Plus Forte que l'Epée
C’était un chasseur, ma foi, très ordinaire qui nettoyait son fusil avec amour. Sa femme n’aimait pas trop qu’il s’adonne à cette activité, à ce sport comme il l’appelait. Sans doute pour la provoquer. Il était à peine midi. Il allait rejoindre ses congénères en quête de quelque volatile à se mettre sous la dent pour le déjeuner. Rien d’exceptionnel.
Il avait laissé la réparation du toit inachevée, trop désireux de traquer le gibier. Le marteau de couvreur était là, abandonné, tel un jouet sans valeur accompagné d’une série de tuiles neuves. Sa femme observa l’ouvrage. Il était doué avec des outils. Elle aurait tellement préféré qu’il exploite ce savoir-faire plutôt que l’autre.
C’était une perdrix, ma foi, très ordinaire, qui traversait le ciel au-dessus de la campagne. Il était à peine midi. Le ventre plein, elle regagnait la forêt en quête de ses congénères. Rien d’exceptionnel. Lorsque la balle l’atteignit de plein fouet, une plume se détacha de son corps et virevolta au gré du vent telle une âme égarée. Lorsque la perdrix s’abattit sur le sol, elle était déjà morte. Le chasseur exulta. Il ne rentrerait pas bredouille chez lui.
Sa femme cuisina l’oiseau comme elle savait si bien le faire. Son époux avait invité ses amis chasseurs pour le repas et ils étaient tous réunis autour de la table sur la terrasse baignée de soleil, se congratulant de leurs exploits respectifs, riant et buvant à qui mieux mieux.
La plume de la perdrix, elle, continuait son périple, l’air de rien si l’on peut dire. Il se trouve que les courants aériens l’amenaient justement vers la maison du chasseur, comme pour pointer d’un doigt accusateur son acte récent.
Lorsque la perdrix lui fut servie, le chasseur se frotta les mains avec satisfaction et commença à manger. Il laissa rapidement les couverts de côté pour mordre à pleines dents dans la chair tendre.
La plume parvint au-dessus de la terrasse. Il semblait qu’elle se dirigeait délibérément vers le marteau de couvreur abandonné et la pile de tuiles attendant sagement d’être posées.
Au dernier moment, comme pour éviter une tragédie, une brusque rafale changea sa direction et elle retomba lentement vers la table.
Le chasseur ne mit pas longtemps pour achever la perdrix. Il suça ses doigts sans même prendre la peine de remercier sa femme pour ses talents de cuisinière.
En guise de gratitude, il éructa bruyamment. Ce qui scella en fait son destin. Le flux d’air provoqué par le rôt repoussa la plume, lui faisant rencontrer un autre courant. Elle revint finalement vers sa première destination. C’était une plume, ma foi, très ordinaire. Elle était gracieuse, fragile et ne pesait presque rien. Bien innocente, en somme. Rien d’exceptionnel. Mais lorsqu’elle se posa sur la pile de tuiles posées de guingois, elle en rompit aussitôt l’équilibre. En cascadant sur le toit, elles entraînèrent la chute du marteau. Sa pointe s’enfonça mortellement dans le crâne du chasseur qui aspergea son assiette de son sang.
C’était une journée, ma foi, très ordinaire. Il faisait beau. Les perdrix chantaient la vie au-dessus de la forêt. Rien d’exceptionnel.