Moi les météores ça me fait penser à la gravité, ce qui me fait penser à la physique. Pourquoi je dis ça ? Eh bien vous allez vite le savoir
Chapitre 106 : Thermodynamique
« J’imagine déjà les questions qui traversent votre esprit étriqué, lança Zack, comment a-t-il fait ? Normalement, les transmutations nécessitent un contact direct entre le cercle et la matière à manipuler, comment est-il parvenu à geler mon arme pour la briser ? »
L’alchimiste commençait à faire les cent pas autour de son trône, ne jetant des regards à ses adversaires que de temps en temps. Il savait parfaitement qu’après cette démonstration, l’ennemi n’oserait pas l’interrompre avant qu’il n’ait terminé.
« Le problème chez la plupart des non-scientifiques, reprit-il, c’est que lorsqu’on évoque la notion de matière, ils pensent immédiatement à quelque chose de solide. Bien entendu, certains ont un cerveau suffisamment développé pour penser à la notion de liquide, mais en général seuls les savants pensent à associer la matière et les gaz. Pourtant nous baignons en permanence dans un mélange gazeux que nous appelons « air ». Toutefois, personne ne pense que je suis capable d’agir dessus pour la simple et bonne raison qu’on ne le voit pas à l’œil nu car il est incolore. »
Reivac commençait à trouver le comportement de son ancienne recrue particulièrement agaçant. A une époque, il lui arrivait également d’expliquer le fonctionnement de ses méthodes, sachant qu’il n’y avait de toute façon aucun moyen de l’en empêcher, mais jamais il n’en profitait pour rabaisser les autres de la sorte.
« Alors qu’il est constitué d’atomes comme tout le reste ! s’indigna le général de Fléau, 78.08% de diazote, 20.95% de dioxygène, un peu moins de un pourcent d’argon et des traces de douze autres molécules dont quatre oxydes. Bien entendu, ces valeurs varient en fonction de l’altitude, la température ainsi que l’humidité, mais la matière reste présente malgré tout. Et savez-vous l’énorme avantage qu’il y a avec l’air ? »
Zack serra le poing gauche. Le cercle sur son gant s’illumina et une épine de glace se forma à deux mètres au-dessus du sol, puis fonça vers Reivac. Le projectile frôla la joue de l’ex-militaire avant de se briser contre un mur. Le révolutionnaire n’avait pas bougé d’un pouce, décidé à ne pas se laisser impressionner par le jeune demi-elfe.
« C’est qu’il y en a partout, déclara ce dernier avec un regard dément, nous sommes tous en contact permanent avec ces gaz. Tout ce que j’ai à faire, c’est de manipuler les deux éléments qui y sont les plus présents et je peux indirectement créer de la glace. Dans un gaz, les molécules sont sans cesse en mouvement grâce à l’énergie cinétique qu’elles possèdent. Mais si je les fige, elles se mettront alors à absorber la seule énergie qui sera à leur disposition afin de retrouver leur vitesse : la chaleur. La température et l’agitation moléculaire sont deux grandeurs liées : plus il fait chaud, plus les atomes s’agitent et inversement. En paralysant complètement certains éléments d’un gaz, je fais brusquement diminuer la température, pouvant approcher le zéro absolu à quelques millièmes de degrés seulement. Ensuite, l’humidité contenue dans l’air fait le reste en se condensant pour former de la glace.
Et si je ne forme pas le gel directement sur ma cible, il me suffit alors de créer un courant d’air suffisamment fort pour envoyer le projectile dessus. »
Sub serra des dents. La méthode de l’alchimiste était particulièrement bien recherchée, et il l’exécutait avec une facilité déconcertante. Faire payer à cette pourriture ne serait pas une partie de plaisir. Mais malgré cela, la femme n’attendait qu’une chose : que Zack se taise enfin pour qu’enfin le combat commence. Et si elle se lançait à l’assaut maintenant ? Après tout sa technique n’aurait aucun effet sur elle puisqu’elle était immunisée contre le froid…
« Bien entendu, continua le général, je peux également… »
Mais il fut forcé de s’interrompre car Sub s’était enfin décidée à attaquer. Elle escalada les marches quatre à quatre et se prépara à lui enfoncer ses lames glaciales dans le corps. C’était une aubaine pour la femme qui s’était déjà bien rapprochée au moment même où l’alchimiste lui tournait le dos...
