Pardon pardon
Chapitre 67
Rigel fut tiré de l'inconscience par la désagréable sensation d'être observé.
Tout d'abord, il ne sentit que le sol tiède en dessous de lui. Puis ses sens s'ouvrirent; à la chape de neige froide le couvrant, au goût métallique du sang dans sa bouche, aux nœuds de douleur parcourant son corps. Sonné, le bréton décolla la tête de la terre humide et ouvrit les yeux.
Son premier regard croisa les pupilles mortes de l'homme écroulé en travers de ses jambes, puis se porta sur la substance noire recouvrant les mailles de son haubert. Dans un mouvement de recul, Rigel dégagea son bassin de l'étreinte du supplicié, ne recevant pour toute protestation que le son cristallin de son corps basculant dans la poudreuse.
Cet homme n'était pas des siens. D'un geste instinctif, presque comme s'il craignait que cette âme fauchée ne reprenne le contrôle de son enveloppe pour finir ce que ses camarades avaient commencé, il la fit basculer la tête du malfrat sur le côté, se soustrayant à son ultime regard. D'un bras, le Compagnon se redressa davantage, puis tenta de se relever. L'entreprise s'avéra pénible, mais ses jambes le soutinrent du premier coup. Remis sur pied, il leva les yeux pour contempler le chaos.
Autour de lui, plus rien ne bougeait. Les flots des corps s'entrechoquant dans la houle du combat s'étaient tus, laissant place à une mer de cadavres sur laquelle plus un remous ne répondait aux caresses du vent. Ces centaines de formes, privées d'identité par la pellicule de givre que le ciel leur avait pudiquement accordée, s'étalaient sur la plaine comme une fourmilière renversée ayant enseveli ses occupants dans sa chute.
Il constata l’inexactitude de son jugement en se retournant : dressé au milieu de la grandeur catastrophique de ses pairs entretués, une silhouette bougeait encore. Le visage couvert d'une capuche, elle avançait dans le labyrinthe des corps, empêtrée dans les pans de sa longue robe à mesure que celle-ci s'accrochait aux mains crispées des vaincus.
Le Héraut fit quelques pas hagards vers l’inconnu, ne sachant si la bouillie nauséabonde sur laquelle il posait ses pieds était faite de terre ou d'entrailles. Son corps était froid comme un bloc de pierre, et la soif faisait pulser le fond de sa gorge d'une douleur aride. Combien de temps était-il resté inconscient ?
Alors qu'il s'approchait, l’occupant de la robe cessa d'avancer. Du même coup, Rigel comprit que ce dernier avançait dans une direction trop précise pour ne pas être la sienne.
Il voulut parler, mais sa langue resta collée contre son palais, noyant le son de sa voix dans un gémissement rauque. Avalant sa salive avec peine, il dut s'y reprendre à deux fois avant que sa voix ne devienne clairement audible :
- Vous êtes venu pour moi ?
- Je vois que ce court séjour au royaume des morts n'a rien ôté à votre perspicacité, Rigel.
Il fronça les sourcils, étonné que l'on s'adresse à lui par son prénom.
- Je vous ai déjà… vu quelque part ? haleta-t-il en faisant un pas supplémentaire.
L'homme eut un rire sans joie.
- Je sais que vous répugnez Fort-Dragon, mais je pense que votre mémoire n'est pas si courte que vous voulez le faire croire.
Plissant les yeux, le Héraut continua d'avancer, tentant de comprendre à qui il avait affaire. L'évidence ne le frappa que lorsque la pilosité caractéristique de Farengar se dessina sous les bords de son capuchon.
- Feu-Secret… Ici ? Qu'est-ce que vous fabriquez ?
- Je viens chercher ce qui tient encore debout avant qu'une épidémie n'achève d'éradiquer toute vie au sein de cette ville. Nommément, vous.
- Où… où sont les autres ?
- Soyez plus précis.
- Mes… où sont mes hommes ?
L'expression du nordique lui fit comprendre ce qu'il allait dire avant qu'il ne parle.
- S'il vous en reste, ils ne sont pas ici.
- Je vois.
L'espace d'une fraction de seconde, Rigel avait eu envie de se jeter sur l'érudit, comme si sa franchise dénuée de pitié eut justifié qu'il ne disparaisse à son tour. Cette considération s'était cependant effacée dès qu'il avait véritablement regardé le mage de cour.
La dureté de son visage était inhabituelle, même pour un homme de sa réputation. Sa peau était couverte de terre et de sang, chose anormale pour quelqu'un que l'on ne voyait jamais quitter le cocon seigneurial du palais. Sa robe était déchirée en plusieurs endroits, et si la pâleur de sa peau sous le tissu n'en laissait rien présager, les tâches écarlates maculant sa fabrique indiquait clairement qu'il avait payé l'assaut de cette journée aussi sûrement que n'importe quel combattant. Soudain, la fatigue de l'érudit percuta le bréton de plein fouet. Farengar ne quittait jamais Balgruuf des yeux. S'il était blessé, cela ne pouvait vouloir dire qu'une chose.
- Je veux savoir ce qu'il s'est passé là-haut.
Feu-Secret ne répondit pas.
- Dites-moi ce qu'il s'est passé en ville. Je dois le savoir.
Le mage déclina sa demande d'un pincement de lèvres sévère.
- Les mots seraient malvenus. Vous verrez cela de vous-même.
- Tout le monde ne va pas bien ?
- Non. Tout le monde ne va pas bien.
Sentant la tête lui tourner, le Héraut du fermer les yeux pour parvenir à rester debout. Il avait le sentiment qu'un grand vide venait de s'ouvrir sous ses pieds.
- Est-ce que tout est terminé ?
- Si vous parlez de la bataille, oui. Tout est fini depuis hier.
- Hier ?
- Vous avez dormi longtemps, mais la mort ne semble pas vouloir de vous. Dépêchez-vous tout de même de rentrer avant que cette vilaine plaie ne s'infecte.
Il baissa les yeux.
Sa cuisse était fendue comme une souche frappée par la foudre. Le cuir de sa protection avait explosé, s'ouvrant avec la peau et le muscle en une crevasse d'une vingtaine de centimètres. Il tenta d'en déterminer la gravité, mais son regard fut happé par les tréfonds noirs de la plaie si longtemps qu'il en détourna le regard pour ne pas s'y retrouver aspiré tout entier.
Il n'avait pas mal, mais il savait pertinemment qu'il n'y avait aucune raison de s'en réjouir.
- Allons-y, dit-il simplement.
- Vous pouvez marcher ?
- Oui.
- Alors vous ferez la route sans moi, navré.
Il regarda Farengar sans comprendre. L'arcaniste semblait exténué, mais une pointe d'agacement raviva brièvement l'agencement de ses traits.
- Ces corps sont en train de pourrir. Vous voyez des porteurs d'huile ici ? Des torches ? Des bougies ?
- Non.
- Alors vous savez ce que je dois faire.
Oui, il savait. Il fallait tout brûler.
- Et s'il restait des gens là-dedans ?
- Croyez-moi, Rigel. Il ne restait que vous.
Ne sachant quoi répondre à cela, le Compagnon tourna les talons en silence.
Il enjamba les corps un à un, ne reconnaissant ni leurs habits, ni leurs visages mordus par le froid blanc. Aucun deuil n'aurait lieu en cet endroit; ceux qui étaient tombés ici allaient connaître une fin loin des louanges et de l'honneur qu'on leur avait promis. Ils allaient se consumer, tous ensemble, sans justice ni prière, et leurs cendres s'élèveraient en un unique nuage, indifférent aux contradictions absolues qui les avaient opposés jusqu'à leur dernier instant.
Rigel quitta le champ de cadavres, mais leurs regards vitreux s'accrochèrent à lui de plus belle, tentant de le suivre à travers cette frontière qui séparait leur monde de celui des vivants. Alors qu'il s'était attendu à progresser plus aisément dans l'herbe froide des steppes, il sentit au contraire ses pas s'alourdir sous la masse invisible de leur scrutation. Leur jugement poisseux s'infiltrait dans son être par des pores qu'il ne pouvait combler, s'ancrant en lui avec l'avidité de ceux qui n'avaient plus rien.
Il avança durant plusieurs centaines de mètres, poussant son corps à bout dans le froid mordant, espérant que cette traque macabre ne prenne fin. Mais les esprits damnés s'accrochaient toujours, refusant que lui s'en sorte alors que tant d'autres étaient tombés en le protégeant. Après tout, il avait été l'un des instigateurs de tout cela. Qu'il le veuille ou non, c'était en son nom que s'était faite cette guerre. N'était-il pas juste qu'il succombe comme ceux dont il avait provoqué la fin ?
Il atteint les écuries à bout de souffle, et leva deux pupilles hagardes vers les remparts le surplombant, se demandant s'il aurait la force de s'y traîner.
Peut-être la mort était-elle plus facile à affronter que ce qui l'attendait. Sa poitrine était pressée par un sentiment de culpabilité si fort qu'il se demanda s'il n'était pas déjà piégé dans l'au-delà, forcé de subir les conséquences de ses erreurs jusqu'à ce que les dieux soient lassés de son tourment.
La simple idée de devoir regarder dans les yeux les habitants de cette ville à laquelle il avait failli suffisait à lui donnait la nausée. Il s'était cru imperméable aux considérations que le monde lui portait, mais cet échec faisait poindre en son sein une douleur immonde et aberrante dont il se savait la cause. Farengar n'était pas un combattant : aucune guerre, aucun conflit plausible ne pouvait expliquer ses blessures. S'il lui avait fallu une journée entière après la fin des combats pour rejoindre l'extérieur des murs, c'était que quelque chose d'abominable s'était déroulé en leur sein. Quelque chose qu'il avait laissé faire.
Il aurait aimé s'effondrer ici et se réveiller six mois plus tôt. Il se serait levé, aurait pris ses hommes dans ses bras en voyant la vie dans leurs yeux, et les aurait menés sur une autre voie, n'importe laquelle, qui n'aboutisse pas de la pire des façons. Mais les secondes chances n'étaient pas une réalité; elles n'étaient que la cristallisation des regrets que l'esprit formait une fois la défaite avérée. Pour lui, pas de seconde chance.
Seulement la plus abominable des pensées : celle du lendemain.
Traînant son corps à sa suite comme un fardeau, il passa les portes de la ville, fiévreux. Un soldat et un homme armé d'une bêche s'approchèrent de lui alors qu'il posait le pied au sein des murailles, mais leurs mots s'entrechoquèrent dans son esprit sans former le moindre mot qu'il puisse saisir.
À une dizaine de pas de là, alignés dans de grands chariots branlants, les corps des hommes et des femmes de Blancherive gelaient lentement sous une neige indifférente.
Il avait cessé d'avancer en les voyant. Alors qu'on le saisissait aux épaules pour le déplacer, il resta planté dans le sol, immobile, fixant les cadavres sans un mot. Il regardait leurs vêtements sales, leur chair grise, leurs cheveux maculés de sang noirci, cherchant dans ces corps brisés une réponse qu’il ne trouvait pas.
Les deux hommes essayèrent de lui parler de nouveau, mais leurs lèvres s'agitaient en un charabia de syllabes qu'il n'arrivait pas à comprendre.
Le Héraut s'avança enfin, ses bottes tonnant contre la pierre dans un vacarme coupable, et s'arrêta devant l'une des charrettes. Les macchabées étaient mal empilés, encombrant l'espace en se mêlant les uns aux autres sans ordre ni harmonie. Étaient-ils morts ainsi ? Dans la cohue, dans cet empressement confus, dans ce froid impitoyable seulement réchauffé par la tiédeur du sang versé ?
Il n'arrivait pas à pleurer.
Il aurait voulu s'arracher les yeux et les presser devant ces gens en une pulpe sanglante pour en extraire la moindre once de liquide lacrymal qui puisse l'absoudre de ses fautes. Mais même cela, il n’en avait pas le courage.
Le bréton sentit les mains des deux hommes le rattraper, le tirer de force en arrière. Il ne lutta pas davantage. Il fut traîné en arrière, puis vit la lueur d'une lanterne se substituer à celle du soleil. Les murs de pierre remplacèrent le bois des maisons, et les gémissements supplantèrent le silence. Ils lui semblaient presque plus facilement compréhensibles que les mots des hommes.
Il fut amené sur un lit. Plusieurs personnes passèrent tour à tour au-dessus de lui, parlant dans cette langue qu'il ne comprenait pas. On lui retira son armure, puis on plaça un morceau de bois entre ses dents. Sa jambe s'embrasa d'un feu brûlant quand on y déposa quelque chose, transissant tout le bas de son corps. Il ne referma même pas les mâchoires autour du bâton, ne sachant pas s'il devait redouter ou accueillir la douleur.
- Il s'est évanoui.
- Non. Non, il est encore conscient.
- Quoi ? Mais c'est…
- Qu'est-ce qu'on fait ?
- Pas le choix, il y en a cinq autres qui attendent après lui.
Plusieurs picotements successifs l'informèrent qu'on était en train de recoudre sa jambe. Il tenta de hausser les épaules, sans savoir si son corps suivait le prolongement de son intention ou s'il avait cessé de lui obéir. Ils auraient eu plus vite fait de cautériser la blessure.
Il ne sut pas exactement au bout de combien de temps les silhouettes le firent basculer à la verticale, mais le contact du dossier de la couche contre son dos fut d'un réconfort étrange. Il regarda sa cuisse droite, désormais enserrée dans un bandage de tissu dévorant sa peau de la hanche jusqu’au genou. Désormais, il avait mal, bien plus qu'en se réveillant au milieu des morts. Cette douleur lui inspira un réconfort silencieux : sa jambe était bien vivante, et le lui faisait savoir sans détour.
Il reporta son attention en face de lui en sentant une ombre obstruer la lueur des torches accrochées aux murs. Alors qu’il contemplait son état d’un œil vide, une jeune femme s’était approchée de lui. Une nordique, la vingtaine environ. Une natte brune à moitié défaite lui coulait dans le dos comme la crinière d’une bête vaincue qui aurait refusé de se laisser mourir, parsemant ses épaules de cheveux sauvages.
- Vous pouvez parler ?
Il hocha la tête, happé par son visage exempt de cicatrices. Ses vêtements étaient barbouillés de rouge, mais il ne s’agissait de toute évidence pas du sien. Il était presque étonné de voir quelqu'un qui ne soit pas blessé. Mais avant tout, il était étonné de saisir le sens des mots qu’elle lui adressait. Il comprenait ce qu'elle disait.
