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The Elder Scrolls V : Skyrim

Sujet : [Fic] Au coeur de la tempête
28
TheEbonyWarrior
Niveau 35
21 septembre 2024 à 11:09:26

Chapitre aujourd'hui ou demain pour la peine :noel:

MeiTaka
Niveau 34
21 septembre 2024 à 13:11:30

:merci: :coeur:

EsZanN
Niveau 26
21 septembre 2024 à 14:59:56

Tiens je sens que je vais me mettre à travailler plus souvent alors. :hap:

TheEbonyWarrior
Niveau 35
23 septembre 2024 à 15:31:32

J'ai OUBLIÉ chez ma mère en vacances mon pc sur lequel est le chapitre

Il arrive demain par la poste :noel:

TheEbonyWarrior
Niveau 35
24 septembre 2024 à 19:27:45

Chapitre 69
< Une semaine plus tôt >

Les braseros encadrant l’entrée de la longère réchauffèrent les épaules de Sheik lorsqu’il quitta du palais du Jarl. La large silhouette de l’Orsimer s’immobilisa un instant, entre l’entrelac chaleureux des flammes et l’impétuosité du froid régnant dehors, puis repris sa marche, laissant son pas lourd broyer la neige sous ses pieds en une fine bouillie cristalline. Dans son dos, les deux hommes postés à la porte ne dirent rien, fixant l’imposant maillage cliquetant sur ses épaules comme on toise avec prudence une bête s’éloignant de son terrier.

Il était resté ici trop longtemps déjà.

La cour de Siddgeir était un nid de vipères. Les manigances et les pots-de-vin s’y succédaient presque sans discontinuer sous l’œil faussement bienveillant du seigneur local, mais le Compagnon n’était plus dupe : en ces lieux, la criminalité n’était pas un ennemi à combattre, mais une force à réguler et garder sous contrôle lorsque l’on ne l’utilisait pas soi-même.
Cela ne faisait pas un mois qu’il s’était installé à Epervine, mais les platitudes bureaucratiques de Proventus et des siens lui manquait presque déjà. Il exécrait les élans protocolaires du chambellan, mais ce dernier avait au moins le mérite de ne pas causer de dégâts partout où il fourrait son nez. Ici, tout était différent, et il n’avait pas tardé à réaliser que la destination que Rigel leur avait réservé tenait en fin de compte autant de la punition que de la leçon politique.

Il parcouru le sol moite de la ville durant quelques minutes encore, déambulant sans lieu précis en tête. Ja’Hiza et Fjol étaient censés l’attendre sur le perron de la longère, mais les deux camarades brillaient par leur absence. Encore une fois, il allait devoir prendre son mal en patience. Las, il jeta finalement son dévolu sur un tronc abattu près de la scierie, et s’affala dessus avec un grognement d’inconfort. Le froid et la pluie étaient un soutien bien maigre en ces temps, et la suite d’intempéries qui avait ponctué leurs dernières escapades avait entamé son humeur comme autant de stigmates à la surface du bois mort. Les insectes se repaissaient de l’écorce avec délice, selon un schéma simple et égalitaire. Mais tout autour, au-delà de la dimension circulaire de cette souche et jusqu’aux confins des murs de la ville, seuls les puissants trinquaient.

Ils avaient réalisé ce qui se jouait ici très peu de temps après leur arrivée. En premier lieu, Siddgeir avait pris un malin plaisir à repousser leur entrevue initiale pendant près d’une semaine, prétextant une série de réceptions mondaines chaque fois que le trio se présentait devant les portes de son petit palace. Lorsqu’il avait compris qu’ils n’iraient nulle part, il les avait enfin conviés, mais le visage aux allures encore juvéniles du Jarl ne s’était pas une fois fendu d’un sourire à leur égard. L’accueil n’avait eut d’invitant que les mets luxueux servis à leur table, et leur discussion, vite écourtée par l’irruption d’une demi-douzaine d’homme aux allures patibulaires dans le hall, n’avait laissé qu’un souvenir passable dans l’esprit des trois combattants.

Siddgeir les avait d’abord envoyés questionner un groupe de prisonniers dans les geôles de la ville. D’après le peu d’informations auxquelles ils avaient eu droit, une cargaison d’armements destinée à Solitude avait été perdue la semaine précédente, et les captifs les plus frais du donjon pouvaient bien être au courant de quelque chose. S’exécutant sans joie, les trois Compagnons avaient ainsi réuni les témoignages à peine concordants des quelques truands entassés dans leurs cellules froides, et avaient transmis les informations au chambellan le soir même afin qu’il fasse son rapport. Bien entendu, aucune prime ne leur avait été remise depuis.