Cependant, ce ne fut pas sans compter l’intervention de Zack. Ce dernier se contenta de frapper négligemment le sol avec la lame de son cimeterre… puis ce fut l’explosion ! La femme fut projetée en arrière et roula dans les escaliers pour finir sa chute en bas des marches. Reivac, qui ne pouvait rien faire d’autre qu’observer, remarqua alors un détail troublant : les lames qui couvraient Sub généraient des étincelles à chaque contact avec le sol.
« Les parois sont faites en silex, songea-t-il, mais pourquoi avoir choisi un matériau aussi fragile ? »
« Comme je m’apprêtais à le dire, soupira l’alchimiste pendant que la femme se relevait, je peux également saturer certaines zones de la pièce en oxygène afin qu’elles explosent à la moindre étincelle. Etincelle que je peux provoquer en tapant une paroi avec mon arme. Si je le voulais, je pourrais ainsi faire exploser vos poumons, ou les geler, ça dépend. Mais cela serait bien trop rapide à mon goût et je n’y verrais aucun divertissement. De plus… »
Son regard se posa alors sur Sub, puis il esquissa un sourire.
« Je ne voudrais pas abîmer pareille merveille, ajouta-t-il avec une lueur malsaine dans le regard, du moins pas tout de suite. »
« Je crains de ne pas pouvoir t’aider, annonça Xenora sans même se lever, la chose qui se trouve dans ce caisson m’empêche d’utiliser mes capacités. Je ne pourrai qu’utiliser des sorts novices et ça ne sera pas très efficace sur lui vu l’armure qu’il porte.
- Ne t’en fais pas sœurette, lança Zeratos en dégainant sa dague et son épée longue, ce n’est pas comme s’il pouvait me tuer. Je vais m’amuser un peu avec lui, et si je trouve le temps trop long, alors je détruirai cette momie dans son sarcophage pour que tu puisses abréger ses souffrances.
- Quel dommage, déclara calmement la magicienne en regardant dans le vide, moi qui aurais voulu m’amuser un peu avec notre invité. Pourrai-je toucher son cadavre une fois que j’aurai récupéré mes pouvoirs ? Je suis curieuse de connaître son identité…
- Tu es ici chez toi » répondit l’épéiste.
Le chevalier ne disait mot. Il se contentait d’écouter le dialogue tout en restant sur ses gardes. Il est vrai qu’il n’aurait aucun mal à résister à des sorts peu puissants, mais ce n’était pas forcément le cas du caisson dans lequel se trouvait Psyché. De plus, Zeratos était également un elfe doublé d’un ange, il avait donc une importante panoplie d’attaques à distance à sa disposition. Il pourrait donc très bien l’éloigner durant le combat au corps à corps, puis de lancer un sort sur le caisson une fois qu’il ne serait plus en mesure d’intervenir. Sans compter qu’il n’y avait aucun moyen apparent d’empêcher l’épéiste d’utiliser la magie, même en le transperçant avec une épée.
Survivre n’était donc pas la seule difficulté de ce combat, il fallait aussi pouvoir défendre Psyché à tout moment. Si Zeratos le blessait ou que Xenora se décidait à le faire elle-même, la magicienne retrouverait absolument toutes ses capacités, et ce serait la fin…
Le mort-vivant déploya ses ailes grises et se jeta sur son adversaire, apparemment désarmé. Cependant, les armes de l’elfe furent bloquées avant d’atteindre leur cible. De fins rayons lumineux, émanant de la main droite de l’homme en armure, s’étaient interposés et bloquaient les lames de Zeratos. L’épéiste maintint la pression, essayant de forcer le passage, mais en vain. C’était comme si la lumière faisait office d’arme que le chevalier utilisait pour se défendre. D’ailleurs, après une observation plus attentive, le cadavre constata que les filaments lumineux dessinaient les contours d’une longue épée. Quelle était cette étrange technique ?
