¤¤¤ Sphère de Coprospérité de la Grande Asie Orientale ¤¤¤
Nuages menaçants venus de l’est. Adresse « 1 Chiyuda-Ku » vidée de sa vie, immense pont Nijubashi de même.
Une limousine - Toyota Century Royal 2009 - d’un noir éclatant apparaît, au détour d’un portail aux allures démesurées : tout le monde ne doit pas entrer dans le sacro-saint, invités triés sur le volet.
« __ Amiral, avez-vous déjà rencontré en personne l’Empereur ? », demanda le premier ministre Japonais, Yukio Hatoyama, les jambes croisées et crispées, le dos décollé de la banquette en cuir précieux.
« __ Oui. Je l’ai déjà rencontré. C’est un vieil homme en bout de règne. Aucune grandeur d‘ailleurs, et je me rappelle d’Hirohito… Que notre empereur sacré repose en paix. », répondit froidement l’Amiral.
Conséquence immédiate face à de telles paroles, l’interlocuteur du militaire laissa échapper un cri abominable d’effroi ; sa coupe de champagne se renversa aussitôt sur la banquette, avant de former une énorme et immonde tâche d’alcool sur les mocassins de très grand luxe du premier ministre japonais. L’Amiral ne daigna pas.
« __ Permettez-moi d’être choqué… ! Amiral ! », répondit avec autorité Hatoyama, le poing crispé.
Aucune réponse de l’Amiral.
« __ Vous savez, Amiral, c’est un immense honneur que je vous accorde ! J’exige des excuses, immédiatement !… Des excuses, et vite ! Vous rendez-vous compte des paroles que vous prononcez ?! Hirohito ! Mon dieu, Hirohito ! »
« __ C’était un grand homme, assurément. Monsieur le premier ministre, votre ceinture je vous prie. Nous abordons… l’ultime sentier avant le pont. »
Dehors, les feuilles mortes tombaient encore des arbres et des chênes du palais impérial. L’automne avait tardé, l’hiver, lui, prenait tout son temps.
A l’autre bout, on apercevait le pont fortifié. Le pont Nijubashi. Et au loin, les sommets aux allures râpeuses du Palais Impérial.
Le premier ministre réalisa soudain qu’ils arrivaient. Il dessina un sourire sur ses lèvres, resserra sa cravate, et attacha sa ceinture.
« __ Bien Amiral. Nous en discuterons à mon retour de notre rencontre avec Son Altesse Impériale. J‘attendrais votre lette de démission demain matin à la première heure. », dit-il d’un ton glacial, en claquant ses doigts comme si de rien n’était.
« __ Parfaitement, monsieur le premier ministre. Je me plierai à votre volonté, aussi désastreuse puisse-t-elle être. », répondit l’Amiral d‘une voix tout autant glaciale et froide ; il fixait d’un œil perçant le chauffeur dans le rétroviseur de la limousine.
« __ Silence maintenant ! Ne croyez pas que votre insolence restera longtemps impunie ! Je suis le premier ministre du Japon, vous m‘entendez ?!, et vous, vous n‘êtes qu‘un putain d‘Amiral ! Silence, silence ! », hurla Hatoyama, qui commençait à sérieusement être agacé.
La situation était tendue.
Le chauffeur de la limousine - Toyota Century Royal 2009 - tourna alors à droite. Vers le pont Nijubashi.
Les pneus crissaient sur ses énormes dalles de pierre, que ce soit des sabots du temps de l‘Empire et ses fiers destriers, ou les gros pneus des convois militaires. Le chauffeur ralentissait, et doucement. Très doucement.
« __ Que… Pourquoi s’arrête-t-on ?! », demanda avec insistance Hatoyama, levant la tête pour mieux guider son regard, l’air suspicieux.
Le frein à main avait brutalement été enclenché dans un affreux crissement. La limousine s’était arrêtée, en plein milieu du pont, sous les huit lampadaires en fer forgé du pont Nijubashi, qui les observaient telles de viles chimères.
