Episode 4.
Vautré dans son fauteuil tournant en cuir usé, les pieds croisés sur le coin de son bureau, les yeux lançant des éclairs de convoitise, Persée Bogart feuilletait un Playboy.
Il déplia le poster trois volets de miss mai, une rousse incendiaire en pom-pom girl, l´uniforme déboutonné révélant une paire de lolos pulpeux, la jupette blanche plissée relevée sur une chute de reins vertigineuse et une petite culotte fantaisie tirebouchonnée.
Une certaine Fuchsia Love.
— Y a pas à dire, qu´il gargouilla, la petite est drôlement bien balancée. Y´a rien à jeter. Un morceau de choix. De la qualité supérieure. Je jouerais bien les bodyguards rapprochés.
Un poster de Clint Eastwood en inspecteur Harry trônait sur le mur au-dessus du bureau.
Le téléphone sonna.
Il décrocha et récita :
— Bogart, détective privé, là où les autres trépassent, je passe et je me surpasse… Oui ?… Votre fille ?… Oui ?… A Las Vegas ?… OK, je suis chez vous dans une heure… Raymond Volfini, 145 slaughter street, Pleasantville…
Il nota l´adresse sur un bout de papier, raccrocha, se versa une double dose de Jack Daniel´s et l´avala d´un trait.
— Mon vieux Persée, les affaires reprennent.
Il ouvrit un tiroir, sortit son Magnum 44 dans son holster et le fixa sous son bras gauche avec une lanière.
Puis il se versa une autre dose de Jack Dany, et reluqua soutenu miss mois de mai en chantonnant :
— Hein qu´elle aimerait faire joujou avec tonton Persée, la vilaine petite fille ? Elle a pas été sage ! Va falloir la punir !
Il se leva, se campa dehors sur le balcon, au 15e étage, dominant Nashstone, à dix bornes de Pleasantville.
Dégaina son Magnum 44, pointa le canon de 25 centimètres droit devant lui. Envoya :
— I am the king ! The best of the best ! Tu me cherches, tu me trouves !
L´index un peu trop nerveux. La détente ultra sensible.
La bastos fusa dans l´ozone dans une détonation brève et sourde.
— Merde ! s´exclama Persée. Putin, des fois je déconne trop !
En face, à deux cent mètres, sur un balcon, Poupi, un teckel qui turbinait en levrette un nounours en peluche, poussa un cri de douleur.
Persée fila se planquer à l´intérieur.
Mamie arrêta de nettoyer un colt sur la table de la salle à manger et prêta l´oreille.
Ses yeux brillèrent sauvages derrière ses petites lunettes rondes cerclées de fer.
La détonation, le cri de Poupi.
Elle se précipita sur le balcon.
Le teckel se léchait le postérieur encore fumant.
Un cran d´arrêt sorti de son tablier, elle retira la balle du mur et l´examina. Souffla :
— Balle à tête vrillée venant d´un Magnum 44.
Elle regarda en face, calcula sa trajectoire, repéra approximatif l´étage d´où elle avait été tirée.
— Alors comme ça on veut tuer mon petit Poupi.
Elle le rentra, fila dans la chambre, ouvrit l´armoire, fit basculer le double fond.
Reluqua le M16, le fusil à pompe à canon scié, la collection de flingues dont un Python 456 à balles explosives, les pains de C4, les détonateurs, les mini grenades, les boites de munitions, la série de couteaux Rambo à lames dentelées. S´empara du fusil à lunette. Se posta à la fenêtre du salon. Mata dans le viseur. Repéra à travers une baie vitrée Persée qui sifflait un verre. Le Magnum fourré dans le holster sous son bras levé.
Le détective enfila une veste et quitta la pièce.
— Toi mon coco, tu perds rien pour attendre.
Elle fila à la cuisine, ouvrit le buffet, prit une bouteille de gnole verte à côté de pots de confitures et de bocaux remplis de fruits alcoolisés et de crapauds visqueux.
Se versa un verre, l´avala d´un coup, loucha la vipère qui semblait la fixer dans le liquide avec ses yeux triangulaires.
— Un petit remontant avant l´opération Mama Dalton contre-attaque. C´est reparti comme au bon vieux temps.
Mamie, connue sous le pseudo de Betty Bond pendant la guerre froide, ex agent de la CIA à la retraite, spécialisée dans les missions d´infiltrations, a contribué à la chute de Nixon avec le Watergate, envoyée à mission à Cuba pour espionner Fidel Castro, un séjour d´entraînement dans un camp de mercenaires au Moyen-Orient, a participé au coup d´état contre Amin Dada en Afrique.
Le temps de scotcher un pansement sur le cucu de Poupi, d´envoyer valdinguer son tablier sur une chaise, d´enfiler un futal treillis, un blouson en cuir clouté avec le logo sanglant des Hell´s Angelettes dans le dos (deux soutifs en croix sous un crâne), de lacer des rangeos à bouts ferrés, de coincer le colt devant dans la ceinture à large boucle Harley-Davidson, un couteau de commando à lame cinq centimètres dans la rangeo droite, de plaquer un bandana rouge autour du front.
