J’aimerai vous parler de l’énaction.
Ce principe repose sur l’idée que la connaissance et la perception ne sont pas seulement des processus internes, cognitifs ou mentaux, mais des activités dynamiques qui émergent de l'interaction de l'individu avec son environnement. L'énaction met l'accent sur l'idée que l'esprit et le corps sont indissociables, et que la perception et la compréhension du monde se forment à travers l'expérience active, en faisant et en interagissant avec le monde plutôt qu'en le recevant passivement.
Imaginez un danseur en train de suivre une musique. La danse n'est pas simplement une interprétation d'un air qu'il entend, mais un processus d'interaction entre la musique et ses gestes. Le danseur construit le sens de la musique au fur et à mesure qu'il l'incarne, qu'il "fait corps" avec elle. De la même manière, l’énaction propose que la cognition (ou la connaissance) émerge au fur et à mesure des interactions actives avec le monde. Autrement dit, plutôt que de percevoir un monde extérieur qui serait déjà là, bien défini et structuré, l’individu participe activement à sa construction.
Prenons un exemple quotidien pour rendre cela plus tangible : l’expérience de conduire un véhicule. Lorsque vous conduisez, vous ne vous contentez pas de simplement percevoir un paysage statique devant vous. En réalité, votre perception de la route, des virages, de la distance entre les véhicules et de la vitesse à laquelle vous allez est construite par l’interaction de vos gestes (manipuler le volant, appuyer sur l’accélérateur, freiner) et vos perceptions sensorielles (voir la route, entendre les bruits environnants, sentir le mouvement du véhicule).
En d’autres termes, la cognition de la conduite n'est pas un simple processus de représentation interne (comme dans la conception classique de la perception), mais plutôt une construction activée par l'interaction entre le corps et l'environnement. Votre cerveau et votre corps "écrivent" cette expérience à chaque instant, et l'expérience de la conduite devient ainsi une forme de co-création entre vous et la route.
Dans l’énaction, la perception et la cognition sont indissociables de l’action. L'idée fondamentale est que nous construisons activement notre expérience du monde à travers notre engagement corporel et sensoriel. Cela signifie que l’interaction physique avec l’environnement joue un rôle essentiel dans la manière dont nous le percevons et l’interprétons. Autrement dit, un individu ne perçoit pas simplement un environnement comme "quelque chose à voir", mais comme un espace à explorer, à manipuler, à changer avec son corps.
Lorsque votre enfant se trouve dans un contexte de jeu, il est libre d’expérimenter et d'interagir avec son environnement sans être soumis à une pression extérieure immédiate. Il peut réagir à ses sensations corporelles et adapter ses actions de manière fluide, sans jugement immédiat. C’est souvent dans ces moments-là, lorsqu’il est dans l’action ludique, qu’un enfant peut trouver plus facilement des solutions à des tâches perçues comme difficiles dans d’autres contextes.
Dans le cadre d’un jeu, l’enfant n’est pas évalué de manière stricte, il est libre d’agir et d'explorer sans crainte de l’échec ou du jugement. Ce manque de pression externe, lié à l’évaluation scolaire, peut transformer la manière dont l’enfant perçoit l’accessibilité des actions et des tâches. La dimension exploratoire et créative du jeu l’aide à se sentir plus en contrôle de son corps et de son environnement. Il se concentre moins sur la "performance" et plus sur l’expérience directe de l’action.
Prenons l’exemple d’un enfant en cours de natation. Supposons que cet enfant éprouve des difficultés à mettre la tête sous l’eau lorsqu'un professeur lui demande de le faire dans un contexte d'enseignement formel. Le jugement potentiel (en particulier s’il y a une attente d'exécution parfaite) ou la pression de la situation (le fait de devoir réussir pour obtenir une bonne note ou l'approbation du professeur) peut lui faire percevoir l'eau comme un obstacle, ou l'acte de se submerger comme inaccessible. L’enfant, dans ce cadre, pourrait ressentir un stress lié à la performance, ce qui rend l'environnement aquatique plus menaçant.
Cependant, si cet enfant est simplement en train de jouer avec ses camarades dans un petit bassin, sans pression ni jugement, il peut se retrouver à plonger la tête sous l'eau, peut-être même plusieurs fois, sans s’en rendre vraiment compte. Dans cette situation, il est actif dans l'environnement, interagissant avec lui de manière ludique. L'attention est portée sur l'expérience du jeu, et non sur un objectif spécifique à atteindre. L’action devient spontanée et la perception de l'environnement change : l’eau n'est plus vue comme un obstacle à franchir, mais comme un élément de l'univers de jeu.
L’énaction montre que la perception de l’enfant n’est pas simplement le reflet passif de stimuli externes. Elle émerge en fonction de l’action et de l’interaction. Dans ce cas, le fait de jouer transforme la manière dont l'enfant perçoit son environnement. L'enfant n'est plus seulement spectateur, mais acteur de l'environnement. Quand il agit librement et qu'il est dans un contexte de jeu, il restructure sa relation à cet environnement en fonction de ses capacités et de ses intentions.
Ce phénomène est une illustration claire de ce que l'énaction propose : la cognition est incarnée et se construit à travers l’action. En jouant, l’enfant ne se contente pas d'imiter ou de suivre des instructions ; il est engagé dans un processus où son corps et son esprit interagissent de manière fluide et dynamique avec l'environnement.
Au contraire, dans un contexte où l’enfant est observé ou jugé (comme dans une situation d’évaluation ou sous l’autorité d’un professeur), l’action est perçue sous un autre angle : celui de la performance. Dans ce cadre, l’enfant peut ressentir du stress, une pression ou une peur de l’échec. Ces émotions entravent l'action et peuvent empêcher une interaction fluide et dénuée de tension avec l’environnement. L’enfant peut devenir plus centré sur le résultat ou la réussite plutôt que sur l’expérience directe de l’action. Ainsi, ce stress et cette pression peuvent amener l’enfant à percevoir son environnement comme inaccessible, même si les tâches à accomplir ne sont pas en soi difficiles.
En revanche, dans un contexte de jeu, où l’enfant est moins conscient du jugement et plus absorbé par l’action elle-même, cette liberté d’action permet d’atteindre des objectifs (comme plonger la tête sous l’eau) de manière naturelle et dénuée de stress. Cela s’explique par le fait que l’enfant se concentre sur l'expérience immédiate de l’action plutôt que sur l’évaluation de sa performance.
La pensée, la perception et l’action sont intimement liées, et l’esprit ne se réduit pas à un processus interne abstrait, mais dépend du corps qui interagit avec son environnement.