Chapitre XXX
Partie 3: Et mon avis, il compte pas?
Je déambulais dans les rues encore quelques heures, et rentrais quand le soleil fût à son zénith. En arrivant, je trouvais la maison quasiment vide. Arkelor était seul à table, en train d´examiner un morceau de tissu. Je pris une chaise et m´y affalais:
-J´ai vu les préparations pour le mariage au centre." dis-je.
-Ils font du bon boulot, hein?
-Je suppose.
-Ah, tu sais qu´ici, la cérémonie du mariage est un peu différente?
-Différente? Je ne sais même pas à quoi ressemble une cérémonie conventionnelle!
-C´est simple! Ici, le mariage commence toujours par un duel armé.
-Ah... QUOI?!?
-Hé oui, pour qu´un homme ait le droit d´épouser une femme, il faut qu´il prouve sa supériorité en combat sur sa future épouse.
-Ils s´affrontent?
-Oui... Moi, quand j´ai rencontré Saïni, je ne pensais pas que je pourrais un jour l´épouser. J´étais un simple tisserand, et elle, une chasseuse de monstres hors-pair.
-C´est sur que le combat s´annonçait mal...
-Non, pas tellement. Beaucoup de femmes amoureuses perdent volontairement le combat pour pouvoir vivre avec l´homme qu´elles aiment.
-Voila de quoi remonter le moral, non?
-Non. Perdre, ce n´était pas son genre. Quand je suis venu lui faire ma demande, sa première phrase à été: "Moi, je veux bien, mais tu ferais mieux de laisser tomber, Ark: tu n´as aucune chance!".
-Et?
-J´ai saisit mon courage à deux mains, et j´ai maintenu ma demande.
-Et pour le combat?
-Oh, ça... Il n´a duré que trois secondes.
-Quoi?!?
-Et j´ai gagné.
-Un tisserand... Contre une chasseuse expérimentée... Et armée... Pas possible, vous n´êtes pas un simple tisserand!
-Si, pourquoi?
-Mais comment...
-J´avais une arme secrète!" dit-il en sortant un livre épais de sa large manche. Il me le tendit. L´ouvrage, de couleur rouge, devait peser entre deux et trois kilos, et faisait a vue de nez quinze centimètres sur trente. Il était intitulé: "Comment posséder des arguments frappants".
-Qu´est-ce qu´il y a d´écrit de si formidable, là-dedans?
-Oh, rien de spécial... En fait, dès le début du combat, je lui ai bondit dessus en profitant de l´effet de surprise, et je l´ai assommée d´un coup de livre.
-...
-Le problème, c´est qu´après ça, elle est restée dans les vapes pendant trois jours... La cérémonie a donc due être repoussée.
-...
-Un problème?
-Mais c´est n´importe quoi cette victoire!
-Pas du tout! Tous les coups sont permis, c´est la règle.
-Sans commentaires...
-En attendant, garde ce livre. Je te le lègue.
-Gné? Vous me le... Léguez?
-Tout à fait! Puisse-t-il t´aider comme il m´a aidé!
-Je ne vois pas comment...
-Tu verras au moment venu. Bonne chance pour cet après-midi!
-Gné? Y´a quoi cet après-midi?
Il me dévisagea, incrédule.
-Mais... Tu n´es pas au courant?
-Au courant pour quoi?
-Mais pour ton mariage!
Avez-vous déjà reçu un coup dans l´estomac? Désagréable, non? Hé bien, ce que je ressentis à ce moment précis équivalait à une dizaine de ces coups portés au même instant et au même endroit. Un seul mot pour décrire cette sensation: ouch!
-Vous... Pouvez répéter?
-Nalia ne te l´a pas dit?
-Non... Je ne l´ai pas vue de la matinée!
Et comme le hasard fait "bien" les choses, Nalia entra pile à ce moment, suivie par Trok. Je me levais et me dirigeais vers elle:
-Nalia! C´est quoi cette histoire de mariage?
-Ah, tu tombes bien! Je t´ai cherché toute la matinée! Pour te prévenir.
