Les différentes enquêtes menées sur les évènements de Kota Baharu m’ont amenées à répéter encore et encore ma version des faits lors d’interminables interrogatoires. Je parvenais à chaque fois à produire un rapport cohérent tout en passant sous silence la vérité mais je dois avouer que l’exercice devenait de plus en plus stressant à mesure que l’on me demandait plus de détails.
L’expérience traumatisante de la perte de mes hommes m’a valu un suivi psychologique de deux séances par semaine prévu pour les prochains mois. Lors des premiers entretiens je n’ai jamais évoqué la mort du conducteur qui m’avait tant remué sur le moment et qui continuait à me hanter. J’ignore pourquoi. Peut-être juste un réflexe d’agent double...
Une voix me réveille alors que je fais un cauchemar. Je mets une bonne vingtaine de secondes à comprendre que cette voix vient de ma tête. Ou plutôt du creux de mon oreille… Heureusement pour ma santé mentale !
« Archer ? »
C’est la voix d’Alister.
« Je suis là. » dis-je d’une voix ensommeillé en activant le micro de ma gorge.
Je regarde mon réveil. Minuit. J’ai à peine dormi.
« Mettez moi au parfum les gars. »
« Prenez une minute pour vous réveiller Archer. » fait la voix sévère d’Hansen.
Je me relève et m’installe en position assise sur mon lit, à l’écoute.
« Allez-y. »
« Rester à Butterworth plus longtemps ne servirait à rien. »
« Pourquoi ça ? C’est toujours la cible des terroristes, non ? » dis-je sans parvenir à cacher mon étonnement.
« Nous sommes parvenus à la conclusion que la base en elle-même n’est pas la cible d’Echo. Ce qu’ils visaient c’était la simulation de Kota Baharu. Rappelez vous : le boîtier espion que vous avez trouvé sur le serveur de la base ne téléchargeait que les données concernant cet évènement précis. De plus les dossiers que vous avez scannés indiquent que l’officier Rowan était désigné pour s’occuper de la sécurité de cette simulation depuis au moins quatre mois. Et pour finir les rapports de l’agent Frances Cohen indiquent qu’Echo a dépensé beaucoup d’argent, de temps et d’efforts pour que la transaction avec le groupuscule islamiste se fasse. »
Si j’avais eu plus de recul j’en serais sûrement arrivé aux mêmes conclusions qu’Hansen. Je ne m’étais même pas interrogé sur l’avenir d’Echo. Comme quoi le fossé qui me sépare de l’analyste que j’étais se fait de plus grand… Ou alors je me ramollis.
« Je vois ce que vous voulez dire. Cette opération était coûteuse et minutieusement préparée. En prenant en compte l’impact qu’elle aurait eue d’un point de vue politique si elle avait réussie, on peut en conclure qu’il s’agissait d’un coup d’éclat de la part d’Echo. » dis-je.
« Parfaitement. C’était un gros coup, comparable à la destruction du World Trade Center par Al Quaïda en 2001.» renchérit Alister.
« On évacue demain ? »
« Non. Cette nuit. » annonce Hansen.
Cette nuit ? Est-ce qu’Hansen essaye de faire de l’humour ?
« Je ne comprend pas. » fais-je d’un ton confus.
« On ne va pas vous faire sortir par la porte de devant… »
Le terme « sortir par la porte de devant » chez les agents doubles, en tout cas chez ceux d’Échelon 3, signifie évacuer un agent de manière à ce que sa couverture ne soit pas compromise par son départ. Ce qui est généralement la meilleure manière de procéder.
Hansen aurait pu s’arranger pour qu’Oliver Blaine soit transféré ailleurs, ce qui serait passé inaperçu au milieu de toute cette confusion post-Kota Baharu, mais il ne le voulait pas. Pourquoi ? Certainement parce qu’il voulait me faire accomplir un dernier objectif ici, à Butterworth, avant que je ne m’éclipse comme un voleur.