La seconde missive les avait cueillis dans l’auberge où ils résidaient, au petit matin du jour suivant. Trois hommes armés étaient entrés dans leur chambre, et Sheik avait bien failli dévisser le crâne de l’un d’entre eux par erreur lorsque l’éclat des fourreaux avait perturbé son sommeil. Si aucun sang n’avait coulé, l’intention était on-ne-peut plus claire : Siddgeir savait les retrouver là où leur garde était la plus basse, et voulait s’assurer qu’ils sachent que son hospitalité n’était pas celle du pain et de la chère, mais celle des menaces et des secrets gardés.
Passé leur surprise initiale devant cette irruption peu conventionnelle, ils s’étaient néanmoins attelés à leur nouvelle mission. Cette fois, l’essence de celle-ci était claire et sans détour. Un groupe d’hommes avait été aperçu au Sud-ouest de la ville, à une demi-journée de marche en direction des montagnes, et l’autorité suprême régissant ces terres voulait voir leur trace effacée à jamais. Peu désireux de prolonger leur séjour après cette nuit de sommeil avortée, ils étaient partis moins d’une heure après, et avaient atteint le lieu indiqué avant le zénith.

Approchant de la zone supposée, ils avaient opté pour leur stratégie habituelle. L’orque était demeuré bien en évidence, pratiquant le chemin de terre battue de son pas tambourinant, tandis que ses comparses avaient pris de l’avance, coupant par la végétation pour prendre à revers les fuyards tombant sur lui. Si la répartition avait de quoi surprendre ceux à qui ils exposaient leur plan, l’expérience avait montré que les malfrats préféraient souvent la vie sauve à la promesse de Sovngarde une fois les premières têtes tombées sous la morsure de sa hache. Et si les ordres avaient été clairs, aucun d’eux ne se contentait de tuer sans poser de questions.

Ce jour-là, il n’y avait pourtant eu ni embuscade, ni arrestation, ni même la simple trace d’un combat. Dès que les exclamations que le nordique et la khajiit avaient poussé étaient parvenues aux oreilles effilées de Sheik, il avait su qu’elles n’étaient pas celles que l’on proférait avant la bataille. Comprenant que les évènements ne correspondaient plus à leurs prévisions, il s’était précipité à leurs côtés.

Le spectacle n’avait pas déçu.
En lieu et place des brigands qu’ils étaient supposés éliminer, ils n’avaient trouvé qu’un groupe de gardes morts, déjà cernés par et une demi-douzaine de loups appâtés par l’odeur des carcasses. Et ce n’était pas tout ; à côté de ça, les restes d’une cargaison d’armement déjà pillée aux trois quarts se déversaient d’une charrette aux roues sabotées, son corps de planches éventrées vomissant ses tripes d’acier acéré contre la boue.

Cela semblait en tout point correspondre au scénario habituel auquel ils avaient assisté tant de fois : une attaque de grand chemin, et des bandits ayant pris la fuite après avoir collecté tout ce qu’ils pouvaient porter avant l’irruption des prédateurs.

Il n’en était rien. Dans le carnage encore frais, Ja’Hiza n’avait eut besoin que de quelques secondes pour les avertir que ces corps étaient frais, bien trop pour que leur mort ne coïncide avec le trajet de la cargaison volée dont parlait Siddgeir.
Peu de temps après, ils avaient trouvé les chevaux précipités dans le fossé bordant le chemin, l’encolure éventrée par la marque de lames. Et s’ils savaient une chose, c’était que les bandits ne tuaient jamais les chevaux qu’ils pouvaient voler.

Voulant en avoir le cœur net, ils avaient pisté les traces du convoi sur quelques kilomètres avant de trouver ce qu’ils cherchaient. La charrette marquait un demi-tour brusque un peu plus au sud, sans trace de lutte particulière. Bredouilles, ils étaient retournés au site de l’attaque, et y avaient passé une bonne partie de l’après-midi, réunissant tant bien que mal les quelques indices et armes abandonnées sur place.

La pluie s’était mise à tomber, sortant Sheik de ses pensées. Il se leva d’une impulsion grondante, mu d’impatience. Que fabriquaient-ils ? Il savait pertinemment comment ses deux camarades faisaient passer le temps lorsqu’ils se retrouvaient seuls à seuls, mais l’heure du jour n’était pas aux réjouissances. Ils avaient convenu de quitter la ville au milieu de la nuit, et il ne comptait pas perdre une seule seconde inutile dans ce trou à rats maquillé de luxe.
D’un pas mesuré, le Compagnon repassa devant la longère, s’offrant volontairement au regard calculateur des hommes de Siddgeir, puis se dirigea vers leur auberge. Il adressa un regard entendu au tenancier en entrant, et s’engouffra silencieusement dans les marches menant à leur chambre, avant de refermer la porte à double tour derrière lui.