-Me prévenir? Mais il se passe quoi? J´ai raté un chapitre où quoi?
-Ce qu´il se passe? Nous allons nous marier." Affirma-t-elle en souriant.
-Ah. J´ai eu peur. Un moment, j´ai cru que je... KOAAAAAAA?!?
-Tu as bien entendu.
-M... Mais... Et mon avis? Il compte pas?!?
-Non. Tu n´as pas ton mot à dire.
-Pas mon... Ca veut dire quoi, ça?!?
-Ca veut dire qu´ici, ce sont les femmes qui prennent les décisions. Si je dis qu´on se marie, alors on se marie.
-Mais je... Je...
Tout cela allait trop vite pour moi. Si seulement j´avais eu une bombe flash, ou même une simple bombe fumigène, je l´aurais sûrement utilisé pour fuir. Mais là, aucune échappatoire. Quoique... Nalia ne portait ni son armure, ni son arme -d´ailleurs, à la place, elle avait une magnifique robe ocre gris qui suivait ses formes et... Heu... Aucune importance.-. Si je commençais à courir maintenant, j´avais peut-être une chance d´atteindre la porte et de pouvoir m´enfuir. Hmm... Non. Trop lâche -et surtout trop risqué-. Je décidais donc d´affronter la réalité. Je tentais de prendre le visage le plus impassible possible -tiens, ça sonne bien, ça... Impassible possible, mwahahahaaaa...- et je demandais:
-Bon, très bien. S´il doit en être ainsi... Ah, au fait, la cérémonie commence bien par un combat, non?
-Oui... Et si tu crois que je vais te laisser gagner juste par amour pour toi, tu te trompes. Je me battrais au maximum jusqu´à la fin." Termina-t-elle avec un sourire narquois.
Mais qui avait parlé de gagner? Il fallait justement que je perdes ce combat, ce qui provoquerait l´annulation du mariage! Quel plan génial!
-Une dernière chose. Si tu perds ce combat... Je te tue." Ajouta-t-elle.
-...
-Au sens propre du terme.
-...
-La cérémonie commence dans un peu plus de quatre heures. Taches d´être prêt!
Ah. Voila qui allait compliquer les choses. Je montais au grenier et m´asseyais sur mon lit. Alors comme ça, Nalia était am... amou... Oh, aucune importance. J´avais un énorme problème, et pour réagir, trois solution. Un: m´apitoyer sur mon sort et déprimer. Mais ça ne serait pas très utile. Deux: m´énerver inutilement, tout casser et me cogner la tête contre les murs. Ca, c´était tout simplement stupide. Trois: réfléchir calmement. Cette solution était la plus fatiguante, mais elle avait au moins le mérite de faire avancer les choses, contrairement aux deux autres. Je choisis donc la réflexion.
Analyser la situation... J´étais contraint de me marier. Pour éviter ça, le plus simple à faire était de perdre le combat qui ouvrait la cérémonie. Mais le problème, c´était que ma défaite entraînerait inévitablement ma mort. Je pouvais aussi m´enfuir avant que ça commence. Gardemine était grand... Mais Nalia serait sûrement capable de me retrouver pour me tuer, et ça, où que je me cache. La mort avec un court sursis, donc. Mais alors, que faire? Je ne pouvais pas perdre, je ne pouvais pas fuir! La seule solution qui me permettait de rester en vie consistait à gagner le combat, ce qui impliquait le bonne marche de la cérémonie, et tout, et tout...
Je commençais à croire que j´aurais mieux fait de faire une sieste au lieu de perdre mon temps à réfléchir inutilement, quand soudain, émergeant de mes surpuissantes neurones -hem...-, elle vint à moi. Qui ça? Mais l´idée du siècle, bien sur!!!
-MWAHAHAHAHAAAAA!!! J´ai trouvé! Je peux tout à fait gagner le combat et éviter le mariage! Il me suffit de tuer Nalia! MWAHAHAHAHAHAAAAAAA! JE SUIS UN GENIE!!!
-Nia! Le moins qu´on puisse dire, c´est que tu ne t´embarrasse pas avec les détails...