« Expliquez moi Hansen. »
« Au milieu de tout le bazarre provoqué par l’acte terroriste raté la mutation de l’officier Rowan passerait inaperçu. »
« Et après cela il pourrait disparaître dans la nature, alors qu’il est notre seul lien avec Echo… » commençais-je à comprendre.
« Tout à fait. On pense avoir enlevé temporairement son dard à l’organisation mais ça ne change rien : on ne peut pas se permettre de perdre la piste Rowan. Vous allez devoir le kidnapper cette nuit. Fabiani et Kaden vous attendront à l’extérieur pour l’extraction. C’est cela que l’on prépare depuis quelques jours. »
« Kaden va bien ? »
« Oui. Sa blessure était superficielle. »
Je m’étais inquiété pour rien. Mais je me demande quand même si l’équipe m’aurait prévenu si Kaden avait été grièvement blessé ou mort…
« Récupérez votre matériel en partant. » ajoute Hansen comme s’il était utile de le préciser.
Je jette un coup d’œil par la fenêtre de ma chambre. C’est la pleine lune. Cela va être dur de filer sans se faire repérer, encore plus avec un homme inconscient sur les épaules.
« Comment est-ce que vous voyez les choses de votre côté ? »
« Je te passe Kaden et Fabiani. » fait Alister.
Quelques petits grésillements dans mon oreille, suivis d’une nouvelle voix :
« Ici Kaden. »
« Je te reçois. Tu t’es remis de ta blessure ? »
« Ça ira. Beau travail à Kota Baharu au fait, t’as été à la hauteur. Enfin trêve de banalités… Fabiani et moi nous arrivons dans une camionnette noire avec une fausse plaque d’immatriculation. »
« Vous disposez de quel matériel ? »
« On a de quoi découper le grillage qui entoure la base. On a aussi un brancard pour Rowan et des sédatifs pour qu’il se tienne tranquille. »
« Une trousse de soins au cas où le prisonnier soit blessé ? »
Non pas que ce soit dans mon intention mais…
« Ouais… Le strict nécessaire. Et toi qu’est ce que tu as ? »
« Pas grand-chose. Des lunettes de vision nocturne et ma montre terminale. J’ai détruit le portable que j’avais utilisé pour le piratage de la dernière fois, c’était trop dangereux de le conserver. »
« T’as des menottes pour Rowan ? » demande Fabiani.
« Je peux en trouver. »
« On est en route et on sera en position dans un heure. Tu penses qu’il te faut combien de temps pour kidnapper Rowan et le ramener jusqu’au point d’extraction ? » demande Kaden.
« Je peux peut-être y arriver en une heure si je me dépêche. »
« Ce serait parfait. Dans ce cas ne traîne pas, fin de communication. »
Un autre petit grésillement et la voix d’Hansen prend le relais :
« Détruisez le contenu de votre montre terminale Archer. Si jamais vous vous faites prendre il ne faut pas que l’on remonte jusqu’à nous. »
Je me saisis de ma montre et enclenche la destruction interne du dispositif à l’aide de deux mots de passe que je tape sur le clavier virtuel. Un très mince filet de fumée s’échappe de l’appareil.
« Voilà qui est fait. Mais vous ne m’auriez jamais demandé de faire ça sans raison : vous pensez que je vais me faire prendre ? » dis-je en essayant de prendre un ton détaché comme si cela ne me concernait pas.
« Je suis nerveux quant au fait que vous soyez sur le point d’affronter un membre d’Echo avec des informations sensibles sur vous. Si jamais il prend le dessus il pourrait très bien remonter jusqu’à Echelon 3 graçe à ça. »
Prendre le dessus ? Ce n’est pas ce que je prévois. Je vais le prendre par surprise et il n’aura pas le temps de réagir.
« J’y vais. Contactez-moi en cas de besoin. »
Je sors de mes baraquements et grimpe sur le toit à l’aide d’une gouttière. Je récupère les lunettes de vision nocturne que j’avais caché à cet endroit et les enfile. Avant de descendre je prends une vue d’ensemble.
j'ai cru que c'était un film
et même l'ambiance de l'histoire je la ressens
(comment peux tu nous faire souffrir comme sa ? 
) 