Le chevalier recula légèrement sa main gauche et la mit dans une curieuse position, comme s’il tenait une deuxième arme, invisible cette fois-ci. Il fit alors mine de porter un coup d’estoc que Zeratos, devenu brusquement méfiant, esquiva en exécutant un bond en arrière. L’instant d’après, il se félicita d’avoir eu cette présence d’esprit. L’arme transparente au contour lumineux avait totalement disparu de la main droite de l’étranger… et se trouvait désormais dans sa main gauche. Si l’elfe n’avait pas reculé à temps, il aurait probablement été empalé. Cela n’aurait eu probablement aucun effet sur lui, mais il valait mieux ne pas baisser sa garde trop vite, surtout devant une technique aussi originale.
D’après ce qu’il avait observé, le ressuscité conclut qu’il n’y avait qu’une seule arme, mais que l’homme pouvait la matérialiser et la faire disparaître à volonté. Il était ainsi capable de la faire passer d’une main à l’autre en moins d’une fraction de seconde. Comme l’arme ne semblait pas avoir de consistance physique propre, elle devait être impossible à détruire. De même, l’homme en armure serait impossible à désarmer. Même si l’arme lui glissait des mains, à supposer qu’une telle chose soit possible, elle se volatiliserait pour réapparaître immédiatement dans la paume de l’individu.
Tout ceci était sans compter les actions que le chevalier pourrait exécuter grâce à cette méthode. Il avait presque toutes les possibilités de quelqu’un utilisant deux épées sans être encombré par le surplus d’armement. Tout était vraiment bien pensé, il n’y avait aucune faille apparente, à l’exception d’une seule…
« Voilà qui est impressionnant, admit Zeratos, créer une arme avec sa simple maîtrise du mana n’est pas un exploit à la portée de tous. Mais cela doit consommer d’importantes quantités d’énergie, que se passera-t-il une fois que tes réserves seront à sec ?
- Je ne m’inquièterais pas pour une telle chose si j’étais vous, rétorqua tranquillement l’étranger, je suis capable de tenir toute une journée avec cette épée dégainée. C’est bien plus de temps qu’il n’en faut pour accomplir ma mission, ou résister jusqu’à ce que la bombe explose.
- Oui d’ailleurs, où est-elle ? demanda innocemment l’ange.
- Dans le caisson, je l’y ai mise juste avant d’entrer » répondit simplement l’homme à l’armure.
Le mort-vivant ayant un large trou dans la joue, on put le voir grincer des dents. Décidément, l’étranger était vraiment rusé. En plaçant les explosifs aux côtés de Psyché, il s’était assuré que personne n’oserait détruire le sarcophage avec un sort, au risque de détruire la ville toute entière. Le seul moyen de se débarrasser de lui serait donc d’ouvrir le caisson pour lui planter une arme dans le corps. Une telle action prendrait bien trop de temps, et le chevalier pourrait aisément intervenir pour empêcher cela d’arriver. Il faudrait donc neutraliser ce dernier avant de pouvoir s’attaquer à Psyché…
« Je suis navré Xenora, déclara Zeratos, mais il semble que notre invité soit décidé à tout faire pour t’empêcher de t’amuser. Je suis obligé de le réduire en charpie tout seul.
- Je l’avais bien compris, répondit la magicienne sur son habituel ton monotone, je me contenterai donc de profiter du spectacle. »
L’étranger fronça les sourcils en entendant la façon que les deux elfes avaient de parler. Ces derniers tenaient des propos relativement inquiétants avec une légèreté des plus douteuses. D’un côté, il y avait le frère, qui voyait tout ceci comme un jeu, et de l’autre la sœur au regard étrangement fixe, à tel point qu’elle ne paraissait pas avoir totalement conscience de la réalité. Les dirigeants de Fléau étaient-ils tous comme cela ? Le monde se trouvait-il vraiment entre les mains de personnes aussi instables ?