C’est alors que l’Amiral détacha délicatement sa ceinture, et dit d’une voix pleine de satisfaction au premier ministre japonais :
« __ Monsieur Hatoyama, nous nous reverrons dans un millénaire. Car le Second Empire du Japon sera millénaire. Mes salutations, monsieur Hatoyama, et que Dieu vous garde. »
…Hatoyama était bouché bé.
« __ Amiral Tōgō Heihachirō Sovierika ! ». Trop tard, puisque l’Amiral Sovierika venait de refermer la portière derrière lui, et enfin un ultime sourire funèbre derrière la vitre.
Le premier ministre japonais appuya alors sur la détente de sa ceinture de sécurité. Il ne se passa rien. Même pas un pauvre clic. Elle était bloquée, coincée, scellée.
« __ Mais… Que… AMIRAL ! Que se passe-t-il ? Venez m‘aider ! », hurlait-il, complètement affolé. Le piège s’était renfermé sur lui.
Il se tourna précipitamment vers le chauffeur… Lui aussi avait disparu, d’un coup, comme ça.
Sur le pont, à l’extérieur de la limousine - Toyota Century Royal 2009th -, Togo Heihachiro Sovierika s’avanca avec un calme absolu vers le bord, et admira silencieusement les nénuphars qui se laissent emporter par le courant de la rivière, sous de terribles tornades aquatiques.
Il posa la main droite sur la poigne de son sabre, et la main gauche sur la lame. Il attendait ce jour depuis trop longtemps.
Dans la limousine, Hatoyama gesticulait dans tous les sens, désespérément bloqué sous sa ceinture. Il cognait le plafond, il frappait la banquette et son cuir précieux, il tapait contre les vitres, il hurlait de toute ses forces :
« __ AMIRAL ! Vous savez que ceci constitue un coup d’État ! Reconsidérez votre geste ! C‘est purement inacceptable ! Vous m‘entendez, amiral ?! Je vous ferais paraître devant la cour martiale pour haute trahison… ! ».
Les menaces du premier ministre japonais étaient sottes : les vitres étaient entièrement insonorisées. Et forcément, il ne remarqua pas une un seul instant que deux immenses tanks Type-10 avaient surgis de nulle part, d’entre les arbres, de chaque côté du pont Nijubashi.
Ils pointaient fièrement leur canon, dans lesquels un obus était couvé avec un soin meurtrier.
« __ Amiral Sovierika ! Nous sommes en position, prêt à tirer ! », cria un officier, au garde à vous. C’était un grand jour, et il avait un uniforme impeccable.
« __ Parfait, officier. Vous serez récompensé pour votre bravoure exceptionnelle. En place maintenant, c’est un grand jour pour la nation. »
Tōgō Heihachirō Sovierika se retourna sur lui-même : il savait ce qu‘il avait à faire, et était désormais face au côté droit de la limousine, qui elle-même était située entre les deux énormes tanks Type-10. Le spectacle était à la fois charmant et épouvantable.
Il sorti un d’un seul coup un long sabre de samouraï, scintillant et au glaive éclatant, avant de lever haut, très haut dans les cieux d’un air qui inspirait le triomphe absolu. Puis il dit, d’une voix terriblement féroce :
« __ Feu messieurs ! » : le sabre s’affaissa aussitôt dans un silence macabre, et un bruit sec et assourdissant éclata d’un seul coup.
« __ Pour l’Empire !… Et pour l’Amiral ! », scandèrent d’un seul et même chœur les officiers et généraux japonais, au moment exact où deux obus destructeurs venaient d’être propulsés de part et d’autre du pont.