Je me tournais vers Marmaduke. J´avais complètement oublié la présence de cet énorme Félyne orange.
-Tu ferais mieux de te dépêcher, nia! La cérémonie commence dans une dizaine de minutes!
-Quoi? Mais... J´ai réfléchi pendant combien de temps?!?
-Un peu moins de quatre heures, miaou!
-KOAAAAA?!?
Malgré le manque de temps, j´enfilais mon armure méticuleusement, prenant bien soin d´attacher chaque sangle, de serrer chaque attache... Puis je vérifiais le tranchant de mon "épée d´expert" -quel nom pompeux...-, l´aiguisais méticuleusement, m´assurais du bon écoulement de la neurotoxine par les minuscules pores présents au-dessus du tranchant, et polis mon bouclier -à quoi ça sert? A faire joli-. J´affûtais aussi ma pelle, au cas où. Ma cruche de potion était pleine, mon hamac plié, et je disposais dans ma sacoche de huit marqueurs, d´une pierre à aiguiser, et d´un exemplaire de "Contes et Légendes de Gardemine" en format "voyage" -tout petit-. Ah, j´avais aussi l´imposant ouvrage "Comment posséder des arguments frappants", que je ne savais pas où ranger. Mouais.
Je me rasseyais sur le lit et attendis. Quelques secondes plus tard, Arkelor entra.
-C´est l´heure..." dit-il avec un sourire en coin.
-Ah, pour votre livre, je ne sais pas comment le transporter, il est trop gros...
-Moi, je l´avais caché dans mes manches. Mais il faut dire qu´elles étaient larges. Tandis que les tiennes... Bah, tant pis, laisse-le ici. De toutes façons, pour battre ma fille, il va falloir trouver mieux qu´un coup de livre!
Un coup d´épée au niveau de la jugulaire, par exemple? Gniark! Bon, pas le temps de plaisanter, fallait y aller. Je suivis l´homme qui allait sans doute me haïr d´ici la fin du combat.
Au centre de la place principale, un cercle de dix mètres de diamètre était tracé dans le sable. Autour étaient disposés de longues et larges tables, recouvertes de nappes blanches. Et derrière ces tables, se tenait une foule nombreuse, venue assister à l´événement. Arkelor leva les bras, imposant le silence, et parla d´une voix forte:
-Merci à tous d´être venu! En ce jour heureux, nous allons -peut-être- avoir le plaisir de réunir deux êtres qui étaient faits l´un pour l´autre! En l´absence de ma femme, c´est moi qui présiderait cette cérémonie."
La, j´aurais bien ajouté une remarque débile, désobligeante, voire même méchante, mais j´étais trop concentré sur le combat à venir.
-La première est ma fille, Nalia. Ses multiples talents ne sont plus à présenter, je crois! Le second, quand à lui, est un chasseur de monstre surnommé "l´Escrimeur Légendaire"! Il a voyagé aux quatre coins de Gardemine, et manie l´épée courte comme personne!
Je ne me demandais même pas comment il connaissait mon surnom, où pourquoi il présentait ça comme un championnat de lutte. Un duel à mort contre Nalia n´était pas quelque chose qu´il fallait prendre à la légère. Je devais garder la tête froide.
-Comme ils sont tous deux des chasseurs expérimentés, le combat risque d´être intéressant!
-Espérons qu´il durera plus de trois seconde, hein, Arkelor?" s´exclama un des gars se trouvant derrière les tables, provoquant le fou-rire général.
-Tout est question de tactique..." répliqua Arkelor. "Mais revenons aux choses sérieuses. Faites entrer la future mariée!
-Ou la future défunte..." ajoutais-je à voix basse, de sorte que personne ne m´entendit.
C´est alors Nalia sortit de la foule. Elle portait toujours sa traditionnelle -mais magnifique- armure de Plésioth et sa dangereuse lame Lacérator, mais ses cheveux, d´habitude lâchés librement, étaient organisés en une magnifique coiffure -je ne peux pas la décrire, je ne suis pas un spécialiste en cheveux...-, tenue par une dizaine de rubans de soie bleue -oui, ça ferait sûrement joli dans le cercueil-. Son expression était indéchiffrable, ne reflétant ni la joie, ni la colère, ni la tristesse.
