Neloth fut forcé de froncer les sourcils face à l'assurance avec laquelle le lézard avait proféré ces quelques mots comme s'il avait s'agit d'une vérité absolue.
- Tu ne l'as jamais vu à l'œuvre auparavant, concéda l'argonien. Rien d'étonnant à ce que tu ne saisisses pas où je veux en venir. À vrai dire, je suis même persuadé qu'il a deviné que tu n'étais pas le fils de Thélas à l'instant où il a posé son regard sur toi.
- Ca n'a pas de sens ! s'exclama le jeune voyageur en secouant la tête, faisant ainsi glisser un rayon de lune presque aveuglant sur sa chevelure pâle. Il n'aurait eût aucun intérêt à me garder en vie s'il avait su cela.
- C'est là que tu te trompes, justement, rétorqua le Compagnon avec un air sombre. Sirius n'agit pas comme les autres hommes. Ce n'est pas un soldat, ni un bandit, ni même un tueur-né, mais un agglomérat de tout ce que ce monde s'est acharné à faire disparaitre. Il est en apparence l'exemple parfait de la décadence des hommes : rage, dépit, avidité, impulsivité, cruauté et égoïsme. Mais tout ceci n'est qu'une vaste accumulation d'apparences dans lesquels il se complait depuis plus longtemps que nous ne pouvons l'imaginer. Si tu me demandais mon avis à son propos, je te répondrait que pouvoir devait autrefois lui importer plus que tout le reste. Mais il a peu à peu renié les occasions qui se sont présentées à lui, parce qu'il est terriblement curieux.
- Curieux ? s'interrogea Neloth avec le sentiment déplaisant qu'il allait finir par passer pour un parfait demeuré.
- La curiosité est la plus belle des qualités, mais aussi le plus grave des torts, reprit Zede-Tei. Tout ce que fait Sirius, il le fait pour une raison. Si tu as pensé que votre présence était nécessaire, je dois admettre que tu n'es pas complètement dans l'erreur. Mais il ne vous a pas gardé enfermés pendant des jours pour vous tirer les vers du nez comme vous l'avez tous pensé. À ses yeux, vous n'étiez qu'un produit, qu'un carburant destiné à être consumé.
L'argonien serra le silex dans le creux de sa paume, et une lueur glaciale parcouru la jointure de ses phalanges. La pierre retomba au sol avec un bruit cassant, à moitié congelée. Neloth dissimula un mouvement de recul : dans ses yeux de son interlocuteur brillait une clarté sinistre, la même que celle qu'il avait pu apercevoir à plusieurs occasions dans le regard de Dakin lorsque ce dernier tentait de contenir sa colère.
- Il avait prévu de vous tuer dès le départ, articula le Hist. Mais il voulait voir comment réagirait Renji. Il voulait pouvoir lire le désespoir et la rage de l'impuissance sur ses yeux. Parce qu'il était simplement curieux de voir ce qu'il se passerait. Pour lui, tout ceci n'était qu'une espèce immonde expérience. Et il a obtenu exactement ce qu'il voulait.
- Il espérait que Renji perde le contrôle, réalisa le Dunmer avec effroi. Il voulait que nous tissions des liens pour les détruire aussitôt. Mais pourquoi ? Quel intérêt peut-il bien en tirer ?
L'elfe noir se leva, et vint s'installer près du khajiit. Son pelage brun tacheté de noir oscillait faiblement sous l'effet des courants d'air qui circulaient le long de la paroi rocheuse, lui donnant un air presque juvénile. Rien en commun avec l'être incompréhensible qu'il avant vu à l'œuvre au début de la journée. Visualiser la scène suffit à faire naitre un tremblement nerveux au bout de sa main, qu'il fit taire dès qu'il en prit conscience, néanmoins trop tard pour échapper au regard vif de l'argonien.
- Ne t'en fait pas, le rassura celui-ci. Tu ne reverra pas cet homme. Plus jamais.
- Il a préféré se donner la mort plutôt que de nous affronter, souffla Neloth en serrant les poings, torturé par le regret. J'aurais dû agir plus tôt, avant que...
- Tu n'aurais même pas réussi à le gêner, crois-moi, coupa l'argonien. Ce que tu as vu était un jeu. Il aurait pu me tuer s'il avait agi sérieusement dès le premier instant. Mais il voulait voire Renji à l'œuvre... C'est lui qu'il a fui, et pas nous.
- Et il en est mort, déglutit l'elfe.
- En sommes-nous bien sûr ? objecta le Compagnon avec un air sombre. Même privé de sa magie, il reste un adversaire de taille. Et je doute qu'il ait accepté de jouer sa vie juste pour voir un Sang de Lune.
- Vous avez parlé de ca tout à l'heure avec votre frère, mais je ne savait pas comment aborder le sujet, enchaina Neloth. Qu'est-ce que vous savez à propos de Renji ? Quel est-ce pouvoir ? Je n'avais jamais rien vu de semblable, et je n'ai jamais entendu parler d'êtres pouvant se mouvoir et se régénérer de la sorte.
- Cette demande nous emmène sur un terrain obscur, sur lequel je préfère éviter de m'embourber ce soir, refusa le lézard. C'est une conversation que nous aurons avec lui à son réveil, si tu es encore des nôtres d'ici là. Dors, maintenant. Nous repartons à l'aube, et Oka risque de passer la nuit à râler si il te voit éveillé à son retour. Évitons de lui fournir une raison de se plaindre jusqu'au petit matin, veux-tu ?
Sans plus insister, Neloth acquiesça et se coucha dans un coin du renfoncement rocheux. Le silence retomba, et les sifflements du vent s'insinuèrent dans son esprit pour y accompagner le cours dérivant de ses pensées. Il s'endormit en pleine réflexion, sans même s'en rendre compte.