D’un œil, il fit concorder la position de chaque objet qu’il avait laissé à son départ avec celle de ses souvenirs, vérifiant que pas un grain de poussière n’avait été déplacé sur leurs couches.
Rien. Du peu qu’il soit capable d’en dire, personne n’était venu ici. Cela était pour le mieux.

L’Orsimer déposa sa lourde masse contre le sommier de son lit, faisant crisser la paille sous lui comme une pluie d’étincelles. Comme un élan mémoriel ravivé par le son d’un feu crépitant, il senti les souvenirs de cette journée affluer de nouveau dans son esprit.

Avant de quitter les lieux de l’assaut, ils avaient décidé de passer la scène en revue une dernière fois afin d’y voir plus clair.

Si une chose était certaine, c’était que le convoi avait opéré un demi-tour volontaire à un moment donné. Vu la taille estimée de leur chargement, les deux montures de trait assignées au transport ne leur auraient permis d’avancer qu’à un rythme mesuré, impliquant qu’ils avaient voyagé au moins deux heures avant l’attaque. Il était difficile de deviner si le triste destin de la troupe avait à voir avec les raisons de leur changement d’itinéraire. La direction du convoi, elle, laissait clairement entendre que ces derniers se préparaient à rentrer en ville, ou tout du moins regagner un chemin susceptible de les mener vers solitude.

Cela soulevait un problème tout autre, puisque leur route ne menait vers aucune ville ni aucun hameau de la région, et s’enfonçait en direction des montagnes à l’Ouest sans destination apparente. Pourquoi un groupe de soldats aurait-il été envoyé sur cette voie quand la route du Nord, bien mieux surveillée, offrait un voyage dégagé et sûr vers la capitale impériale ?

La lettre leur avait donné la réponse.

Ils l’avaient trouvée sous un cadavre, plissée par la poigne d’une main crispée d’agonie, et son contenu semblait malheureusement très claire sur la cause de la mort de son auteur.

« Le Jarl nous dit d’y aller. Alors nous irons. Mais je refuse de m’y résoudre. Cette fois, c’est la fois de trop. Ces salauds ont tué des dizaines de voyageurs l’année dernière. Et nous devrions leur donner ce qu’ils demandent ? Pour qu’ils tuent nos frères et pillent nos troupeaux avec NOS armes l’année prochaine ? Non. Je vais convaincre Olaf et les autres. Il a une petite fille depuis l’automne, je sais qu’il m’écoutera. Les autres se rangeront à lui si j’arrive à le convaincre.
Tant que je respire, ces scélérats n’auront pas le moindre gramme d’acier venant de nos forges.
»

Et alors, ils avaient compris ce dont ils auraient déjà dû se douter.
Siddgeir n’avait pas voulu se débarrasser des hors-la-loi qui polluaient les routes : il les avait envoyés couvrir une transaction devenues gênante. Si ces derniers étaient déjà morts à leur arrivée, ce n’était que parce que ces derniers s’étaient entre-déchirés dès le premier conflit, partagés entre ceux restés loyaux et ceux ne supportant plus de servir leur seigneur.

À la lecture de la lettre, ils étaient rentrés sans un mot. Une fois en ville, ils avaient promptement remis les quelques armes récupérées, ne mentionnant rien de leurs découvertes au chambellan de la cour, et s’étaient contentés de suggérer la piste criminelle lorsqu’on les avait interrogés sur la cause plausible de l’attaque.
Ils avaient passé le reste de la soirée sans manger, fixant leurs auges dans un silence sombre.

TheEbonyWarrior
Niveau 35
24 septembre 2024 à 19:30:26

Dès lors, la dynamique animant le trio avait radicalement changé. Il n’était plus question de savoir si Siddgeir était à l’orchestre de la corruption qui rongeait les sphères politiques de la région, mais de découvrir jusqu’où cette gangrène s’étendait.

Depuis ce jour, Fjol s’était catégoriquement refusé à accomplir la moindre mission proposée par la châtellerie, et s’était réfugié dans le jeu et les contrats de campagne au service des petits paysans. Sheik, quant à lui, avait poursuivi les basses besognes, profitant de l’image brute et peu raffinée qu’un orque de sa profession inspirait pour glaner un maximum d’informations sans soulever les soupçons. Lorsque l’on servait un souverain corrompu, il n’y avait que deux options : être de mèche avec ce dernier, où paraître trop stupide pour être considéré comme une menace.