Sans un mot, nous nous plaçâmes à l´intérieur du cercle, une distance de sept mètres nous séparant.
-Le combat se terminera quand un des deux adversaires sera sorti du cercle ou aura déclaré forfait." Compléta Arkelor. "Vous pouvez commencer!
Nalia dégaina son arme, et tira sur la base de la poignée. Une dizaine de griffes toutes plus affûtés les unes que les autres jaillirent de la lame. Mon "amie" se mit en position de combat, m´invitant presque à l´attaquer.
Remporter ce combat ne serait pas une mince affaire. Bon, en fait, ce serait même un exploit! Vaincre Nalia en personne, une professionnelle de l´épée longue, qui en plus maîtrisait les techniques de la Pierre de l´Épéiste... j´aurais du y songer plus tôt... Je n´étais pas de taille. Autant mourir tout de suite. Ou pas. Grayburg avait bien dit que je méritais le nom d´Escrimeur Légendaire. Et si quelqu´un comme lui l´avait dit, c´était -peut-être- forcément -un peu- vrai -dans le fond, non?- . Tiens, en parlant de Grayburg, il m´avait dit aussi: "trouves-toi un but dans la vie", non? J´avais complètement oublié. Il avait aussi dit "argh", d´ailleurs. Ah, non, ça, il ne l´avait pas dit. Mais de toute façon, ce n´était pas le moment de penser à ça, j´avais d´autres chats à fouetter -pardon Marmaduke...-, et un combat à remporter, par Asura!!!
La foule, lassé de notre immobilité mutuelle, commençait à s´impatienter, et à me huer. Bah, pas important. J´inspirais un grand coup, dégainais, et fondit sur Nalia; elle repoussa ma charge en me portant un coup latéral, pivotant sur elle-même. Je n´eus pas d´autre choix que de reculer pour éviter d´être coupé en deux. Malgré le poids et l´inertie de son arme, elle la maniait avec aisance et rapidité. Et vu l´allonge qu´elle avait, impossible de l´approcher à moins de deux mètres. Je repris donc mes distances, prêt à saisir la moindre occasion pour attaquer. Voyons... Le principal point fort de l´épée longue -après sa taille-, c´était son poids. Mais ça pouvais aussi se révéler comme étant un désavantage. Lorsqu´on porte un coup descendant, il faut soulever l´arme avant de pouvoir réattaquer, et impossible de s´aider de l´inertie, ça nécessite de la force brute. Donc si je forçais Nalia à porter un coup descendant et que son arme touchait le sol, je disposerais d´une ouverture -pendant moins d´une seconde- pour porter un coup. Il faudrait frapper de façon précise et mortelle. Mais voila: comment faire pour la forcer à attaquer de cette façon? Je décidais donc de faire preuve de patience; elle finirait bien par commettre cette "erreur".
Je tentais un deuxième assaut, qui se termina de la même façon que le précédant. Pour passer outre ses coups horizontaux, il fallait soit attaquer par au-dessus, soit bloquer sa lame. J´optais pour la deuxième solution. J´avais un bouclier, fallait bien qu´il serve à quelque chose!
Je bondis vers Nalia; sa lame fendit l´air et percuta mon bouclier avec une telle force que je fus projeté dans les airs et retombais lourdement au sol, à moins d´un mètre de la limite du cercle. Ne me laissant pas le temps de me relever, elle fondit sur moi, soulevant sa lame au dessus de sa tête: le coup descendant! C´était maintenant que ça allait se jouer! Prenant appui sur ma main gauche, je roulais pour me éviter cette attaque mortelle; la lame percuta le sol à quelque centimètres de mon bras, soulevant un nuage de sable! De ma main gauche -encore-, j´agrippais l´arme pour me relever et pour empêcher Nalia de l´utiliser, et de ma main droite, je portais le coup le plus puissant possible, visant son cou!