochart. Cependant je n’ai jamais réussi à trouver des contre arguments assez forts qui pourraient démontrer que Polydore se trompe.
Bravo à ceux qui auront le courage de lire ce topic un peu compliqué.
J’ai essayé de faire au plus simple mais j’ai conscience que le sujet est délicat et nécessite quelques connaissances de bases sur le sujet.
* Contexte historique :
“Le grand incendie de Rome a frappé la ville de Rome sous le règne de l'empereur Néron.
L'incendie éclata dans la nuit du 18 juillet 64 dans la zone du Circus Maximus et sévit pendant six jours et sept nuits en se propageant pratiquement dans toute la ville. Trois des quatorze régions (quartiers) qui constituaient la ville furent complètement détruites, tandis que dans sept autres les dommages furent plus limités. Seules quatre régions étaient intactes.
Les morts se comptèrent par milliers et on dénombra environ deux cent mille sans-abri.
De nombreux édifices publics et monuments furent détruits, ainsi qu'environ 4 000 insulæ et 132 domus.
Selon l'historien Tacite, aucune de ces mesures n'arrivait à faire taire les rumeurs sur la culpabilité de l'empereur concernant l'incendie : pour ce motif, Néron aurait choisi les chrétiens comme bouc émissaire, décrits comme une secte dangereuse et illuminée.
Selon l'historien, d'abord on arrêta ceux qui avouaient, ensuite sur dénonciation de ceux-ci, beaucoup auraient été condamnés, mais, fait remarquer Tacite, pas vraiment à cause du crime incendiaire, mais pour leur haine envers le genre humain”
* Le texte de Tacite :
« Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie.
Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens.
Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus.
Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans.
On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain.
On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux.
Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés »
— Tacite, Annales XV, 116 ap JC
Premiere chose à savoir :
Parmi la littérature latine florissante de l’antiquité, cette persécution dramatique des chrétiens en réaction à l’incendie n’est raconté que par l’historien Tacite.
Voici la liste des historiens de l’antiquité qui auraient dut connaitre cette persécution et en parler mais ne l’ont pas fait :
- Pline l’ancien
- Flavius Josephe
- Plutarque
- Dion Cassius
- Herodien
- Quinte Curce
- Suetone (il parle de supplice des chretiens mais sans établir de lien avec cet incendie)
- Florus
- Justin
- Les redacteurs de l’histoire d’auguste
- Dexippe
- Lactance
- Eutrope
- Ammien Marcelin
- Sulpice Severe
C’est la premiere chose qui doit mettre la puce à l’oreille. Comment tous ces historiens auraient pu omettre que l’incendie de Rome fut mis sur le compte d’une religion nouvelle comme celle des chrétiens ? Incomprehensible.
Mais voici une liste d’arguments qui feraient de cette persecution, une légende crée par des chrétiens un peu trop zélés.
* Les arguments contre l’authenticité de cette persécution :
- Les historiens modernes ne croient plus que l’incendie de Rome soit le fait de Neron mais penchent pour l’incident accidentel.
Un élément qui va dans ce sens est le fait que Neron conserva sa popularité après l’incendie. Ca ne laisse pas penser qu’il fut accusé par le peuple d’etre le responsable de l’incendie. Il serait donc étonnant que le peuple l’ai accusé d’avoir brulé la ville.
Si Neron n’était pas accusé d’avoir brulé la ville, la persécution des chretiens pour leur faire porter le chapeau se trouve privée de sa cause déterminante, de sa raison d’être.
- Les juifs de Rome n’étaient pas détestés par les habitants. Les chrétiens du 1er siècle devraient être assimilés à une secte juive. Mais dans toutes les sources dont nous disposons, rien ne permet de démontrer que les juifs étaient haïs de la population romaine. Donc de facto, les chretiens qui étaient une secte du judaïsme dans les années 60.
Il est donc inexplicable que les chrétiens aient été choisis par Neron pour porter devant le peuple la responsabilité de l’incendie dans le but de satisfaire la foule. Il aurait fallu que les juifs ou cette secte précise soit connue défavorablement par le peuple de Rome pour que cette persécution soit crédible.