Au fil des interrogatoires, des escortes et des lettres remises, il avait rapidement réalisé que la garde tout entière était à la botte de Siddgeir, de gré ou de force. Tous ceux qui papillonnaient dans le halo seigneurial pour s’attirer ses bonnes grâces étaient sans surprise du même acabit que ce dernier, mais le nombre brut d’individus concernés l’avait néanmoins appris à considérer le roitelet avec un prudent mépris. Des nobles des quatre coins de Bordeciel correspondaient avec sa cour, et les affaires discutées n’étaient de toute évidence pas de celles dont on se vantait au grand jour.

La situation était partie pour durer, mais les escapades de Ja’Hiza en avaient décidé autrement. Car si la khajiit excellait dans un art dont une ancienne moniale puisse un jour avoir honte, c’était bien celui de glaner des informations qui ne lui étaient pas destinées.

Au cours des dernières semaines, elle avait plusieurs fois réussi à s’introduire dans les quartiers du chambellan pour y épier les conversations qui s’y tenaient. Loin de s’y attendre, c’est pourtant ainsi qu’elle avait découvert l’écriture de Rigel sur un bout de parchemin agrémenté du sceau des Compagnons. Leur Héraut préparait une contre-attaque sur l’un des campements de hors-la-loi repérés plus tôt dans l’année, et requérait de toute urgence l’assistance des fiefs voisins afin de mener l’offensive au cours des prochaines semaines. La lettre était datée du 2 de soirétoile, mais l’assaut était estimé au 14 du même mois.

N'y tenant plus, Sheik se leva en sursaut, faisant trembler la lanterne avare crachant ses dernières bribes de lumière dans la chambre d’auberge. Il tendit une main instinctive en direction de sa hache d’armes, et referma le lourd étau de ses doigts contre l’enduit du manche.

S’ils ne venaient pas à lui, alors il viendrait à eux.

Se penchant vers la besace de Fjol, le colosse ne mit guère plus de quelques secondes à trouver le long parchemin de peau élimée que son ami avait complété le matin même. Le vieil homme qui avait requis leur aide leur avait indiqué les ruines surplombant la ville d’un doigt maigre et maladif, mais le nordique avait pris soin de coucher son itinéraire d’un trait de charbon noir en guise de précaution. Une chance, car Sheik n’avait pas daigné accorder la moindre attention aux contes larmoyants du vieillard, et s’était éloigné presque aussitôt. La dernière fois qu’ils avaient nettoyé une crypte tous les trois, Fjol et Ja’Hiza s’étaient presque jetés l’un sur l’autre dans la salle d’embaumement sur le chemin du retour, et il n’avait jamais souhaité réitérer l’expérience depuis. À vrai dire, cela faisait plusieurs mois qu’ils n’agissaient plus ensemble, leur dernière mission en date ne les ayant ponctuellement réunis que pour accompagner les recrues lors de leur test initiatique.

Mais là où Ja’Hiza et Fjol se plaisaient à tromper l’ennui dans la fougue et les ragots de taverne, lui ne s’était occupé qu’en travaillant d’arrache-pied. Depuis son arrivée à Jorrvaskr, il avait parcouru la région sans relâche, ne laissant de répit aux âmes malades polluant ces terres que celui de la nuit de sommeil qu’il daignait leur accorder avant de prélever leur vie au matin suivant. Il s’était tué à la tâche, presque littéralement, arrachant par poignées les avis de recherche placardés aux tableaux de Jorrvaskr avant de s’engouffrer dans les bois pendant des semaines, ne revenant qu’une fois chaque crime expié dans un rayon de vingt kilomètres.
Pourtant, la cruelle erreur de jugement de ses deux comparses ne s’en était pas moins abattue sur lui lorsqu’un Rigel furieux les avait convoqués à Jorrvaskr pour les envoyer dans cet endroit maudit jusqu’à la fin de l’hiver. Pour avoir mis en danger la vie des recrues que ses camarades avaient emmené en dépit de tout bon sens au sein d’une entreprise vastement trop risquée pour eux, le Héraut leur avait infligé la pire des punitions : celle de jeter trois cœurs animés par la justice au sein d’un lieu où la conception même de cette dernière était maculée de vice.

Il n’existait pour lui pas de pire cauchemar.

Si cela ne tenait qu’à lui, les épaules de Siddgeir se seraient déjà vues délestées du poids de sa tête couronnée. Mais l’incident diplomatique n’aurait rien arrangé. Non, la disparition du Jarl n’aurait jamais suffi à libérer la région du joug tentaculaire de l’argent et des complots qui s’y étaient ancrés depuis des années. Pire encore, les petits pantins du jouvenceau se seraient simplement désarticulés en un autre amas de promesses de paix affables et ridicules, avant de s’entre-déchirer jusqu’à ce qu’un nouvel homme, plus puissant ou plus fourbe que tous les autres, n’accède enfin au trône.
Cette considération était sans doute la seule chose qui avait su retenir sa hache jusqu’à présent.