- Vous devriez pouvoir marcher d'ici quelques jours. Nous allons vous apporter de l'eau dès que la garde aura nettoyé le puits.
- La garde ? Ils sont en vie ?
La femme sursauta en entendant la voix du bréton. L'éclat éraillé de ses cordes vocales avait tonné dans la pièce, le faisant remarquer de tous ceux qui s'y trouvaient. Il nota à son tour la présence des occupants de l’infirmerie. Une quinzaine d'individus étaient réunis ici, dans cette petite salle aux lumières oscillantes. Tous étaient allongés ou assis par terre, à l'exception de la femme qui s'occupait de lui et de deux autres hommes portant des seaux de linges ensanglantés vers le couloir. Sans mal, Rigel reconnu le dortoir des baraquements Ouest de la cité. Il avait passé une soirée ou deux ici avec le commandant Caïus peu après être arrivé à la tête des Compagnons.
Caïus, lui aussi, avait donné jusqu’à sa vie pour défendre cette ville à peine quelques semaines plus tôt. Ne se trouvait-il ici que pour se rappeler de tous ceux tombés par sa faute ?
Constatant son agitation, la jeune nordique à son chevet posa une main sur son épaule.
- Quelques-uns ont survécu, oui. Ils ne devraient pas tarder.
- Et les Compagnons. Vous en avez vu ?
Elle parut surprise de la spécificité de sa demande.
- Je... Je ne sais pas. Je ne crois pas. Est-ce que vous êtes un Compagnon ?
Rigel posa la main contre le bras de la femme et la repoussa doucement sur le côté. Il posa ses pieds contre le sol, s'appuya de ses deux mains contre le rebord du lit pour se mettre debout, et se leva d’un lent mouvement, dépliant son corps exténué comme on ouvrirait une porte grinçante. Sa jambe le tirailla comme si une bouteille de verre venait d'exploser au creux de sa chair, mais il se contenta de serrer les dents.
Il ignora le regard des infirmes autour de lui, et se dirigea vers la sortie de la pièce sous les protestations de la guérisseuse. Agrippant le mur d'une main moite de sueur pour ne pas s’effondrer, il traversa le couloir, découvrant une poignée d’autres blessés affalés à même la pierre. Certains semblaient conscients, mais il fut incapable de déterminer si la plupart d’entre eux étaient vivants ou morts. Il les contourna d’une démarche claudicante, butant contre certains sans même leur arracher un gémissement, et parvint au niveau de la porte après une bonne minute d’enjambées difficiles.
En retrouvant l’air libre, il vit de nouveau ces corps, débordant des charrettes comme des mottes de terre retournées par une bête sauvage.
Une bête.
Était-ce ce qui s’était produit ?
Rigel se sentait fiévreux, peinant à maintenir sa conscience, simplement retenu à la réalité qui l’entourait par l’horreur absolue de cette dernière. Mais son instinct ne le trompait pas. Les silhouettes qu’il avait devant les yeux étaient dans un état que vingt années d'entraînements et de campagnes militaires ne pouvaient lui permettre de comprendre. Ce qui leur avait infligé cela était bien plus gros que ce qu’un homme pouvait manier.
Il marcha. Remontant la piste du carnage comme un traqueur après sa proie, il grimpa la colline, maison par maison, scrutant les stigmates de l’hécatombe subie en son absence. Des corps avaient été déplacés un peu partout, laissant contre les pavés de grandes traînées roses anesthésiées par la neige. Il espéra brièvement que les morts aperçus aux portes de la ville représentent le gros du saccage, mais la couche omniprésente de vernis sanglant couvrant le sol laissait présager une ampleur bien supérieure à celle dont il tentait de se persuader. Après presque une heure de marche claudicante, il atteint la place du marché des Plaines. Cinq chariots supplémentaires l’accueillirent, débordant de la même masse innocente et mutilée que les précédents.
Malgré la distance, leurs effluves macabres mettaient déjà à vif la cavité de ses narines. Ce n’était pas simplement l’odeur du sang, mais celle de la mort qu’on ne voit pas venir, celle qui broyait les corps et tout ce qu’ils contenaient avec. C’était le parfum du massacre.
Sentant sa conscience dériver, il se détourna juste assez pour apercevoir du coin de sa vision une demi-douzaine de soldats aux couleurs de la garde. Les hommes étaient affairés autour du puits, remontant de grands seaux d’eau pour les déverser à même le sol dans un flot continu.
« Les corps ont contaminé le puits, réalisa le Héraut en voyant l’eau teintée de sang se répandre entre les pavés. Ce n’est pas simplement ma tête qu’ils voulaient. Non, ils voulaient raser cette ville. Nous étions simplement sur leur chemin. »
Il senti ses forces le quitter peu à peu, abandonnant ce corps qu’une raison vacillante ne parvenait plus à maintenir debout. Il pensa à héler les soldats, mais se ravisa au dernier moment, n’osant pas les déranger dans leur tâche. Alors il tituba jusqu’au bord de la route, et se laissa tomber contre le muret d’une maison, sans un mot, comme un homme déjà mort.
Il les regarda faire, vidant bassine après bassine contre la pierre barbouillée d’hémoglobine, couvrant le sol de rouge sans que l’eau ne s’éclaircisse. Une véritable rivière de liquide saumâtre avait commencé à inonder la place, se mêlant aux fluides des corps dans une mare toxique qui finit par baigner ses bottes. Il resta là, figé dans l’ombre des siens, fantôme parmi les fantômes, attendant son tour.
Son tour vint d’une certaine façon, mais pas celle qu’il s’était imaginée.
Alors que sa vision se brouillait d’épuisement, une silhouette grise se découpa en haut de l’arche surplombant la place. Elle resta suspendue quelques secondes, puis dévala les escaliers, son visage réduit à l’état d’une forme beige surplombée d’un trait de cheveux bruns. Quand elle dépassa les gardes sans ralentir, il comprit que c’était encore une fois pour lui que l’on venait.
Ne pouvaient-ils pas tous l’oublier pour de bon ?
Il reconnut rapidement Vilkas. Ce gris était celui de l’armure, leur armure.
Le nordique n’était pas blessé, ou tout du moins pas de façon évidente. Il se pencha vers lui, le front crevassé par un pli d’inquiétude. L’instant d’après, Rigel se trouvait soulevé sans ménagement, un bras calé sous son aisselle en guise de soutien.
- Allez, souffla Vilkas. On rentre.
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La chaleur du feu lui fit presque mal aux pieds. Il observa ses orteils noirs de saleté dépasser de la bassine d’eau chaude dans laquelle on les avait plongés sans qu’il ne s’en rende compte, puis reporta son attention sur son impromptu sauveur.
- Où sommes-nous ?
- En sécurité, répondit Vilkas. Pour le moment, c’est tout ce qui compte.
Il hocha la tête, pensif. Ce mot lui semblait presque déplacé. Pouvait-on encore parler de sécurité lorsqu’il ne restait rien à protéger ?
Devant ses yeux, l’âtre aux reliefs bruts l’informa à la place du nordique qu’il se trouvait au sous-sol de Jorrvaskr, au sein de ses propres quartiers.
- Ironique, lâcha-t-il.
- Hmm ?
- J’ai attendu ton réveil dans cette salle il y a moins de deux lunes. C’était après que ton groupe soit tombé aux mains de l’ennemi. Aujourd’hui, voilà que c’est à toi de veiller sur moi après que je sois parti te venger.
Le silence lui répondit. Ainsi paré, le visage couvert de saleté et les yeux cerclés de peinture sombre, Vilkas avait le regard d’un faucon.
- Tu ne l’as pas fait pour moi, lâcha-t-il après plusieurs secondes.
- Pas seulement, c’est vrai.
Leurs voix, elles-aussi, semblaient plus mortes que vivantes. Les mots qui franchissaient leurs lèvres étaient dénués d’émotion, comme si chaque goutte d’humanité en avait été essorée dans l’horreur des dernières heures. Rigel n’avait pas encore entendu ce qu’il s’était produit, mais il savait à l’épuisement apparent du nordique que les choses avaient sans doute été plus dures encore au creux de la ville qu’aux pieds de ses remparts.
- Raconte-moi tout.
Vilkas pinça les lèvres comme pour s’empêcher de répondre.
- Tu dois d’abord te reposer.
- Je ne me reposerai pas avant de savoir ce qui s’est passé ici.
Le Compagnon soupira. Il passa une main alourdie de fatigue contre son front, surplombant l’éclat terne de ses yeux de celui, plus métallique, de ses gantelets. Dans le reflet des flammes, l’armure des loups semblait presque trop prestigieuse pour avoir sa place dans toute cette désolation.
- Tu es vivant, dit Rigel.
Le combattant sembla décontenancé par l’évidence de ce constat. Il ne pouvait pas comprendre.
- Tu es vivant, répéta le Héraut. Est-ce parce que tu es le meilleur d’entre nous, ou bien parce que les dieux ont choisi d’épargner certains des nôtres ?
- Aucun des deux. C’est parce que nous avons lutté. Comme des bêtes.
- Comme des bêtes.
- Oui.
Il hocha la tête. Cette fois, c’était son tour de ne pas comprendre. Et comment le pouvait-il ? Chacun d’eux se trouvait rescapé d’une catastrophe qu’il était difficile d’imaginer et sans doute impossible de décrire.
- Où sont-ils ? demanda-t-il dans un filet de voix. Où sont mes… où sont nos hommes ?
Le regard du nordique se tourna vers le pas de la porte sans oser la franchir.
- Tu peux marcher ?
D’une grimace, Rigel priva ses extrémités de la chaleur de sa bassine pour se lever de sa chaise. Contre la plante de ses pieds, le sol lui sembla plus inhospitalier que jamais. La pierre était froide comme celle d’un caveau.
« Jorrvaskr elle-même me devient hostile », pensa-t-il.
D’un pas alourdi par la douleur enflammant sa jambe, il s’approcha de son lit. Il tenta de se pencher, mais son corps entier protesta contre son geste, le clouant comme un infirme au milieu de son mouvement. Vilkas saisit à sa place la paire de vieux souliers en tissu qu’il essayait d’atteindre, puis l’aida à les enfiler.
Une fois paré, le bréton fit quelques pas hésitants en direction de la porte, puis s’engouffra dans le couloir.
Alors qu’il dépassait la première porte sur sa droite, une assemblée curieuse émergea en silence de la pénombre dansante du sous-sol. Peinant à voir dans la lueur moite des bougies, il dévisagea les quelques inconnus logeant dans le dortoir, mais ne détecta parmi ces expressions atones aucune familiarité. Sous les têtes et les membres bandés, l’odeur de la peur emplissait l’air, suffocante.
- Les soldats blessés ont été installés dans les quartiers de nos hommes, l'informa Vilkas. Les Compagnons en état de se battre sont en haut. Les autres sont au temple.
« En état de se battre ? Mais se battre contre quoi, au juste ? »
Il se détourna des regards vides dirigés vers lui, et dépassa trois autres pièces du dortoir, découvrant chaque fois d’autres hommes alités ou occupés à refaire leurs bandages. Cela ne l’avait pas alerté immédiatement dans la caserne, mais voir plus d’estropiés que de valides avait quelque chose de sérieusement glaçant. Blancherive n’était pas un champ de bataille où chaque âme portait l’épée. C’était une ville. Rien de tout ceci ne devrait être possible. Dans les yeux de ces hommes, les vestiges d’une horreur indicible subsistaient comme une malédiction. Qu’avaient-ils donc vu ? Que s’était-il vraiment passé ?
Précédé par Vilkas, Rigel atteint les escaliers de l’étage. Il prit une inspiration anxieuse en s’engouffrant dans les marches à la suite de son camarade, la poitrine serrée d’un étau cruel.
Ses pas grincèrent contre le bois, trahissant sa venue avant même qu’il ne les voie. Dans la grande-salle, les voix étouffées cessèrent soudain, et le poids des regards qu’il devina tournés dans leur direction s’abattit soudain sur lui.
Il avait cinq ans, peut-être six. Ce matin, son père avait décidé d’introduire ses héritiers aux membres de la cour. Dix pas devant lui, Sirius brillait dans toute sa splendide arrogance, pavanant sa cape de brocard à sa suite comme la crinière d’un grand loup. Mais lui demeurait là, sur le pas du hall. Les quelques enjambées le séparant du monde s’étaient changées en un gouffre qu’il était incapable de franchir. Luttant de tout son poids contre la main poussant dans son dos pour le faire avancer, il n’avait qu’une pensée en tête : cette salle était remplie d’hommes aux ambitions trop grandes pour lui. Des hommes ambitieux. Dangereux. Il ne serait jamais comme eux.
Le souffle court, Rigel posa une main contre son cœur, agrippant le cuir de son plastron à s’en abîmer les doigts. Une panique subite venait de le clouer sur place. Quelque part sur ces cinq marches le séparant du sommet, une frontière interdite venait de se dresser. Il s’apprêtait à paraître devant ses hommes après leur avoir infligé le pire des supplices ; celui de voir tout ce qu’ils avaient juré de protéger s’effondrer sous leurs yeux. Il n’allait pas s’offrir à eux en conquérant, mais en vaincu. Pire : en coupable. Il avait toujours été simple pour lui de paraître comme un sauveur, comme un prophète, ses moindres mots soutenus par l’autorité incontestée du Cercle. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus de Cercle. Il avait perdu Torvar dans la mêlée. Il avait vu Riekla tomber sous les lames. Il avait entendu les râles mourants d’Athaltus et Kazar disparaissant devant quinze adversaires. S’il semblait simple d’ignorer la haine que d’autres vouaient à son ascension, supporter la déception de ceux qui avaient cru en lui était tout bonnement atroce.
- Rigel. Ils t’attendent.
La voix de Vilkas était dénuée d’encouragement comme d’hostilité. Elle n’était plus que l’outil primaire et calculé visant à transmettre un message à son prochain, privée de toute fonction supplémentaire. Il n’y avait plus ici de place pour le superflu des sentiments. Seule la vérité allait parler, dans toute sa froide indifférence.
Puisque son clairon devait sonner, autant que ce soit à travers lui.
Il gravit les marches restantes en retenant son souffle, focalisant ses pensées sur la douleur dans sa jambe pour ne pas penser au reste.
Soudain, il se retrouva nez-à-nez avec ses troupes. Ou plutôt, ce qu'il en restait.
