Les archives récemment déclassifiées de l'US Army et de la CIA contiennent plusieurs milliers de pages au sujet des collaborateurs nazis pendant et après la seconde guerre mondiale. Ces archives sont particulièrement riches concernant les relations établies du coté des Alliés avec les diverses organisations nationalistes ukrainiennes après 1945.
Cet exposé se concentrera d'abord sur l'Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN) sous Stepan Bandera, puis sur la formation en exil du gouvernement clandestin ukrainien, appelé le conseil suprême de libération de l'Ukraine (ZP/UHVR) et dominé par les anciens partisans de Bandera devenus rivaux, Mykola Lebed inclus. Le niveau de détail fourni par ces archives permet désormais de se faire une image plus complète et plus précise de leurs relations avec le renseignement alliés sur plusieurs décennies.
Le décor.
L'Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN), fondée en 1929 par des ukrainiens de l'Ouest dans l'Est de la Galicie, se déclare comme partisane de la constitution d'une Ukraine indépendante et ethniquement homogène. Son principal ennemi est la Pologne qui contrôle alors les régions de la Galicie de l'Est et de la Volhynie et où se mélangent plusieurs communautés ethniques. L'OUN parvient à assassiner le ministre de l'Intérieur polonais, Bronislaw Pieracki, en 1934. Parmi les personnes jugées, condamnées, et emprisonnées pour le meurtre en 1936, se trouvent les jeunes activistes de l'OUN Stepan Bandera et Mykola Lebed. La cour les condamne à mort, et l'Etat commue leurs peines en emprisonnement à vie. Les deux ukrainiens ainsi condamnés parviennent à s'échapper en 1939 lors de l'invasion de la Pologne par les allemands.
A la suite du pacte germano-soviétique qui fit passer les régions de Galicie et de Volhynie sous contrôle de l'URSS, l'OUN tourne tout naturellement ses espoirs vers les allemands, étant données leurs conceptions idéologiques proches sur la question raciale. A la fin de 1939, les allemands hébergent les chefs de l'OUN à Cracovie, capitale alors du Gouvernement général de Pologne sous l'occupation allemande. En 1940, L'OUN se divise sur sa stratégie politique. La branche des plus anciens (et modérés) se range derrière Andrei Melnik (OUN/M, M pour Melnik) qui souhaite collaborer de façon étroite avec les allemands en attendant d'œuvrer patiemment pour l'indépendance de l'Ukraine ; tandis que la branche de Bandera (OUN/B, B pour Bandera), elle, rassemble les plus jeunes et radicaux et se veut une organisation fasciste militante désireuse d'obtenir l'indépendance de l'Ukraine immédiatement.
Après le lancement de l'invasion par les allemands de l'URSS le 22 Juin 1941, les équipes de Bandera retournent dans l'Est de la Galicie. Puis en rejoignant la capitale de la Galicie de l'Est, la ville de Lviv, le 30 Juin 1941, son plus proche émissaire, Jaroslav Stetko, proclame la souveraineté et l'unité d'un état ukrainien au nom de Stepan Bandera et de l'OUN/B. Stetko devenant ainsi premier ministre et Lebed, qui avait été entrainé dans un centre de la Gestapo en Pologne à Zakopane, le nouveau ministre de la Sécurité.
Les allemands bien résolus à exploiter l'Ukraine à leur propre profit insistent pour que Bandera et Stetko annulent cette proclamation. Quand ils refusent, eux, ainsi que les autres leaders de l'OUN/B, sont arrêtés. Bandera et Stetko sont initialement conduits à Berlin en maison d'arrêt. Et après Janvier 1942, ils sont envoyés au camp de concentration de Sachsenhausen, mais dans les quartiers pour les hautes personnalités politiques, et donc dans un confinement relativement confortable. Les postes administratifs et supérieurs de police auxiliaire dans l'Ouest de l'Ukraine reviennent alors au groupe de Melnik (OUN/M). Les formations de la police de sécurité allemande, quand à elles, reçoivent l'ordre d'arrêter et de tuer les loyalistes bandéristes dans l'Ouest de l'Ukraine pour écarter tout risque de soulèvement contre les autorités allemandes.
Suite à son évasion, Lebed reprend le contrôle de l'OUN/B dans l'Ouest de l'Ukraine, qui désormais doit opérer dans la clandestinité. Finalement, l'OUN/B infiltre l'Armée d'Insurrection Ukrainienne (l'UPA) créée cette même année 1942 et qui, en tant que forces supplétives s'engageant à combattre tous les ennemis politiques et ethniques de l'Ukraine, est relativement tolérée par les allemands. Les ukrainiens de l'Est affirmeront plus tard que le groupe de Bandera prit alors le contrôle de l'UPA en assassinant les leaders originaux. Si bien qu'en 1944, les termes UPA et bandéristes étaient devenus interchangeables. Les relations entre les allemands et l'OUN/B dans l'Ouest sont de fait ambigües. D'un coté, l'OUN/B combat les autorités allemandes... la Gestapo allant jusqu'à mettre à prix la tête de Lebed. Mais de l'autre, elle poursuit ses propres opérations de nettoyage ethnique en parfaite coordination avec ces mêmes allemands et leurs objectifs.