Mais cela n’avait plus d’importance. Ils partaient, ce soir. À cinq jours de l’assaut des Compagnons, il était clair que la cour locale n’avait pas la moindre attention d’accéder à la requête de Rigel, et il ne pouvait accepter d’être ainsi laissé pour compte quand tout se jouait. Ils désobéiraient tous les trois, et trouveraient leur jugement dans la mort du combat aux côtés des leurs s’il le fallait. S’il devait porter les corps inconscients des deux tourtereaux jusqu’à Jorrvaskr pour que cela arrive, alors aucun mausolée ni aucun tertre ne le séparerait de ses camarades.

« Vous allez voir, gronda Sheik en poussant la porte de sa chambre d’un air maussade. Je vais nous y trainer tous les trois, moi, vers la gloire du Cercle ! »

De nouveau, la fraicheur de l’après-midi tombante le fouetta d’une bise dénuée d’hospitalité. Cet aurevoir médiocre seyait parfaitement à la misérable expérience que cette ville leur avait offerte au cours des dernières semaines, mais il l’accueillit avec un rictus presque reconnaissant. Plus que deux heures, et ils chevaucheraient tous trois loin d’ici.

Il se fraya un chemin entre l’amas de neige et de badauds agglutinés sur la place, dépassa trois cordons de soldats, et passa les portes de la ville, s’aventurant vers les sommets ou l’attendaient sans le savoir ses étourdis comparses.

Après un quart d’heure de marche le long des routes sinueuses, le sentier de terre battue s’estompa sous ses pieds, avalé par un sillon de gravas s’élançant vers les hauteurs. Le mont escarpé s’étalant au-dessus de lui avait fini par dévorer le soleil à mesure qu’il s’en était rapproché, et le toisait désormais de toute sa masse immense, comme pour le mettre au défi d’en gravir les flancs.
Pour lui, ce n’était rien qu’une mise en jambes avant l’effort.

Son ascension débuta. Suivant les chemins à-demi effacés des civilisations immémoriales ayant conquis les lieux, il avança durant un bon quart d’heure en direction du tertre, les pas bercés par le son des gravats projetés en contrebas à chacune de ses enjambées. Le froid s’intensifia, se nouant autour de ses jambes nues comme des serpents répandant leur venin glacial dans ses membres, mais la prise du gel n’avait aucun pouvoir sur lui. La machinerie inarrêtable de son corps s’animait à chaque geste dans un concert de chair, vaguement sculptée par la masse des muscles cloîtrés sous une peau épaisse comme de la carapace. Un coup de talon après l’autre, il broyait le sol sous ses pieds, telle une bête infatigable. La crinière de son maillage, cascadant de son bassinet à visière et pliée par le barrage de ses épaules immenses, tintait dans les hauteurs comme un carillon conquérant, portées par les suppliques d’un vent incapable de le faire défaillir.

Encore quinze minutes, et il se tenait devant l’esplanade principale, deux battants de fer noir et grinçant entrouverts devant lui dans un signe d’abandon résignée. Il s’arrêta, dissipant les signes de l’effort d’un soufflement de narines impétueux. L’air chaud se répandit autour de lui, cristallisant presque aussitôt dans le froid environnant. Suivant les volutes de sa propre respiration, il inspecta sommairement les lieux.

Autour de lui, la pierre glacée se dressait par endroits en larges tombes rectangulaires, noires comme une nuit de jais. Trois d’entre elles se trouvaient tournées vers les cieux, offrant aux vents incessants leurs contours érodés. Son attention s’en détourna vite, préférant à celle-ci le couple d’antres sombres perçant la face du tombeau, incrustées de part et d’autre de sa gueule béante comme deux orbites vides.
Vides, et pour cause : sous les ouvertures, les carcasses rachitiques de deux macchabées décoraient le sol, pliées dans un enchevêtrement grotesque de membres blafards.

Il s’approcha, toisant les âmes damnées reposant inertes sur leurs battements de scellement. Les larges dalles noires avaient presque fusionné avec le sol à cause du froid, répandant leur cire sombre et séchée en miettes grises déjà attaquées par le gel. Elles avaient marqué le début d’un long repos pour ces gardiens sépulcraux, mais en fin de compte, leur ouverture n’avait que précipité la fin inévitable qui attendait toute chose.

Saisissant à mains nues le crâne de l’une des créatures, il observa un instant le large morceau de chair arraché à sa tempe, puis le laissa retomber dans un concert de claquements osseux, avant de se redresser d’un air satisfait. Cette marque mortelle, c’était celle de Ja’Hiza. Il se trouvait donc sur la bonne voie.