- La combustion lumineuse de corps humains eût été contraire aux idées de mesure et de clémence qui régnaient alors dans l’esprit des hommes d’État au sujet du châtiment des coupables. De plus, aucun écrivain romain du siècle des césars, ni de celui des Antonins, n’a fait mention d’individus condamnés par les magistrats romains à être brulés vifs.
- Les victimes n’ont pu être livrées aux flammes dans les jardins du Vatican puisqu’ils servaient d’asile à la population apres l’incendie. Comment expliquer qu’on brule des hommes en plein asile quand l’administration exigeait avec la plus grande sévérité que chaque citoyen prit les soins les plus minutieux pour éviter le retour de l’incendie ? Cela parait invraisemblable. A moins que l’auteur ait choisi ce lieu pour conformer son récit avec la légende qui prétendait que l’église métropolitaine du monde chrétien est édifiée sur l’emplacement où les premiers martyrs avaient versé leur sang.
- L’introduction dans les œuvres de l’historien d’un récit de telle nature ne peut être que le fait d’un chrétien. Nous trouvons la confirmation de cette présomption dans la remarque que Christ est pris ici comme un nom propre, comme le synonyme de Jésus. Le terme Messie chez les juifs ne correspond pas encore à Jesus dans les années 60. Doit on rappeler que le 2eme siècle a vu passer de nombreux pretendants messie en Judée dont le célèbre Barh Kohba a qui l’on doit la deuxieme guerre entre Rome et Jerusalem et l’anéantissement de cette dernière en 135 ap JC ? 70 ans après l’incendie de Rome ?
Le terme christ qui est utilisé ici comme un nom propre pour designer Jesus semble donc totalement anachronique. Sans oublier le fait que l’auteur parle de Ponce Pilate comme si il s’qgissait d’un personnage connu du lecteur et ne prend meme pas la peine de le présenter ni de dire où il officie. Ponce Pilate était un personnage fort peu connu puisque procurateur d’une province perdue et donc Tacite était dans l’obligation de présenter ce personnage pour etre compris de son lecteur. Mais évidemment il s’adresse en tant que chrétien à des chrétiens et n’a donc pas le besoin de présenter qui est Ponce Pilate. Ceci trahi l’origine de sa plume.
- Comme on l’a vu plus en introduction, ni Juvénal ni Pline l’ancien n’avaient jamais prononcé le mot de chrétiens ; ils ne font même aucune allusion à des persécutions qui auraient été dirigées par Néron contre une secte religieuse quelconque alors qu’ils sont très aux faits des religions à Rome avec de nombreuses mentions des juifs dans leurs textes. Et meme des Esseniens pour Pline l’ancien, cette secte obscure de judée.
- Flavius Josèphe, qui nous entretient de ses compatriotes à Rome, de leur expulsion sous Tibère, qui nous parle de la cour de Néron, de l’influence de quelques voyants sur l’esprit de Poppée, Josèphe, s’il eût connu un tel événement dont les victimes n’étaient pas étrangères au judaïsme, n’eût pas manqué d’en faire la relation ; et si ce drame avait eu lieu, il l’eût certainement connu. Or il ne signale aucune manifestation dont les Juifs à Rome auraient été l’objet sous ce prince, pas même au temps de l’insurrection de la Judée.
- Beaucoup plus tard, Dion Cassius, qui avait occupé les plus hautes charges de l’empire et s’était retiré à Nicée, employa ses loisirs à écrire une vaste histoire romaine en 200 ap JC. Il semble que les chrétiens devaient, de son temps et surtout autour de lui, occuper l’attention publique, et que, par conséquent, il ne devait pas être indifférent à ce qui les concernait. Dion Cassius cependant ne dit pas un mot des mesures prises contre eux sous Néron.
- Mais ce ne sont pas seulement les auteurs profanes qui ont ignoré cette épouvantable persécution des chrétiens. Il y a plus. Aucun des historiens ecclésiastiques qui ont écrit avant la fin du IVe siècle n’en a parlé : Les textes apocryphes « Actes de Pierre » et « Actes de Paul », ainsi que les traditions de l’Église, qui ont conservé une si nombreuse collection de contes fantastiques sur la mort de martyrs, n’ont pas gardé le moindre souvenir de la persécution rapportée dans Tacite. Si donc les légendes n’en ont rien dit, c’est qu’on n’en a rien su dans les Églises, et mieux, c’est qu’on n’a point pensé qu’un tel conte eût été accueilli et accepté avec foi.
