Chapitre 29: Mouvement à l'horizon.
-Pffff...Pffff...pffff...
-Ah il était temps ! lançais-je, assise à ma table, un jus de fruit en main alors que Marilia débarquait enfin sur la terrasse, complètement essoufflée, les bras chargés de documents divers.
-Oui...Désolé...Je...Reuh !...Je termine...A peine...Un rendez-vous...Et...La vache...Reeeuaaah !...J'ai du...
-Ouai, t'as couru quoi...
-C'est ça ! Souffla la Dunmer, visiblement soulagée de ne plus avoir à lutter contre un arrêt cardiaque en cherchant à m’expliquer la cause de son retard.
Jetant sans ménagement ses documents sur la table, Marilia se laissa finalement tomber sur une chaise, le souffle court.
-Pffff...C'est plus de mon âge...
-T'as dix-neuf ans Marilia...Avoue plutôt que tu es une grosse fainéante qui s'est trop habituée à son emploi de bureau...Bon alors qu'est-ce que tu prends ?
-Hmmm...Un jeu de fruit aussi tiens...Et je ne suis pas une grosse fainéante !
Nous passâmes ainsi toute la matinée à discuter d'un tas de choses, abordant des sujets aussi divers que variés pour notre plus grand plaisir. De fait, cela faisait des semaines, peut-être même des mois, que je n'avais plus eu de moment privilégié avec ma petite soeur, et il fallait bien admettre que même si nous étions toujours animées par des caractères fondamentalement différents, Marilia demeurait malgré tout l'une des personnes en qui j'avais le plus confiance au sein de la Morag Tong, et même de ma vie en général.
-Toi aussi t'as remarqué pour Rogdul ? Me questionna soudain la Dunmer alors qu'un serveur nous apportait divers plats, l'heure de diner étant enfin arrivée.
-A propos de quoi ?
-De Cinia...Évidemment, il essaie de le cacher, mais je l'ai vu...Il n'arrête pas de la regarder du coin de l'oeil, et devient rouge comme une pivoine quand elle lui adresse la parole...
-Je ne l'ai jamais vu de mes propres yeux, mais Llaalam m'en a parlé oui...Ça date déjà cette histoire tu sais...Confiai-je en enfournant plusieurs patates chaudes dans ma bouche, avant de subitement réaliser mon erreur devant l'expression suspecte de Marilia.
-Vous me semblez très proches tous les deux...Fit remarquer la Dunmer dans un léger froncement de sourcils.
-on é huh ahi é hou !
-Pardon ?!
J’avalai avec peine une importante quantité de patates chaudes qui me brulèrent aussitôt la gorge, avant de répéter dans une série de toussotements:
-On est juste amis c'est tout ! On est fort proches parce qu'il connaissait bien Gulena lui aussi et euh...Puis c'est moi qui l'ai amené à la Morag Tong...Et puis...Enfin voilà quoi on s'entend bien...
-Hmmmm...Bon...Conclut la Dunmer d'un air toujours aussi suspicieux, même si au fond, je savais pertinemment bien qu'il ne s'agissait que d'une façade destinée à m’embarrasser, et non d'une véritable accusation. D'ailleurs, elle embraya presque aussitôt sur un autre sujet:
-Au fait, cette Gulena, et tous les vétérans des opérations Phénix et Bellamont d'ailleurs. Ceux qui étaient déjà là à l'époque en parlent comme d'excellents assassins, du genre qu'on ne croise qu'une fois dans sa vie. C'était vraiment le cas ? Où il s'agit avant tout de propos sublimés par leur mort durant les opérations ?
-Non c'est vrai. Admis-je, non sans une pointe de regret et de nostalgie. Ils étaient tous extrêmement talentueux...Pourquoi crois-tu qu'à seulement neufs, en comptant Mathieu Bellamont, nous ayons tenu pendant des mois face à des dizaines et des dizaines d'assassins de la Confrérie Noire ?
-Oui effectivement...Ça devait être une sacré équipe...Eno m'en parle souvent comme l'âge d'or de la Morag Tong. Du moins pour cette période de notre histoire...
Et il y avait de quoi !