Le râle agonisant des portes lui révéla l’image d’un corridor aux angles durs, à peine éclairés par la torche goudronneuse déposée au tournant. Sans hésiter, il s’engouffra dans la crypte, laissant la bourrasque derrière lui clore les mâchoires de la bête.

TheEbonyWarrior
Niveau 35
24 septembre 2024 à 19:33:25

Parcourant la trentaine de mètres le séparant du flambeau, il atteint la première intersection. Sur sa gauche, une valse d’escaliers s’enfonçant dans les profondeurs. De l’autre côté, un second couloir à l’obscurité étouffante, percé en son extrémité par le halo d’une seconde lueur.

Au moins, ces deux-là savaient baliser leur chemin.

À peine pensait-il à se remettre en route qu’une pression anormale fit bondir son cœur dans sa poitrine. Une main venait de se refermer contre la peau touffue de ses bottes, agrippant sa cheville pour mieux se trainer à lui dans le noir.

Au sein de la pénombre, deux orbes d’azur sinistre hurlaient en silence.

D’un mouvement ample et puissant, Sheik leva sa jambe, emportant avec lui son assaillant rampant. Il projeta ce dernier contre le mur de la galerie avec une force stupéfiante, broyant les restes décharnés contre la pierre, puis porta une main dans son dos. La hache coulissa contre son attache de cuir avec un frisson d’impatience, se fondit dans l’obscurité du plafond comme un croissant de lune, et fondit sur sa cible dans un arceau tranchant, fauchant à jamais l’éclat spectral de son regard.

Le cliquetis d’une lame brisée retentit sous ses pieds, laissant l’assaut du draugr s’achever en même temps que sa vie. L’Orsimer rengaina, et s’élança dans le boyau de droite sans un regard pour l’abomination qu’il venait d’occire.

Son avancée se poursuivit sans accroc, uniquement marquée par l’irruption occasionnelle de quelques morts sur sa route. Délestant prestement ces âmes damnées de leurs fardeaux matériels, il nota avec intérêt l’état particulier de ces dernières.
Arme brisée, genoux fracturés, jambes sectionnées… Les cadavres étaient tous incapacités d’une manière ou d’une autre. Il apparaissait clair que les fuyards naviguaient sans difficulté dans les méandres du tertre, mais quelque chose dans la méthodologie de leur progression l’interrogeait profondément.
Par quelle inconscience puérile ses deux camarades avaient-ils choisi de laisser ces choses errer dans le donjon sans les éliminer pour de bon ? Cela ne ressemblait clairement pas au duo, particulièrement sachant l’importance qu’ils vouaient au repos des morts. Ces spectres de chair n’étaient pas les protecteurs autoproclamés de ces halls antiques ; ils étaient les serviteurs déchus d’un ordre qui plus jamais ne se relèverait, forcés d’arpenter inlassablement ces couloirs en attente d’un jugement qui ne viendrait pas. Simplement maintenu par une promesse tenant désormais plus de la malédiction que du pacte, le fil de leur existence était une peine que la miséricorde imposait de sectionner.

Il avait beau y penser, Sheik ne voyait pas les deux guerriers se comporter de cette manière en temps normal.

Une idée semblable à cet endroit, âcre et insidieuse, lui vint finalement.
Se pouvait-il que quelque chose soit sur leurs talons ? Quelque chose qui justifie qu’ils ne laissent ce sillage de draugrs derrière eux ?

Il pressa le pas, soudain plus conscient que jamais de l’étroitesse croissante des galeries. Sa silhouette imposante griffait maintenant presque les bords du corridor, rendant ses mouvements bien moins aisés qu’ils ne l’étaient à son arrivée.

Les torches dansant aux murs n’éclairaient plus ; elles faisaient festoyer les concerts d’ombres, renforçant ces dernières à mesure qu’il se rapprochait de chaque intersection. La régularité, des croisements, presque mathématique, commençait également à l’inquiéter un peu.

Pourquoi ce satané mausolée était-il soudain devenu si sombre ?

Il s’enfonça dans les abysses de la montagne durant un temps dont il perdit lui-même le fil. À sa propre surprise, son agacement était peu à peu en train de laisser place à une profonde inquiétude.
Cela ne lui ressemblait pas.

Enfin, après avoir dérivé dans les profondeurs jusqu’à ne plus sentir la plante de ses pieds, il tomba nez-à-nez avec ce qu’il cherchait.