- Plus tard, Tertullien, dans son Apologétique, entreprend de faire l’historique des rapports de l’Église et de l’État. Néron, dit-il, est le premier qui ait frappé du glaive césarien la secte des chrétiens, qui précisément alors commençait à s’établir à Rome. Par secte naissante et sang des Apôtres, on ne peut voir qu’une allusion à la mort de Pierre et de Paul, les seules victimes dont parlait la légende chrétienne. Comment Tertullien en saurait-il plus qu’elle ? En tous cas, par ces expressions vagues Néron a tiré le glaive césarien et les apôtres ont versé leur sang il est manifeste que Tertullien ne connaissait aucun détail des supplices inusités qui furent infligés aux chrétiens, et qu’il n’avait pas la moindre idée de l’accusation d’avoir incendié Rome qui aurait été injustement portée contre eux. Pour lui les victimes de Néron ont été frappées pour leur foi religieuse, ou plutôt pour la propagation de cette foi.
- Origène, qui connaissait l’histoire de l’Église aussi bien que Tertullien, plus intelligent et plus instruit que lui, qui discutait avec des adversaires éclairés, déclare que peu de chrétiens périrent à cause de leur culte et que leur nombre serait facile à déterminer.
- Lactance, rhéteur lettré, attaché à la cour de Constantin, dans son livre De la mort des persécuteurs, place Néron parmi eux. Selon lui, il tombe du pouvoir et meurt sans sépulture pour avoir fait tuer Paul et crucifier Pierre, suivant les Actes de ces apôtres. Mais il ignore que les fidèles aient été livrés aux plus épouvantables supplices ou même qu’ils aient été inquiétés.
- Eusèbe de Césarée, qui fut un des principaux personnages du concile de Nicée et a écrit une histoire ecclésiastique qui fait autorité, rapporte la légende de Pierre et de Paul mis à mort par Néron et reconnaît n’avoir d’autre preuve à fournir à ce sujet que l’existence à Rome de tombeaux et de reliques qu’on dit être ceux de ces apôtres. Il ne parle pas cependant de sang versé par Néron en dehors de celui des deux saints. Et que dit-il, que sait-il à ce sujet ? Il entend que Tertullien, par Neronem in hanc sectam cæsariano gladio ferocisse, a voulu parler d’une persécution des fidèles autre que celle Discipuli sanguinem christianum seminaverunt, c’est-à-dire des apôtres ; et alors, après avoir invoqué le témoignage de l’évêque africain, il renvoie comme lui et d’après lui le lecteur aux archives de l’empire.
- Au XIVe siècle on ignorait encore complètement dans les Églises d’Orient les causes et les détails de cette persécution tels qu’ils se trouvent rapportés dans les œuvres de Tacite. Aussi quand l’érudit Nicéphore vient dans son Histoire ecclésiastique à parler de Néron, il peint sa cruauté, sa passion du théâtre, etc., il ne veut cependant pas, dit-il, entrer dans les détails de sa vie que de nombreux écrivains ont racontée avec soin et fidélité ; il ne veut s’occuper que de sa conduite à l’égard des chrétiens. Or après avoir consulté tous les auteurs anciens, il est contraint de se borner, comme Eusèbe, à résumer les Actes de Pierre et de Paul et à faire appel au témoignage de Tertullien.
Conclusion :
A la vue de tous ces éléments, il devient difficile d’imaginer que les chretiens de Rome aient subi une immense persecution sous Neron pour les punir de l’incendie de Rome. On peut y voir sans doute une volonté d’un ou de quelques chrétiens de la Renaissance, de polir la légende des martyrs chretiens.
Mais ne font ils pas preuve d’anachronisme en les presentant ainsi dès les années 60 ?
Je laisserais la conclusion à Origène, célèbre père de l’église, qui déclara en 248 ap JC :
« Il est vrai que, pour l'exemple, il a permis de temps en temps que quelques uns d'eux, en petit nombre, soient morts pour la profession du christianisme, afin que la vue de leur foi et de leur constance affermît les autres dans la piété et dans le mépris de la mort; mais il n'a jamais souffert que toute leur société fût détruite, et il a voulu qu'elle subsistât pour répandre par toute la terre cette sainte el salutaire doctrine ».