Dans la pâleur poussiéreuse de la grande-salle, une quinzaine d’hommes aux corps ployés par la fatigue le scrutaient sans un mot. Sans surprise, les rescapés arboraient des mines sombres et sans joie. Il connaissait le nom d’une dizaine d’entre eux environ. Les visages des quelques autres lui disaient quelque chose, mais il n’avait jamais poussé le dialogue au-delà des banalités hiérarchiques. Il connaissait leurs compétences martiales, mais rien de plus. À quoi bon se préoccuper de l’identité des pions que l’on déplaçait au gré de la bataille ?
En cet instant, il regrettait ce dogme de tout son être. Chacun d’eux aurait pu mourir pour lui, et maintenant qu’ils avaient tout perdu, il ne pouvait pas leur demander comment allaient leurs familles. Pas parce qu’il ne le voulait pas, mais parce qu’il ne savait même pas s’ils en avaient. Il avait fallu que tout s’effondre pour qu’il réalise que rien n’était pire que de devoir demander pardon à des hommes dont il ignorait jusqu’à l’identité.
Aucun son n’était venu déranger sa longue réflexion interne. Le bréton crû tout d'abord être devenu sourd de nouveau, mais le tambour de son cœur battant au creux de ses tempes confirma son constat amer : c'était bien le silence de ses frères qui accueillait son retour.
Ses frères ? Non. Ceux qui servaient Jorrvaskr n’avaient jamais été des frères pour lui. Les membres du Cercle avaient été des amis, peut-être. Mais les autres ? De simples outils, recrutés par dizaines pour accomplir leur mission, et morts par dizaines en essayant.
Peut-être la superbe des Compagnons avait-elle effectivement été ternie par le gonflement forcé de leurs rangs au cours des deux dernières années. Certains anciens l’avaient vécu comme un véritable déshonneur. À ses yeux, en revanche, ce n’était qu’un prétexte éhonté de plus pour se dispenser de la considération qu’il devait à ses forces. Il était dur de jouer avec la vie de ses frères, mais manipuler à son bon vouloir celle d’inconnus enrôlés à la hâte était redoutablement simple.
En fin de compte, que ces hommes sans nom aient ou non mérité leur titre n’avait pas d’importance. Il n’avait pas montré à ces guerriers une once du respect qu’il leur devait. Et voilà qu’il se retrouvait à craindre leur jugement comme un châtiment divin ? C’était tout bonnement ridicule. Il était ridicule.
Ils le lui montraient bien : indifférents à ses dilemmes, les hommes l’avaient fixé tour à tour, puis s’en étaient retournés à leurs tâches respectives.
Dans d’autres circonstances, cette absence de réaction l’aurait sans doute choqué. Il s’était habitué à susciter l’admiration ou la haine, appréciant pareillement la force et la portée que chacune avait confiées à sa voix. Mais l’indifférence ? Cela n’avait rien de normal. Il aurait aimé que l’un d’eux dégaine et ne tente de le tuer sur-le-champ. Il aurait voulu qu’un de ces hommes à qui il avait tout pris ne perce son cœur d’un épieu d’acier et ne le cloue à un mur, comme on placarde un échec sur un panneau. Il aurait voulu se sentir important, jusque dans sa mort.
L’absence de cette confrontation qu’il avait tant craint ne le soulagea pas, mais l’accabla au contraire d’un nouveau fardeau : celui de devoir attendre que l’épée de Damoclès ne s’abatte sur lui plus tard, quand il ne s’y attendrait plus.
Mêlé d'émotions contraires, il observa ses hommes s’affairer dans la pâleur du jour tombant, saisissant les planches de meubles démolis pour les apporter près des grandes portes.
Ce fut avec stupeur qu’il comprit finalement ce à quoi ils œuvraient.
Durant son arrivée semi-consciente avec Vilkas, il ne s’était pas souvenu du son si caractéristique des battants s’entrouvrant pour le laisser entrer dans Jorrvaskr. Et pour cause : les portes n’étaient plus là. À la place de l’entrée, la coque millénaire du navire avait été éventrée, comme une cage thoracique qu’on aurait enfoncé d’un coup de massue titanesque. Une couronne de planches pulvérisées jaillissait dans la salle, projetant des dizaines d’éclats de bois et de morceaux de porte au creux de leur havre symbolique.
Au plafond, la destruction d’un pan de la structure avait précipité l’effondrement de la charpente, dont une grande partie s’était affaissée sur les poutres millénaires au point de les faire pencher.
Malgré le chaos planant jusqu’au-dessus de leurs têtes, les Compagnons s’affairaient, refusant de s’arrêter tant que leur demeure pouvait être sauvée. Alors qu’il s’apitoyait sur son sort, craignant ce qu’on dirait de lui, eux se donnaient corps et âme à la sauvegarde de leur berceau, conscients qu’il serait impossible de remplacer celui-ci s’il venait à tomber.
En fin de compte, chacun d’entre eux aurait sans doute fait un meilleur meneur.
Sentant la chaleur de la honte lui monter à la gorge, Rigel se jeta presque au dehors. L’air frais lui fouetta le visage comme une claque, le ramenant à ses sens. Il leva les yeux vers la ligne d’horizon des monts glacés, puis les baissa, portant tour à tour son regard sur la masse hirsute de Fort-Dragon, sur les remparts du quartier des Nuées, sur la Place du Vermidor, puis sur le perron des marches.
Un sentiment de nostalgie le submergea. Il se souvenait de ses premiers pas ici. Il se souvenait de l’odeur du bois brûlé, du parfum âcre des feuilles du grand arbre dans la fumée des barricades, du goût métallique du fer et du sang dans sa bouche, de la clameur des Sombrages autour de lui.
Il ne savait pas pourquoi il repensait à tout cela maintenant.
Ingérer le gruau fade servi dans les geôles lui avait semblé aussi désagréable que de mâcher du papier. Les gouttes s’abattant du plafond de sa cellule, tonnant dans le silence comme autant de coups de tonnerre, l’avaient obsédé au point de flouter les frontières de la folie.
Avec l’habitude, sa pitance s’était faite plus supportable. Le rythme de l’eau dans les flaques, d’abord insoutenable, avait rythmé ses jours et ses nuits, lui permettant de garder la notion du temps entre chaque repas. D’abord craintes et pleines d’animosité, les visites des gardes étaient devenues cordiales, presque respectueuses. Le fait qu’il ait été commandant d’un détachement y était sans doute pour quelque chose, au début, mais les nouvelles du conflit avaient vite laissé place à des conversations plus mondaines. Il n’avait appris la fin de la guerre que deux semaines après celle-ci, mais à sa propre surprise, aucune colère n’avait monté en lui. Seulement cette impression, étrange et coupable, qu’un poids venait d’être ôté de ses épaules.
Quand il était sorti du donjon, après des mois d’emprisonnement, la frustration de l’échec avait laissé place à la curiosité d’un monde dénué des siens. La Blancherive à conquérir était devenu un havre de liberté anonyme où tous ignoraient ce qu’il était. Les passants ne connaissaient ni son nom, ni son visage, ni rien de ce qui l’avait mené ici. Pour la première fois, il avait eu l’impression que sa valeur était mesurée non pas à son ascendance, mais à ses propres actes.
Il avait découvert la granulosité mielleuse de l’hydromel du Chasseur ivre. Il avait capté l’arôme sucré des fleurs embaumant les rues et senti le goût du soleil sur sa peau. Il avait laissé le brouhaha des rues marchandes le traverser, résonnant à travers lui comme un souffle activant un instrument.
Il avait découvert cette ville pendant la guerre, mais il avait fallu que cette dernière ne se termine pour qu’il réalise à quel point il l’appréciait. L’éclat singulier du Joyau de Bordeciel ne s’était offert à lui qu’une fois les cendres de la bataille dispersées par les vents, comme s’il avait attendu qu’il ne s’en montre digne. Et, depuis qu’il l’avait vu, pas une fois il ne s’en était détourné. Il n’avait jamais aimé aucune femme, mais il avait su en émergeant du noir que cette cité méritait son cœur plus qu’aucune d’entre elles.
Alors, il était resté. Pas simplement par utilitarisme égoïste, pas simplement pour mener à bien ses plans, mais parce qu’il y avait ici quelque chose qu’il craignait de ne jamais pouvoir trouver ailleurs. Sa convoitise s’était muée en désir protecteur. Il avait voulu prendre cette ville au nom d’Ulfric, mais c’était de son propre chef qu’il avait ensuite voulu la défendre.
Aujourd’hui, l’ombre d’une guerre qu’il avait provoqué avait une fois de plus terni la superbe de cette gemme inestimable. Il avait chéri cette ville, mais l’amour qu’il lui avait porté s’était révélé d’une jalousie maladive. Loin de la préserver, son étreinte protectrice avait bien failli la briser complètement. Saurait-il seulement combler les fissures qu’il avait sous les yeux lorsqu’il contemplant ces rues silencieuses ?
Il respira lentement, mobilisant l’intégralité de ses forces dans le seul but d’évacuer le malaise rongeant sa chair. Il ne pouvait pas perdre la face, pas devant ses hommes, pas maintenant. Cette histoire s’était peut-être terminée de la pire des manières, mais il n’était pas l’heure de tourner la page. Pas encore. Derrière lui, derrière les portes défoncées de leur demeure, ces hommes avaient besoin d’un meneur, pas du spectre d’un homme dévoré par l’échec. Un Héraut ne se lamentait pas devant ses erreurs ; il les corrigeait.
Et pour cela, il devait savoir exactement ce qu’il lui restait.
- Vilkas.
- Rigel ?
Le nordique se tenait à côté de lui, droit comme une lame. L’assurance du ton du bréton ne lui avait pas échappé. Il savait, lui aussi, que tout se jouait maintenant.
- Nos hommes sont au Temple, c’est cela ?
- Oui.
- Tous ceux qui sont en vie ?
- Je ne veux exclure aucune éventualité, lâcha Vilkas. Mais les blessés s’y trouvent tous, oui.
- Et les autres ?
- Farengar est parti s’en charger. Tu as dû le croiser. Pour ce qui est de ceux tombés en ville, ils ont été amenés près du bûcher.
- Je l’ai croisé plus tôt. Mais je n’ai pas vu de bûcher.
Le nordique lui indiqua une direction d’un signe de tête.
Ce ne fut qu’à ce moment que Rigel entendit le crépitement des flammes. Les plaintes du bois fendu par la chaleur montaient dans l’air dans un concert de craquements irréguliers, portant avec eux le dernier message des âmes s’y trouvant.
Le Héraut se contenta d’espérer qu’aucun ne lui était destiné.
- Allons-y, déclara-t-il d’un air décidé.
Les deux Compagnons dévalèrent les escaliers d’un pas las. Leurs jambes ployèrent sous le poids de leurs propres corps à chaque marche, mais ils atteignirent sans encombre le parterre de la place.
Sous leurs bottes, le sol de pierre arborait les couleurs du carnage. De grandes arabesques sanglantes imbibaient le dallage en suivant le tracé des corps traînés, convergeant au pied de l’autel de Talos à quelques dizaines de mètres. Derrière un tas de charrettes vides dont il ne connaissait que trop bien la fonction, une colonne de flammes rugissait sans discontinuer, léchant les contours de l’effigie chaque fois que le vent pliait le brasier à ses caprices. Dans le halo brûlant du bûcher, une série d’expressions sinistres dansaient sur le faciès sculpté de l’empereur-dieu, comme autant de remontrances devant l’échec des siens.
Près des flammes, plusieurs hommes aux couleurs de Blancherive formaient une chaîne, balançant les corps dans cet âtre aux proportions démesurées sous les suppliques éplorées des survivants. Il y avait, en tout et pour tout, une trentaine de personnes sur la place.
« Il y a plus de défunts que de vivants ici, pensa le Compagnon. »
Quelque part dans la petite foule massée devant le feu, une plainte déchirante éclata lorsque les soldats hissèrent une silhouette hors d’un des chariots. À sa taille, Rigel su que la victime n’avait pas dix ans. Elle fut hissée entre quatre mains, balancée en arrière une, puis deux fois, et s’engouffra dans le brasier, disparaissant sans un son dans l’enfer irrespirable de la fournaise. Une plainte finale secoua l’un des hommes se tenant à proximité. Lorsqu’il tomba à genoux dans un sanglot incontrôlable, le corps suivant avait déjà été saisi, sans hommage ni cérémonie. C’était presque comme si cet enfant n’avait jamais existé.
Quelque chose au creux de ce cercueil incandescent que l’on nourrissait de corps sans discontinuer attirait irrémédiablement l’attention de Rigel. L’appel qui lui parvenait était inexplicable mais familier, presque hypnotisant. Il y avait dans ces flammes quelque chose qu’il ne comprenait pas.
- Ne traînons pas, lâcha-t-il simplement.
Vilkas et lui se remirent en route.
Bien vite, la lueur du feu se perdit dans leur dos, coupée par la silhouette du Vermidor.
Dans l’obscurité envahissante de la soirée, la ville était devenue sinistre. Presque aucune lumière n’alimentait les cadres des fenêtres, ne laissant de ces dernières que des gouffres affamés et béants plongeant sur des foyers vides. Au-dessus des toits, les quelques chaumières crachant leur filet de fumée semblaient se cacher, craignant que toute trace de vie ne soit éliminée de leur sein sitôt qu’elles commettraient l’affront de révéler leur présence.
Dans toute la ville, un sentiment terrible planait dans l’air.
« Et si tout n’était pas fini ? »
Rigel et Vilkas dépassèrent les confins de la place, passèrent l’arche et ses torches éteintes que personne n’avait pris la peine de rallumer, et s’arrêtèrent devant le temple de Kynareth, toisant les tons écarlates projetés contre les vitraux par l’aura violâtre de Masser.
La main du bréton se leva, parcouru les trente centimètres la séparant du loquet de la porte, puis s’immobilisa, s’imprégnant du contact froid du fer contre sa peau. Derrière ce battant de chêne se trouvait la réponse qu’il attendait avec crainte.
Il entra.
Les halos rougeoyants s’échappant des vitres faisaient régner une atmosphère singulière à l’intérieur. Malgré les flambeaux brûlant aux fastes colonnes de bois gravé grimpant vers les hauteurs, l’air était teinté du rouge de la violence accomplie. Il était aisé de comprendre pourquoi le temple fermait ses portes aux visiteurs une fois la nuit tombée : dans l’état des choses, ce dernier semblait davantage conçu pour entreposer les corps que pour les guérir.
