Bon, allez hop, je ne dis pas que j'en ferai d'autres mais j'avais aussi envie de faire ma petite tambouille aujourd'hui 
¤ Thème : obscurité.
Lumière. Ombre. Ombre, lumière, ombre, lumière. Lumière, ombre.
Assis sur le seul banc de la station, j'attendais sur le quai, ni pressé, ni patient. Minuit trente deux à ma montre, c'était ma seule opportunité de quitter cette région. Je n'avais plus rien à y faire.
Mes yeux ne pouvaient ignorer ce lampadaire inconstant. Plusieurs fois, je détournai le regard, et plus encore, j'y revenais. Il n'éclairait qu'une petite bâtisse vide, fermée, derrière moi. Le contraste qu'il ne cessait de provoquer m'empêcher de voir plus loin que ce qu'il voulait bien me montrer dans les environs. Une nuit sans lune, sans doute un ciel couvert de nuages ... une brise me refroidit, je serrai mes bras contre moi, en essayant de trouver une position confortable.
Au loin, un souffle dans l'air. En tendant l'oreille, par delà le vent, je perçus le bruit d'une locomotive. J'ai bien fait de me préparer tôt, de l'avance sur une correspondance aussi rare ... l'heure tardive et l'hospitalité du lieu n'aurait sans doute pas pousser le conducteur à attendre un quelconque passager.
Je regardai la valise que j'avais posé à côté de moi, brune, simple, en place, puis droit devant moi, dans l'obscurité. Le grésillement électrique me rappela à l'ordre. Ce lampadaire.
Il s'éteignit un instant, laissant le filament incandescent, sans aucun son. Pas d'autre son ? Le vent s'était arrêté, aucun train ne paraissait approcher. La torpeur environnante me pétrifia. Mes pupilles commençaient à s'adapter à cette pause exceptionnellement longue, mes oreilles aussi. Un bruit sourd, partant du néant, m'emplit les oreilles progressivement, comme une vibration des rails de plus en plus forte. Des formes apparaissaient ...
Le grésillement repris, le vent également, ruinant mon effort de concentration. Lumière, Ombre. Lumière, ombre, lumière. Je pris une grande respiration, et souris intérieurement. Toujours était-il, je pensais avoir entendu ce train. Je fis mine de prendre un air étonné, avant de réaliser que personne n'était là pour en profiter. Bien, réchauffons nous un peu. Je me levai, jetai un oeil à ma valise, puis marchai jusqu'au bout du petit quai. Je m'arrêtai au niveau de la limite bétonnée, donnant sur une terre poussiéreuse jonchée de mauvaises herbes. Je pris mes lunettes, les essuya d'un coin de ma veste. Toujours pas de train. Au moment de les replacer sur mon visage, j'entendis un éclat de verre brisé. La surprise me les fit lacher. Au moment où je les entendis toucher terre, le grésillement et la lumière cessèrent.
La même pause que tout à l'heure. Je tremblai. Je n'arrivai pas à respirer efficacement. Encore une fois, cette pause était trop longue. Je me ressaisis, entrepris de les retrouver en me baissant. A tâtons, je compris que l'objet n'était pas sur le quai, mais en contrebas. Je ne pus contenir une nouvelle respiration particulièrement ample. J'essayai de mettre un pied sur la terre ... avant de la toucher, un mauvais pressentiment me fit basculer en arrière. Une sensation de vide.
Soudain, un sifflet retentit. La locomotive. Le bruit des rails se manifesta. La lueur reprit, je voyai flou. Le bruit de la vapeur se fit très clair. Elle entrait en gare, le crissement des freins signalaient son arrêt imminent. Je me relevai rapidement, sautai sur la terre que je distinguai maintenant légèrement, puis cherchai mes lunettes, que je récupérai enfin.
"Attendez !" Je lançai cet appel sans avoir de réponse. Tant pis, il fallait que je me dépêche avant de le rater. Après avoir rejoint le banc à pas rapides, je m'arrêtai net. Ma valise avait disparu. Un soupçon de colère m'envahit, des regrets de l'avoir perdu, des remords de ne pas l'avoir prise avec moi. Puis je réalisai que j'étais perdu au milieu de nulle part, et que l'obscurité ambiante cachait quelque chose qu'il fallait mieux que j'évite. Après une brève hésitation, je montai dans le premier wagon.
Personne n'y était. Le lent bruit du fonctionnement du moteur tranchait avec cette absence de vie. Je me tournai vers la cabine du chauffeur. La petite vitre était toute noire, comme pleine de suie. Je tendis la main, marchai lentement en sa direction, puis je tournai la poignée. Impossible d'ouvrir.
Je réfléchis vite. J'aurai pu appeler une seconde fois, mais là encore, un pressentiment m'en empêcha. Je ne devais pas quitter cette région. Le train se mit en marche, subrepticement. Je me penchai à la porte ... il fallait que je saute avant de ne plus pouvoir le faire. Quelques dizaines de mètres avaient été parcourus, je sautai alors, roulant sur le sol, me protégeant tant bien que mal. Le temps que je me relève, le train était déjà hors de portée, parti dans l'obscurité. Je regardai derrière moi, vers le lampadaire que j'avais quitté il y a quelques instants. Sa lumière se mit à s'intensifier de sorte à m'aveugler presque. Je dus mettre mon bras devant les yeux. A cet instant, un coup de poignard me transperça le dos, une douleur que je n'avais jamais ressenti. Une sensation glacée m'envahit, puis chaude. J'eu l'impression de perdre connaissance.
Dans un murmure, alors que la lumière s'éteignit de nouveau, je laissai échapper un dernier "Non ...".
Je me réveillai, en plein jour, sur la route qui me menait à la gare. Cette fois, je pris du temps à m'adapter au soleil. Au volant de ma Cadillac, je constatai que mon capot était éventré contre un poteau électrique. Je saignai. Mes lunettes étaient cassées. J'entendis les cris d'un nouveau né. Je défonçai ma portière à coups de pied, sortis chancelant et atteignis une autre voiture. Bien que ma vision fut mauvaise, je compris que les deux personnes à l'avant étaient mortes. Je me saisis de l'enfant, et commençai à marcher sur la voie. Je ne devais pas partir.
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