Le 22 juillet 2015 à 12:36:49 -Assurance- a écrit :
American Sniper a suscité des réactions assez variées à sa sortie avec des polémiques qui me paraissent totalement disproportionnées. Parfois taxé de pro-américanisme, le film m’a paru au contraire très nuancé sur ce portrait du sniper le plus efficace de l’Histoire. La biographie de cet homme est traitée de façon suffisamment complète pour comprendre ses idéaux et ses motivations. Eastwood se pose plus en observateur qu’en juge, ce qui est tout à son honneur. Et American Sniper illustre très bien, mine de rien, le malaise sociétal américain. Le jeune Chris Kyle a grandi dans l’adoration des armes et dans des certitudes incontestables. Celles du devoir patriotique, de la protection de sa famille et de son pays bien que tout ça soit fondé sur la vision paternelle du Monde totalement simpliste. La vie de jeune adulte de Kyle a aussi basculé durant les attaques du WTC, motivant ses besoins (plus que ses envies) à défendre son pays face à cette nouvelle menace. On sent que cet homme a finalement été parfaitement conditionné à décider de partir en guerre de son plein gré, qu’il n’agit que par sentiment du devoir et qu’il a été « fabriqué » en quelque sorte pour ça.D’un sens, je ne trouve pas plus mal qu’Eastwood se soit détaché d’un quelconque propos antimilitariste qui aurait pu prendre le risque de faire doublon par rapport à ce qui a pu être déjà réalisé sur ce sujet. Le propos du film s’axe plus sur l’héroïsme et la volonté absolue de la société américaine de s’attacher à un héros. Ici l’Amérique idolâtre son héros mais ce dernier n’a jamais voulu de cette étiquette, il tuait car on lui a dit de le faire, car il fallait protéger son prochain. En ce sens la scène où il rencontre le vétéran amputé en est la parfaite illustration. Ce dernier admire Chris Kyle, le complimente, mais celui-ci reste totalement de marbre, stoïque, visiblement gêné. C’est le signe de l’obsession de l’héroïsme de cette société étasunienne qui prête parfois des intentions ou des actes aux héros sans que cela soit voulu voire sans que cela soit vrai.
Le cinéma hollywoodien est d’ailleurs un parfait indicateur de la perception qu’a l’Amérique de ses personnages emblématiques. Prenons l’exemple du général Custer. Dans They Died with Their Boots On de Raoul Walsh, Custer est un héros plein de valeurs. Nous sommes en 1941, la Seconde Guerre Mondiale bat son plein et les USA sont proches de basculer dans le conflit. L’Amérique a besoin de héros. Dans Little Big Man, Custer est carnavalesque, infâme. Nous sommes en 1971, la crise contestataire visant le conflit vietnamien bat son plein. L’Amérique rejette ses « héros ». Et aujourd’hui le pays a traversé de multiples crises. Le WTC, l’Afghanistan, l’Irak, la menace de l’Etat islamique de plus en plus pesante… On peut considérer American Sniper comme un thermomètre sociétal de la situation américaine actuelle. Et les conflits dans lesquels se sont engagés les USA sont les parfaites « vitrines » de cette situation. Je ferme la parenthèse.
On a donc un personnage ni tout blanc ni tout noir qui cherche des justifications à ses actes, à l’image de ses compatriotes. Et cette quête le torture malgré la manière avec laquelle il a été conditionné durant sa jeunesse, il a besoin d’un sens qu’il ne trouve pas ou plus. Ce type perd progressivement ses repères sociaux et familiaux. Il s’enfonce dans une certaine solitude vis-à-vis de sa société qui elle-même marche aussi sur la tête. En ça, American Sniper est un film qui propose une vision désabusée sur ce qu’est devenu l’Amérique qu’a toujours connu le réalisateur. Pour autant, ce n’est en aucun cas un dossier à charge. Eastwood aime son pays de tout son cœur, ce pays qui lui a donné sa chance. Mais le devenir de celui-ci lui fait peur. C’est aussi ça la force du film, de se concentrer sur Chris Kyle et de ne pas s’en écarter, de manière à capter tout ce qui ne tourne pas rond sur les problématiques liées à son personnage.
Sinon pour aborder d’autres aspects du film, Eastwood montre qu’il en a encore dans le bide après quelques films anodins et nous offre une mise en scène efficace. Les scènes d’action sont propres, quelques séquences tendues sont furieusement prenantes. C’est d’ailleurs dommage que le film n’offre pas plus d’instants dans l’esprit de la scène d’ouverture, sur une unité de temps réel bien définie. Il y avait matière à procurer de belles suées au spectateur. On parle tout de même du sniper le plus efficace de toute l’histoire américaine et j’imagine qu’il a dû en vivre des instants de grande tension.
Sinon quelques aspects auraient mérité peut-être plus de soin, je pense à la narration éclatée qui pousse à perdre parfois en rythme ou encore au traitement de l’ennemi. Si le duel avec le sniper syrien est excellent, je trouve dommage que la population irakienne soit autant mise au second plan. Toutefois, cela permet aussi de ne pas s’attarder outre mesure sur d’autres aspects peut-être moins intéressants du conflit et surtout de son background. On va dire qu’hormis un fond très intéressant, l’écriture n’est parfois pas très subtile et le film est aussi un chouïa trop long. Enfin dans l’ensemble, on assiste quand même à du bon cinéma réfléchi et efficace malgré ses quelques défauts. Histoire d’insister encore, on ne retrouve aucune propagande dans ce récit qui ne s’éloigne jamais de sa logique de nuance et de neutralité malgré la vision romancée de la vie de Kyle. Et ce n’est pas plus mal d’avoir un point de vue aussi neutre de temps à autre. Un Clint de qualité, ça fait du bien.
Pour ma réponse sur "le film raconte bien plus que cela"
+ celle de mon compère que je t'invite à consulter également: http://thelastpictureshow.over-blog.com/2015/03/american-sniper.html