Alitées sur les couches de pierre aux airs de cercueils, plusieurs silhouettes récupéraient des affres de la bataille passée. Contre la pierre blanche des lits, les souillures écarlates presque systématiques laissaient imaginer la quantité de personnes passées par ce lieu au cours des dernières heures. Dans la tâche débordante qu’était celle de sauver des vies, personne n’avait eu le luxe d’effacer les traces du passage de ceux qu’on avait perdus.
Rigel repensa aux chariots dehors. Là-bas, on offrait méthodiquement le contenu de ces montures de bois aux langues enflammées dévorant le ciel, sans se soucier de qui y serait réduit en miettes. Pas de prière, pas de registre... Par une terrible ironie, le sang versé contre ce granit immaculé était sans doute la dernière chose que certains allaient laisser derrière eux.
Un pas feutré caressa le sol sur sa gauche. Le bréton fit volte-face, alerté par le bruissement du tissu contre la pierre. Il se trouva nez-à-nez avec une prêtresse du temple. Emmitouflée dans l’ambre de sa robe, elle portait une cruche entre les mains, laissant apparaître sur ses doigts écharpés la marque d’un travail acharné. Son visage était celui d’une mère, mais l’ombre d’une fatigue extrême flétrissait sans merci son visage, comme une fleur que l’on aurait piétinée. Sous les cernes bariolant ses yeux, la commissure de ses paupières était encore rougie.
Elle avait pleuré.
D’un geste empreint de respect maladroit, Rigel s’inclina brièvement. Ce n’était pas la première fois qu’il se rendait ici, mais la gravité sinistre de cette femme contrastait avec l’illusion de calme habituellement projetée par les fidèles.
Il savait que cette détresse n’avait rien d’usurpé : en temps de guerre, les médecins et les guérisseurs étaient exposés de plein fouet aux horreurs de la conquête, peut-être plus que n’importe qui. Dans la boucherie sans but ni idéal qui venait de ravager la cité, il était d’autant plus difficile de justifier ce qui s’était produit.
Il préféra ne pas demander combien de fois elle avait regardé la mort en face aujourd’hui.
- Quelqu’un souhaite vous parler, dit-elle d’une voix douce. Suivez-moi.
Ils se dirigèrent vers une aile du bâtiment, passant devant une douzaine de silhouettes alitées. Dans un élan d’effroi silencieux, Rigel nota qu’il n’en reconnaissait aucune.
Au sein les lieux régnaient un chuchotis d’incantations murmurées et de paroles rassurantes. Il dénombra au total une dizaine de prêtresses. À en juger par l’âge de certaines, le temple avait mobilisé l’ensemble de ses forces pour endiguer le cataclysme. Partout, on proférait des rites en pansant les maux des corps qui pouvaient encore être sauvés.
Voyant deux guérisseuses assoupies contre une cloison de bois, le Héraut en déduit qu’ils arrivaient après le gros de la tempête. Ici s’était jouée une seconde bataille, et les blessures qui y avaient été infligées ne marquaient pas le corps, mais l’esprit des survivants.
Leur guide s’arrêta près d’un coin, les laissant face à deux couches perpendiculaires. Sur la première, Rigel discerna les traits ascétiques d’Athis. Assis sur la seconde, ce furent ceux de Vignar qu’il découvrit tournés vers lui.
- J’ai bien cru que j’allais vous enterrer, marmonna le Grisetoison dans sa moustache après une seconde d’échange silencieux.
- Vignar, lâcha le bréton. C’est… c’est bon de vous revoir.
Le Héraut se sentit soudain submergé par une émotion singulière. Il n’aurait jamais pensé se retrouver à ce point alarmé par la perspective de perdre le vieux nordique.
- Je suis également heureux de vous voir sain et sauf, Rigel.
- C’est vous qui avez demandé à me voir ?
- Oui. Vilkas m’a dit que vous aviez survécu.
Le bréton adressa un œil étonné à son second. Comment avait-il su ?
« Évidemment qu’il sait, se corrigea le Compagnon en repensant à l’irruption du nordique près du puits. Un loup sent toujours la marque des siens. »
- Je voulais vous dire ce qui s’est passé. J’étais dans Jorrvaskr quand cette chose est entrée.
Immédiatement, le guerrier reporta toute son attention vers Vignar.
- Qu’est-ce que vous avez vu ? Qu’est-ce qu’ils…
La main de Vilkas se porta à son épaule, lui faisant signe de contenir son empressement.
- Doucement, Rigel. Il est encore convalescent.
Il hocha la tête, morose.
- Pardonnez-moi, Vignar. Je n’ai pas à vous presser de la sorte.
- Ce n’est rien. Lorsque c’est arrivé, Vilkas était parti au guet avec environ la moitié des hommes. Pour être honnête, nous nous attendions à vous voir revenir les bras chargés de blessés. Nous ne tenions pas en place. Puis, nous avons entendu des cris venant de la place. Beaucoup de cris. Nous nous apprêtions à sortir quand la façade de Jorrvaskr a… eh bien, explosé devant nous.
- Explosé.
- Oui, explosé. Quelque chose de gigantesque est entré. Ca faisait la taille d’un mammouth, mais cette chose…
Vignar suspendit sa phrase à la recherche de ses mots, et son regard se perdit brièvement dans les flots d’une réminiscence forcée. Voyant l’expression qui déformait son visage, Rigel ne put qu’imaginer la terreur que lui inspirait ce souvenir.
- Cette chose était faite de corps, Rigel. Ses bras, son torse, même l’intérieur du gouffre qui lui servait de gueule… Tous ces pauvres gens étaient comme… piégés en elle.
- Un atronach de chair, pointa Vilkas. C’est ce que Feu-Secret a dit.
- J’ai été projeté contre le mur presque aussitôt. J’aurais voulu me lever pour me battre, mais je crains que le choc ne m’ait presque brisé les jambes. Alors j’ai rampé dehors pendant que les autres la repoussaient.
Le vieillard regarda le bréton durant quelques secondes, avant de réaliser que ce dernier attendait la suite. Il reprit, presque à contrecœur :
- J’ai entendu la chose s’éloigner au bout de quelques minutes. Je suis revenu, mais il n’en avait pas fallu plus. Plus rien ne vivait à l’intérieur. Tous ceux qui l’ont combattu avaient déjà rendu l’âme, et je n’ai moi-même pas tenu longtemps avant de perdre connaissance. C’est Vilkas qui m’a retrouvé avant de m’amener ici.
Une rage froide s’était mise à bouillir au creux de la poitrine du Héraut. Un mage. Seul un mage pouvait être au cœur de tout cela. Il savait ce que l’Empire avait combattu durant la Grande Guerre, après la capture de la cité impériale par le général Naarifin. Il savait que seule une poignée d’arcanistes étaient en mesure de faire appel à de telles créatures, et que moins encore étaient assez vils pour exposer une population innocente à la dévastation qu’elles pouvaient causer.
Une pensée impossible et caustique le rongeait, une qu’il savait impossible, mais qu’il ne parvenait pourtant pas à écarter complètement. La logique lui assurait le contraire, mais son instinct lui hurlait pourtant que quelque chose se tramait derrière la fabrique du désastre qu’ils venaient de vivre.
Il ne pouvait s’empêcher de penser que Sirius était impliqué dans tout ceci.
Il s’adressa aux deux Compagnons d’une voix qui se voulait soutenue, masquant du mieux qu’il pouvait les tremblements gagnant le bout de ses doigts.
- Qu’est-il advenu de la chose ?
- Nous avons interrompu la patrouille et rebroussé chemin dès que l’alerte a sonné, fit Vilkas. Mais c’était trop tard pour la plupart de ces gens. Il y avait bien deux-cent personnes sur la place du Vermidor, mais j’ignore si cinquante ont survécu. Nous nous sommes précipités vers Jorrvaskr pour réunir les guerriers. Comme Vignar vient de le dire, il n’y avait pas de quoi se réjouir. Nous avons remonté la trace des corps pour suivre la créature jusqu’à la nécropole. C’est là que les choses ont dégénéré.
- La nécropole ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Le nordique déglutit, trahissant un inconfort croissant à la simple évocation des faits.
- Cette horreur ne se contentait pas de tuer. Elle grandissait avec la mort de ses victimes. Chaque chose qu’elle dévorait la renforçait davantage. Quand nous sommes arrivés, elle n’était plus seule. Il y en avait quatre.
Le sang de Rigel se glaça. C’était cela, le grand plan qui avait précipité leur chute. S’il avait sans remord exploité la fête des Vents du Nord pour cueillir l’ennemi durant un jour de célébration, ce dernier avait eu recours à un plan plus sordide encore. La place du Vermidor devait être noire de monde durant la prière, concentrant toute l’attention de la garde comme des Compagnons à la protection des citoyens. Personne n’aurait pu anticiper ceci.
Quand lui et ses hommes s’étaient heurtés aux forces adverses en bas des murailles, Blancherive toute entière devait être en pleine célébration. Les intrus avaient probablement fait le reste en éliminant les guets, reléguant les échos de leur affrontement à un bruissement timide au milieu de l’agitation. Et lui n’avait rien vu venir. Il s’était demandé pourquoi aucun renfort n’avait accouru pour leur prêter main-forte, mais tout était clair à présent. Pendant qu’ils luttaient, un fléau tout aussi mortel que la menace de l’armée ennemie ravageait les allées de la cité. Si quelqu’un avait eu besoin de renfort, c’était bien ceux qui s’étaient reclus entre les murs d’une ville se changeant en tombeau, attendant en vain le retour de leurs protecteurs.
- Comment avez-vous arrêté ces… atronachs ? demanda le Compagnon.
Vilkas haussa vaguement les épaules.
- Au début ? Du fer et des braves. J’ai perdu une dizaine de combattants dans la lutte, mais nous avons pu venir à bout de la première dès que les renforts ont achevé de mettre les survivants en sécurité. La force du nombre nous a permis de repousser la seconde dans les galeries du mausolée, mais les prêtres ont décidé d’y mettre le feu plutôt que de laisser quiconque d’autre mourir. Je suppose qu’ils ont eu raison, parce qu’il ne reste que des cendres là-bas. Les deux autres créatures se sont enfuies quelque part dans la ville pendant la bataille, et les groupes envoyés à leurs trousses ne sont jamais revenus. Farengar m’a dit que lui et les Frères du Froid s’en étaient occupés, mais je ne sais pas comment. Je n’ai pas pu aller vérifier.
- Que faisons-nous s’il en reste d’autres ? lâcha le Héraut. Est-ce que nous sommes sûrs que…
- Feu-Secret m’a assuré que la situation était sous contrôle. La ville est de toute façon trop grande pour vérifier chaque chaumière, et nous avions trop de monde à sauver pour s’en préoccuper. Maintenant que le maléfice est levé, je suppose que les ravages d’une telle créature ne passeraient pas inaperçus.
Rigel fronça les sourcils.
- Le maléfice ?
- Sans cela, la traque de ces abominations aurait été simple. Mais avec, c’était un véritable calvaire. C’est… difficile à expliquer. Nous pouvions communiquer de près, mais les sons plus lointains étaient étouffés. Certains semblaient plus sévèrement affectés que d’autres, mais à trente mètres de distance, aucun d’entre nous n’entendait plus rien.
- Il dit vrai.
Le bréton se tourna en direction de Vignar. Le vieil homme s’était levé avec lenteur, s’appuyant contre le rebord de sa couche pour tenir debout. Sous le brocart de ses braies, deux attelles dépassaient, mal dissimulées dans un enchevêtrement de bandages. Il ne remarcherait pas avant des semaines.
- Quand nous avons entendu les cris venant de la place, conta-t-il d’une voix lasse, nous avons mis un moment à réagir. Le bruit était si faible que j’ai un instant cru qu’il venait du sous-sol.
- Mais c’est…
Rigel s’interrompit. Chaque information s’imbriquait trop bien dans le tableau terrible qu’il était en train de reconstituer.
« Exactement comme pendant l’assaut des Libérateurs. »
Cette fois, il en était sûr : les ravages de cet assaut n’étaient que l’accomplissement des leçons tirées de leur précédente confrontation. Loin de vouloir prendre la ville, le détachement initial mené par Sirius n’avait eu pour objectif que de jauger leurs défenses. Ils avaient tué le commandant Caïus pour ébranler l’organisation de la garde, mis à l’épreuve leurs recrues comme leurs vétérans, et s’étaient fait connaître dans tout Bordeciel pour leur coup d’éclat. Les pertes avaient été minimales des deux côtés, mais tout avait été juste assez violent pour justifier une réponse militaire coordonnée.
Il se sentait idiot. Emporté par ses certitudes personnelles, il s’était bêtement empressé de mener les préparatifs, galvanisé par l’accord successif des châtelleries voisines. Mais s’éloigner de Blancherive avec le gros de leurs forces n’avait pas été sa seule erreur. Non, il avait joué leur jeu sur toute la ligne.
Il gardait peu de souvenirs de l’évanouissement soudain qui avait affligé tous les Compagnons restés en ville. Au lendemain de l’attaque, il avait naturellement conclu que le sortilège lancé dans Jorrvaskr n’avait eu pour but que de leur faire perdre connaissance pour les empêcher de rejoindre la bataille. Il comprenait maintenant que ces sinistres machinations allaient bien au-delà de ses prévisions les plus alarmistes. L’ennemi avait mesuré la résilience des Compagnons à la magie, et en avait déduit qu’ils étaient sans défense face à celle-ci.
Durant la célébration des Vents du Nord, en l’absence de Névérar, Oka, Zede-Tei et lui-même, pratiquement personne n’était en mesure de déceler la présence du maléfice lancé sur la ville. Les disciples de Kynareth auraient pu le sentir s’ils ne s’étaient pas trouvés en pleine cérémonie, mais l’agitation avait dû mobiliser toute leur attention. Feu-Secret, quant à lui, était sans doute bien trop loin pour agir à temps.
La garde en ville n’avait même pas été massacrée : elle avait été bâillonnée, aveuglée, et rendue complètement inefficace par l’œuvre d’esprits trop pervers pour être déjoués. Peut-être avaient-ils pu donner l’alarme, mais personne n’avait pu les entendre si tel était le cas.
De part et d’autre du Héraut, les deux nordiques semblaient être parvenus à des conclusions similaires.
- La Main d’Argent grouille toujours, crissa Vilkas dans un grincement de dents. J’aimerais les éradiquer de mes mains, mais nous sommes à genoux. Il nous faudra du temps.