Le premier ministre japonais Hatoyama retourna alors sa tête vers le pare-brise, espérant que les gardes de l’Empereur chargés de la surveillance du pont s’attèlent à venir le secourir : les gardes étaient bien là, à observer la scène d’un œil impénétrable. Et ils restaient immobiles, telles des gargouilles qui assistaient comme impuissantes au passage des Sarrasins sur Orléans…
« __ Putain d’Amiral… », lâcha-t-il encore d‘un ton mauvais, vaincu sur tous les fronts.
Le premier ministre japonais était désormais à bout de nerf, complètement désespéré, résigné à son sort. Impuissant, tout simplement.
Une fin funèbre, alors qu’un jeune nouveau-né de sept mois siégeait dans le couvent familial, sous l’œil attentif de l’épouse qui prépare le biberon dans une casserole… Le soir même, celle-ci se suicidera avec furie, emportant le pauvre enfant avec elle.
« __ Non… ! AMIRAL, brûlez aux enfers… ! Pour le Japon ! Et pour le peupl… », lâcha-t-il en hurlant de toutes ses forces, alors que le pare-brise de la limousine venait d’être pulvérisé par le premier obus, tandis que le second obus arriva dans l’instant même par le coffre dans un éclat monstrueux de verre et d’acier.
C’était terminé. L’exécution opérée avec succès foudroyant.
Yukio Hatoyama venait d’être déchiré de la colonne vertébrale jusqu’au thorax, en passant par la mœlle épinière.
Du sang rouge flamboyant sur les vitres latérales, puis une immense boule de flamme jaune vif.
L’Amiral Sovierika rangea soigneusement son sabre de samouraï, et c’est en fixant d’un œil mauvais les flammes et les étincelles qui s’échappaient de la carcasse métallique dans une colonne de fumée, qu’il dit d‘un ton qui respirait la mise en garde :
« __ Pour l’Empire. Et pour moi. »
Le garde Yamauchi somnolait dans son mirador fortifié, surmonté d’une sculpture en bronze portant les insignes de la famille impériale japonaise. Voilà une dizaine d’heures qu’il était en service sur cette portion de la muraille ouest…
La nuit tombait à présent, et il avait hâte de rentrer chez lui, comme chaque jour à le même heure.
Mais ce soir, sa femme n’ouvrira jamais la porte avec une tasse de thé à la main. Il ne rentrera pas, tout simplement. « Pour assurer la stabilité du Second Empire. »
« __ Ici garde Hiroshi Yamauchi, bruit suspect en provenance de la foret, secteur sud-ouest… Je vais voir ce qu’il se passe. Gardez le contact. », grogna-t-il dans son talkie-walkie : effectivement, de jeunes pins fragiles semblaient s’écrouler et disparaître à l’horizon, dans un bruit sourd et plein de mécanique. Ils approchaient, les hyènes, les faucheuses.
« __ Il y a quelque cho… ». Il ne termina pas même sa phrase.
En face, un énorme tank type-10 venait de surgir d’entre les arbres tel un bulldozer, prêt à tirer.
« __ Tirez ! », ordonna-t-on d’un ton indifférent à l’intérieur du char.
Immédiatement, l’obus fila vers le mirador à pleine vitesse, et c’en était définitivement terminé pour Garde Yamauchi.
« __ Garde Yamaguchi ! Répondez, bon sang ! Nous venons d’être avertis par les services de sécurité que le palais est attaqué par l’armée ! Ils nous ont trahis, ces chiens ! Garde, répondez !… ! », continuait de cracher tant bien que mal le talkie-walkie à côté d’une main amputée pleine de sang et un fusil tordu en deux.
Partout aux abords du Palais Impérial, une vingtaine de Type-10 forçait le passage : depuis chaque point cardinal, on aperçoit maintenant des colonnes de fumée et de poussière. Nord, Est, Sud, Ouest.
République Fédérale de Somalie 
Royaume de Suède 
CONFIDENTIEL 
Empire Hindouiste des Indes Orientales 
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République Parlementaire du Zimbabwée 