A cette époque, il n'avait fallu qu'une poignée d'assassins pour renverser Tamriel toute entière, balayant ses certitudes et ses ennemis au passage, pour fournir une emprise que la Morag Tong n'avait plus connu depuis des centaines d'années. Naturellement, les assassins prenant part à cette opération extrêmement dangereuse avaient été triés avec soin, et seuls les tous meilleurs d'entre eux y avaient participé à l'époque. Au fond, et même si cette mission de grande envergure s'était finalement révélée être un véritable fiasco, elle avait au moins eu le mérite de montrer au continent tout entier que, même en très large infériorité numérique, la Morag tong était toujours présente, et ses assassins, plus dangereux que jamais.
La plupart de ces vétérans y étaient certes restés, Evos et moi même étant les seuls survivants, mais leurs noms étaient devenus légendaires au sein de la Morag Tong, et même au delà, où aujourd'hui encore, l'on citait ces anciens combattants avec crainte et admiration.
Évidemment, je devais bien admettre que le noyau dur d'assassins actuellement en activité comportait lui aussi d'excellents éléments, mais comment ne pas trouver ces nouveaux effectifs un peu ternes comparé à ceux dont j'avais moi même fait partie autrefois ? Comment donner le même crédit à des nouveaux assassins d'élite qui n'avaient finalement connu que des missions de routine, et éventuellement quelques affrontements contre la Confrérie Noire quand leur prédécesseurs s'étaient battu et avaient montré tout leur savoir faire en conditions réelles, dans une vraie guerre ouverte contre des ennemis en large surnombre ?
Non, cette époque était définitivement révolue, ce n'était plus un secret pour personne désormais.
Plus jamais la Morag Tong ne parviendrait à réunir autant d'assassins d'une telle envergure à la fois...
-Pourtant on a réussi à former une sacré bonne équipe d'assassins ces dernières années...Fit remarquer Marilia, comme en réponse à mes pensées.
-Oui mais y a rien à faire, c'est pas pareil...Conclus-je sans vraiment parvenir à masquer mon amertume.
-Bah...C'est plus la même époque...Les choses sont plus calmes aujourd'hui. Enchaina la Dunmer avec optimisme.
-M'ouai...N'empêche, des fois je me dis que...
Je remarquai soudain du coin de l'oeil un détail qui me coupa net dans ma phrase. En temps normal, je n'aurais même pas dû y porter de l'intérêt, pourtant, et pour une raison que j'ignorais totalement, toute mon attention se porta automatiquement vers un individu qui traversait actuellement la rue en contrebas.
Pourquoi avais-je l'étrange impression d'avoir déjà croisé ce quidam, si bien recouvert de sa longue cape de voyage que l'on ne pouvait le distinguer ?
Oui, je l'avais déjà vu, j'en étais sûre, mais où donc ?
Mes sens s'animèrent brusquement plusieurs dixièmes de secondes avant même que mon esprit ne fasse le déclic, et sentant subitement le danger, j'entrainai aussitôt Marilia sous la table alors que bondissait déjà sur notre terrasse un Argonien d'une vingtaine d'années.
-RESTE COUCHÉE ! Criai-je en direction de ma soeur, au moment même où l'agresseur fondait sur moi avec une rapidité ahurissante, à tel point que je ne pu éviter entièrement l'attaque, recevant ainsi une longue coupure sur la joue.
Cet Argonien...Pas de doute possible. C'était celui qui m'avait attaqué lors de mon rendez-vous à la maison des plaisirs terrestres de Suran, quelques jours plus tôt à peine. Se pouvait-il que je représente une cible si importante que l'on ordonne une deuxième attaque si peu de temps après la première ?
Je n'eus hélas pas vraiment le temps de réfléchir à la question, car fidèle à lui même, cet ennemi se révélait être bien plus coriace que tout ce que j'avais affronté jusqu'ici. Je n'eus d'ailleurs pas l'agilité et les réflexes nécessaires à l'évitement de tous ses coups de couteau, et encaissai donc nombre de coupures et d'entailles le long des bras durant la première partie de la bagarre.