<><><>
Sirius s'extirpa du torrent d'un pas rapide, projetant de grandes gerbes d'eau à sa suite. Une fois que l'écume furieuse du courant lui fut arrivée aux hanches, ce fut au tour de la silhouette tressaillant de son prisonnier de jaillir hors des flots en se débattant. Agité de spasmes virulents, Thélas se démenait pour se libérer du bréton l'ayant saisit par la jambe, mais ce dernier l'entraîna jusque sur la rive sans prêter attention à ses convulsions. L'elfe noir n'était plus en état de se battre ou de résister. Lorsque le Libérateur sentit ses bottes pleines de gravillons se poser sur la terre ferme, il poursuivit sur quelques mètres jusqu'à atteindre un petit sentier de terre longeant la rivière, et y traîna brusquement le Dunmer, qui s'effondra en crachant une quantité impressionnante d'eau sur le sol.
- Si l'on m'avait annoncé que tu te serait révélé aussi borné, j'aurais fait en sorte de pousser du bon côté de cette tour, souligna l'Astre en observant tranquillement le Dunmer se vider les poumons en poussant des gémissements de douleur entrecoupés de halètements.
Ce dernier voulut répondre mais fut saisit d'une quinte de toux bruyante qui lui ôta la force de parler. Suffocant, il demeura allongé contre le sol, à peine capable de bouger.
- La miséricorde que je t'ai accordée est-elle passée au dessus de ta tête ? Je ne t'ai pas évité de t'écraser misérablement au sol pour que tu reviennes me faire perdre mon temps. Que comptait-tu donc faire tout seul face à moi ?
Thélas ne répondit pas. Après que son tortionnaire l'ait précipité du haut de l'édifice, il s'était écrasé à la surface de l'eau, rendue presque solide par la vitesse de sa chute de plusieurs dizaines de mètres. Il ne devait son salut qu'à sa vigueur exceptionnelle, sans laquelle il aurait fini noyé sous la surface des rapides. Il avait dérivé le long du torrent pendant plusieurs heures, luttant pour garder la tête hors de l'eau jusqu'à trouver une prise lui permettant de regagner les bords du ravin. Lorsqu'il avait pu rejoindre la terre ferme, des kilomètres en aval de son point de départ, le soleil commençait déjà à décroître dans les cieux. Sans se soucier de la fatigue, il avait s'était précipité dans l'autre direction pour retrouver son fils et lui venir en aide, mais la route était longue, et sa blessure à la cuisse l'avait grandement handicapé. Il n'avait croisé personne durant son trajet, et la nuit avait finit par tomber sans qu'il n'aperçoive l'ombre d'une construction.
Mais, une dizaine de minutes auparavant, il avait surpris une lueur au bord de l'eau. Avec un mélange d'horreur et de stupéfaction, il avait reconnu l'Astre, trempé de la tête aux pieds, dépeçant tranquillement une carcasse de lapin au coin du feu. Méfiant mais conscient qu'un otage pareil lui assurerait la libération de son fils, il avait attendu que le bréton aille se laver les mains au bord de la rivière, et s'était rué sur lui, persuadé que le grondement impétueux du torrent couvrirait ses pas. Les choses ne s'étaient pas passées comme prévu.
- Tu veux faire un autre tour dans l'eau, où l'envie t'es passée ? ricana Sirius en le saisissant par les cheveux. Tu as une sacrée apnée, il faut le reconnaître. J'étais presque sûr de t'avoir noyé pour de bon, mais il faut croire que tu t'accroches à la vie avec plus d'insistance que les autres.
Thélas saisit le bras du bréton et se mit sur un pied, se préparant à bondir sur son adversaire.
Guère surpris de constater que l'elfe noir tentait une fois de plus de s'en prendre à lui, Sirius lui adressa un puissant coup de genou dans les côtes, sans s'émouvoir du cri sinistre de son captif. Gémissant, le Compagnon sentit avec désarroi ses forces le quitter, et sa main retomba faiblement le long de son flanc.
- Allons, range-moi donc cette fougue dans un coin de ton crâne et reste assis bien gentillement, ordonna l'Astre en le poussant au bord du chemin.
- Que l'Oblivion t'emporte, raclure ! geignit ce dernier avec un regard noir en essayant tant bien que mal de se relever.
- Voilà qui est fort impoli. Est-ce la perspective de revoir votre fils pendu au bout d'une corde qui vous met dans un état pareil ?
- Si vous avez... touché à un seul de... ses cheveux... alors je vous tuerai de mes propres mains... cracha Thélas en rampant vers lui.
- Je t'ai demandé de rester à ta place.
La botte du hors-la-loi s'éleva à une vitesse surhumaine et s'abattit sur l'omoplate de l'elfe noir, qui émit un craquement sonore. Étourdi mais momentanément épargné par la douleur, le blessé tenta de saisir la cheville de l'Astre, mais celui-ci écarta sa main d'un coup de tibia, avant de l'écraser violemment sous sa semelle de cuir, le faisant gémir de douleur. Avant qu'il ne puisse se mouvoir, le bréton se repositionna au-dessus de lui en lui saisissant la nuque tout en l'empêchant de se redresser en lui bloquant les bras avec ses propres jambes.
- Tu sembles pressé de mourir, fit remarquer Sirius en se penchant près de son oreille. C'est fort dommage, je m'était donné tant de mal pour te séparer pacifiquement des autres...
- Où sont-ils !? grogna le Dunmer avec hargne en se démenant comme un forcené pour échapper à la force qui le clouait au sol.