Du temps, ils n’en avaient pas.
- Reposez-vous, dit Rigel. Tous les deux. Je vais faire le tour de nos forces, évaluer la marche à suivre. Aucune décision ne sera prise avant que nous soyons certains de tout ce qui s’est déroulé ici. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Vous m’entendez ?
Le vétéran se rassit contre son support de granit, visiblement soulagé à l’idée de poursuivre son repos.
- N’allez pas me trépasser entre les doigts, Vignar, repris Rigel. Votre expertise nous sera précieuse dans la lutte à venir.
L’intéressé eut un sourire fatigué.
- En tant que doyen des nôtres, je me dois d’apporter toute l’aide que je peux fournir. Il semblerait que le temps soit venu pour celle-ci d’être la sagesse d’un homme qui en a trop vu.
- Doyen ? rétorqua le bréton en lui rendant sa mimique. Allons. Aux dernières nouvelles, Titus vous précède de trois hivers.
Vignar lui adressa un regard étrange.
Sans comprendre, Rigel se tourna vers Vilkas, cherchant l’appui de son regard.
Les yeux du combattant étaient rivés vers le sol.
Non.
Prochain d'ici la fin de semaine, faut juste que je me relise parce que celui-là est truffé de fautes
Chapitre 68
Les portes du temple s’ouvrirent comme sous le passage d’une tempête. Le bréton émergea au-dehors dans un état second et se jeta en avant, insensible au mal déchirant sa jambe. Devant lui, le brasier s'élevait, repoussant l’étreinte de la nuit comme un deuxième soleil.
Rongé par l’affliction, Rigel dépassa le Vermidor en trombe, s’élançant de toutes ses forces vers la lumière.
Alertés par son approche catastrophée, deux soldats se dressèrent devant lui pour l’empêcher d’approcher les flammes. Manifestant les arcanes avec une facilité décuplée par le désespoir, il renversa les gardiens à terre d’un simple geste du poignet, puis les dépassa en trombe, sourd à leurs exclamations. Il posa une main contre l’une des bûches énormes dressées devant lui, et se précipita dans le néant flamboyant.
Dans la fournaise, l’odeur des corps carbonisés était consumée par la chaleur presque aussi vite qu’elle ne naissait. Il regarda autour de lui, les contours de sa protection magique brillant puissamment contre sa peau en repoussant les langues avides du grand bûcher. Il fit un pas en avant, sentit sa jambe s’enfoncer entre les lattes de charbon cassantes et les cendres sablonneuses des disparus, et tomba d’un demi-mètre dans la dune grise, aveuglé par la puissance brûlante du cénotaphe. Trouvant appui sur le bois agonisant, il s’extirpa des restes ardents, étourdi par la chaleur filtrant à travers sa barrière. Il tourna la tête, d’un côté, puis de l’autre, posa les yeux sur un crâne incandescent, sur un moignon de chair noircie tendu vers l’infini des cieux, sur une veste de cuir bouillonnant autour de son porteur calciné.
Il ne le voyait pas, mais Titus était là. L’homme qui avait consacré chaque souffle à porter ses mots et chaque pas à lui montrer la route était là, quelque part. Il comprenait, trop tard, d’où lui venait l’étrange sensation qui l’avait étreint lorsqu’il était passé devant le bûcher.
« Un loup sent toujours la marque des siens. »
Ces mots tournaient dans son esprit avec une insistance épouvantable.
Il ne pouvait pas perdre sa dépouille. Pas ici, pas comme cela, pas alors qu’aucun être en ce bas-monde n’était plus méritant que lui des honneurs funéraires de leur ordre défiguré. Si quelque chose incarnait encore les Compagnons, c’était ce vieillard impérial frêle et discret, à la voix calme et à la démarche muette. C’était ses sourires rassurants, son esprit vif, ses blagues de bon goût, ses paroles toujours justes. C’était tout ce qu’il avait fait, et tout ce qu’il avait choisi de ne pas faire, privilégiant la vie des siens aux risques inutiles, la bonté à l’orgueil, la prudence à la colère. Cet homme ne pouvait pas les quitter ici, dans les flammes anonymes d’un échec qui n’était pas le sien. Non, Titus n’avait pas le droit de disparaitre ainsi, pas après avoir tracé la voie pour tant d’autres, pas avant d’avoir vu porter les fruits des graines qu’il avait planté.
Transi par le manque d’air, Rigel avança parmi les flammes, jetant des regards frénétiques autour de lui. Soudain, une douleur insoutenable éclata dans sa main droite. Il observa le feu gagner son avant-bras avec stupeur, et senti du même coup la plante de ses pieds se changer en un nid d’aiguilles, anéantissant toute pensée rationnelle. Hurlant dans un souffle caniculaire, il continua de chercher un instant, refusant d’accepter l’humiliation de cet échec supplémentaire. Sa tunique se mit à crépiter, puis ses joues s’enflammèrent à leur tour. Enfin, mû par un instinct de survie plus fort encore que son désespoir, il se jeta hors du brasier.
Il s’écrasa au sol dans un choc lourd, étouffant l’appétit dévorant de la chaleur lui courant sur le corps, puis ne bougea plus.
Vilkas se précipita à ses côtés, le relevant avec empressement pour s’assurer de son état. Il se laissa soulever comme un pantin, et fut hissé sur pieds sans même lever la tête vers l’assemblée éplorée rassemblée devant le bûcher. Pour eux, son acte devait sans doute s’apparenter à une tentative d’attenter à sa propre vie. Ils pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient, de toute manière. En l’absence de Titus, rien de tout ceci n’avait le moindre sens. Sans l’impérial, tout pouvait s’effondrer.
Il ne comprit pas exactement où l’emmenait le nordique. Trainant les pieds contre le sol, tâtonnant dans le noir des rues vides d’éclairage, il se laissa guider, indifférent à tout ce que le monde était capable de lui présenter.
Il eut l’impression d’être colporté dans la ville durant des heures. Ils s’arrêtèrent à plusieurs reprises pour que le nordique ne réajuste sa prise sur ses épaules, mais se remirent en route à chaque fois, sans qu’un son ne s’échappe d’eux.
La première chose sortant de l’ordinaire qu’il remarqua fut le son du verre brisé. Cette fois, son camarade s’arrêtait pour de bon. L’odeur des planches et de la chaume broyée monta lentement à ses narines, et le bois d’un banc grinça sous son poids quand Vilkas l’y installa prudemment.
- Tu ne peux pas faire ça devant eux.
Le nordique était en train d’allumer une torche. Après quelques tentatives, le flambeau s’embrasa, faisant danser son halo chaleureux dans la pièce.
Rigel mit un instant à reconnaitre la Jument Pavoisée tant le chaos avait défiguré l’établissement. Le toit s’était effondré avec toute une partie de l’étage, noyant le comptoir sous les planches et la paille que la neige était venue recouvrir à son tour. Au sol, une multitude de choppes, d’assiettes et de bouteilles avaient été brisées, anéanties dans l’empressement qui avait dû secouer l’endroit au début de l’attaque. Aux tables, les repas froids semblaient attendre en silence que les occupants de leurs chaises vides ne les regagnent, comme figés dans l’espoir d’un retour à la normale qui ne viendrait pas.
Ravivé par les efforts de Vilkas, l’âtre se mit à crépiter devant eux. La lueur caractéristique des braises monta lentement, puis engloutit les buches dans un souffle chaleureux, faisant fuir le froid du centre de la pièce.
- Tu ne peux pas agir ainsi, répéta le Compagnon en s’asseyant de l’autre côté du feu. Ta responsabilité est trop grande pour de telles démonstrations. Tu penses que la garde suffira à rassurer les citoyens ? Ce n’est pas vrai. Que penseront les survivants en voyant le dernier homme se dressant entre eux et la mort se jeter dans les flammes ?
Il ne répondit rien.
Soupirant, le nordique se leva et s’approcha du comptoir. Il escalada plus qu’il n’enjamba les décombres de la toiture, disparu quelques secondes, puis fit le chemin inverse, avant de se réinstaller en face de lui. Une lueur translucide capta la rougeur du feu.
Le Compagnon lui tendait une bouteille d’hydromel. Sans trop se poser de question, il la saisit, et descella son bouchon raidit par le froid, laissant la pression projeter ce dernier contre le mur du fond avec une détonation timide.
- Il nous faut rester forts, même si ce n’est qu’une façade. Nous devons… Rigel ?
Le Héraut s’était figé dans la contemplation du mur. Vilkas suivit son regard, tourné là où le liège avait fini sa course. Au sein d’une armoire déversant son contenu par terre, sur le coin d’une assiette, une petite tache de sang perlait au coin de la porcelaine, gelée par l’hiver avant de tomber.
Quelqu’un était sans doute mort ici.
Alors qu’il se retournait, le nordique fut alerté par le son du verre brisé, puis d’un liquide tombant en crissant contre la neige. Rigel venait de faire exploser la bouteille dans sa main, déversant des flots d’alcool et de pourpre contre le blanc du plancher.
- Tu as perdu la tête !? s’écria-t-il en enjambant les flammes de l’âtre pour saisir le bras du bréton.
- Quand je me suis intéressé aux Compagnons, il m’a proposé de m’entrainer avec lui. Je voyais cela comme un duel initiatique, rien de plus. J’ai dégainé en prévoyant de retenir mes coups pour ne pas le blesser.
Le nordique porta la main à son ceinturon pour y chercher un bandage, mais le bréton se soustrait à sa poigne d’un geste à la force impressionnante.
- Rigel, intima-t-il. Donne-moi ta main, il faut panser cette plaie.
- Cela va sans dire, mais il m’a écrasé. J’étais encore étendu contre le sol de la cour quand il m’a dit qu’il me laissait trois mois. Je n’ai pas compris tout de suite. Puis il a dit qu’il savait qui j’étais, et que Balgruuf ne me laisserait jamais revoir la lumière du jour s’il l’apprenait. Trois mois pour montrer que j’étais digne des Compagnons, trois mois pour le vaincre en combat singulier. Je savais que si j’échouais, je finirais dans les geôles de Fort-Dragon pour toujours.
Vilkas le dévisagea, et eut l’impression de véritablement le voir pour la première fois. Les cheveux châtains du Héraut étaient emmêlés par la sueur, couvrant ses tempes de mèches erratiques. Le cuir de son gambison avait fondu par endroits, et sa tunique avait presque complètement brûlé, couvrant de cendres et de suie la peau se trouvant en-dessous. Ses mains à la peau noircie étaient crispées l’une contre l’autre, mordant dans le vide acéré de bouteille comme pour s’agripper à l’idée d’un trésor longtemps perdu.
- C’était il y a plus de deux ans, maintenant. Aela, toi et ton frère étiez partis vous occuper d’une affaire de vampires près de la frontière.
- Sangretombe, lâcha l’intéressé presque malgré lui. Je m’en souviens.
Parler de ces évènements l’emplissait d’une tristesse soudaine.
- J’avais pensé que ce serait facile, repris Rigel. Dérouiller un vieil impérial, moi qui avais été élevé dans l’art du combat nordique ? Cela n’aurait pas dû poser de problème. J’ai réessayé le lendemain, cette fois en y mettant toutes mes forces. Je ne voulais pas simplement gagner, je voulais l’humilier. Il n’avait aucun droit de menacer ma liberté de la sorte. J’avais purgé ma peine, et l’endroit d’où je venais n’avait pas à aggraver cette dernière, quoi qu’il en dise. Ce fut un échec cuisant. J’avais déjà compris qu’il était rapide, mais même sa force était invraisemblable pour sa carrure. C’était comme affronter une arme faite de chair. Mais il me restait trois mois.
- Rigel, je sais que tu es…
- Mais évidemment, je n’avais aucun choix. Qu’allais-je faire ? Le tuer dans son sommeil, et trahir les codes que j’avais juré de respecter ? Ou bien user de ma magie contre un vieillard fragile comme lui ? Contre un Compagnon ? C’était hors de question. Je me suis entraîné d’arrache-pied, tous les jours où mon corps avait la force de lever mon épée. Après deux mois, j’avais l’impression de ne pas avoir progressé d’un pouce.
Continuant de l’écouter, Vilkas avait finalement sorti une bande de tissu de sa sacoche. Il l’approcha du bras du bréton, mais suspendit son geste à peine après l’avoir esquissé. Dans le noir, la teinte du froid avait recouvert la peau du Héraut, cristallisant les fragments de verre enfoncés dans ses mains sous une couche de givre arcanique. Le saignement s’était arrêté.
- À deux semaines de la date fatidique, j’avais achevé de désespérer. Je l’affrontais une fois tous les cinq jours. Je dormais en pensant à lui, à comment déjouer ses techniques. Je ne prenais part à aucune mission, je ne remplissais aucun contrat, et je me suis vite retrouvé à vivre au crochet de Jorrvaskr, à passer mes journées à faire des allers-retours entre la cour d’entrainement et le dortoir. Mon lit était recouvert de notes, de stratégies et de stratagèmes pour le vaincre. Dès qu’une idée me venait, même au beau milieu de la nuit, je l’écrivais sur-le-champ, sur les murs s’il le fallait, pour éviter que le sommeil ne me l’arrache. Mais rien n’y faisait. Mon obsession ne m’élevait plus ; elle me dévorait. Alors, un jour, je lui ai dit que j’abandonnais.
Une larme coula silencieusement sur le visage du Héraut. Il tourna vers Vilkas un sourire meurtri, et le nordique ne put contenir un mouvement de recul en voyant la lumière des lunes éclairer ses traits : la barbe du Compagnon avait à moitié brûlé dans les flammes, couvrant sa gorge et le bas de son menton d’innombrables cloques blanchâtres.
- Rigel, il faut aller soigner ça tout de suite. Tu ne peux pas rester comme ça.
Sa requête fut ignorée si naturellement qu’il faillit se demander s’il avait réellement parlé.
- Quand je lui ai finalement confié que je jetais l’éponge, il n’a rien répondu. Il a juste souri, avec cet air amusé dont j’ignorais encore la signification. Je lui ai demandé ce qu’il trouvait drôle, et il s’est contenté de me dire que j’avais appris la seule leçon véritablement importante. ‘’Il te faut comprendre ce que tu peux faire, et savoir ce que tu n’es pas capable d’accomplir. Si tu connais ces deux choses avant de t’engager dans la bataille, tu n’en perdras aucune’’.
- C’est ce qu’il t’a dit ?