En parvenant au dernier croisement, il fut presque certain d’avoir rattrapé ses prédécesseurs. Ses narines se gonflèrent comme les naseaux d’un buffle, s’imprégnant de l’odeur encore fraiche du silex ayant allumé le flambeau pendant à la corniche de pierre devant lui.
Cette fois, pas de croisement. Le labyrinthe avait abdiqué, ne laissant comme toute récompense à celui l’ayant vaincu qu’une simple allée dépourvue d’architecture. La pierre, ici creusée sans souci du détail, se contorsionnait en une série d’angles abrupts et humides, avant de s’ouvrir sur un puits de noirceur au-delà duquel rien ne brillait.

Ils étaient ici.

Il s’avança, le souffle court, trainant sa masse entre les parois agressives du boyau, et sorti à l’air libre.

Pourtant, il n’était pas dehors.

Il se retourna, contemplant sans comprendre l’issue qu’il venait d’emprunter. Avides de réponses, ses yeux se jetèrent sur la paroi de laquelle il venait de s’extraire, mais ses pupilles se mirent à errer, puis à monter sans fin. Il leva la tête, encore et encore, jusqu’à ce que le mur se fonde dans l’infiniment grand, puis laissa échapper une exclamation de stupéfaction.

Le son rauque de sa voix explosa dans la salle, se démultipliant en un million d’échos si puissants qu’il craignit un instant d’avoir déclenché la colère d’un dieu reclus dans ces ténèbres.

« C’est pas vrai, souffla-t-il. C’est… »

Voilà ce que le vieillard avait dû dire à ses camarades pour les faire venir : la montagne était creuse !

À en juger par la sonorité assourdissante que chaque bruissement faisait bondir entre les parois, il devait se trouver au cœur d’un espace si immense que même le son n’en couvrait pas instantanément le diamètre. Pris de vertige, il se tourna de nouveau vers l’intérieur de la caverne, vers cet oubli fait forme qui s’étendait jusqu’aux confins de la raison. Aux yeux de l’Orsimer, cet endroit était aussi prodigieux que terrifiant.

Quelque chose, pourtant, éclipsait sans mal l’intensité de cette terreur.
Ses camarades étaient quelque part là-dedans, et il allait devoir les y chercher.

Faisant demi-tour d’un pas hagard, Sheik parcouru le passage creusé dans l’autre sens, ripant contre la roche comme une lame dans un fourreau rouillé. Il sortit à moitié du boyau, et tendit une main vers torche pour la saisir avec empressement. À sa propre surprise, ses doigts épais s’agrippèrent autour du bois presque assez fort pour le briser d’un coup. Avait-il véritablement « peur » ? Non, c’était insensé.

Pourtant, l’éclat de cette lumière était devenu bien plus rassurant que le poids de sa hache dans son dos.

Il s’extirpa une fois de plus de la galerie, faisant de nouveau face à l’estomac interminable de cette bête dans laquelle il s’était aventuré.
Faisant quelques pas fébriles en avant, il projeta le rayon de sa torche contre le vide. Le halo de sa lumière était une arme insuffisante en ces lieux, ne repoussant la faim aveugle du donjon que sur quelques mètres. Aussitôt qu’il avançait, les ondées noirâtres du souterrain se jetaient à sa suite, dévorant les traces de ses pas comme pour engloutir le chemin qui l’avait mené ici. S’il se retournait, serait-il seulement capable de regagner la surface ?

Le sol irrégulier semblait se poursuivre sans fin contre ses bottes, s’étalant sous lui comme une plaine à laquelle toute vie organique aurait été froidement arrachée. Ses pas bruissaient à peine contre la roche, mais ce son lui semblait déjà trop grand. Dans un endroit si démesuré, que pouvait-il bien s’attendre à découvrir ?

C’est alors que l’appel lui parvint.

Une voix gutturale s’adressait à lui, droit derrière ce voile de ténèbres insondables, sa distance rendue imperceptible par l’écho qu’elle soulevait avec elle. Il accéléra un peu, persuadé d’être sur la bonne voie, puis se mit soudain à courir, son organisme tout entier commandé par ce son si singulier.
Les yeux rivés devant lui, il ne remarqua pas que le sol humide autour de lui était désormais couvert d’une myriade d’empreintes.

Puis le sol cessa brusquement d’exister devant lui.

Il ne dut sa survie qu’à un réflexe primal. Alors qu’il sentait son premier pied s’enfoncer dans le vide, il se jeta en arrière de tout son poids, freinant net l’élan de sa charge aveugle. Tombant à la renverse dans un cri de surprise, il commença à glisser vers le gouffre, mais plaqua le plat de ses mains contre la pierre pour freiner sa chute. La roche lui mordit la paume des mains, mais sa douleur ne fut rien à celle qu’il ressentit en voyant sa torche dégringoler dans la nasse de noirceur juste sous ses pieds. La pensée de se retrouver seul dans cet endroit sans source d’illumination lui inspira une panique primitive, de celle dont aucun être conscient ne pouvait se défaire.