Elle embarqua Poupi dans ses bras.
Descente en ascenseur au parking souterrain.
— Ben alors, madame Mortimer, lança le concierge, qui rentrait les poubelles à roulettes, un petit parcours d´entraînement dans la forêt ?
— Oui, Emile, un peu de mouvement pour me dérouiller les articulations.
— Y´a pas à dire, le sport, y´a rien de mieux pour se faire une santé.
— Comme vous dites, Emile, répondit Mamie en caressant la crosse de son colt.
Avant de monter dans sa Pontiac noire modèle corbillard.
"Love bomb baby" balancé en chœur par les Tigertailz carbura costaud sur la sono.
Jo pissait contre le cactus quand un cri de fille le fit sursauter.
Il se retourna et vit passer une Cad fraise Candy avec une blonde de rêve en robe rouge. Il reconnut Finefleur, la fille des Volfini.
Le temps de reboutonner son fute, il monta le talus, voulut ouvrir la portière de sa Ford, un molosse surgi de nulle part lui sauta dessus et le renversa.
Le clebs le fixa, lécha ses babines, grogna, leva la patte, pissa contre la Ford, et se barra, les pattes claquant au derche.
— Merde ! bredouilla Jo en s´épongeant le front avec le revers de sa manche. C´est quoi, ça ?
Il se releva. S´appuya contre la bagnole. Un vertige le plaqua presque sur le capot.
— Salut Jo, dit une voix féminine sensuelle.
Il se redressa.
Finefleur était devant lui. Irréelle. Ses longs cheveux bonds étincelant sous les rayons du soleil. Ses yeux saphir brillant de désir. Le gloss rouge nacré de sa bouche invitant aux baisers les plus troublants. Sa silhouette de nymphe sublime promettant les étreintes les plus torrides.
— Je vais à Las Vegas, si ça te tente.
Elle braqua soudain un Derringer sur lui. Afficha un sourire candide. Sadique. Appuya deux fois sur la détente.
Jo se réveilla en sursaut, le corps trempé de sueur, l´impact des balles encore imprimé dans sa poitrine.
— Bordel, pourtant je la croisais de temps à autre, j´ai jamais vraiment braqué dessus. Et là je sens que suis accro comme c´est pas permis. Qu´est-ce qui m´arrive ?
Assis sur le canapé en tissu fleuri à côté de Gertrude, Persée découvrait Finefleur dans l´album photo familial. Une pulsion d´intérêt s´alluma dans ses prunelles.
— Là c´est quand elle a raté son diplôme de coiffeuse, mais madame Kravitz l´a quand même prise dans son salon, parce qu´elle présente bien. Ce jour-là, quand elle est rentrée, Raymond lui a donné le ceinturon. Vous comprenez, après tous les sacrifices qu´on avait faits, rater son diplôme, parce qu´elle savait plus le nom des shampooings, ce sont des choses qui se font pas.
— Evidemment, approuva Persée pour la forme.
Gertrude tourna la page.
Un électrochoc parcourut le corps du détective en tombant sur une photo.
— Et là, c´est Finefleur avec sa meilleure amie, Fuchsia. Une belle garce ! Si vous la voyiez comment elle s´habille, que Raymond a eu un malaise une fois, quand elle est venue ici. Un short en jeans moulant, qu´on lui voyait la moitié des fesses. On a dû appeler le docteur. Maintenant il doit prendre des pilules pour son cœur.
Assis dans un fauteuil en face, Raymond serra le poing et cracha :
— Si c´était ma fille, je la dresserais.
La veine de son front se gonfla et palpita. Un tremblement furtif agita sa braguette.
— Raymond, s´exclama Gertrude, le docteur a dit pas d´émotion. Tu vas de nouveau te faire du mal.
— Vous pourriez me donner l´adresse de cette Fuchsia ? demanda Persée. J´aimerais bien l´interroger.
Jo déboula dans le bureau et toisa Jimi Buke, son adjoint, qui campait devant la machine à café. S´empara d´un fusil à pompe dans le râtelier. D´une boite de munitions dans le tiroir.
— Une intervention ? demanda Jim. Enfin un peu d´action. Je commençais à rouiller.
— Toi tu restes ici. Tu surveilles le bureau. Je serai de retour dans deux-trois jours.
— Vous partez en expédition chasser le yeti ?
— Oui, et un sacré beau yeti.
Une tasse de café à la main, Jimi regarda le shérif Jo Mac Ready sortir speed du bureau. Il hocha la tête. Se gratta les burnes. Gargouilla :
— Y´a anguille sous roche. A mon avis il part courir la gueuse, que ça m´étonnerait pas.
Jo démarra en trombe et fila direct chez Raymond Volfini.
A suivre.