- Il ne m’avait pas donné trois mois pour le vaincre. Il m’en avait donné trois pour que je réalise que c’était impossible. Je me demande… si je n’avais pas compris qu’il était trop fort pour moi, aurait-il abandonné l’idée de me léguer la tête des Compagnons ? Si j’étais resté simple recrue, serions-nous là, aujourd’hui, assis à côté de tous ces corps ?
- Rigel... Le temps des regrets est passé. Nous devons avancer, ou bien c'en sera fini de nous.
- Il ne méritait pas cela, sanglota le bréton en serrant la mâchoire. Il ne méritait pas un disciple si aveugle, et il ne méritait certainement pas de mourir pour mes folies. Il était le meilleur d'entre nous, Vilkas. Et maintenant, il brûle avec les autres, loin de Jorrvaskr, loin des siens, loin des honneurs qui lui étaient dus. Que nous lui devions !
Le nordique se tu. Il n’avait rien à répondre à cela.
Mais Rigel n’avait aucune intention de se calmer. Il se leva d’un bond, réduisant en poussière gelée les morceaux de verre entre ses mains avant d’écarter les bras d’un geste brusque.
- Et tout ça pour quoi, dis-moi ? Pour me protéger ? Pour ce résultat-là ?! Comment dois-je faire sens de leur sacrifice à tous, Vilkas ? Pourquoi nous tenons-nous encore debout aujourd’hui ? Pour souffrir leur absence ? Pour les pleurer ? En attendant de finir comme eux ? Comment suis-je sensé rebâtir seul ce que nous n’avons pas pu construire lorsqu’ils étaient là ?!
- Je...
- Non, tu ne sais pas ! cria le Héraut en lui jetant un regard baigné de larmes. Parce que personne ne sait ! Parce qu’aucun Compagnon depuis trois mille ans n’a eu à porter le poids de centaines de vies s’effondrant sur ses épaules ! Parce qu’aucun n’a jamais eu à se soucier de ce qu’allaient devenir ces enfants dont on enterrait les pères et les mères, parce qu’aucun n’a provoqué la fin des siens à cause d’une décision qu’il avait prise seul ! Parce qu’aucun n’a regretté d’avoir tenté de faire mieux !
Rigel tenait à peine debout. Vilkas se leva, saisit ses épaules, et le fit se rasseoir contre le banc d’une poussée impétueuse.
- Non, je ne sais pas ! rétorqua soudain le nordique dans un éclat de voix furieux. Parce que tu as choisi de souffrir seul ! Eh bien, tu veux connaître le résultat de tout ceci ? Nous souffrons quand même ! Nous souffrons, encore, à chacun de tes échecs, à chacune de tes fautes, car aucune peine n’existe qui ne soit pas partagée entre frères ! Tu peux tout nous cacher si tu le souhaites, avancer seul dans les flammes ou te jeter dans la mort pour nous protéger, mais cela ne changera rien, parce que nous ne vivons que pour mourir ensemble, avec courage ! Parce que tant que je serai debout, tant que tu seras debout, aucun de nous deux ne sera vraiment mort ! Mais si tu abandonnes et te recroquevilles dans un coin, ici et maintenant, tu ne te délivreras d’aucun mal, d’aucune faute ! Au contraire, c’est nous tous que tu condamneras ! Et tu n’as pas ce droit. En tant que membre du Cercle qui t’as accueilli, je t’interdis de rendre vain le sacrifice de nos frères !
Le bréton retint un sanglot, sa colère tempérée par celle de son compagnon. Savoir qu’il n’était pas le seul à se consumer de frustration était un maigre réconfort dont il devrait se contenter.
Le nordique s’approcha de son visage, les traits durcis d’un élan solennel. Ses yeux de faucon étaient plus tranchants que jamais, mais l’ire avait quitté sa voix.
- Tu es peut-être notre Héraut, mais cela ne veut pas dire que tu es seul responsable de ce qui nous arrive. Tu es un enfant, parce que tu as voulu nous diriger avant de nous comprendre. Enfin, tu crois vraiment que tu aurais pu lancer cet assaut sans mon accord ? Sans notre accord à tous ?
- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Rigel, tu n’as avancé dans le noir que parce que tu as choisi de fermer les yeux. Titus nous disait tout. Chacun de tes ordres, chacune des décisions que tu as prises… Nous savions. Et nous les avons acceptées.
Le Héraut bafouilla, cherchant ses mots.
- Non, laissa-t-il échapper d’une voix étranglée par la stupéfaction. Ce n’est pas vrai.
- Bien sûr que c’est vrai. Moi, Njada, Riekla, Torvar, Kazar, Ria, Athis et Athaltus… Chacun d’entre nous savait ce que tu faisais, et nous savions très bien pourquoi. Pas parce que nous étions du Cercle, mais parce que nous étions les seuls à avoir survécu aux erreurs du passé, et que celles-ci nous ont rendu plus forts que n’importe quel titre.
- Mais pourquoi… pourquoi ne pas m’avoir arrêté ?
- Parce que le fait que tes plans aient échoué ne veut pas dire qu’ils étaient mauvais. Chacun d’entre nous a tenu son rôle dans cette défaite. Mais le tien n’est pas de te sentir coupable en notre nom.
Un soulagement inavouable irradia la poitrine du combattant. Cette information ne changeait rien à la médiocrité de ses actes, ni aux raisons qui les avaient motivés. Et pourtant, le mal qu’il ressentait depuis son réveil venait de s’alléger un peu.
Lentement, ses mains se décrispèrent, libérant dans l’air les volutes de froid concentrées entre ses paumes. Il posa les coudes sur ses genoux, et se laissa tomber en avant, fixant le sol comme pour mieux méditer sur ce qui venait d’être dit.
- Désolé pour cette bouteille, laissa-t-il échapper dans un souffle. J’imagine que nous n’en boirons pas d’autre ici avant un moment.
- C’est possible.
- Titus n’aimait pas particulièrement la bière ou l’hydromel. Il ne buvait presque que du vin.
Vilkas sourit.
- Le sang impérial ne doit pas aider. Je commence à me dire qu’ils entretiennent une aversion volontaire pour les crus étrangers.
Le bréton resta silencieux quelques secondes. Une demi-lune souleva ses lèvres, provoquant une vague douleur dans le bas de son visage.
- C’est drôle. Je l’avais toujours pensé immortel. Ça te semblera peut-être étrange, mais c’était le genre d’homme que je pouvais envoyer faire l’impossible sans jamais craindre qu’il ne revienne pas.
- Sa réputation n’était plus à faire, acquiesça Vilkas. Nous avions un camarade, avant ton arrivée, à qui il ressemblait un peu. Skjor. Parfois, je me demandais comment il aurait vieilli s’il n’avait pas été si gravement blessé pendant la Grande Guerre. Eh bien, je pense que j’ai eu ma réponse le jour où j’ai vu Titus.
- Ce Skjor... Comment était-il au quotidien ?
- Une tête brûlée. Farkas et moi apprécions sa compagnie, mais sa fougue dépassait celle de beaucoup d’entre nous. Parfois, seule Aela semblait pouvoir le suivre dans ses élans.
- Une sacrée paire, ces deux-là. Tous les anciens ont des histoires à raconter à leur sujet.
- Oui. J’aurais aimé que tu les connaisses. Nous les avons perdus seulement quelques semaines avant que tu ne sois libéré.
- J’avais juré de ne pas commettre les erreurs de Kodlak.
- ‘’Nous’’ avions juré, le corrigea le nordique. Tu n’avais pas l’expérience d’une défaite contre eux pour te préparer. Nous l’avions, nous. Et pourtant, regarde où nous en sommes…
Rigel inspira longuement, dépliant ses vertèbres vers l’arrière pour soulager l’engourdissement de son corps. Le craquement de ses articulations se perdit dans ceux des flammes dévorant les bûches devant eux, mais il sentit aux signaux que son corps lui envoyait qu’il était arrivé au bout de ses forces.
- Ne tardons pas, fit Vilkas. Tu as besoin de repos. Et, au risque d’insister, il faut soigner ton visage.
- Cela guérira vite, répondit le Héraut. Ne t’en soucie pas. Il me faut achever l’inventaire de nos forces. Oka et Zede-Tei sont vivants d’après ce que toi et Vignar m’avez dit, mais je ne les ai pas vu au temple. Qui d’autre ais-je manqué ?
- Honnêtement ? Pas grand-monde. Njada est vivante. Athis aussi, comme tu as pu le constater. Ils sont arrivés en ville hier soir, une fois la bataille terminée. C’est… ce sont eux qui ont ramené la dépouille de Titus.
Il acquiesça d’un mouvement de tête. Cela expliquait ce que faisait le corps de l’impérial dans les flammes de ce brasier.
Son cœur se serra. C’étaient donc eux qui avaient évité au vieil homme de finir brûlé par Farengar avec le reste des malheureux tombés au-dehors. Le résultat n’avait en fin de compte pas été bien différent, mais leur acte trahissait une marque de respect admirable. Ils avaient transporté le vieil homme jusqu’à Jorrvaskr, et si les blessures du Dunmer l’avaient empêché de reprendre connaissance plus d’une journée plus tard, cette tâche s’était probablement faite au péril de leur propre vie.
« Athis était prêt à mourir plutôt que de laisser Titus mourir sans recevoir les rites funéraires des Compagnons, pensa-t-il. Sa perte n’est pas seulement une tragédie pour moi, mais pour chacun d’entre nous. »
- Il me faudra les remercier à leur réveil, conclut-il. Ils se sont conduits en héros, et je veux qu’ils le sachent.
Il se tourna vers son camarade. Avec surprise, Vilkas réalisa que l’ombre de la défaite avait disparu des traits du bréton.
- Qui reste-t-il d’autre ?
- Comme tu l’as pointé, les frères argoniens sont en vie. Ils sont à Fort-Dragon depuis ce matin avec une dizaine de nos frères.
Les blessures de Feu-Secret lui revinrent en tête. Soudain, il réalisa qu’il avait omis de poser une question à l’importance capitale.
- Qu’est-ce qu’ils fabriquent là-bas ? Est-ce que Balgruuf est… ?
Le nordique secoua la tête.
- Non, je crois qu’il va bien. En revanche, le couloir des prisons s’est effondré, et a emporté une partie des pièces du palais dans sa chute. Farengar s’en est sorti, mais aux dernières nouvelles, plusieurs servants étaient toujours coincés sous les décombres ce matin.
- Les prisons se sont… Que s’est-il passé là-bas ?
- Il ne vous a rien dit ? D’après lui, c’est de là que la créature est sortie.
À peine sa phrase terminée, le Compagnon vit Rigel se lever sans prévenir.
- Je dois aller voir ça de plus près, lui dit-il d’un air calme. Mais avant cela, il nous faut du repos. Du travail nous attend demain… non, pas demain. Pour les mois à venir. Je dois comprendre ce qui s’est passé dans les moindres détails. Ce n’est qu’ainsi que je pourrai éviter que tout ceci n’arrive de nouveau.
À la surprise du bréton, Vilkas se contenta de sourire en le regardant.
- Qu’y a-t-il ?
- Rien. Je suis heureux de constater que notre Héraut est revenu parmi nous.
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Le soleil était levé depuis plusieurs heures lorsque Rigel sortit du Chasseur Ivre.
La nuit avait été calme, mais pas agréable pour autant. Son visage avait commencé à le brûler bien avant que l’aube ne découvre les cieux, et la douleur l’avait empêché de se rendormir malgré toutes ses tentatives. Lorsqu’il s’était contemplé dans la glace, la vision de ses joues boursouflées ne l’avait pas ravi : les plaies allaient mettre des semaines à cicatriser complètement.
Il s’était surpris à maudire le silence. En l’absence d’Elrindir et Anoriath, le cocon de ces quatre murs où il avait fini tant de soirées paraissait étrangement vide. C’était dans cette échoppe modeste, trop petite pour être qualifiée d’auberge, qu’il avait passé le plus clair de ses nuits avant d’intégrer les Compagnons. Y remettre les pieds dans ce contexte, après des mois sans avoir vu aucun des deux frères, l’avait empli d’une nostalgie coupable.
Peu à l’aise avec l’idée de se confronter à la présence de ses hommes à Jorrvaskr, il avait pensé profiter de la présence familière de cet endroit pour tenter de faire sens des derniers jours. Il avait toujours préféré le calme nocturne de ce quartier à l’effervescence de la place du marché, mais l’absence de bruit persistante avait commencé à entraver sévèrement ses capacités de réflexion. Il n’arrivait pas à se concentrer en sachant que cette paix sonore s’était faite au prix d’un massacre.
Las de cette insomnie et des tentatives de réflexion infructueuses, il s’était résolu à quitter les lieux. Il n’était plus temps d’espérer que les réponses lui parviennent, mais de les obtenir.
Dehors, le temps était d’une clémence presque anormale. Le ciel était dégagé, et une chaleur agréable était venue déposséder le sol de toute trace de verglas, rendant au quadrillage dépareillé des pavés ses teintes si caractéristiques.
Sa première mission l’attendait à l’autre bout de la ville.
Il se mit en route.
Contrairement à la veille, il aperçut vite quelques habitants au dehors. La plupart s’affairaient à consolider les gonds de leurs portes, frotter avec acharnement les tâches de sang devant leur pallier ou colmater les brèches fracturant leurs fenêtres, mais leur simple existence égaya un peu le Héraut.
Ici et là, il croisa des gardes affairés au transport de vivres et de matériel de première nécessité, apportant leur aide partout où cette dernière était exigée. Il ne vit pas de corps, mais l’odeur diffuse de la cendre froide lui indiqua que les feux avaient brûlé toute la nuit.
L’agitation des vivant capta davantage son attention lorsqu’il atteint les abords du marché. Sur la place, les charrettes avaient troqué leur sinistre bagage pour celui des poutres et des planches. Non loin, un groupe de femmes s'affairaient à remettre en ordre les façades des bâtiments, ôtant les décombres des devantures dans un concert de directives et de consignes. Le toit de la Jument Pavoisée, chevauché par trois hommes à la carrure impressionnante, était en train d’être reconstitué de force dans un jeu de cordages et de poulies, hissant la charpente effondrée hors de ses propres décombres. Au centre de la place, près du puits, deux alchimistes se criaient presque dessus, pointant avec de grands gestes les résultats visiblement contraires de leurs analyses.