Sentant visiblement mon inaptitude à esquiver la totalité de ses attaques, l'Argonien tenta presque aussitôt de me porter un coup critique en m'agrippant par la nuque tout en cherchant à me poignarder le ventre. Saisissant l'opportunité offerte par un tel rapprochement, j'attrapai immédiatement la main armée de mon ennemi juste à temps, et lui collai un uppercut dans la mâchoire de l'autre main, le faisant aussitôt tituber, moitié assommé par l'attaque. Bien consciente que, pour la première fois de toute ma vie, ce combat ne tournait clairement pas en ma faveur, j'entrepris d'enchainer directement avec un coup de pied frontal histoire de garder l'initiative, mais fut brutalement contrée par l'Argonien, ragaillardi entre temps, qui me saisit la jambe en plein vol, avant de balayer le pied d'appui dans la foulée, me faisant brutalement chuter sur la table qui se brisa net, arrachant un cri perçant à Marilia, restée en dessous.
Assommée par la violence du choc, et cherchant désespérément à gagner du temps, je tentai tant bien que mal de maintenir les membres de mon ennemi, que j'avais fort heureusement réussi à entrainer avec moi dans ma chute. Hélas, ce dernier parvint rapidement à se dégager, me forçant par là même à puiser dans mes dernières ressources pour me relever en même temps que lui, ne souhaitant pas rester au sol alors que lui même serait debout.
Épuisée, à moitié assommée, et saignant abondamment, je profitai quelques secondes du temps de réflexion de l'Argonien, qui me tourna autour quelques instants, tout en restant à bonne distance pour mieux préparer sa prochaine attaque.
Allais-je vraiment réussir à contenir encore longtemps cet ennemi qui me surpassait dans presque tous les domaines ?
Finalement, les autres avaient peut-être bien raison...J'étais devenue trop vieille...
Je fus coupée net dans ma réflexion par une nouvelle attaque de mon agresseur, qui me fondit littéralement dessus, cherchant visiblement à porter un coup fatal à travers ma garde. Je crus tout d'abord avoir réussi le blocage dans un premier temps, mais ressentis bien vite une douleur aiguë dans mon flanc gauche. Baissant légèrement les yeux alors même que nous luttions l'un et l'autre dans une prise de corps à corps complexe, je remarquai finalement la dague de mon adversaire, plantée dans mon abdomen.
Profondément choquée par cette blessure grave, la première depuis des années de métier, et aussitôt secouée d'un ultime sursaut de hargne, je collai immédiatement un coup sec de l'avant bras gauche derrière la nuque de l'Argonien, lui écrasant ma main droite dans la figure d'un même geste, dans une clef de nuque qui lui fit perdre l'équilibre en arrière.
Titubant de nouveau, l'Argonien profita néanmoins de son propre déséquilibre pour pivoter sur son pied d'appui et me coller un coup de pied retourné que j'encaissai en pleine tête.
Complètement assommée par l'impact, je me sentis finalement perdre pieds, et tomber à la reverse alors que ma vue se troublait inexorablement. J'eus néanmoins l'ultime réflexe d'arracher la dague restée dans mon flanc, et de la lancer en direction de l'Argonien alors même que celui-ci chargeait de nouveau.
Impossible de dire si j'avais fait mouche, car mes oreilles bourdonnaient avec une telle intensité que j'étais désormais tout bonnement incapable de distinguer quoi que ce soit, et ce n'était pas ce voile noir devant les yeux qui arrangerait les choses...
-SEDRIS ! Hurla la voix paniquée de Marilia, qui semblait déjà tellement lointaine.
Pourtant, je l'entendais toujours...Pourquoi n'étais-je pas encore morte ? Mon adversaire hésitait-il à me porter le coup fatal ? Ou bien avais-je réussi à le toucher avec sa propre dague dans cet ultime geste de survie ?
Comment savoir...
Luttant désespérément contre les abysses qui m'entrainaient déjà avec une avidité sans cesse grandissante, je rouvris non sans difficulté mon seul oeil encore valide, pour finalement apercevoir ma soeur penchée sur moi, le visage ruisselant de larmes.
-Sedris reste avec moi ! Sanglota Marilia d'un air complètement abattu tout en m'enroulant dans ses bras.
Mais à quoi bon lutter...
Je sentais déjà les bas fonds m'appeler, alors que tout devenait de plus en plus noir et silencieux...
Finalement, après quelques secondes d'une ultime bataille intérieure, je me sentis peu à peu sombrer, jusqu'à dériver complètement vers d'étranges rêves...
