Le Vautour Noir (partie 3) :
Les Assassins attendirent encore longtemps. Plusieurs heures. Quelques touaregs étaient allé dormir au fond de la salle alors que d’autres continuaient à monter la garde. Seuls trois hommes jouaient encore aux cartes.
Le chef touareg était assis en tailleurs à trois mètres des deux Assassins. Il fixait l’entrée de la grotte en silence.
Leeve, suivant un conseil de Lucien, avait tenté de s’endormir pour reprendre des forces et passer le temps mais en vain. Lucien, lui, regardait le plafond avec un air calme. Bien malin aurait été celui qui aurait deviné à quoi il pensait.
Puis, au milieu de la nuit, un touareg, qui devait guetter l’arrivée du mystérieux « il » depuis l’entrée de la grotte, arriva en courant dans la salle. Il lança quelque chose au chef. Sa voix réveilla tous les touaregs endormis.
Le chef se leva, imité par ses hommes. Ceux-ci se placèrent de chaque côté de la salle, formant une sorte de haie d’honneur, alors que le chef se plaçait à côté des deux Assassins, quasiment au garde-à-vous.
Leeve remarqua que les mains de l’homme tremblaient.
L’ambiance était devenue lourde et oppressante. Lucien avait cessé de fixer le plafond pour reporter son attention vers l’entrée de la caverne.
Un silence effrayant régna dans la salle pendant quelques secondes avant qu’un mugissement de chameau ne retentisse dehors. Le bruit caractéristique de pas dans le sable se fit entendre.
Une silhouette se dessina dans l’entrée. C’était un homme.
Il s’avança lentement. Leeve vit l’expression de Lucien changer. De grave, il était passé à étonné, puis à stupéfait et enfin à enragé.
L’homme se dévoila enfin à la lumière du feu.
Il était grand et mince, vêtu de la même façon qu’un Assassin à la différence que sa tunique était entièrement noire et qu’une cape flottait dans son dos. Sa capuche relevée ne permettait de voir que sa bouche et son menton, terminé par une courte barbiche.
Il eut un sourire macabre.
Le chef touareg s’approcha de lui et posa un genou à terre avant de lui dire quelque chose dans sa langue en montrant les deux Assassins. L’homme hocha la tête.
Lucien se débattit en tentant de déchirer ses liens.
-Sale chien ! Tu es venu pour le fragment ?! Ou pour Leeve ?! Shan ne t’as pas suffit ?!
L’homme leva la main d’un geste apaisant qui contrastait avec son sourire moqueur.
-Du calme. Bien que Leeve m’intéresse, je suis ici principalement pour le fragment d’Eden.
-Tu n’obtiendras aucune information !
Leeve tournait la tête et son regard passait de Lucien à l’homme en noir, puis de l’homme en noir à Lucien. Visiblement, ils se connaissaient et ne se portaient pas dans leurs cœurs.
-Lucien, fit Leeve, qui est cet homme ?
Lucien cracha par terre.
-L’As de Pique !
L’As de Pique ? Oui, Leeve en avait déjà entendu parler. Aucun Assassin ne pouvait ignorer ce nom. Ou plutôt ce surnom. Un tueur au service des Templiers spécialisé dans l’élimination des Assassins. Impitoyable.
Il avait parmi ses victimes d’illustres Assassins, des mentors même. On disait que sa puissance était surnaturelle, qu’il était impossible de le vaincre. Si l’on était sa cible, rien ne pouvait nous sauver. Leeve n’y croyait pas beaucoup mais maintenant qu’il l’avait en face de lui, il comprenait d’où venait sa réputation.
Il dégageait une aura sauvage, celle d’un prédateur.
-Que me veut-il ? demanda Leeve. Pourquoi est-ce que je l’intéresserais ?
-Tu n’as pas besoin de le savoir.
Lucien fixa l’As de Pique.
-Les tueurs à Alexandrie, ils étaient à ta botte ?
-Oui, répondit l’As de Pique. Je les ai payés. De toute façon, ils étaient minables.
-Et les touaregs sont à ta botte ?!
-Oui, tous.
Lucien écarquilla les yeux. Leeve aussi.
-Ca veut dire que…
-Ce cher Aynouk El Majaab aussi, fit l’As de Pique. C’est d’ailleurs lui qui m’a révélé votre destination. Sans ça, mes hommes n’auraient jamais pu vous attraper.
-Mais…
-Il est amusant de voir comment réagissent certaines personnes quand on leur promet de l’argent. Certains seraient prêt à n’importe quoi, même à trahir des amis de toujours. Ce pauvre Egyptien en a fait les frais. Comment se nommait-il déjà… Hum…
-Moran, fit Lucien les dents serrées. Il s’appelait Moran. Et il y avait plus d’honneur dans un seul de ses doigts que dans toi tout entier.
L’As de Pique ricana.
-C’est possible. Après tout, l’honneur m’attire peu. L’argent aussi. Mais toi tu connais mes motivations, je n’ai pas besoin de te les rappeler.
-Espèce de chien… Tu es venu ici pour rien. Tu n’obtiendras rien je t’ai dit !