Ce fut juste derrière eux que l’œil du bréton se tourna : hélant des ordres de tous les côtés, Proventus Avenicci se contorsionnait dans tous les sens, comme écartelé par la multiplicité des tâches se déroulant autour de lui. L’impérial s’arrêta en l’apercevant, épongea son crâne dégarni d’un revers de manche, et lui fit signe d’approcher.
Rigel se faufila entre deux porteurs soulevant un étal pour le remettre sur pied, dépassa la cacophonie de verrerie et d’hypothèses vociférées par les alchimistes, et rejoint l’impérial au pas de course.
Fidèle à lui-même, ce dernier semblait presque inchangé par les récents évènements. Le bleu délavé de son brocart matelassé dévorait la marque d’une tunique aux tons oranges criants, suffoqué par une ceinture de cuir trop serrée pour lui. Surplombant les traits doux de son visage, ses yeux plissés l’étaient à peine davantage qu’à la normale, stigmates d’un sommeil toujours insuffisant.
Le chambellan leva une paire de sourcils grisonnants à la vue des blessures du Héraut, mais ne releva pas. Ses lèvres pincées s’agencèrent en un sourire poli :
- Rigel, c’est un plaisir de vous voir ! Cela fait bien trois mois que sa seigneurie n’a pas eu l’honneur de votre présence. Navré de vous retrouver en des temps si sombres...
- C’est exact. Comme vous vous en doutez, je ne vais pas multiplier ma présence à la cour dans les temps qui viennent. Vous avez vu Feu-Secret aujourd’hui ?
- À son poste. Méfiez-vous, il a peu dormi. Pas sûr qu’il accepte de vous recevoir.
- Il fera une exception pour moi.
Comprenant qu’il ne tirerait rien de plus de cette conversation, le bréton salua sommairement Proventus, et poursuivit sa route dans les rues de la ville, interrompant aussi sec la phrase que l’impérial s’apprêtait à entamer.
Voir les habitants s’activer de toutes parts pour remettre sur pied la cité le gonflait d’une fierté dont il s’étonna lui-même de l’intensité. La sombre marque du chaos planait encore au-dessus d’eux, mais la détermination des vivants semblait avoir enfin brisé les chaînes du silence au cours de la nuit. Les visages qu’il voyait n’étaient pas empreints de joie, loin de là. Pourtant, chacun d’entre eux était pour lui comme un étendard de courage dressé contre le règne de la peur. Tant qu’un cœur battrait entre ces murs, tant que le désir de se relever brûlerait chez l’un d’eux, jamais l’ennemi ne vaincrait véritablement.
Son pas hâté par un optimisme prudent, il gravit les escaliers, passa sous l’étreinte des murailles intérieures, et se retrouva devant le Vermidor. Ici, l’air dégagé du matin était encore encombré du brouillard translucide dispersé sur la place par la fumée du bûcher. Même étouffés, les restes du mausolée éphémère continuaient de gronder, vomissant des flots de fumée blanchâtre que le vent venait disperser à sa guise. Le voile ténu de cette grisaille était à peine discernable à l’œil nu, mais sa nature le rendait impossible à ignorer pour le bréton.
D’un balayage circulaire, il constata un petit groupe de gardes ainsi que deux prêtres d’Arkay discutant non loin du temple de Kynareth. S’il en croyait le dépeuplement de la place, il n’était pas le seul à vouloir éviter de se rendre ici. Poursuivant son chemin, il laissa le brasier agonisant passer à sa droite, puis derrière lui, évitant soigneusement de lever les yeux en direction des restes carbonisés.
Il soupira en portant le regard sur la longue succession de marches grimpant vers Fort-Dragon. Chaque pas qui l’attendait allait se révéler être une véritable torture vu l’état de sa jambe, mais quel choix avait-il ? S’il devait attendre que Farengar ne se rende disponible, les réponses qu’il attendait le rongeraient plus profondément qu’aucune blessure.
Il entama sa montée. Compte tenu des circonstances, l’ascension se révéla étonnamment agréable. Sa plaie ne se mit à le faire souffrir qu’aux trois quarts du chemin, et un vent léger venait fouetter sa chevelure, portant à son nez les senteurs d’une nature trop longtemps masquée par les relents de la bataille. Plissant les yeux en se retournant, il contempla un instant la ville s’étendant sous lui. D’ici, il était difficile de deviner le calvaire qu’avait traversé cet endroit. Déjà, le soleil faisait pleuvoir la lumière sur les toitures, emportant avec les flots de la neige fondue ce qui restait du massacre.
Il atteint les sols du palais après quelques minutes supplémentaires, ne croisant que deux soldats sur le chemin.
À peine parvenu au sommet de la cité, il trouva son attention attirée vers le caractéristique bourdonnement d’une discussion lointaine. Il bifurqua sur la droite, ignorant la masse du palace et la voûte des arcades au-dessus de lui, et longea Fort-Dragon dans une indifférence complète pour la forteresse.
Force était de constater que Proventus n’avait pas exagéré. Sur le flanc du palais, une gigantesque brèche large comme six hommes venait défigurer l’architecture des anciens, mordant le bois et la roche sans distinction dans une diagonale de destruction droit venue des fondations de l’édifice. Devant lui, une pile de gravats vertigineuse avait été excavée de la crevasse, encombrant presque complètement la promenade encerclant le palais. Rigel comprenait mieux pourquoi autant de ses hommes avaient été dépêchés ici : il aurait fallu une éternité aux servants de Fort-Dragon pour extraire une telle quantité de débris du gouffre béant creusé dans les entrailles de Fort-Dragon. Même pour une dizaine d’individus du calibre des Compagnons, avoir accompli cette tâche en une seule journée relevait de l’exploit.
Quelques mètres plus loin, l’entrée des cachots semblait presque se tenir en retrait. C’était de là que s’échappait le chuchotis des conversations.
Armant son pas, il s’avança, et poussa la porte d’un geste assuré.
L’assemblée réunie à l’intérieur le surpris de par son hétéroclisme. À peine éclairés par le trait de clarté qu’il venait d’ouvrir sur eux, les membres du groupe donnaient presque l’impression d’avoir été tirés au hasard.
Par réflexe, ses yeux s’étaient d’abord tournés vers l’éclat de la lame pendant à la ceinture de l’homme adossé au mur du fond. Le Héraut avait reconnu le bouc de Jon Guerrier-Né avant même que son visage ne se tourne vers lui, mais il n’eut pas le luxe de se demander ce que ce dernier faisait ici. Juste à sa gauche, deux guerriers qu’il reconnut être des siens se tenaient penchés sur un cadavre allongé contre le sol. Au chevet du macchabé, les contours drapés de deux chercheurs captèrent ensuite son regard, révélant les faciès aveuglés de Farengar et Arcadia. Les érudits mirent un moment avant que le soleil découpant la silhouette du bréton ne laisse entrevoir les traits de ce dernier, mais Rigel avait déjà détourné son attention d’eux, la tournant toute entière en direction du dernier duo occupant la pièce.
Bras croisés, plantés dans le sol comme deux piliers d’émeraude et de turquoise, Oka et Zede-tei le dévisageaient dans un silence solennel, jaugeant l’état de leur Héraut dans ses moindres détails. Il sentit les quatre fentes de leurs yeux parcourir ses souliers, remonter le long de ses braies de tissu sale, se plisser à la vue de sa chemise aux manches brûlées, puis converger sur son visage encore marqué par les flammes.
- Rigel, firent-ils d’une même voix.
- Je tombe mal ? lâcha le bréton. J’ai l’impression d’interrompre quelque chose.
Arcadia se redressa, lui faisant signe d’entrer.
- Fermez la porte, s'il-vous-plaît. La lumière n’est pas commode pour les études.
Il s’exécuta, dévala les quelques marches le séparant de la surface, et s’arrêta au centre du conciliabule souterrain.
- Eh bien, articula-t-il d’un air faussement désintéressé. Qu’avons-nous là ?
- Le résultat d’un esprit malade, répondit Feu-Secret sans se détourner de l’objet de son attention. Venez voir.
Le Héraut s’avança, laissant sa vision s’acclimater à l’obscurité ambiante. Aucune torche n’était allumée ici, et les lieux auraient été plongés dans un noir complet si un énorme trou n’avait pas laissé la lumière du jour inonder le corridor des cellules situé quelques dizaines de mètres sur leur gauche.
Se penchant sur le corps sans vie allongé devant le nordique, il plissa les yeux, tentant de comprendre l’intérêt qu’on lui portait.
Il s’agissait d’un homme, du moins à première vue. Ses pieds nus et ses chausses de jute laissaient deviner qu’il s’agissait d’un prisonnier enfermé ici. C’était un peu plus haut que les certitudes s’effondraient. À partir de sa taille, la chair se mettait à enfler, puis déborder de sa peau, comme la mousse d’un fût trop plein que l’on aurait agité jusqu’à ce qu’il explose. L’un de ses bras avait été réduit à une éruption de muscles et de tissus impossibles à décrire, déchirant complètement sa tunique dans sa croissance aberrante. L’autre moitié de son torse avait simplement disparu, laissant derrière elle une plaie parfaitement lisse semblable à la tranche d’une tomate coupée en deux. Sa tête, quant à elle, n’était plus qu’une forme oblongue de matière humaine, sans yeux ni traits identifiables. Sous la peau de son crâne, un agencement de veines noirâtres couraient, figées par la mort dans une ultime pulsation difforme.
Quels que soient les crimes de celui qui se tenait étendu devant eux, ce qui lui était arrivé allait sans doute bien au-delà des châtiments que la justice lui avait réservé.
- Impressionnant, n’est-ce pas ?
Il se tourna vers le chercheur, ne sachant s’il devait s’offusquer de l’indifférence de son ton ou de la fascination qu’il lisait sur son visage.
- Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
- Cette horreur, comme vous dites, est ce qui est arrivé à une centaine de nos concitoyens.
Un haut-le-cœur traversa Rigel de part en part. Contenant à peine son dégoût, il se contenta de hocher la tête, craignant qu’autre chose que des mots ne sortent de sa bouche s’il l’ouvrait pour répondre. Il avait vu les traces de griffe, les corps brisés et les membres arrachés, mais ceci était pire que tout ce qu’il avait pu craindre en entendant l’histoire de Vilkas et Vignar.
Son poing se serra, peinant à évacuer l’horreur grandissant autrement que par la violence.
Toujours accroupi auprès de son sujet d’étude, Farengar repris :
- J’ai vu des atronachs de chair de mes yeux, mais après réflexion les choses que nous avons affrontées étaient encore différentes. Normalement, les conditions d’invocation d’un être originaire d’un autre plan obéissent à des règles précises auxquelles il est presque impossible de déroger. La nature de la créature, mais aussi sa taille, son essence et ses capacités sont déterminées au moment du pacte par les différents acteurs impliqués, et aucun de ces facteurs n’est ensuite modifiable. Normalement, une chose pareille ne pourrait pas se développer ni amalgamer la masse d’autres êtres de façon spontanée.
- …mais ?
Le nordique sourit sous l’effet de sa remarque.
- Le sommeil vous a rendu plus vif encore, Rigel. Mais, comme vous le dites, il y aurait théoriquement une solution. Une solution dont nous avons la preuve sous les yeux.
- Et quelle est-elle ?
- Eh bien, si j’en crois ce que je vois…
Le mage suspendit sa phrase, comme arrêté dans le fil de sa propre réflexion. Impatient, Rigel se pencha en avant, manquant de faire chuter l’érudit nez devant dans la masse de chair purulente du trépassé. Il ne fut retenu que par la main du bréton, fermement accrochée dans le tissu de sa toge au niveau de la nuque.
- Farengar, votre petit jeu a assez duré. Concluez, qu’on en finisse.
L’intéressé feint l’offusquement, se releva d’un bond, puis épousseta les pans de sa robe d’un air indisposé.
- Je… comme vous voudrez. Mais ne venez pas pleurnicher si l’explication ne vous sied pas. C’est clair, vous autres ?
Tour à tour, les membres du groupe hochèrent du chef, l’air grave.
- Bien, reprit Feu-Secret. Comme je le disais, les conditions d’un pacte de conjuration sont prédéfinies selon les forces en présence lors de l’invocation, exception faite, naturellement, des variables allant de pair avec la pratique. D’après ce que moi et nos charmants frères écailleux avons pu constater, et suite aux conclusions de notre chère Arcadia, la physiologie de ces créatures n’avait rien de fonctionnel. Elles ne digéraient pas les corps qu’elles dévoraient, et ne se sont pas divisées de seconde fois après l’incident de la nécropole, malgré le carnage supplémentaire causé entre-temps. J’en déduis donc qu’elles n’étaient pas des atronachs. Ou du moins, pas seulement.
- Farengar, souffla Arcadia avec une incompréhension visible. Vous ne m’aviez pas dit cela. Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Chère confrère, il semblerait que ces choses, d’une façon ou d’une autre, étaient en train d’alimenter un processus de conjuration continu.
- Une traduction pour les simples d’esprit, peut-être ? lâcha Oka en accompagnant sa remarque d’un regard appuyé en direction de Jon Guerrier-Né.
D’un soupir, l’arcaniste abandonna tout détour de forme.
- Très bien, comme vous voudrez ! Je pense que ces choses avaient besoin d’une source d’énergie qu’aucune incantation de ma connaissance ne permet. Si je ne me trompe pas, alors cela signifie que la première a siphonné l’âme de ses victimes pour se scinder en plusieurs entités, et que les autres ne l’ont pas fait parce que ce qui lui permettait d’agir ainsi n’existait plus. En bref, quelqu’un de conscient était aux commandes durant le massacre près du temple, mais plus ensuite. C’est plus clair, comme ça ?
- Vous avez dit quelqu’un ?
Les poils du bréton s’étaient hérissés sous l’effet d’un sombre pressentiment.
- Mais qui ? lâcha Jon. Quel genre de fou pourrait bien ?
- Il était ici.
Tous se tournèrent vers Rigel.
- La chose venait d’ici, n’est-ce pas ? Alors, je sais de qui il s’agissait.
Sans attendre, le Héraut s’engouffra dans le corridor des prisonniers, la mâchoire crispée par une rage bouillonnante. Au vu des informations réunies, il savait pertinemment à qui ils devaient cette destruction sans bornes.
Il ne vit sa pensée définitivement confirmée qu’en arrivant au pied du tunnel creusé à travers le sous-sol. Se tournant vers l’intérieur anéanti d’une cellule aux murs déformés par une masse titanesque, il sentit la marque du soleil peser dans son dos avec une lourdeur accusatrice. Contre la pierre brisée et les barreaux pliés, sa propre ombre se découpait dans la lumière chaude du dehors, comme pour mieux souligner sa culpabilité indirecte.