La porte explosa, laissant apparaître Orion, Artémis, et une femme à l’allure bien étrange. Cette dernière avait de longs cheveux blancs et était plutôt séduisante. Du moins elle l’aurait été si de nombreuses parties de son corps et son visage n’avaient pas été remplacées par des plaques de métal et des fils électriques. De plus, d’étranges tentacules lui sortaient du dos et pendaient jusque sur le sol. Ceux-ci ressemblaient à des sortes de fouets sur lesquels on avait fixé des lames faites d’un alliage inconnu. Toute la partie inférieure du visage de la femme était entièrement constituée de métal, une petite grille protégeant un haut parleur situé au niveau de ce qui devrait être sa bouche. Pour finir, ses yeux étaient remplacés par d’étranges objectifs qui émettaient de petites lueurs violettes. Ou plutôt qui auraient dû en émettre, étant donné qu’ils étaient désormais éteints.
Artémis jeta le corps de l’ennemie à terre, qu’elle soulevait auparavant d’une seule main, puis croqua le cristal du Cruxis qu’elle lui avait dérobé. Elle mâcha l’objet jusqu’à le réduire en petits fragments qu’elle avala sans le moindre souci. En temps normal, les cristaux étaient toxiques pour la plupart des êtres vivants si on les avalait. Mais cela ne sembla pas poser de problème à la femme vampire, qui savait qu’elle n’aurait même pas de crampes à l’estomac.
Quant à Orion, il baissa le bras droit, juste après avoir détruit la porte en la frappant avec son poing, et commença à s’avancer.
La pièce dans laquelle ils se trouvaient était immense. Bien que l’endroit fût peu éclairé, le couple put admirer sans problème les nombreuses sculptures, saisissantes de réalisme, qui décoraient les murs de la salle. Une fois encore, les ornements se rapportaient aux reptiles volants. Dragons, wyvernes, guivres, toutes ces créatures étaient réunies en grand nombre pour faire de cette pièce la mieux décorée de toute la citadelle.
« Très impressionnant, résonna une voix masculine, arriver à battre Yhndee n’est pas une prouesse que tout le monde pourrait réaliser. Je crois que des félicitations s’imposent… »
Artémis porta immédiatement son regard droit devant. Une fois encore, Orion se fia aux capacités de sa fiancée et fixa la même direction. Il observa alors que des marches montaient au loin, pour disparaître dans la pénombre. Au sommet de ces dernières, le combattant distingua la silhouette d’une sorte de grand siège. Etaient-ils enfin arrivés dans la salle du trône ?
« Ils n’ont même pas une égratignure, s’indigna une femme, dire qu’à une époque nous devions tous nous réunir pour parvenir à la mettre en échec. Et encore, elle avait abandonné, alors qu’eux ils sont même parvenus à la tuer… »
En écoutant le discours que tenaient les deux individus, le leader du S-56 en arriva à la conclusion que la dénommée Yhndee était celle qu’ils venaient de combattre. Il était vrai que cet étrange adversaire avait été particulièrement redoutable, il semblait sans cesse avoir une longueur d’avance. Mais Orion ne se souciait plus de cela désormais…
« Ce sont eux ? murmura-t-il à Artémis.
- Je n’en sais rien, lui souffla sa fiancée, l’ombre qui les couvre n’est pas naturelle. Je n’arrive pas à voir au travers… »
Perdant patience, le combattant décida de s’adresser directement aux inconnus.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il à haute voix.
La femme qui se cachait dans l’ombre gloussa en entendant la question.
« Allons mon amour, intervint l’homme, ce n’est pas très gentil de se moquer des ignorants… Bien, je pense qu’il est temps de faire les présentations. »
Sur ces mots, la lumière des torches sembla s’intensifier et l’ombre se dissipa…