Quand ma copine m’a quitté, mon premier réflexe était de la pourrir, de rejeter la faute sur elle en répétant à mon entourage qu’elle ne me valait pas, que c’était la pire des garces. Mais maintenant, grâce à la philosophie, je suis capable de penser contre moi-même. J’ai donc abandonné ma conscience spontanée pour rejoindre ma conscience réfléchie, et vint ma réflexion. Ma réflexion, c’est que nous, humains, ne sommes pas capables de voir le réel en face car le réel touche à notre plaisir, et le principe de plaisir s’établit pendant l’enfance. Et l’enfance est une période très longue de notre vie. Si on compare cette proportion de temps avec les autres espèces, nous sommes les plus tardifs à rentrer dans l’âge adulte. L’enfance est le monde imaginaire, de la rêverie. Dans la vie de l’Homme, l’adolescent rencontre tardivement le réel. Jusque-là, il vit dans le monde des fantasmes ; il s’agit de sexualité, où le réel c’est l’autre. Dans le fantasme, je fais ce que je veux. Tout est à notre disposition, je peux jouer le rôle que je veux. D’ailleurs c’est là le but de la pornographie : transformer l’autre en instrument de plaisir. Mais dans la vraie vie, ce n’est pas comme ça. La vie c’est donc transformer tout en plaisir. Le déplaisir est la seule mesure éducative. Tant que je n’ai pas un choc qui contraint de voir les choses telles qu’elles sont, c’est bon. L’illusion, elle est en nous. L’illusion de l’Homme est de croire qu’on peut tout. C’est une espèce d’omnipotence. Il se prend pour Dieu. L’Homme est régi par un mauvais infini. Le bon infini c’est la pensée rationnelle, et le mauvais le désir. Croire que l’on peut être libre comme l’air c’est rêver d’une liberté sans limite. Et c’est là l’illusion, puisque nous le savons. Je me sers ici de « La loi est-elle une limitation de la liberté » puisque tout ce qui existe ici, est limité, sauf dans les fantasmes et dans les rêves. Ainsi c’est seulement en se guérissant de l’illusion de la liberté que nous pourrons vraiment être libre. Je ne me suis jamais senti aussi libre depuis que j’ai compris qu’elle m’a quitté car je ne me lavais plus. Mais la question qui se pose alors est la suivante : pourquoi l’Homme succombe-t-il sans cesse à l’illusion ? Pourquoi est-il si difficile de la combattre ? Et si l’illusion était enracinée dans l’esprit de l’Homme ? Freud voyait le désir comme hallucinatoire, délirant. Le principe de plaisir est une tendance à se raconter des histoires. J’ai l’illusion de penser par moi-même. Je peux penser par moi-même mais à condition de prendre conscience que mes pensées sont illusoires, trompeuses, qui me font croire que je pense tout seul. Comme le dit Freud, le choix d’objet n’est pas un véritable choix. L’objet du désir n’est rien d’autre que la répétition de ce que j’ai vécu dans l’enfance. Et en effet, je suis plutôt d’accord avec lui. Dés le départ, le désir est maudit, frappé de malédictions. Tant qu’un complexe d’Œdipe n’est pas réparé, l’enfant verra son comportement sexuel déterminé par ce complexe. Bref, ce n’est qu’au prix de cette émancipation que nous pourrons commencer à être libre lorsque nous aurons combattu cette tendance enracinée profondément dans notre esprit de voir les choses non comme elles sont mais comme on aurait envie qu’elles soient. Désolé, chérie, d’avoir réalisé ça trop tard.