-De toi peut-être, mais de lui…
L’As de Pique s’approcha de Leeve. Il l’attrapa par la gorge et le souleva carrément au-dessus du sol, d’une seule main. Sa force était étonnante.
Le poing de l’As de Pique s’enfonça dans ses côtes.
Leeve ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Ce coup n’avait rien à voir avec celui du chef touareg. L’Assassin avait l’impression qu’une masse d’acier avait percuté son ventre. Il entendit le craquement sinistre de ses côtes qui cédaient.
La douleur survint une seconde après et étouffa Leeve, l’empêchant de crier.
L’As de Pique le lâcha et l’Indien s’écrasa au sol, plié en deux, toussant et crachant du sang. Le pied du Templier se posa sur sa nuque.
-Tu veux qu’on parie sur le nombre de coup qu’il supportera avant de parler ? demanda l’As de Pique à Lucien.
Lucien détourna les yeux.
Leeve sentit la main de l’As le soulever par l’épaule et le redresser légèrement. Un uppercut dans la mâchoire le projeta contre le mur de la caverne. Du sang gicla.
Leeve, sonné, vit le monde tourner tout autour de lui. Lucien était devenu flou. L’As de Pique aussi. Un crochet à la tempe le cloua de nouveau au sol avec une puissance incroyable. Leeve ferma les yeux et serra les dents en essayant d’oublier la douleur.
A tous les coups, sa pommette était brisée. Sa mâchoire aussi, peut-être. Le sang lui dégoulinait sur le cou et la poitrine.
Une voix lui parvint à travers le brouillard de son cerveau.
-Alors Lucien ? Toujours pas envie de parler ? Tu sais, moi je suis endurant.
Un pied alla exploser une énième côte à Leeve, lui faisant vomir du sang. Il roula au sol et resta plié en deux, tordu de douleur. Il toussa et frappa le sol avec son poing.
« Je dois tenir… Pitié, faites que je tienne… »
-Eh bien, on atteint ses limites Leeve Hawker ? fit l’As de Pique avec une expression de dédain. Shan m’avait donné plus de mal, lui.
Leeve ouvrit les yeux.
-Shan ? gémit-il faiblement.
-Oui, ton père. Oh pardon, tu l’ignorais ? Eh bien en fait c’est moi qui l’ai tué. J’aurais bien aimé te l’annoncer avec plus de tact mais je n’en ai pas le temps.
Leeve serra les dents. Il se redressa sur un coude et fixa l’As de Pique.
-Que mon père ait été tué, je m’en contrefous. Mais ma mère l’aimait…
-Elle l’aimait ? Elle est morte ? Toutes mes condoléances.
L’As de Pique asséna un coup de pied puissant dans la poitrine de Leeve, lui arrachant un cri. L’Indien gémit avant de fixer de nouveau le Templier.
Il remarqua alors que ses poignets n’étaient plus liés. En effet, le chef touareg, quand l’attention de l’Assassin était portée sur l’As de Pique, avait tranché ses liens. Pour que l’As de Pique puisse le frapper comme il le souhaitait bien sûr.
Mais cette information donna de l’espoir à Leeve. Il n’était plus attaché !
Son espoir disparut quand il tenta de se relever. Son corps ne répondit pas. Tordu de douleur, les membres engourdis, les côtes brisées et le visage en sang, il n’arrivait pas à bouger. Même pas un seul doigt.
Comme si toutes ses forces avaient disparues.
L’As de Pique s’agenouilla près de Leeve et se pencha vers lui.
-Et bien ? Ton regard a changé quand j’ai évoqué ta mère. Tu l’aimais hein ? Et tu aimes ton village ?
« Pourquoi il me parle de ça ? pensa Leeve, les dents serrées. »
-Il se trouve à la frontière du Canada n’est-ce pas ? Et les maisons sont faites en bois, si je ne m’abuse ?
« Et alors ? Où tu veux en venir espèce d’enfoiré ?! »
L’As de Pique se redressa et fixa Leeve d’un regard sombre.
-Le bois ça brûle bien.
Leeve écarquilla les yeux. Il ouvrit la bouche et lâcha un cri de rage.
-Si tes hommes approchent de mon village… !!!
-C’est déjà fait.
L’information prit plusieurs secondes avant d’arriver au cerveau de Leeve. Et quand elle y arriva, il ressentit tellement d’émotions en même temps qu’il crut s’évanouir. Rage, peur, tristesse, souffrance.
Lucien baissa les yeux en serrant les dents.
-Enfoiré, lâcha-t-il. Tu avais besoin de lui dire ça ?
L’As de Pique sourit.
-La torture psychologique est parfois plus efficace que la torture physique.
Leeve n’écoutait plus. Il était anéantit. Complètement anéantit. Tellement anéantit qu’il ne sentit même pas le pied de l’As de Pique percuter ses côtes. Il n’entendait plus rien. Les lèvres de Lucien et de l’As bougeaient sans qu’aucun son n’en sorte.
Les coups ne faisaient plus de bruit.
Leeve ne sut jamais comment il était parvenu à se relever et à projeter son poing dans le visage de l’As de Pique.