Cette geôle, c’était celle de Frognir. En fin de compte, le nordique ne s’était pas révélé être de ceux qui se ralliaient aux extravagances meurtrières de Sirius par peur ou par endoctrinement. De toute évidence, il appartenait à la seconde catégorie de ceux que l’on enfermait dans les boyaux de Fort-Dragon : ceux qui embrassaient pleinement et sans concession la noirceur de l’esprit humain.
Mais repousser la faute sur le nordique ne lui allait plus. On ne reprochait pas à une lame de trancher lorsque l’on se blessait avec. Il pouvait certes maudire le malfrat, mais pas s’étonner de la folie de ses actes. Il avait pu cerner l’âme malade de cet homme, mais avait préféré le garder captif pour le forcer à voir le monde changer sans lui, comme cela avait été son propre cas deux années plus tôt. Le pire dans tout cela, c’est qu’il avait su dès leur première interaction qu’il ne parlerait pas. Il ne l’avait même pas gardé enfermé pour un quelconque intérêt personnel, mais bien pour le faire souffrir. Pour lui donner une leçon.
Des deux hommes, c’était pourtant bien Rigel qui venait d’en apprendre une.
- Eh bien, quelle que soit votre observation, vous semblez avoir vu juste.
Il se tourna vers Farengar. Constatant que le reste de la troupe les avait suivi, il élimina les stigmates de la frustration de son visage, et hocha froidement la tête.
- Ça ne change rien, dit-il à l’attention du mage. Faites ce que vous voulez des restes. J’en ai vu assez.
- Comme vous voudrez, acquiesça Feu-Secret avec un soulagement visible. Je vais mettre en conservation ce corps et boucler la zone en attendant le détachement du Collège.
- Le Collège ? Vous avez fait venir le Collège ? Est-ce que c’est ce que vous avez trouvé de mieux à faire ?
Un éclat de défi traversa les pupilles de l’érudit, mais il ne reprit pas le bréton.
- La téléportation fait des merveilles, voyez-vous ! se contenta-t-il d’annoncer. Ils seront ici avant la tombée du jour.
Se retournant, il tapa dans ses mains pour réunir l’attention du groupe. Prenant un air ennuyé comme s’il s’était attendu à ce que tous ne lisent ses pensées, il s’exclama :
- Vous autres, merci d’avoir assisté au déblayage de la zone. Maintenant que votre tâche est accomplie, du balai ! Et tâchez de ne rien salir en sortant !
Le mage les raccompagna à l’extérieur, puis referma la porte en la claquant derrière eux. Arcadia et Jon Guerrier-Né les saluèrent, puis se dirigèrent vers le parvis du palais, rapidement suivis par les deux Compagnons que le Héraut mandata au chevet de Vignar et Athis.
Ne restait que trois personnes sur la promenade.
Rigel s’apprêtait à prendre la parole, mais les frères argoniens furent plus rapides.
- C’est tout ce que vous avez à dire ?
Zede-Tei était celui qui avait parlé, mais il devina sans mal que chacune de ses positions serait partagée par Oka.
- Que suis-je sensé dire de plus ? objecta-t-il. Vous voulez que je m’excuse ?
- Ce serait un début, fit le reptile. Mais ce n’est pas à cela que je faisais référence.
- Alors quoi ?
- Farengar ne l’a pas vu, mais il l’a senti. Il y avait quelque chose sur le champ de bataille avec vous. Et vous savez ce que c’était.
Le bréton déglutit. Tout était allé très vite depuis son réveil, et pas un instant ne s’était écoulé sans qu’il ne pense à ce qui l’attendait ensuite. Mais il y avait autre chose, quelque chose qu’il avait préféré éviter tout du long, quelque chose qui, sans qu’il ne se l’explique, le mettait plus mal à l’aise encore que tous les morts et la destruction sur lesquelles il avait porté ses yeux.
Les Frères du Froid n’avaient pas tort. Il se souvenait de ce qu’il avait vu, juste avant de perdre connaissance, mais il n’avait pas eu le temps d’y penser, ni d’en révéler l’existence à qui que ce soit. Parmi les survivants, Athis et Njada devaient être les deux seuls à l’avoir vu, et il ne souhaitait certainement pas que l’information s’ébruite.
Il ouvrit la bouche, décolla deux lèvres scellées par une salive pâteuse, et parla d’une voix qu’il reconnut à peine.
- Vous voulez parler de Renji.
À la façon dont s’étrécirent les pupilles des deux argoniens, il sut qu’il leur apprenait quelque chose.
« ‘’Ils étaient avec lui’’, comprit-il. ‘’Mais ils ne savaient pas. Est-ce qu’ils se sont séparés avant d’entrer en ville ?’’ »
- Alors, c’était le gamin ? lâcha Zede-Tei.
- De toute évidence.
- Que lui est-il arrivé ?
Le Héraut contint la marque de sa surprise. Le ton du magelame trahissait quelque chose de plus proche de l’inquiétude que de sa froideur habituelle. Cela ne lui ressemblait pas.
- Vous vous souciez de lui ?
- Répondez à la question, Rigel.
Le bréton eut un rire nerveux. Ils s’attendaient sans doute à ce qu’une force extérieure ne s’en soit prise à lui. Comment leur dire que c’était au contraire le cœur même de son identité qui avait été exhumé au cours de la bataille ?
Cherchant un moyen d’éluder autant d’informations que possible, il se contenta de conclure :
- Ce serait une longue histoire. Partez du principe que le Renji que vous connaissiez a donné sa vie pour les nôtres au prix d’un grand sacrifice. Grâce à lui, aucun ennemi n’a réchappé vivant de cette bataille.
- Sacrificé ? Non, c’est pas c’que Farengar a dit.
Le Héraut regarda Oka.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Farengar a dit qu’la chose qu’avait mis fin au combat était partie vers l’Ouest. Il a dit qu’la sentait encore, pas plus tard que ce matin. Alors ça n’peut pas être l’petit, voilà.
Le sang de Rigel ne fit qu’un tour.
- Farengar a dit ça ? Vous êtes sûr ? Tous les deux ?
- C’est ce qu’il a dit, confirma Zede-Tei.
- Vous devez partir. Vous partez pour Épervine d’ici ce soir.
- Non.
- Pardon ?
L’ainé du duo s’était approché de lui dans un élan de confiance impudente.
- Vous m’avez entendu. Nous avons une ville à rebâtir, des morts à enterrer, et des défenses à réorganiser. Surtout, nous avons un peuple à relever. Vous avez perdu des hommes, mais vous n’avez pas vécu ce qui s’est tramé ici. Alors non. Nous ne partirons pas, pas tant que tout ne sera pas revenu à la normale.
Brusquement, un rire fou secoua la poitrine du bréton. Sans prévenir, ce dernier se courba en avant, riant aux éclats jusqu’à en perdre le souffle.
Les deux frères l’observèrent se tordre durant une dizaine de seconde, médusés par la saute d’humeur incontrôlable du Héraut.
- Non, leur lança-t-il en reprenant son souffle, une hilarité sombre sur le visage. Non non non, vous ne comprenez pas. C’est un ordre. Et vous allez y obéir. Après cela, vous pouvez bien faire ce que bon vous semble, je m’en contrefous complètement.
Les argoniens se regardèrent, mal à l’aise devant le sursaut presque hystérique de leur meneur.
- Vous n’avez pas à tout savoir, reprit-il en tendant grand les bras. Vous n’avez pas à tout comprendre. Mais vous comprendrez, bien assez tôt. Vous aimez cette ville ? Alors vous ferez ce que je dis.
- Vous ne faites pas de sens, répliqua Zede-Tei. Je commence à me demander si…
- Si quoi ? Si je suis fou ?
Rigel s’avança jusqu’à lui, collant presque son visage contre le sien. Avec un mouvement de recul, le reptile s’écarta précipitamment. Quelque chose dans l’attitude du bréton l’inquiétait profondément, mais il ne parvenait pas à comprendre d’où provenait ce danger qu’il sentait émaner de lui. Il avait entendu Farengar dire que leur meneur était brisé, mais la détermination qu’il lisait en lui était celle d’un homme qui préférait tout perdre plutôt que de faire le moindre compromis.
- Peut-être bien que je suis fou, proféra-t-il avec lenteur. Que reste-t-il ici que la raison puisse encore sauver, après tout ?
- Oka, fais attention, lâcha le guerrier.
Inconsciemment, l’argonien venait de poser une main sur le pommeau de son épée.
- Mais je vais vous dire, scanda le Héraut en portant tour à tour les yeux sur sa lame et son visage comme pour écraser l’instinct défensif qui venait de naître en lui. Que j’aie perdu l’esprit n’aura pas la moindre conséquence si vous échouez à faire ce que je vous demande. L’ennemi a réveillé quelque chose chez Renji, et cette chose court toujours. Mais elle l’emmène vers l’Ouest. C’est bien cela ? Eh bien, vous partirez pour l’Ouest, comme si votre vie… non, comme si notre vie à tous en dépendait. Parce que c’est le cas. Parce qu’une force capable de décimer notre ennemi court en liberté sur ces terres, et qu’il est impossible qu’ils ne cherchent pas à mettre la main dessus. S’ils y parviennent, c’est notre fin à tous. Vous me comprenez ? Est-ce que vous me comprenez ?!
Soudain, Oka vit les épaules de son frère s’affaisser complètement. L’ainé venait de céder.
- C’est d’accord, dit le reptile dans un sifflement d’apaisement. Je n’aime pas ceci, mais je ne mettrai pas en péril ce qui reste de cet endroit si le risque est si grand. Nous partons avant le coucher du soleil.
Les yeux du bréton s’agrandirent.
- Oui… Oui, c’est parfait ainsi. Accomplissez cela, et je n’exigerai plus rien de vous.
- Je ne vous ai jamais vu exiger quelque chose de la sorte, mais je dois m’en assurer : est-ce que c’est un ordre ?
Le regard du Héraut accrocha celui de l’argonien. Il voyait très bien ce que ce dernier voulait dire.
- Oui, dit-il, c’est un ordre. Mon dernier ordre.
- Frangin, commença Oka. T’es sûr de…
La langue de l’ainé claqua dans l’air.
- Certain. Il est visiblement inutile de tergiverser davantage. Rien ne pourra vous faire changer d’avis, Rigel, je me trompe ?
L’intéressé reprit une pose neutre, opinant du chef avec un calme tel qu’il aurait été impossible de se douter de son agitation l’instant précédent. Le changement de comportement qui s’était opéré en lui après qu’ils aient décidé de suivre sa demande était si brusque que Zede-Tei ne put s’empêcher de frissonner.
- Non, confirma le bréton. Tu dis vrai, je ne changerai pas d’avis. S’il y a une chose dont vous êtes les seuls capables, une chose que moi seul soit en droit d’exiger de vous, c’est bien cela.
- Alors nous obéirons, Oka et moi. Vous avez notre parole.
Le Héraut hocha la tête à nouveau, puis leur tendit un bras, pointant la direction des escaliers.
- Je ne vous retarde pas davantage.
- Une dernière chose. Nous avons tué un homme dans les ruines. Un fuyard du groupe du campement. Brunwulf, son nom. Si Renji dit vrai, il l’avait déjà croisé ici, et vous avait mis au courant.
- Brunwulf… Oui… Oui, je vois qui il est. Titus avait fait quelques recherches. Il était bien des nôtres, mais il n’existe aucun pardon pour les traîtres à Jorrvaskr. Content que vous nous ayez débarrassé de lui. J’imagine qu’il essayait de traverser les ruines quand il a croisé Renji ?
- C’est exact.
- Je vois. Comment le chat s’en est-il sorti ?
- Un peu trop bien, si vous voulez mon avis. Je sais qu’on dit qu’il a donné du fil à retordre à votre Sirius, mais Brunwulf était tout de même aussi fort que certains hommes de la Ronde. Pas plus fort que nous, évidemment. Mais tout de même. Ce n’est pas normal qu’il ait survécu si longtemps.
- Il n’y a pas grand-chose de normal chez lui, si vous voulez mon avis.
L’argonien tiqua.
- C’est pour ça que vous voulez le retrouver ? À cause de cette… anormalité qui l’habite ?
- Est-ce que c’est lui qui vous intéresse ? Ou bien est-ce ce qui est en lui ?
- Un peu des deux. Si vous pouvez le ramener sans encombre, c’est très bien. Mais si l’ennemi le trouve en premier et que vous n’êtes pas sûr de pouvoir mettre la main sur lui, je ne veux pas de demi-mesure.
- Précisez.
- S’il résiste ou se montre dangereux, pas d’hésitation. Tuez-le, et brûlez tout ce qui reste de lui.
- Vous n’êtes pas sérieux.
- Ais-je l’air de plaisanter ? J’ai vu l’état de son corps. Renji est mort depuis au moins deux jours, et vous pouvez me croire sur ce point. Vous ne le sauverez pas.
- Attendez une minute, demanda Zede-Tei d’un air perplexe. Comment voulez-vous qu’on le tue s’il est déjà mort ?
À ses côtés, Oka hocha vigoureusement la tête.
- J’pige pas. Vous m’dites que Farengar a bien senti l’gamin, pourtant. Vous voulez dire que c’n’est pas… ?
Grave, Rigel leva vers eux un regard qu’ils n’oublieraient jamais.
- Il y a quelque chose aux commandes. Et ce n’est plus lui.
Il semblerait que j'ai de la lecture.
Merci à toi.
Oh bordel, quels chapitres. J'ai rien à dire, j'ai lu trop longtemps pour avoir la force de dire quoi que ce soit sinon que j'attends comme toujours la suite avec impatience. J'espérais que tu mentionnes Renji avant la fin, voici fait.
L'écriture est parfaite, mais le dire me semble d'une banalité...
Merci merci, ça me touche comme toujours
Prochain chapitre pas avant septembre malheureusement je pense, mémoire à rendre fin août tout ça tout ça
Aucun problème, bon courage à toi bg
Merci chef
En espérant que ton mémoire était satisfaisant.
Merci ! Ouais j'ai rendu l'écrit, je passe l'oral jeudi
La semaine prochaine j'aurai le temps de me (re)mettre à l'écriture
J'ai du retard mais bon courage à toi bg
Heureusement que la modération travaille.