Pourtant, sa torche ne disparut pas. Au bout d’une seconde, cette dernière rebondit avec un son creux, avant de finir sa course quelques mètres à côté de son point de chute.

Hébété, il se releva lentement, essuya contre ses chausses le sang coulant de ses mains, puis se pencha en avant, toisant depuis son promontoire précaire ce que cette dernière venait de révéler.

Son sang se glaça.

Des dizaines de masses oblongues et hirsutes étaient dressés vers lui, fuyant les contours de son flambeau dansant comme autant de stalagmites difformes. Mais ces choses n’étaient pas le fruit de l’érosion et de l’humidité. Non, elles bougeaient d’une vie malade. Ces tours calcaires n’étaient pas faites de minéraux, mais de chair nécrosée, encapsulée dans le fer d’armures au fer si sombre que la lumière refusait de s’y refléter.
Maintenues dans un mouvement de balancier permanent par des jambes osseuses incapables de faillir, l’armada sépulcrale oscillait lentement dans un mouvement circulaire, le râle guttural de leurs centaines de voix confondu par l’écho de l’antichambre en un seul son presque entêtant.

Il n’aurait pas cru à cette scène si la légion de morts n’avait pas été tournée directement dans sa direction, levant vers lui sa nuée innombrable de pupilles froides. Privés des paupières capables de leur accorder la pitié d’un repos même temporaire, ces yeux décharnés et brûlants perçaient les ténèbres sans fin, comme autant de phares dressés à jamais contre la tempête de l’obscurité. Mais les rivages sur lesquels Sheik se tenait en équilibre n’étaient pas ceux qui le ramèneraient à bon port. Ils étaient ceux qui déchireraient l’embarcation de sa conscience contre leurs récifs de lames et de piques, dès qu’il aurait le malheur de tomber.

Toujours subjugué par l’appel des morts, l’Orsimer voulu faire un pas en arrière, mais son corps se refusa à cette directive pourtant simple. Il restait quelque chose, quelque part, quelque chose que son esprit avait découvert avant son regard et dont il ne pouvait se résoudre à accepter la vue.

À peine illuminées par la portée frémissante de sa torche, quatre jambes pendaient dans le vide au-dessus du gouffre. Et pourtant, ses yeux refusèrent de croire.

Ils refusèrent de croire quand la main squelettique d’un draugr se saisit de son flambeau pour le brandir, révélant l’amplitude infinie de la masse grouillante en contrebas. Ils refusèrent de croire quand la lumière monta le long de ces deux corps pendus, révélant une toge blanche et la jute d’un pantalon tressé qu’il ne reconnut que trop bien. Ils refusèrent de croire, encore, quand les visages bleuis de ses camarades s’offrirent à lui dans toute leur horreur macabre, leurs traits bouffis par l’étreinte de la mort tressée autour de leurs cous. Ils refusèrent de croire, toujours, quand l’empreinte d’une botte s’imprima dans son dos pour le précipiter dans le vide, puis quand la mêlée furieuse des cadavres se referma sur lui.

Sa dernière pensée fut pour les siens.

TheEbonyWarrior
Niveau 35
24 septembre 2024 à 19:34:13

Bon appétit :noel:

EsZanN
Niveau 26
28 septembre 2024 à 15:10:52

Je reviens tout juste de Paris, merci pour ce poulet bg je lis ça dans l'après-midi. :coeur:

TheEbonyWarrior
Niveau 35
28 septembre 2024 à 15:48:35

Bon retour, t'as aimé notre belle capitale ? :hap:

EsZanN
Niveau 26
28 octobre 2024 à 23:51:35

update j'ai quelques problèmes persos donc j'ai toujours pas eu le temps de lire mais promis je remédie à ça dès que je peux ! :noel:

Le 28 septembre 2024 à 15:48:35 :
Bon retour, t'as aimé notre belle capitale ? :hap:

Incroyable.
Sans parler politique, on sent qu'on passe après les JO : c'est propre, ça sent bon, on se sent en sécurité, y a pas de mendiants, de clochards ou de migrants, non franchement j'ai adoré (et j'ai découvert le pass navigo je me suis pris pour un parisien bahaha)

EsZanN
Niveau 26
14 novembre 2024 à 00:26:34

Le 24 septembre 2024 à 19:34:13 :
Bon appétit :noel:

Bon, j'ai ENFIN lu ce foutu chapitre, et je dois t'avouer que je suis pantois. Je veux dire par là, que je me demande encore le but scénaristique que sert la fin de ton chapitre, et que donc je suis impatient de lire la suite. :noel:

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Sujet : [Fic] Au coeur de la tempête
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